Au principe de toutes les grandeurs de saint Joseph se situe cette prédestination divine qui fit de lui le père virginal du Verbe fait chair. Dans les divines harmonies qui devaient entourer l’Incarnation du Fils, deuxième personne de la Sainte Trinité, il importait qu’Il eût sur la terre un père comme Il en avait un dans le Ciel. Et, parce que ce père d’ici-bas devait représenter celui d’en-haut, il le fallait si parfait qu’en le voyant, Jésus pût voir en lui son Père, autant qu’il est possible à un homme d’être l’image d’une personne divine. C’est dans ce rayonnement divin où se trouve saint Joseph que nous voudrions successivement évoquer sa sagesse (I), son amour (II) et sa souffrance (III).
I – Sagesse de saint Joseph
Pour essayer de réaliser quelle perfection devait être celle de saint Joseph, il suffit de penser que Dieu lui confia son Fils qui s’était incarné. Il le remet à sa sagesse, à sa prudence et à ses initiatives. Nous ne devons en effet surtout pas penser, au motif que l’Evangile nous révèle plusieurs songes dont il fut favorisé, que ce fut là le moyen habituel par lequel Dieu lui manifestait tout ce qu’il devait faire pour le divin Enfant. Ces songes ne se produisirent que dans certaines occasions exceptionnelles où ils étaient requis pour que le charpentier de Nazareth puisse prendre un parti qu’il ne pouvait connaître uniquement par lui-même. Mais, ordinairement, les décisions qui conduisirent la vie de la Sainte Famille furent celles de sa prudence. C’est à cela qu’on se rend compte de l’élévation de ses jugements, puisque, toujours en lui obéissant, Jésus et Marie se conformèrent aux divines prescriptions.
II – Amour de saint Joseph
Auprès de son enfant, saint Joseph ne devait pas seulement être comme l’incarnation de la divine sagesse, mais également celle de l’amour paternel. Bien sûr, ce ne peut être encore que l’infini qui sépare l’amour du Père céleste pour son Fils de celui de saint Joseph pour Jésus. Et cependant et en même temps, quel saint, après la très Sainte Vierge Marie, aima Jésus et lui fut dévoué comme Joseph ? Son amour lui signifiait sur cette terre d’exil celui de son Père et son extraordinaire profondeur reflétait l’infinité de cet amour divin. Jamais père humain n’a aimé ou n’aimera son enfant comme Joseph a aimé le sien. L’amour qu’il eut pour la très Sainte Vierge Marie, son épouse, n’eut pas de borne et demeure toutefois tellement inférieur à celui qu’il nourrit pour son fils.
N’est-ce pas ce que l’Evangile nous exprime éloquemment en ne nous rapportant en tout et pour tout de lui qu’un seul mot prononcé de concert avec Marie, mot qui n’est autre que celui communiqué par le Père à l’ange Gabriel : « Jésus » ? C’est saint Luc qui nous rapporte en effet : « Les huit jours étant accomplis pour la circoncision de l’Enfant, ils lui donnèrent le nom de Jésus, nom que l’ange lui avait donné avant qu’il eût été conçu dans le sein maternel (Luc 2,21). »
III – Souffrance de saint Joseph
A tout prendre, rien ne nous paraît d’ailleurs plus significatif de la dignité de saint Joseph et de son rôle auprès de l’Enfant que le ministère qu’il accomplit auprès de lui par l’imposition de son nom et par le rite de la circoncision. En lui imposant son nom, il est manifesté comme étant sur la terre le représentant du Père éternel. Il est celui qui, le premier, profère le nom que Dieu a dit dans son éternité. Et il convient au plus haut point qu’il ne prononce que ce seul mot puisque le Père n’en connaît pas d’autre et ne dit jamais que son Verbe. Qui a dit le nom de Jésus n’a-t-il pas surabondamment dit tout ce qu’il est bon et nécessaire d’exprimer ? Joseph, en nommant celui qui est l’espérance et le salut du monde, a épelé les seules lettres qui importaient au monde. Et, dans le même temps, en présidant à la circoncision, c’est toujours la volonté paternelle qu’il réalise car le Père a envoyé son Fils en ce monde pour qu’il verse son sang en rançon à cause de nos péchés. Or, comme le Père est pressé que coule le sang sauveur de son Fils, Joseph porte la main sur lui, à peine sorti du sein de sa mère, pour que, prémices empourprées, jaillissent les premières gouttes.
Est-ce à dire que saint Joseph se soumette aux exigences d’un tel ministère sans souffrir ? Certes, il faut bien affirmer que Celui qui envoie son Fils en mission sur la terre est et demeure souverainement impassible. Pourtant, s’il était capable de souffrir, comme il souffrirait du traitement méchant que les hommes réservent à son Unique ! Saint Joseph est celui qui nous montre comment et à quel point le Père souffrirait s’il était capable de souffrir. Nous le comprenons aisément pour l’imposition du nom de Jésus et la circoncision. Mais, à qui y regarde, le martyre de saint Joseph a commencé à la vision de Marie enceinte de l’Enfant-Dieu, et toujours à cause de lui, n’a jamais plus cessé.
Nous ne finirions pas de méditer, avant comme après l’Egypte, le chapelet de ses souffrances. Laissons un instant notre vue s’arrêter, après les jours de la perte et du recouvrement au temple, sur ces longues années obscures où la fonction de saint Joseph consista à endurcir son Fils à porter sur ses épaules de lourds madriers, et à lui apprendre à manier ces outils qui s’appellent marteau ou clous.
Que sait donc saint Joseph de l’avenir douloureux de son Fils ? Qu’elle sera une existence toute de souffrances ainsi que le vieillard Siméon le confirmera à Marie, lors de la présentation au Temple. Mais ce qu’a dit Siméon, Joseph le sait déjà des Ecritures et du prophète Isaïe en particulier. Il a médité le portrait du Serviteur souffrant et il murmure par cœur le psaume 21 en s’arrêtant sur le dix-septième verset : « Ils ont percé mes pieds et mes mains. » Alors, il tressaille et fixe involontairement ses yeux sur les pieds et les mains de l’enfant qui travaille à ses côtés. C’est bien de lui, lui qui est le Messie annoncé, que parlait le psalmiste. Non, ses pieds et ses mains ne sont pas encore percés ni ses épaules encore chargées des terribles poutres sur lesquelles il sera cloué.
Mais, ô Joseph, Dieu vous confie au cours de ces temps, la rude mission d’apprendre à son Fils à porter le bois au quotidien et à manier ces marteaux et ces clous, pour avoir toujours devant les yeux ces instruments qui seront ceux de son martyre. Ô Joseph, votre plus grande souffrance n’est-elle pas de devoir accoutumer votre enfant au martyre ? De comprendre que votre atelier n’est rien d’autre que l’antichambre et la préfiguration du Golgotha ?
Plus notre regard se tourne vers lui, plus on découvre en lui d’ineffables grandeurs qui remplissent nos cœurs d’admiration, les élèvent et nous portent à l’imiter.
R.P. Joseph