Douceur de la virilité et virilité de la douceur

       N’en déplaise aux tenants de l’idéologie du genre, les garçons se montrent aussi naturellement fiers de leur force physique que les filles le sont de leur beauté. C’est bien en vain que l’on voudrait lutter contre ces tendances qui sont celles mêmes des sexes. Loin de les rejeter, que les éducateurs les identifient comme de précieux fils d’Ariane qu’ils doivent saisir pour conduire leurs enfants sur les chemins de la vertu.

Montrons d’abord que tous leurs premiers soins consistent à expliquer à leurs garçons que la transposition de leur force physique sur le plan moral se nomme le courage, et à leurs filles que la douceur est le mot qui désigne la beauté de l’âme. Voilà les vertus qu’ils doivent conquérir ! La tâche est si ardue qu’ils ne peuvent y parvenir par leur seule bonne volonté. Voyons alors comment les éducateurs doivent indiquer à leurs enfants le secours nécessaire de la grâce dont ils ont besoin pour progresser sur leur sentier chrétien et la splendeur spirituelle des vertus qu’ils sont appelés à pratiquer. Terminons cet exposé en leur dévoilant la récompense que mériteront leurs efforts. Le cheminement viril de leurs garçons en fera des doux comme l’adoucissement vertueux de leurs filles permettra bientôt de les louer comme la femme forte de nos Ecritures. La douceur de la virilité et la virilité de la douceur, n’est-ce pas ainsi que doit s’harmoniser la sainte complémentarité des hommes et des femmes ?

  1. Ton âme est plus que ton corps :

Le garçon triomphe d’avoir remporté la course, jeté sa pierre plus loin que les autres, terrassé son frère dans une mémorable bagarre ! La force bouillonne en lui. Qu’il soit vigoureux ! Ne méconnaissons pas les bienfaits des efforts physiques auxquels il se livre naturellement. Voilà qu’ils vont servir de point de comparaison pour l’ouvrir à la découverte de la force morale. Le voici en effet tout piteux d’une grosse bêtise garçonnière qu’il a commise. Avouera-t-il sa faute ? Sera-t-il faible ou fort ? Le moment est précieux pour que l’adulte évoque cette autre force spirituelle qui doit le déterminer à la franchise. Ou bien le voilà sur le point d’éclater dans une terrible colère parce qu’il a perdu au jeu. Céder à cette passion doit lui être indiqué comme un signe de faiblesse. La force morale consiste ici à garder la maîtrise de soi et même le sourire. Cette continuelle transposition du physique au moral doit lui être familière et devenir un ressort de ses combats contre lui-même.

La fillette passe et repasse devant la glace qu’elle a découverte et raffole de s’entendre dire qu’elle est mignonne. Mais la maman qui a bien repéré son petit jeu devra saisir l’occasion où elle est « affreuse » de jalousie, de gourmandise ou de coquetterie pour lui montrer que la beauté de l’âme vaut mieux que celle du corps. Comment faut-il l’appeler ? La douceur, je crois. Non pas encore dans un sens très rigoureux mais dans le sens large de l’affinité qui existe entre cette vertu et le soin déjà maternel qu’elle doit prendre de ses poupées. Elle ne sera en réalité mignonne que par son abord calme, avenant et souriant. L’idéal de cette beauté morale – qui redonde d’ailleurs sur les traits de son visage ! – doit la porter et la charmer.

  1. Rien sans le Christ :

 Faut-il le préciser ? L’accoutumance des enfants à cette transposition fondamentale de l’ordre physique à l’ordre moral ne peut bien réussir qu’avec l’aide de la grâce. Bannissons le naturalisme persuadé que les succès éducatifs ne dépendent que du talent à toucher les cordes psychologiques des enfants !

S’il est vrai qu’il les faut connaître, n’oublions pas que l’archet qui en tirera les sons harmonieux doit être chrétien.

Le garçonnet qui veut être fort et courageux doit s’éprendre des modèles de sainteté qui lui révéleront des profondeurs insoupçonnées. Qu’il découvre, par exemple, en lisant la vie de Léon De Corte, l’existence de ces athlètes dépourvus des muscles corporels. Qu’il lise la victoire d’un François de Sales colérique devenu le plus doux des saints. Qu’il remplisse son âme de la Passion du Christ, fort de la force de Dieu et victime volontaire pour nous sauver de nos péchés. Qu’il prenne conscience du néant d’une vigueur corporelle qui n’est pas accompagnée de celle de l’âme. Qu’il sache coupable la force qui n’est pas protectrice des plus faibles. Et, qu’à la vue de ses échecs pour devenir fort, le garçon s’humilie devant Dieu en demandant son pardon au confessionnal et vienne mendier au banc de communion le pain des forts. Qu’il se jette enfin dans l’amour filial d’une Mère forte comme une armée rangée en bataille.

Quant à la fillette conquise par l’idéal de la douceur, qu’on l’aide vite à l’intérioriser ! La douceur n’est pas douceâtre, encore moins doucereuse. Elle n’est pas une simple apparence que donnent les traits du visage. Elle n’est réellement que si, intérieure, elle se répand sur l’extérieur. Autrement dit, pas plus que la force, elle ne doit être réduite à l’horizontalité des relations avec les autres êtres humains. Si Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est Dieu, a pu dire de Lui : « Je suis doux et humble de cœur1 » , c’est que Dieu « est la Douceur par essence2 » . Nous ne serons des doux qu’en nous approchant de Dieu et en participant de sa douceur. Alors, qu’est-ce que la douceur ? Elle est avant tout la soumission humble et patiente au bon vouloir divin à l’origine de l’équanimité que l’on conserve dans ses rapports avec le prochain alors même que l’on doit supporter les maux qu’il nous inflige.

Que l’on parle de la force ou de la douceur, il faut un peu déplorer une littérature abondante, d’avant le Concile déjà, qui cherche à peindre de beaux portraits chrétiens de jeunes gens et de jeunes filles, à exalter leur rayonnement. Mais l’on cherche souvent en vain la racine et la sève de leurs nobles comportements. Ils nous paraissent d’une autre espèce que nous car ils développent d’admirables vertus comme si elles leur étaient naturelles. Ne nous illusionnons pas ! Nos modèles chrétiens sont toujours des âmes à la vie intérieure profonde, qui ne trouvent pas ailleurs que dans l’union à Notre-Seigneur, par l’oraison et par les sacrements, l’abnégation et la charité que nous leur voyons.

III. Deux itinéraires pour un même sommet

 Le jeune homme habitué à se vaincre lui-même devient réellement fort. Il comprend que le véritable courage consiste d’abord dans cette lutte incessante qu’il doit mener au-dedans de lui contre les mouvements désordonnés de ses passions pourtant parfois si violentes. Maître en sa demeure, il est aussi ce qu’il doit être dans l’existence, dans l’accomplissement de ses différents devoirs, dans l’exécution persévérante de ses obligations. Les conversations avec lui ne dégénèrent pas en disputes. S’il tient ferme à la vérité de ce qu’il pense, il sait céder paisiblement quand les opinions sont légitimement diverses sur un sujet.

Ne croyez pas que cette maîtrise que vous admirez en lui soit l’effet d’un bon tempérament ou de quelques efforts isolés de son adolescence. Elle est le résultat d’une conquête laborieuse à laquelle se sont associés ses parents et l’un ou l’autre prêtre. Elle est surtout le fruit d’une habitude d’union à Notre-Seigneur Jésus-Christ qui s’est traduite par l’exercice régulier, quotidien, de l’oraison.

Cette force intérieure, parce qu’elle jaillit du Christ, ne risque pas de dégénérer en dureté. Chez l’homme, elle revêt un caractère naturellement protecteur et cette propension s’accentue encore chez l’homme chrétien. L’idéal chevaleresque de la défense des plus faibles s’impose à lui. Une volonté de bienfaisance est le fruit spirituel de sa force. Or, qui prend soin des plus faibles apprend vite la nécessité de condescendre, de se mettre à leur place, d’user de mansuétude.

Et c’est par cette passerelle que l’homme découvrira la douceur et apprendra à unir en lui deux vertus qui lui paraissent presque opposées. Il n’est pas encore au bout de ses surprises ! Il expérimentera alors cet empire des doux sur les cœurs de ceux qui les entourent : « Bienheureux les doux car ils possèderont la terre en héritage3 ». La douceur a le don de désarmer les courroux et de gagner les cœurs. Après avoir fait la conquête de lui-même, l’homme fort qui s’adoucit fait celle de ceux qui l’entourent.

La jeune fille chrétienne qui s’exerce chaque jour à la douceur, comme à la pratique de la vertu qui symbolise la féminité et qui est exigée par la maternité, comprend vite l’harmonisation qui doit se produire entre son extérieur et son intérieur. Elle ne peut se contenter d’une contention qui s’afficherait dans les attitudes et dans le langage mais ne correspondrait pas à ses sentiments intimes. L’intériorisation s’impose à elle si elle veut être réellement douce. Le secret de la douceur, elle le trouvera dans son imitation du Christ et de la Très Sainte Vierge Marie, dans le bienfait de ses communions eucharistiques, dans la dévotion à la Passion de Notre-Seigneur. L’école de l’héroïsme chrétien, de sainte Blandine à sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, se manifestera à elle dans sa beauté.

Mais que cette conquête est douloureuse ! Comme il faut de la vertu pour demeurer en toutes occasions patiente, charitable, toujours prête à s’effacer, toujours là pour pacifier. Quelle abnégation ! L’idéal est très élevé et ne s’atteint que par d’âpres combats qui demandent une grande générosité. La force fait irruption dans sa vie d’abord comme le moyen indispensable pour demeurer douce. A l’instar des saints, il s’agit de rester dans la douceur dans des circonstances parfaitement contraires. Mais la force apparaît également comme le trophée qu’elle emporte en même temps que la douceur. Si elle est devenue une vraie douce, c’est qu’elle est alors aussi une « femme forte », car la douceur signifie un tel empire sur soi-même qu’elle suppose la pratique constante de la force. Elle aussi rayonne alors d’une personnalité supérieure, celle de sainte Geneviève devant les Huns, dont l’autorité incontestée est celle de la douceur.

Nous n’avons certes pas voulu dire ni que l’éducation des garçons se résume à l’acquisition de la vertu de force, ni que celle des filles doit seulement s’attacher à la formation de leur douceur. Mais si ces deux qualités sont, comme nous le croyons, celles qui conviennent le mieux, soit à la masculinité, soit à la féminité, nous pensons qu’elles possèdent un rôle à part pour conduire les uns et les autres. Le savoir, c’est découvrir des ressorts bien précieux de la psychologie des garçons et des filles. L’ignorer, c’est s’exposer à beaucoup de maladresses et de récriminations dans l’art déjà si complexe de l’éducation.

            Père Joseph

1 Mt 11, 29

2 J.J Olier, Introduction à la vie et aux vertus chrétiennes.

3 Mt 5,4