Mon enfant peut-il travailler dans le domaine de la santé?

Faisant écho à l’article « Mon enfant peut-il faire Sciences-po ? » paru dans un dernier numéro de « foyers ardents »1, l’application au domaine de la santé peut sembler plus simple. « Oui évidemment », « La santé est un domaine de choix pour un catholique », « Il aura toujours le choix de soigner comme il convient », ou encore « N’est-ce pas un excellent moyen de toucher les cœurs que de soigner les corps ? ». 

Ces réponses trop rapides méritent quelques éclaircissements, car ce n’est pas si simple.

Ces lignes ne se veulent pas un exposé des différentes filières de la santé, mais plutôt une réflexion sur des principes qui doivent guider le futur professionnel de santé catholique pour déterminer ce qu’il peut ou ne peut pas faire, depuis le début de ses études jusqu’à son exercice professionnel.

Ce qui a été dit des « grandes écoles »1 s’applique parfaitement aux IFSI et IFAS (Instituts de Formation en Soins Infirmiers ou Aide-Soignants) ou aux facultés de médecine : dispensation d’un enseignement fortement idéologique et politiquement correct, sanitairement correct ; risque de se confronter à des comportements toxiques voir immoraux (les soirées d’intégration en médecine ou les soirées infirmières ont toujours été connus pour leur caractère « carabins », comprenez « portés sous la ceinture », et ceci ne va pas en s’améliorant loin de là). Ajoutons une forme de pression qui pousse à l’excellence (concours de premières années, concours de l’internat) qui requiert une volonté forte pour garder un équilibre naturel (sport, lectures, formation) et surnaturel (prière, sacrements).

Distinguons les formations théoriques et les formations pratiques sous forme de stages, souvent mêlées.

Formation théorique

Cette formation est incontournable et le plus souvent dispensée par des professeurs spécialisés dans leur discipline. Elle est encore aujourd’hui reconnue pour sa qualité.

Mais l’étudiant aura à se garder des erreurs, parfois subtiles, qui lui sont enseignées dans ses cours. On pense évidemment aux sujets comme l’avortement, la contraception, l’euthanasie, pour lesquelles il doit avoir les idées très claires. Il ne doit pas, ne peut pas, jamais, jamais. Il s’agit d’une violation directe de la loi divine. « Non possumus ».

D’autres sujets mélangent plus subtilement le bon grain et l’ivraie, et nécessitent un solide attachement à la loi naturelle et au réalisme. C’est le cas des sciences humaines, de l’histoire de la médecine, de la psychologie, pour ne citer que ces exemples. Il devra garder un regard critique et se former en parallèle avec de bons ouvrages. Il lui faudra l’humilité pour demander conseil sur ces références bibliographiques. Car là encore il faut du discernement.

Par exemple, de nombreuses ouvrages officiellement catholiques tentent de remédier à l’utilitarisme en développant ce qu’ils appellent la « norme personnaliste ». Particulièrement développée après les années 80, ils considèrent la dignité humaine comme une fin absolue. Cette « norme » peut sembler moins mauvaise que l’idéologie qui dispose de l’homme comme d’un bien consommable. Mais elle n’en est pas moins dangereuse car l’action est alors tournée vers l’homme pour l’homme, et non d’abord vers Dieu à travers l’homme. C’est en fait, remplacer la charité (aimer Dieu et son prochain pour l’amour de Dieu) par la solidarité (aimer son prochain). Notre étudiant tirera un grand profit dans la lecture de références catholiques modernes mais antérieures à la crise des années 60. On ne devrait pas faire l’économie de lire, méditer, relire et ruminer les écrits du pape Pie XII sur la santé, avantageusement réédités récemment en un recueil2. L’idéal serait de relire tous les textes de ce pontife aux médecins, infirmière, ou sage-femmes, car tous les principes y sont abordés, les grandes questions « bioéthiques » d’aujourd’hui y ont déjà été traitées.

Les stages

L’autre partie de l’enseignement est distillée sur le terrain sous forme de stages.

Les filières imposent différents stages, et on aura soin de bien les connaître en détail avant de s’y lancer. Privilégier les filières où on peut choisir soi-même les stages. Se renseigner en amont, le plus efficace étant d’appeler directement dans les services et de s’entretenir avec un autre étudiant stagiaire pour connaître tous les détails. Ne pas avoir peur de poser toutes les questions : c’est un usage courant aujourd’hui à une époque où les étudiants donnent des notes de leur terrain de stage. Ne nous privons donc pas de mener notre enquête.

Exemples. Stage de gynécologie-obstétrique : puis-je le valider en ne passant qu’en suivi des grossesses et en salle de naissance ? Bloc obstétrical : puis-je assister uniquement aux accouchements, et pas aux IMG ou aux chirurgies de stérilisation ? Stage de chirurgie : est-ce que les disciplines sont séparées ou bien toute opération y compris de gynécologie se fait dans le même bloc ? Gériatrie : y-a-t-il un secteur de soins palliatifs et quelle est l’approche des équipes médicales sur la fin de vie ? Stage chez le médecin généraliste : serai-je amené à prescrire des contraceptifs ou pourrai-je m’y opposer ?

Pour tout stage obligatoire dans une spécialité, se demander : puis-je le valider dans un service qui me permet de ne pas pratiquer un acte que la morale réprouve ? Si la réponse est non, il faut assurément chercher un autre terrain de stage. S’il n’y en a pas, il faut courageusement remettre en cause cette filière. Le principe est qu’on ne doit jamais faire le mal, y participer directement, même pour qu’en résulte un bien.

Exemple. Je dois faire un stage de gynécologie où l’on me demande de « faire une vacation d’IVG ». C’est obligatoire dans le cursus pour devenir gynécologue. Et on a besoin de gynécologues catholiques.

Si le bien que je vise, devenir gynécologue catholique, passe par la réalisation d’actes intrinsèquement mauvais (ex : l’avortement) : ce n’est pas acceptable pour un catholique. Soit j’arrive à devenir gynécologue par un autre chemin (stages validant sans pratiquer l’avortement), soit je ne dois pas faire d’études pour devenir gynécologue.

Objection. À ce titre, il n’y aura jamais plus de gynécologue catholique.

À ce jour, par la filière classique, c’est très probable.

Mais le prix à payer ne peut pas être le péché mortel commis par l’étudiant. Non possumus. Souvenons-nous que certaines professions était interdites aux premiers chrétiens car incompatibles avec la foi chrétienne. Il faut être de cette trempe, être cohérent.

Objection. Mais je ne participe pas toujours directement à l’acte mauvais. Si je suis exécutant d’un ordre, suis-je responsable ?

Il s’agit là de la coopération à un acte mauvais. Le médecin pratique un acte mauvais, les autres y coopèrent : l’étudiant l’aide, l’infirmière injecte le produit, l’aide soignante fera la toilette du patient, l’agent technique fera le ménage de la chambre. Tous n’ont pas le même degré de coopération à l’acte. Pour l’étudiant ou l’infirmière, la coopération est dite prochaine. Pour les autres elle est dite lointaine. Cette distinction permettra à un bon conseiller de bannir la première et de tolérer dans certains cas la seconde. Nous approfondirons ce point dans un prochain article sur les actes qui ont deux effets, un bon et un mauvais (Principe de l’acte à double effet).

 

Objection. « Maintenant que je suis infirmière ou interne, je ne vais quand même pas revenir à zéro et gâcher toutes ces études ». 

D’où l’importance de bien connaître ce qui peut l’être avant de se lancer dans une filière: mieux vaut prévenir que guérir.

Malgré cela, on peut se rendre compte secondairement qu’on est confronté à des actes mauvais, qu’ils nous sont imposés, ou qu’on ne l’avait pas prévu. Et on ne peut pas tout prévoir. Alors, s’il n’y a pas moyen de faire autrement, oui il faut renoncer, faire autre chose, changer de voie. Car la beauté de cette voie, la grandeur de cette mission, le bien qu’on pourrait y faire, ne justifient pas la pratique d’un seul péché mortel. Jamais. Non possumus.

Souvenons-nous de la parole célèbre de sa mère à Saint-Louis : « je préfère vous voir mort à mes pieds que coupable d’un seul péché mortel ».

 Citons aussi le cas de ce gynécologue non catholique. Sa femme obtient la grâce de sa conversion. Il arrêta alors de prescrire des contraceptifs et de pratiquer les avortements. Il mit fin à son exercice de gynécologue et s’installa en médecine générale dans une autre région, sous les railleries de ses anciens collègues et de ses proches.

Être fier de sa foi et lui soumettre toute sa vie. Toute. Savoir dire non quel qu’en soit le prix et garder confiance en Dieu pour la suite.

Que les parents et les jeunes gens soient donc attentifs au contenu précis de ses formations dans le domaine de la santé. On ne peut pas dresser une liste des filières qu’on peut suivre et de celles qu’on ne peut pas suivre quand on est catholique. Il faut les étudier toutes avec précision.

Ne partons pas du principe que « c’est comme autrefois, j’ai connu ça de mon temps » : les cursus et les obligations pour obtenir le diplôme ont changé et changent.

Et il faudra du courage pour faire comprendre en douceur à nos étudiants que telle ou telle filière n’est pas faite pour eux.

On ne peut pas se lancer dans ces filières les yeux fermés. Il faudra même les déconseiller aux jeunes gens influençables, faibles, peu préparés ou mondains. Ils auront besoin d’une forte liberté intérieure pour résister aux compromissions avec l’esprit du monde. A ceux déjà évoqués, ajoutons une forme sournoise, et croissante au fil du temps, de pression professionnelle. Entraîné vers une obligation de résultats (alors qu’officiellement, le soignant n’a qu’une obligation de moyens), le soignant est poussé à se donner toujours plus, quitte à négliger ses autres devoirs.

Donc même conclusion que pour « Science Pô » : « Des jeunes gens, fermement attachés à leur foi, nourris de lectures fortes, puisant aux sources de la philosophie thomiste, proches d’un prêtre à qui ils pourront exposer leurs doutes, attachés à leur chapelet quotidien, peuvent donc encore risquer (le mot n’est pas trop fort) cette formation »1.

              Dr L.

1 « Foyers ardents » numéro 20, mars avril 2020, pages 26-28

2 Pie XII et la médecine, éditions Clovis.