« Suave mari magno »

Voici  le début d’un texte de Lucrèce étudié en latin au lycée, si vous avez quelques restes… On y parle de la joie qu’il y a à observer l’agitation du commun des mortels dans une mer déchaînée depuis le haut d’une tour protégée du vent et des tempêtes. De quoi faire sourire et rêver le lycéen paresseux et volontiers épicurien.

Mais le temps a passé et tout s’est accéléré depuis, même le plus flegmatique d’entre nous a été pris dans le tourbillon de la vie et est agité par les flots de l’action permanente. Le fait n’est pas nouveau puisqu’il existait déjà au temps de Lucrèce, cependant il semble que depuis nous avons développé de merveilleux moyens techniques qui paraît-il nous font gagner beaucoup de temps. Nous devrions donc avoir beaucoup plus de loisir qu’un romain du I° siècle avant Jésus-Christ. Mais à quoi utilisons-nous ce temps si ce n’est à développer sans fin, des moyens d’en gagner toujours plus. Bref nous n’avons toujours pas le temps !

Nous sommes en effet toujours dans l’action, nous avons un besoin constant d’agir, on pourrait dire maintenant j’agis donc je suis. Quand je ne travaille pas, je téléphone, je « textote », je « communique », j’agis ou plutôt j’agite mon esprit et mon corps. Pourquoi ? Parce que l’on me le demande, je suis sollicité tout le temps, je dois donc répondre, réagir, car sinon je n’existe pas aux yeux des autres. Au travail, ce sont les mails auxquels il faut répondre très vite, le téléphone qui sonne toute les 5 minutes, les chefs qui veulent tout, tout de suite… Chez moi, c’est whats’app, facebook et tous les moyens de communication qui permettent de garder un lien constant avec nos amis ou notre famille à l’autre bout du monde.

Et comme les moyens techniques ont décuplé la vitesse et l’effet de nos actions et communications, quand j’agis, j’ai tout de suite le résultat, je peux donc ajuster à volonté si celui-ci ne me convient pas, par itération, presque par réflexe, sans avoir besoin de penser, entretenu dans l’idée que quoi qu’il arrive j’arriverai au résultat et ce sans avoir jamais vraiment besoin d’y réfléchir. Saturé par la sollicitation et l’information qui arrive trop rapidement, notre esprit sature et pour survivre il nous fait remplacer la réflexion par le réflexe. Notre capacité à penser, à méditer sur l’essence des choses qui nous entourent et sur le sens de nos actions s’est peu à peu annihilée.

Certes, me direz-vous, et alors ? Le monde a changé, il est ainsi et nous y vivons, nous ne pouvons pas y échapper et d’ailleurs ce n’est pas plus mal, au moins je suis occupé, je ne reste pas oisif. L’oisiveté étant la mère de tous les vices, je n’ai même plus le temps de pécher ! Je fais le maximum, la vie passe vite de cette façon, et bientôt le paradis ! Le bon Dieu ne pourra pas me reprocher d’avoir été paresseux au moins. J’ai la conscience tranquille… Et puis je me sens vivre à plein poumons, toujours à fond, je ressens une sorte d’exaltation.

Par certains côtés c’est vrai, mais attention, ce sentiment est trompeur, c’est un peu comme sur un circuit de karting, tu as l’impression d’aller très vite, mais c’est en fait parce que tu es au ras du sol, tu crois diriger ta vie, mais tu ne fais que suivre le circuit que tout le monde suit. Tu crois maîtriser ta vitesse, mais tu dérapes à chaque virage. En somme si tu n’y prends pas garde, tôt ou tard tu iras droit dans le mur.

Car si tu ne prends pas le temps de penser et de méditer, tu risques de perdre le sens de ta vie. Mais surtout souviens-toi que tu n’es pas seul car tu auras certainement des responsabilités au travail, ou une famille à conduire, et en donnant des coups de volants dans tous les sens sans avoir de ligne directrice, tu risques de semer tout le monde. De plus s’il est possible de faire un « reset » sur un ordinateur ou une machine lorsque l’on s’est trompé, c’est impossible avec le cœur de l’homme qui reste marqué par ce qu’il fait et ressent. Et cette suractivité non soutenue par une méditation et une réflexion constante risque de te conduire à blesser peut être irrémédiablement ceux qui t’entourent. Au début tu ne t’en apercevras pas (pas le temps …), puis après quand cela explosera, il sera trop tard. Et alors là, à ce moment précis, peut être réaliseras-tu à quel point tu t’es desséché, vidé de ta substance et de ta capacité à être réellement un homme qui pense, qui prie et qui sait encore aimer réellement.

Alors cher ami, vis ta vie à fond, agis et réagis car tu y es obligé et on te le demande, mais garde toi du temps et surtout prends ce temps pour penser, réfléchir et méditer sur le sens de tes actions et de ta vie.

D’accord, mais en pratique, comment faire ?

Pour méditer c’est simple, il suffit de se réserver 15 min le matin avant de partir au travail et de prendre un petit livre de méditation. C’est déjà ça et ça aide beaucoup.

Mais pour vraiment penser, et prendre du recul sur les actions de la journée, c’est plus compliqué ; nous ne sommes pas habitués à nous garder du temps pour cela. Mais essayons dans les transports, en voiture, chez nous, juste en arrivant le soir, de ne pas allumer la radio ou les écouteurs, de rester en silence, d’éteindre le téléphone et de faire l’effort de réfléchir vraiment pendant 15 min. Non pas au prochain week-end,  aux occupations des vacances ou même à tel souci du boulot. Mais vraiment en essayant de prendre plus de hauteur et de recul sur le sens des actions de la journée, de la semaine, où j’en suis avec mes collègues, amis, parents… Rien de très compliqué finalement, mais si j’y pense, depuis combien de temps ne l’ai-je pas fait ?

            Enfin prions Saint Joseph le patron des travailleurs qu’il nous permette de garder en vue que finalement malgré tout ce qu’il reste encore à faire, ce qui compte vraiment c’est de sauver notre âme.

Charles