Quand l’époux devient père

         Il y a en tout homme qui se respecte le goût et l’espoir des responsabilités. On le voit déjà chez le jeune garçon lorsqu’il revêt son uniforme de louveteau, ou utilise pour la première fois la débroussailleuse… Mais quelles responsabilités sont comparables à celles de la paternité ? « La paternité prend tout l’homme et le prend toujours ». Être père, c’est être majeur, c’est accéder aux plus hautes fonctions pour lesquelles l’homme se sent préparé : le voici législateur, juge, maître, défenseur, prêtre, roi. Qui pourrait nier que l’homme est fait pour cela ? (Même dans un foyer sans enfant, on peut exercer une paternité spirituelle, le prêtre accède lui aussi à une paternité plus haute encore…). La paternité humaine est la révélation de la paternité divine, le père est l’image du Père.

Il est frappant de voir aujourd’hui combien le père est dévoyé, ridiculisé… Tenez, il suffit d’entendre quelques publicités à la radio pour observer à quel point il est rabaissé : il est toujours le « pauvre homme » à qui sa femme (qui sait tout sur tout !) explique quel sirop prendre pour sa toux, ou quel concessionnaire automobile aller rencontrer pour la nouvelle voiture familiale que madame a déjà choisie ! Quand ce ne sont pas les enfants eux-mêmes qui expliquent à leur benêt de père quelle nouvelle pâte à tartiner convient le mieux à leur goûter ! Et écoutez bien les voix : l’épouse est des plus charmantes, et les enfants très polis avec une jolie expression…Il n’y a que le malheureux père qui semble toujours tombé de la lune ! Pauvres pères, réveillez-vous ! Ne vous laissez pas enfermer pas dans cette case de « papa-bien-gentil qui dit « amen » à tout », retrouvez votre dignité de chefs de famille, la noblesse de votre belle mission !

La première vertu du père est la dignité, qui prend sa source dans la vie intérieure. Être père, c’est d’abord avoir désiré un enfant. Celui qui a prié pour la fécondité de son union, qui a accepté dans sa finalité l’acte qui appelle à la vie, n’est-il pas mieux préparé à assumer son rôle de père ? Il a prié pour son enfant avant de le connaître. Il est quelqu’un qui sait ce qu’il veut et ce qu’il fait.

Lorsque l’enfant naît, l’homme devenu père mesure ce que c’est que d’avoir fait commencer une destinée éternelle. Il prie tous les jours pour ce petit. Il le prend en charge. Il sent son amour pour sa femme transfiguré et approfondi. Faire réussir cette vie qui paraît si frêle, éveiller cette âme encore endormie, faire grandir jusqu’à l’âge adulte ce tout petit être, voilà la pensée qui l’habite, qui illumine toute sa vie.

Le père sait que son enfant l’admirera, puis le jugera. Est-il digne d’être admiré ? Il lui faut, pour ne pas décevoir un jour son enfant, travailler à se perfectionner, à acquérir davantage pour pouvoir donner davantage. Il essaie d’aiguiser sa foi, son intelligence, de devenir celui qu’il voudrait que son enfant soit un jour. Ainsi l’homme devenu père sent en lui le besoin d’augmenter sa valeur humaine, de grandir pour être le guide et le modèle de demain. Il faut qu’il se refasse enfant, pur et jeune, à l’image de l’enfant qui lui est confié et de l’Enfant-Dieu. La naissance de l’enfant est ainsi, pour le père, une nouvelle naissance.

Pour être un père accompli, l’homme n’est pas seul, il a à ses côtés cette compagne dont la mission est de partager sa vie. « Le chef d’œuvre d’une femme, c’est le père. Comment l’homme, ce grand garçon qu’elle a épousé, deviendrait-il ce souverain au cœur grave et juste si son intelligente et patiente tendresse n’y travaillait jour après jour ? Comment comprendrait-il ses enfants si elle ne les lui expliquait ? Comment honoreraient-ils et aimeraient-ils leur père si elle n’orientait pas leurs cœurs vers lui 1? »

La présence du père est essentielle à l’équilibre moral de l’enfant. Mais qui ne voit que c’est la mère qui fait découvrir « papa » au tout petit ? De même qu’elle donne l’enfant au père, elle doit donner le père à l’enfant. Le père et la mère offrent d’abord à leur enfant l’image d’une union parfaite, d’une tendresse et d’une confiance sans nuages. Ils doivent faire régner au foyer ce climat de paix, de joie qui fait les enfances heureuses. Il est impossible de mesurer, sur la sensibilité d’un enfant, les effets d’une mésentente simplement soupçonnée, pressentie. Aux parents de purifier leur amour, de rectifier leurs caractères, de s’aider à faire rayonner la paix. L’amour paternel, c’est l’épanouissement de l’amour conjugal. Le père sera d’abord pour l’enfant ce que le fera la maman. A elle aussi de modeler son image. Elle parlera souvent de lui, fera désirer son apparition, respecter ses affaires, admirer son courage au travail, elle fera comprendre qu’il apporte soutien et réconfort.  « On demandera à Papa. » C’est dans la mesure où elle sera tout à fait l’épouse qu’elle sera tout à fait la mère. Elle veillera cependant à ne pas trop idéaliser le père de ses enfants qui risqueraient de croire qu’il est un modèle inaccessible. Les garçons se décourageraient de ne pas lui ressembler, et les filles peineraient à s’engager dans le mariage, ne trouvant « le mari parfait » !

Les années passant, l’épouse s’est souvent affirmée dans l’éducation de ses enfants et la tenue de sa maison au sens large du terme. On pourrait en effet qualifier une maîtresse de maison, de chef d’une petite PME tant il faut organiser, agencer, diriger, fabriquer, surveiller, économiser, acheter, prendre les rendez-vous, assurer le transport, déléguer tout en supervisant…La petite fiancée tout intimidée a parfois peu à peu laissé place à une vraie matrone plus ou moins acariâtre et directive ! L’essentiel est d’en prendre conscience pour rester vigilante. Si la mère a un certain « pouvoir », elle ne le détient pas au point de mettre la maisonnée au pas, mari compris !

Lorsque le père parle, la mère s’efface et montre son soutien autant que sa confiance : n’ont-ils pas déjà abordé ensemble ces sujets de discussion pour les accorder ? Une décision a été prise ? C’est le père qui, en famille, fait part de ce que son épouse et lui ont décidé. Les enfants ne doivent sentir aucun désaccord sur des choses importantes entre leurs parents. De façon habituelle, le père bénira la table, dirigera la prière et le chapelet, et bénira ses enfants, ce sont là des marques du chef de famille. Cependant c’est à l’épouse d’être la flamme intérieure qui veille et fait que, d’un seul cœur, la famille répond à l’appel du Père.

Sophie de Lédinghen

 

1 P. Henri Caffarel