Le Mont-Saint-Michel au fil de sa construction

 

En dépit du millénaire fêté cette année, le très célèbre Mont-Saint-Michel est en réalité bien plus ancien. L’année 2008 était déjà l’occasion de fêter le 13e centenaire de sa fondation remontant au VIIIe siècle. 2023 marque toutefois le millénaire de la construction de l’abbaye romane telle que nous la connaissons, construction qui débuta en 1023. Pour autant, son édification ne s’est pas faite en un jour et le Mont, tel que nous le connaissons aujourd’hui, résulte d’une superposition de strates architecturales liée aux aléas de son histoire qui font son caractère exceptionnel. L’ensemble du Mont-Saint-Michel et de sa baie fut classé au patrimoine mondial de l’UNESCO une première fois en 1979, puis une seconde fois en 1998 au titre des chemins de saint Jacques de Compostelle, classement qui met en valeur aussi bien le site lui-même que son histoire en tant que lieu de pèlerinage.

 

Les débuts du Mons Sancti Michaelis in Tumba

Le Mont-Tombe, devenu le Mont-Saint-Michel après l’intervention directe de l’Archange, reçut la première chapelle construite en 708 par saint Aubert, évêque d’Avranches, en l’honneur du prince des archanges1. Après sa construction, une communauté de douze chanoines y remplace les ermites qui précédemment peuplaient le lieu, retirés, loin de la côte.

Rapidement, l’endroit isolé du continent par un bras de mer assure la protection des populations fuyant les pillages normands et, à plusieurs reprises, aux VIIIe et IXe siècles, des villageois y trouvent refuge. Un siècle plus tard, ces mêmes Normands qui terrorisaient les populations et pillaient les monastères, poseront les bases de l’abbaye du Mont-Saint-Michel. Ainsi, vers 965-966, le duc de Normandie Richard Ier y implante une communauté bénédictine. De cet ensemble monastique carolingien, il ne reste que Notre-Dame-Sous-Terre, chapelle d’une superficie de 14 x 12 m, comportant deux nefs menant à deux absidioles surmontées de tribunes dont l’usage était probablement lié à l’ostension de reliques. A l’origine elle supportait les piliers de la nef romane. Elle aurait été construite à l’emplacement de la première chapelle entièrement disparue aujourd’hui et, selon le De translatione et miraculis beati Autberti, les reliques de saint Aubert y furent ensevelies.

 

La construction de l’abbaye et ses remaniements

L’abbaye carolingienne, ainsi que l’ensemble de l’île, est victime d’un incendie vers 992. Grâce à la protection des ducs de Normandie Richard Ier et Richard II, la reconstruction est entreprise. Elle débute par le chevet en 1023 sous l’abbé Hildebert II. Différents abbés se succèderont avant que l’ensemble ne soit achevé. Des incendies successifs ou écroulements partiels des bâtiments ralentiront le projet mais seront autant d’occasions de rénover le lieu.

Le véritable défi des architectes du Mont était d’installer un monastère sur une île relativement petite et peu pratique car les bâtiments conventuels ne pouvaient y être aménagés en longueur et comme de coutume autour d’un cloître. Le rocher présente une base de 950 m de circonférence pour une superficie de 28 ha et mesure 91 m de haut sans les bâtiments. La solution trouvée fut donc de superposer l’ensemble des bâtiments constitutifs  d’un monastère sur trois étages, plutôt que de les aligner. Mais à plusieurs reprises certains bâtiments s’écrouleront en raison de contreforts trop faibles.

 

L’église abbatiale est soutenue par trois cryptes : la chapelle des Trente-Cierges, la crypte des Gros-Piliers et la chapelle Saint-Martin. Une partie de la nef repose également sur Notre-Dame-sous-Terre. Le chevet est à déambulatoire et chapelles rayonnantes, et la nef s’élève sur trois niveaux d’élévation comme de coutume pour l’art roman normand. Elle mesure 70 m de long pour une hauteur de 17 m au niveau des murs de la nef et de 25 m sous la voûte du chœur. En 1080, trois étages de bâtiments conventuels sont édifiés au nord de Notre-Dame-sous-Terre, comprenant la salle de l’Aquilon, servant d’aumônerie accueillant les pèlerins, le promenoir des moines et le dortoir. Une partie sera reconstruite au XIIe siècle suite à l’effondrement des bas-côtés et le chœur sera refait au XVe siècle en style gothique.

 

L’un des abbés bâtisseurs les plus célèbres du Mont est Robert de Torigny, abbé entre 1154 et 1186, également connu pour avoir été le conseiller du roi d’Angleterre et duc de Normandie Henri II Plantagenêt, et l’artisan principal de sa réconciliation momentanée avec son homologue et souverain le roi de France Louis VII. Sous son abbatiat, le Mont connaît une véritable période d’apogée car en plus d’être un centre de pèlerinage majeur, il devient un foyer intellectuel de renom. Il est à l’origine de la réfection au XIIe siècle des logis abbatiaux.

Dernière grande étape, la construction de la Merveille, ajoutée en 1211 grâce aux dons prodigués par Philippe-Auguste. Située au nord de l’église abbatiale romane, elle s’élève sur trois niveaux où sont aménagées des salles de plus en plus légères à mesure que l’on accède au sommet. Ces trois niveaux étaient également une manière de distinguer l’étage des moines, au plus près du ciel, des espaces d’accueil des hôtes de marque, à l’étage intermédiaire et enfin, les pèlerins aux pieds du Mont. Le réfectoire des moines impressionne notamment par la capacité des architectes à concilier la nécessité de lumière et la solidité des murs. Aussi, chaque mur est percé d’un  nombre important de baies très fines séparées par des colonnettes engagées pour le consolider. Le tout conduit à un effet d’optique impressionnant puisqu’en entrant, les murs paraissent pleins, c’est-à-dire sans fenêtres, celles-ci ne se dévoilant que progressivement en avançant. La sensation obtenue est que la lumière parvient à traverser les murs épais.

Entre les XIIIe et XVIe siècles, l’île jusque-là protégée par  de simples murailles de bois, reçoit des fortifications en pierre qui lui permettent de résister successivement aux assauts des Anglais lors de la Guerre de Cent Ans, puis des Huguenots lors des guerres de religion. Enfin, le dernier ajout sera la flèche servant de piédestal à la statue de saint Michel. Erigée en 1895, sa pointe atteint les 78 m de haut, faisant culminer le Mont à une hauteur de 157 m.          

Le lieu de pèlerinage 

Au-delà de la prouesse architecturale et du renom de ses abbés, le Mont-Saint-Michel fut surtout pour les médiévaux un lieu de pèlerinage où chacun venait affronter les marées pour implorer la protection de l’archange saint Michel. La particularité de ce sanctuaire étant que, dédié à un archange, aucun reste mortel ne pouvait y être vénéré comme relique. Certaines légendes rapportent qu’une plume de ses ailes aurait été rapportée du Mont Gargan, en Italie, sanctuaire plus ancien dédié également à saint Michel. D’autres comme Baudri de Dol au XIIe siècle affirmaient que le Mont conservait le bouclier et l’épée avec lesquels Michel avait terrassé le dragon. En réalité, aucune relique de l’archange n’y fut véritablement vénérée. Seule la trace de son passage au travers du crâne perforé de saint Aubert, aujourd’hui conservé à Avranches, atteste de la protection qu’il accordait au lieu. Comme pour le culte de la Vierge, montée aux Cieux avec son corps, le culte de saint Michel tient surtout aux apparitions à l’origine du sanctuaire et aux miracles survenus par son intermédiaire.

Le plus célèbre est celui de l’accouchée des grèves, cette femme enceinte qui fut prise au piège d’une marée alors qu’elle se rendait en pèlerinage sur le Mont. Saint Michel vint la secourir et lui permettre d’accoucher de son enfant puis de gagner le rivage saine et sauve. Cette protection de saint Michel, à la lecture de la légende dorée, rédigée au XIIIe siècle par le dominicain Jacques de Voragine, est accordée aux Gentils tout comme jadis elle l’était aux Hébreux. Michel, anciennement protecteur du peuple élu de Dieu, lui permit de traverser la Mer Rouge, comme il permet aux pèlerins du Mont de traverser la mer à sec et d’accéder au si bien nommé Mont-Saint-Michel aux périls de la mer.

Les vicissitudes de l’Histoire firent que le Mont devint une prison sous le règne de Louis XV, en 1731, ce qui lui valut le surnom de « bastille des mers ». Cette fonction pénitentiaire sera maintenue pendant la Révolution et une partie du XIXe siècle, faisant dire à Victor Hugo qu’il s’agissait d’un « crapeau dans un reliquaire », qualificatif qui pourrait convenir à de nombreux réaménagements contemporains d’édifices religieux. Au fond, les misères passées du Mont nous rappellent que l’Histoire n’est pas linéaire, que chaque pèlerin continue de l’écrire et que, quoiqu’il arrive, saint Michel veille, terrassant les assauts répétés du dragon.

 

Une médiéviste         

 

1 Cf. la rubrique : « Actualités culturelles »  de ce même numéro.

 

« Comment va votre ami ? »

Le père Derobert se confesse pour la première fois à Padre Pio. Il raconte : « après l’absolution, il me dit :

– Tu crois à ton Ange gardien ?

– Euh, je ne l’ai jamais vu.

Me fixant de son œil pénétrant, il m’administre une paire de gifles et laisse tomber ces mots :

– Regarde bien, il est là et il est très beau !

Je me retournai et ne vis rien, bien sûr, mais le père, lui, avait dans le regard l’expression de quelqu’un qui voit quelque chose. Il ne regardait pas dans le vague.

– Ton Ange gardien, il est là et il te protège ! prie-le bien… Prie-le bien !

Ses yeux étaient lumineux, ils reflétaient la lumière de mon Ange. »

 

Ce prêtre aura retenu la leçon ! Devenu un des fils spirituels de Padre Pio, il n’hésitera pas à charger son Ange gardien de porter des intentions de prières au Padre Pio à distance. Il en recevra aussi des conseils ou inspirations en réponse à ses demandes.

Et nous ? Croyons-nous vraiment à notre Ange gardien ? Ne nous contentons-nous pas trop souvent d’une simple invocation machinale dans la prière du soir ?

« Si grande est la dignité des âmes (la nôtre aussi), que chacune, dès sa naissance, a un Ange préposé à sa garde1.» Ne laissons pas notre Ange au chômage !

« Que d’avantages nombreux et précieux nous retirerions de cette dévotion (à notre Ange gardien). Comme elle nous aiderait à marcher d’un pas de plus en plus rapide dans le chemin de la perfection. Dieu a ordonné par sa divine Providence que les hommes fussent servis par les Anges. Les bons Anges sont désireux de notre bien, et ils ne dédaignent pas de nous assister2

En tant que père, époux et éducateur, acteur dans la Cité, que de besoins d’inspiration, de protection contre les dangers et d’aide concrète qui pourraient être satisfaits par notre Ange et ceux de nos enfants !

 

Faire connaissance pour aimer

Au besoin, commençons donc par approfondir notre catéchisme sur ce sujet3 et méditons-le dans la prière. Si nous n’y sommes pas déjà attentifs, apprenons à « voir » dans notre vie quotidienne les signes concrets de la protection des anges : nous serons étonnés. Prenons l’habitude de recourir à eux, et d’en parler à nos enfants.

C’est dès la plus tendre enfance qu’il faut familiariser l’enfant avec la présence de son Bon Ange. Ce sera alors une connaissance non pas « intellectuelle », mais intégrée dans sa vie et bien enracinée. Le tout jeune enfant vit de plain-pied dans l’invisible : à 2, 3 ou 4 ans, l’existence des anges ne lui pose pas de problème. Encore faut-il lui en parler : il ne les découvrira pas tout seul !

Ainsi, la présence de son Ange gardien lui paraîtra naturelle. Alors, il pourra vivre avec son Ange comme avec un compagnon invisible, mais réellement présent à côté de lui.

Nous développerons deux attitudes : d’abord la reconnaissance envers Dieu si bon qu’Il lui a donné un Ange pour le protéger ; ensuite une grande confiance envers son Ange, son meilleur ami.

La pensée de son Ange gardien est très sécurisante pour un petit, et l’aidera à surmonter la peur de l’obscurité ou de quelque danger. Ne craignons pas d’être concrets : soit en parlant des évènements de la vie, soit en lisant les histoires de saints qui ont eu la grâce de voir leur Ange.

Je connais une petite fille qui dormait sur le bord de son lit afin de laisser une place à son Ange gardien, elle imitait une histoire qu’elle avait  entendue. Pourquoi pas ? C’est un témoignage simple mais profond d’attention à son Ange gardien.

Une aide efficace pour l’éducation

Quel parent ne s’est jamais demandé comment faire progresser son enfant, le guider, le conseiller ou le ramener dans le droit chemin ? Faisons appel à l’Ange gardien de cet enfant, même adolescent ou adulte, pour porter nos messages, et au nôtre pour nous conseiller sur l’attitude et les paroles adaptées. L’Ange gardien est le meilleur des éducateurs : tout d’abord il désire nous faire partager sa joie et sa sainteté en nous rendant meilleurs, il prie Dieu pour nous, il nous murmure des conseils, nous défend contre les démons, nous protège des dangers, enfin il nous aide dans tous les événements importants de notre vie : mariage ou vocation, mort, conversion, mais aussi examens ou affaires. Exactement ce dont nous avons besoin pour nos enfants.

Ce sont les missions que Dieu lui a confiées. « Oui, mes frères, nos Anges gardiens sont nos plus fidèles amis, parce qu’ils sont avec nous le jour, la nuit, dans tous les temps et dans tous les lieux. La Foi nous apprend que nous les avons toujours à nos côtés4

Alors qu’attendons-nous ? Seuls l’amour et l’affection d’une mère peuvent nous donner une idée sur cette terre de l’amour des Anges. La mère est capable de toutes les veilles et soucis du quotidien comme de grands héroïsmes pour l’amour de ses enfants. Alors quelle puissance et quel amour dans notre Ange et dans celui de notre enfant !

Les anges en société

Soyons logiques et ouvrons nos yeux à la lumière de la Foi : chacun de ceux que nous côtoyons est accompagné de son Ange. Quand nos Anges respectifs se rencontrent, ils ne demandent qu’à servir notre bien, pourvu que nous le leur demandions. « Les Anges gardiens ? Ils viennent bien des fois au milieu des chrétiens sans qu’on les voie. Je les ai vus souvent au milieu des chrétiens5

Ainsi un jeune invoquait l’Ange de son examinateur avant d’entrer dans la salle d’examen… Cela n’a jamais compensé les impasses dans ses révisions, mais il a pu remarquer l’attitude plus détendue du professeur qui en outre voyait entrer un garçon souriant et à la bonne tenue.

Tel professionnel invoque les Anges des participants avant une négociation professionnelle ou syndicale difficile, ou tout simplement en entrant en réunion.

Outre un témoignage d’affection aux Anges, ces attitudes sont une bonne manière de vivre en présence de Dieu, concrètement, familièrement.

Qui est comme Dieu ? A la suite de saint Michel qui s’est levé pour défendre les droits de Dieu, nos Anges nous accompagnent lorsque nous-mêmes témoignons de notre foi publiquement : dans les processions ou manifestations, lorsque nous relevons des calvaires ou entretenons des statues, dans le soutien aux écoles et aux œuvres de bienfaisance, dans la participation aux évènements de la Cité…

« Rendez-vous fort familiers avec les Anges : voyez-les souvent invisiblement présents à votre vie… Suppliez-les souvent, louez-les ordinairement, et employez leur aide et secours en toutes vos affaires, soit spirituelles soit temporelles, afin qu’ils coopèrent à vos intentions6. »

« Soyez amis avec les Anges » nous dit saint Léon le Grand (390-461) ! Les Anges n’aident pas que les saints, mais tous ceux qui les aiment, si modestes soient-ils.

Les Anges aident les adultes, et ne sont pas réservés aux enfants ! Ce sont bien des anges qui sont intervenus maintes fois dans la Bible, auprès d’Abraham, d’Isaac, de Daniel, de Judith, de saint Pierre et saint Paul…

Redevenons simples comme les enfants pour voir ces richesses du Royaume des Cieux ! Aimons notre meilleur ami, il nous le rendra au centuple. Avec lui, nous serons alors dès maintenant compagnons de saint Michel, prince de la milice des Anges, et de Notre-Dame, Reine des Anges !

 

Hervé Lepère

 

 

1 Saint Jérôme (347-419)

2 Saint François de Sales (1567-1622)

3 Je vous conseille : « Ce qu’il faut savoir sur les Anges », R.P. Paul O’Sullivan, o.p.

4 Saint Curé d’Ars (1786-1859).

5 Sainte Jeanne d’Arc

6 Saint François de Sales 

 

Vers le Mont

Mon Dieu, nous voilà sur la grève, face au Mont-Saint-Michel, cette merveille de la chrétienté, pour, avec d’autres pèlerins, traverser la baie à pied, avant que la marée ne recouvre tout à nouveau.

La brume de mer laisse entrevoir la silhouette connue et originale, et l’archange d’or, tout en haut de la flèche, l’épée brandie, veille sur notre traversée.

Comme celle-ci est bien l’image de notre vie, ce long pèlerinage sur terre avec les dangers qui nous guettent.

Pieds nus, comme des pauvres, nous avançons sur le sable tiède. Il faut avoir un guide pour s’aventurer sur cette étendue désolée et ne pas s’enfoncer dans les sables mouvants.

Il faut avoir un guide, Notre-Seigneur dans ses sacrements, pour ne pas se laisser séduire par des promesses fallacieuses qui ont tôt fait de nous ensevelir dans la mondanité, la facilité ou la mollesse, et dont il sera bien difficile de s’abstraire. Tout au long de notre existence, nous sommes des pauvres qui recevons tout de Dieu.

Mon Dieu, nous avançons prudemment, les yeux tantôt levés vers le Mont, tantôt baissés vers nos pieds pour ne pas nous tromper, tout en priant le Rosaire.

Voilà que nous traversons les cours d’eau, ces petits fleuves, la Sélune et la Sée, au fort courant, qui irriguent la baie. Nous pouvons avoir de l’eau jusqu’à la ceinture, il faut tenir fermement la main des enfants qui pourraient être emportés, voire les prendre dans nos bras.

Il faut tenir fermement ceux qui nous sont confiés, les porter dans le service ou la prière lorsque le courant du monde les menace. Lorsque ce sont des épreuves que nous traversons, bien tumultueuses, regardons Notre-Seigneur, regardons Marie l’Etoile de la Mer, pour tenir bon et garder la paix.

A notre gauche, nous distinguons Tombelaine.

Nous sommes à mi-chemin. Un prieuré y fut érigé au XIIe siècle qui a depuis disparu. La fatigue se faisant sentir, nous pourrions être tentés de nous arrêter dans ces quelques ruines. Mais il faut continuer.

Mon Dieu, bien souvent nous voudrions nous arrêter, trouver un refuge et nous dire que cela suffit. Mais tant que vous nous gardez ici-bas, il faut avancer, persévérer malgré les croix, les fatigues, les déceptions, les incompréhensions, et les offrir pour qu’elles portent du fruit.

 

Enfin, les pieds vaseux, les vêtements mouillés, nous distinguons de mieux en mieux tous les détails du Mont, l’archange se fait plus grand, plus terrible dans sa puissance contre le démon.

Nous pourrions être tentés d’accélérer et d’arriver dans les premiers sur la terre ferme. Un dernier danger nous guette : celui de la vase glissante et traître au pied du Mont.

Ainsi en sera-t-il de nos derniers instants. Nous aurons un ennemi qui essaiera de nous faire glisser, désespérer afin que nous tombions, c’est la lutte de l’agonie. Nous nous tournerons alors vers saint Michel et Notre-Dame pour avoir la grâce de la persévérance finale.

Mon Dieu, quelle joie, nous voilà enfin arrivés, heureux d’avoir offert tout cela pour vous, et nous goûtons la beauté de ces pierres ancestrales. Nous admirons la beauté de cet édifice, sa construction si extraordinaire chargée de toute la prière d’un peuple, des plus simples aux rois, durant ces mille années.

C’est une joie bien plus grande qui nous attend, quand enfin nous pourrons vous contempler éternellement après notre pèlerinage d’ici-bas.

 

Jeanne de Thuringe

 

Le grand saut

Le soleil se leva brusquement sur le désert de Lybie ce matin du 27 juillet 1942. Dans sa lumière qui déjà chauffait la poussière, quatre Stukas allemands surgirent depuis l’horizon et fondirent sur la jeep des Français. Les mitraillettes hurlèrent dans l’air sec et les rafales secouèrent le sable. Touché à plusieurs reprises, l’aspirant André Zirnheld s’effondra. Son compagnon, au volant, parvint à s’enfuir en empruntant le lit de l’oued asséché. Sous le soleil écrasant de midi, le corps troué de balles, après plusieurs heures de terribles souffrances, l’aspirant Zirnheld rendit son dernier souffle. Dieu l’avait exaucé.

En effet, on retrouva sur lui un carnet, noirci par les pensées que cet homme de lettres devenu soldat parachutiste avait griffonnées. Parmi elles, en faisant glisser les feuilles à carreaux fanées entre les doigts, les pages 16 et 17 attirèrent le regard. Sobrement intitulé « prière », un texte allait entrer dans la légende militaire. Le voici :

 « Je m’adresse à vous, mon Dieu, car vous seul donnez ce qu’on ne peut obtenir que de soi.

Donnez-moi, mon Dieu, ce qu’il vous reste ;

Donnez-moi ce qu’on ne vous demande jamais.

Je ne vous demande pas le repos ni la tranquillité, ni celle de l’âme, ni celle du corps.

Je ne vous demande pas la richesse, ni le succès, ni peut-être même la santé. Tout ça, mon Dieu, on vous le demande tellement que vous ne devez plus en avoir.

Donnez-moi, mon Dieu, ce qu’il vous reste ;

Donnez-moi ce que l’on vous refuse.

Je veux l’insécurité et l’inquiétude, je veux la tourmente et la bagarre, et que vous me les donniez, mon Dieu, définitivement, que je sois sûr de les avoir toujours, car je n’aurai pas toujours le courage de vous les demander.

Donnez-moi, mon Dieu, ce qu’il vous reste ;

Donnez-moi ce dont les autres ne veulent pas.

Mais donnez-moi aussi le courage et la force et la foi. Car vous seul donnez ce qu’on ne peut obtenir que de soi. »

Très vite, ce texte se transmit parmi les militaires. C’est sur ces lignes qu’en 1961 fut composée la prière du parachutiste que nous connaissons. Ce corps d’élite, guetté par la mort à tout moment, à chaque saut, au cœur des opérations les plus ardues et risquées, choisit la prière de l’aspirant André Zirnheld pour devenir la prière officielle de tous les parachutistes de l’armée française. Ce même corps se plaça sous le patronage de l’archange saint Michel dès 1949.

Que nous enseigner cette prière ? Le parachutiste trompe la mort par une forme de défi. Quitte à mourir peut-être demain, autant se délester tout de suite de tout ce qui nous retient sur la terre et demander ce qui fait la grandeur d’un homme sous le regard de Dieu : la souffrance offerte en sacrifice. Souvent, nous prions pour nos petits horizons, et cela est légitime ! Nous prions pour une guérison, pour obtenir une maison plus grande, pour la conversion d’un proche, pour une promotion ou l’obtention d’un concours. Dieu est notre père, aussi tels des fils, nous nous tournons filialement vers Lui pour obtenir toutes ces choses, tant qu’elles concourent à notre sanctification. Mais peut-être, parfois, oublions-nous la grandeur de la vie sanctifiée par la souffrance ? Peut-être échafaudons-nous nos propres plans, un peu trop confortables, il faut bien l’avouer. Il est si difficile de détruire sa petite volonté propre et de faire totalement sienne la volonté de Dieu. Et pourtant, c’est là la purification que Dieu attend de nous, acceptée, ou mieux, désirée sur cette terre, ou subie pendant des siècles au purgatoire.

Comme pour la mort… Face à elle, il y a deux catégories d’hommes : ceux qui la subissent et ceux qui l’acceptent. Bien orgueilleux celui qui, vivant, se vante d’appartenir à la catégorie de ceux qui accueilleront la mort avec panache ! Bien sage celui qui demande à Dieu de lui donner la force de maintenir, jusqu’au cœur des affres de l’agonie ! C’est là tout le but de la prière du parachutiste. Et même plus encore, quitte à mourir, quitte à souffrir, quitte à devoir tout sacrifier à Dieu, pourquoi ne pas demander cette mort et cette souffrance tout de suite ? Ne sommes-nous pas finalement comme le parachutiste, la porte de l’avion béant sur le vide, prêt à sauter ? Nos courtes vies se termineront toutes par le grand saut dans l’éternité, alors, comme le parachutiste, le chrétien ne doit-il pas sans cesse se préparer et demander à Dieu la force et la foi ?

 

« Mon Dieu, mon Dieu donne-moi la tourmente, Donne-moi la souffrance,

Donne-moi l’ardeur au combat.

Je ne veux ni repos, ni même la santé ;

Tout ça, mon Dieu, t’est assez demandé ;

Mais donne-moi, mais donne-moi ;

Mais donne-moi la Foi ;

Donne-moi force et courage. »

 

Que cette prière, celle des fils de saint Michel, soit pour nous une occasion de méditer sur ce que nous voulons faire de nos vies : un saut totalement abandonné dans les mains de la Providence, attendant, espérant même la souffrance afin de nous sanctifier, de nous sacrifier pour l’œuvre du Salut, le nôtre d’abord, et celui de notre pays et de la Sainte Eglise.

Que saint Michel donne à tous les hommes de bonne volonté la force de sauter, d’embrasser la grande aventure de la sanctification, pour la gloire de Dieu.

 

 Louis d’Henriques

 

Contre l’impureté et ses ravages, toute une éducation

Si les ravages de l’impureté sur les âmes, et particulièrement celles des enfants, ne sont pas une nouveauté – rappelons-nous la vision de l’enfer de saint Jean Bosco, durant laquelle il découvre la cause majeure de la damnation des enfants de son Oratoire – la dramatique dimension prise par ce phénomène durant les vingt dernières années à cause d’Internet nécessite pour le monde catholique une adaptation énergique pour armer les jeunes consciences qui nous sont confiées. Ce constat, communément admis, laisse toutefois démunis bon nombre de parents : que faire ?

Cette question ne peut obtenir de réponse sans passer par toutes les interrogations indispensables pour cerner le sujet : je m’attacherai à un déroulement logique qui, je l’espère, alimentera efficacement les éducateurs convaincus de la lutte à mener.

 

Tout d’abord, quel est le problème ?

La pornographie. L’acception de ce mot fait généralement consensus, mais que recouvre-t-il ? Etymologiquement, il provient du grec et signifie « tout montrer ». Il n’existe pas de définition unifiée de ce phénomène, mais peu importe, concentrons-nous sur son objectif, qui permet d’identifier le mal qui en résulte : il s’agit du visionnage d’images à caractère sexuel à des fins masturbatoires. Les notions qui ressortent de cette définition vont nous permettre de préciser les champs d’action possibles.

 

Le caractère sexuel est fondamental pour comprendre la dynamique du cercle vicieux : la capacité procréatrice du corps humain est certainement la plus puissante que Dieu ait donné à l’Homme, corps et âme. Comme pour d’autres besoins comme l’alimentation ou le repos, Il a attaché à cette puissance un plaisir destiné à donner au corps la concrétisation de la satisfaction de l’âme d’avoir correspondu à son plan. La force de ce plaisir, en comparaison de ceux que l’on peut ressentir en mangeant, jouant, faisant du sport, donne une idée de la valeur que la génération de nouveaux Elus a aux yeux du Créateur. On ne saurait donc à ce sujet utiliser des mots comme « honteux », « tabou », « inconvenant ».

Mais la nature humaine est blessée. Le péché apparaît lorsque le plaisir est recherché pour lui-même, et non reçu en conséquence légitime de l’acte auquel il est indissolublement lié : la procréation. Et ce plaisir est si fort que les mécanismes chimiques qu’il produit dans le cerveau « tracent » un chemin que les répétitions vont imprimer chaque fois plus profondément : l’addiction se crée alors et nous voyons bien qu’il ne s’agit pas que d’un aspect spirituel, mais que la physiologie1 est aussi en jeu.

 

Comment intervenir avant l’engrenage ? L’expérience prouve de façon indiscutable que l’écrasante majorité des addictions prennent pied dans l’enfance ou l’adolescence. En perpétuel développement durant cette période, le cerveau a une plasticité qui permet l’apprentissage, mais le rend vulnérable aux sensations. La vision d’une image capable de déclencher un appétit sexuel, dans un esprit qui n’a pas encore la force de le recevoir, a fréquemment un effet traumatique dont l’enfant voudra avoir (inconsciemment) l’explication : impressionné par cette première vision, il va y revenir, sans y trouver davantage de réponse, encore et encore, et l’attraction issue de la sécrétion de dopamine2 initiera ainsi le cycle infernal de l’addiction.

Permettez-moi une petite digression : on ne peut condamner la pornographie et son écosystème pour des raisons sanitaires, ou pour la violence et la souffrance qui sous-tendent cette industrie. Certes, ces mauvais fruits sont des preuves que l’arbre est mauvais, mais ce ne sont pas les conséquences qui établissent l’essence mauvaise de la cause. Faisons une comparaison (vous excuserez avec bienveillance le domaine très masculin dont elle est issue !) : un moteur est conçu pour faire mouvoir une voiture, aucun constructeur n’imaginerait d’ailleurs en créer un sans les organes qui permettent de l’intégrer dans ce but sous un capot. Ce moteur ne démontre sa valeur que sur la route, en répondant aux accélérations, en donnant  à son conducteur la possibilité de se déplacer, avec fiabilité, endurance, sans fausser le châssis de la voiture pour laquelle il est conçu. Pour peu qu’il soit puissant et que le pilote soit adroit, il lui procurera un plaisir de conduite qui n’a rien de malsain. Sortons maintenant ce moteur de son berceau pour l’installer sur un banc d’essai où il tournera à plein régime : le son mécanique n’a plus la mélodie que la vitesse, les modulations de la route, les paysages traversés, les échos tour à tour rageurs et reposants, rendaient vivante en lui communiquant une sorte d’âme. Nous avons quitté le monde de la vie pour la technique. La finalité du déplacement est absente, sans compter l’usure prématurée de la mécanique forcée qui n’a pas été prévue pour cet usage. Vous aurez compris par cette différence qui du même objet sépare deux mondes étrangers l’un à l’autre, la profonde altérité de nature entre le plaisir sexuel esclave de la pulsion3 de jouissance, et la joie qu’il procure dans les cœurs qui s’abandonnent l’un à l’autre. L’égoïsme de la masturbation (y compris dans la « masturbation à deux » que peut être la relation vécue en couple, mais pour la recherche de son propre plaisir) étrique le cœur en l’emprisonnant dans le règne animal de la jouissance alors que l’acte accompli en signe concret de la réalité incomparablement plus grande et complète du mariage, avec son cortège d’abnégations et de don de soi, sublime et dépasse le faible plaisir naturel dont la finitude ne saurait combler l’âme humaine. La perversion de la pornographie est là, dans le mésusage de cette puissance utilisée pour l’inverse de ce pour quoi elle a été conçue.

Revenons au fil de notre raisonnement, nous voyons se dessiner quelques grands principes qui permettent de concevoir la réponse à apporter. En bref :

– Le mystère de la vie, noble et saint, est éminemment voulu par Dieu, qui a mis chez l’Homme le désir d’y correspondre ;

– La nature blessée par le péché originel est d’autant plus faible que la vigueur de l’attraction est forte ;

– L’Homme est corps et âme, le démon se sert du corps pour atteindre l’âme, la réponse doit donc être spirituelle ET naturelle4 ;

– L’adolescence constitue une période critique où la vigilance doit être maximale.

 

La prise de conscience 

Tout combat engagé découle d’un préalable : la prise de conscience d’un danger. Cette évidence n’en est étonnamment pas une pour un nombre – qui se réduit grâce à Dieu – de parents fidèles de la Tradition. Que de fois n’a-t-on entendu ce poncif : « Oui, la pornographie est vraiment un drame, mais bon, chez nous, nous ne sommes heureusement pas concernés » ? Plusieurs raisons peuvent permettre d’expliquer cette naïveté dans un premier temps, mais la quantité proprement impressionnante de mineurs détenteurs d’un smartphone au sein même de pensions catholiques interroge non seulement sur la cécité, mais aussi sur la surdité de ceux qui les leur fournissent5.

Imaginons un instant un père de famille installant son enfant dans une chambre où trône une jolie bibliothèque : visibles sur les étagères, des collections Signes de Piste, Trilby, quelques Langelot, une rangée entière de Bibliothèque verte… et, déposées sur les derniers rayons, masquées par des portes simplement rabattues, une pile de revues pornographiques. « Cela, mon enfant, tu n’y touches pas, ce n’est pas pour toi.» Et c’est tout. A cet instant, cher lecteur, vous frémissez légitimement d’une telle inconscience ! Filons la comparaison : donner un smartphone à un enfant s’avère bien pire. Dans ce cas, autant parler de quelques Fantômette poussiéreux inaccessibles en hauteur, et l’intégralité de la bibliothèque remplie de revues plus immondes les unes que les autres. Sans porte devant. Et un gentillet filtre Safesearch en guise de conseil de ne pas y toucher.

Il ne s’agit en rien d’une exagération, un confesseur déclarait ces derniers mois que le taux de correspondance entre la détention d’un smartphone par un jeune entre 12 et 18 ans et la survenue d’une faute grave était proche de 100%. Sans être prêtre ni intime des consciences, le catéchisme nous apprend qu’un péché est mortel lorsqu’on le commet, mais aussi lorsqu’on met l’âme du prochain en situation proche de le commettre. Faites la déduction vous-mêmes et vous comprendrez cette phrase d’un prêtre – d’une communauté Ecclesia Dei – assurant « qu’il y a faute grave des parents à donner sans discernement un smartphone à un adolescent ».

 

Qu’attendre alors précisément des parents ?

Le combat pour la pureté ne date pas d’hier : ne succombons pas à la tentation moderne de vouloir tout contrôler, ce qui n’est ni possible, ni souhaitable. Dieu n’attend pas cela de nous. L’objectif d’une éducation résolument chrétienne est de donner à notre enfant les meilleures armes pour qu’il puisse user avec succès de sa liberté pour son salut. Dans le domaine de la pureté, il en va de même. Certes, il s’agit de tout faire pour guider sa jeune conscience sur la voie du Bien, mais notre pouvoir de parents s’arrête à son libre-arbitre.

Il aura des tentations sûrement, des chutes peut-être, mais il pourra s’appuyer dans cette lutte sur les saines habitudes prises, sur une vision claire des déviances, mais surtout de la grandeur et de la beauté attachées aux mystères de la vie. Face aux torrents de boue de l’impureté, l’éducation complète et chrétienne à la sexualité aura l’effet protecteur de la couche de vernis sur le bois brut et fragile de son âme. La planche peut être salie, chahutée, un peu de vernis peut même sauter, la pourriture irrémédiable sera évitée.

 

De quoi parler, et de quelle façon ?

Chaque enfant, chaque parent, chaque famille est différent. Il ne saurait être question de donner un guide précis de la façon dont ces questions doivent être abordées. Quelques grands principes – principalement de bon sens – doivent être présents à l’esprit.

 

A chaque âge ses besoins

Les choses sont bien faites : le chemin interrogatif enfantin permet justement la progressivité, et ordonne la hiérarchie des informations du plus général au plus précis. Il est par ailleurs fréquent que les premières questions surviennent dans les deux ans précédant l’âge de raison, moment où l’enfant s’interroge sur les énigmes existentielles, la mort, le Ciel, la Vie, Dieu, les anges… Que les parents les moins à l’aise se rassurent, son attente se limite alors au niveau conceptuel, et il est alors aisé de lier pour toujours dans son cœur la procréation et le regard du Créateur. Ce principe devra orienter les discussions futures, et l’assise obtenue permettra d’y arrimer le reste. Jusqu’au début de la puberté, les conversations avec les enfants sont particulièrement enrichissantes, car leur âme, encore préservée des troubles de l’adolescence, est entièrement réceptive à la beauté du plan de Dieu. Les années passant, il sera alors plus facile d’aborder les mises en garde contre les déviances à la lumière de la sainteté de ces mystères dont l’enfant aura été imprégné.

 

L’éducation est complète

Contrairement à ce qui peut parfois se pratiquer, cette éducation ne consiste pas en une conversation unique, engagée par un père ou une mère gênés, qui ont préparé ce pensum depuis plusieurs jours, se lancent, puis sont soulagés de l’avoir fait. Autant ne rien dire. Non, une éducation prend du temps, doit être progressive, et les aspects concrets du sujet ne peuvent être évoqués qu’après une préparation donnant la primauté au spirituel et au sacré. Ils ne sont d’ailleurs pas les plus importants dans cette mission, et ne nécessitent pas de rentrer dans les détails. Ces échanges permettront d’ouvrir un « canal de confiance » avec les parents, qui auront alors été les premiers à écrire les mots sur la page blanche de l’âme de leur enfant, qui saura qu’en cas de doute, il peut revenir à la source de l’information.

Quelques réponses aux objections comme « c’est trop tôt », « il va perdre son innocence », « et s’il interprète mal mes mots ? »… Ce sujet n’est en rien avilissant, et ce n’est pas tant cela qui lui fera perdre son innocence que les mauvaises conversations ou plaisanteries crues de camarades qui feront dramatiquement travailler son imagination. Et il en entendra, c’est une certitude absolue. En la matière, « mieux vaut un an trop tôt qu’une heure trop tard7 ».

 

Des solutions techniques, nécessaires mais pas suffisantes

La tâche est ardue, et, si l’esprit peut être prompt, la chair sera toujours faible ; aussi peut-il être souhaitable de s’appuyer sur quelques bâtons de marche (ou béquilles, selon le degré de blessure), nécessaires à l’éducation, mais jamais suffisants. À l’instar de la conduite accompagnée censée apprendre au jeune conducteur à maîtriser cet outil utile mais dangereux qu’est la voiture, on ne saurait laisser un novice avoir un accès à Internet sans le soumettre à des limitations qui l’aideront à prendre de bonnes habitudes. On peut se référer au blog ensortir.fr qui, tenu par un prêtre ayant une formation d’ingénierie informatique, liste de façon très exhaustive divers systèmes de contrôle sur smartphone, PC, tablette.

Gardons toutefois à l’esprit que ces dispositifs ne sont aucunement des boucliers infranchissables. Une béquille n’empêchera jamais un imprudent de courir et de rouvrir sa blessure. Parmi les conseils à prodiguer à l’enfant qui ne l’est plus et qui va quitter le foyer, il en est un dont il doit être imprégné, c’est « qu’on ne détruit bien que ce que l’on remplace » : si le démon va tenter d’appliquer ce principe en saturant son esprit par les choses du monde, sa défense la plus efficace sera du même ordre. Une vie spirituelle active, de saines lectures, des prières et des sacrements réguliers seront autant de lignes défensives que l’ennemi devra franchir avant d’atteindre le sanctuaire de l’âme. L’activité sportive, l’engagement au service d’autres (scouts, mouvements de jeunesse) lui permettront en outre de décentrer son attention de lui-même et d’éviter l’égoïsme dont la sensualité et l’impureté sont un des avatars.

 

L’équilibre et la mesure en conclusion

Il est un écueil de notre culture moderne à éviter : l’excès, positif comme négatif. La philosophie grecque antique considérait avec beaucoup de bon sens que la perfection se trouvait dans l’équilibre entre deux excès, et non comme nous le pensons aujourd’hui dans la performance maximalisée. La pudeur n’est pas plus la pudibonderie qu’elle ne doit suivre l’extravagance de la mode. La protection de l’innocence d’un enfant n’est pas tant le soustraire aux vilenies du monde (même si cela en fait partie) que d’armer sa conscience le plus complètement possible. Le danger de l’excès est qu’il nous fait lâcher la proie pour l’ombre : faire du sport vise à établir un esprit sain dans un corps sain, et non à >>> >>> soumettre cet esprit au culte du corps, qui deviendrait alors son propre objectif. Il s’agit bien de replacer la procréation et les mystères qui l’entourent à sa place, toute sa  place, mais rien que sa place. Si cette dernière est au mariage ce que les fondations sont à la cathédrale, elles n’en sont pas l’élément le plus signifiant, et n’ont de sens que dans les murs, les flèches, les sculptures, les colonnes, le chœur, l’autel qu’elles soutiennent, et surtout l’Être qui l’habite et lui donne sa grandeur. Sans cette construction et cette Âme qui donnent leur raison d’être aux fondations, ces dernières ne sont qu’une caverne. Ordonnées à ce service, elles lui donnent la solidité et la longévité qui ont valeur d’éternité, et surtout elles quittent le monde matériel du béton et des pierres pour participer au culte rendu au Créateur.

 

Ces quelques lignes sont bien trop lapidaires pour prétendre faire le tour de la question. Au-delà de ces réflexions d’ordre général, il est nécessaire d’étudier davantage en détail les particularités de chaque sexe rapportées à ce sujet. Ce sera l’intention de l’article prochain qui ne considèrera pas l’enfant au sens large, mais dans ses spécificités de garçon ou de fille.

Odoric Porcher

 

 

1 Ce qui est logique : la personne est la fusion d’une âme et d’un corps.

2 Hormone produite dans le cerveau et qui procure l’impression de plaisir.

3 Ce serait trop long à développer, mais il est plus exact de parler de pulsion – injonction d’autorité sur l’esprit – et non d’instinct – mécanisme au service de la vie animale. La différence tient dans le fait que la pulsion implique une forme de « rébellion » contre une puissance qui doit justement la contrôler, quand cette lutte n’existe pas dans la notion d’instinct.

4 Comprendre psychologique (contrôler les pulsions) et physiques (soumettre le corps à la volonté).

5 Ce constat devrait désormais changer, puisqu’à partir de la rentrée 2023, la simple détention d’un smartphone – y compris à la maison – interdit à un enfant l’accès aux écoles de la Tradition.

6 Au sens où la science est incapable d’expliquer le phénomène, qui pourtant se produit de façon bien réelle.

7 Cette maxime est fréquemment utilisée par nombre de prêtres et d’éducateurs. Elle est citée par le R. P. Joseph dans son Petit catéchisme d’éducation à la Pureté dont nous recommandons vivement la lecture à tous les parents.