L’Evangile : LE guide pratique de la communication réelle

La belle vertu de charité chrétienne qui provient de l’union de l’âme à Dieu, nous demande d’aimer notre prochain. Et quelle meilleure preuve d’amour que de lui montrer le chemin du ciel ?

Si cette charité prend ses racines dans la contemplation de l’exemple de Notre-Seigneur et dans la méditation des mystères du Rosaire, elle nécessite que nous sachions communiquer avec ceux que Dieu a mis sur notre chemin. Or en ces temps postmodernes, la communication authentiquement relationnelle est en grand péril ! Bientôt, il ne sera plus possible de communiquer avec son prochain sans l’intermédiaire des outils numériques et de ses multiples applications magiques. « Tous connectés », voilà la promesse déclinée sous tous ses angles par la doxa médiatique. Connectés ? Certes, mais de plus en plus en grande difficulté de faire le « premier pas », de demander service, d’écouter, de poser des questions, de préciser et d’affirmer naturellement son opinion. Comment alors être capable de faire de l’apostolat ?

Les outils et moyens dits « de communication », au nombre desquels le portable occupe une place prépondérante dans nos vies, élèvent une muraille virtuelle dans nos relations. Tant et si bien que la qualité du dialogue se dégrade à grande vitesse. Chacun pour soi : l’égocentrisme s’érige en mode de vie. Une forme de malaise exponentiel, caractérisé par une timidité sociale et un besoin phobique de s’enfermer dans son monde virtuel, se développe. Toutes ces prothèses communicatives nuisent de plus en plus aux contacts directs, francs et attentifs à l’autre que l’on se doit d’entretenir avec nos semblables, en respectant l’ordre requis du plus proche au plus lointain : d’abord dans nos foyers, auprès de nos familles et ensuite vers les autres.

La belle vertu de la charité chrétienne qui se prouve dans les petits et grands gestes quotidiens de la communication, risque d’y perdre sa noblesse. Elle s’émousse de jour en jour, et sans elle la vérité ne peut croître et embellir.

Jésus nous montre au travers de ses nombreuses rencontres comment s’y prendre, comment entrer simplement en relation, comment pratiquer le sourire intérieur qui se lit sur le visage et met en confiance, comment demander service, comment considérer une personne, quelle qu’elle soit. Il suffit de lire et de relire les Evangiles sous le prisme de la communication pour s’exercer à imiter celui qui se nomme en toute simplicité : le Fils de l’homme, lui le Fils de Dieu !

Le Christ, qui se présente toujours et encore plus aujourd’hui comme un salutaire signe de contradiction, nous a donné l’exemple des gestes de communication remplis de charité. Ses « gestes » sont précieux parce qu’intemporels, efficaces, et nous donnent la pleine mesure de l’authentique charité à laquelle nous sommes appelés. Imités avec foi, résolution et simplicité tout catholique pratiquant peut et doit s’en emparer au quotidien.

Ces huit « gestes » de la communication relationnelle de Notre-Seigneur sont à imiter sans restriction autant dans notre vie familiale et professionnelle que dans une perspective d’apostolat catholique.

A son exemple, considérons d’abord, dans notre manière de communiquer que toute personne est appelée au salut éternel.

Nous nous proposons de présenter ces huit gestes au cours des prochains numéros. Ils commencent tous par le verbe « oser » (expression chère à Charles de Foucauld, saint et grand missionnaire en pays Musulman).                                   « OSER » :                   

1. Faire le premier pas

2. Demander service

3. Donner de son temps

4. Ecouter sans juger

5. Questionner

6. Affirmer

7. Déléguer

8. S’effacer pour passer la flamme

Devenons, osons le mot, des apôtres soucieux de la cohérence entre nos modes de vie et notre foi chrétienne.

« Signes de contradiction » nous sommes, signes de contradiction nous demeurons ! Nos temps sont impitoyables, mais aussi merveilleux car ils nous « obligent » sinon à la sainteté du moins à la « virtuosité » !

1er geste : Oser faire le premier pas !

Aller vers autrui, faire le premier pas, ne pas attendre que l’on vienne vers soi.

Quand, à l’âge de douze ans, Notre-Seigneur se dirige vers les grands prêtres du temple, il fait en toute simplicité le premier pas en leur direction pour les interroger avec une énergie et une audace qui démontrent à quel point Il est impatient d’aller au contact des âmes. Pendant toute sa vie publique Il ne cesse d’aller au-devant des enfants, des femmes et des hommes de toutes conditions : hérétiques, pharisiens, pauvres et riches, malades et indigents, adversaires et grands pécheurs !

On ne saurait trop imiter Jésus dans ses initiatives renouvelées et audacieuses du « premier pas ». Acte de communication relationnelle par excellence, qui revient à aller avec autant de simplicité que de volonté au-devant d’autrui. Ne nous y trompons pas, faire le premier pas est un acte de pure charité, si rare d’ailleurs, qu’il est souvent apprécié à sa juste mesure. Ajoutons que ce beau geste peut être à l’origine d’une conversion aussi belle qu’inattendue.

« Faire le premier pas » c’est aussi, à l’instar de Jésus, savoir se retirer du monde, en monastère par exemple ou dans la nature, pour redonner à son âme le temps de mieux se réunir à elle-même et à son Créateur. S’offrir le silence, comme Jésus qui régulièrement s’échappait du bruit et de la foule, pour se remplir de forces spirituelles.

L’exemple de Notre-Seigneur

Les Evangiles nous racontent à longueur de pages les multiples actes de « premier pas » de Jésus, depuis sa visite aux dignitaires du temple à l’âge de douze ans, jusqu’à sa rencontre avec Jean-Baptiste mais aussi le recrutement de ses apôtres un par un, jusqu’à ce moment douloureux où il est obligé de présenter ses plaies à saint Thomas. C’est toujours Jésus qui vient au-devant de nous et rarement l’inverse. Il est exaltant de le prier pour s’exercer à vraiment communiquer comme lui !

Jésus n’a pas cessé dans sa vie publique de donner l’exemple en montrant de l’intérêt et de l’amitié aux plus humbles, aux malades, aux pêcheurs et même à ses adversaires. La scène remarquable de sa rencontre avec la Samaritaine1, constitue de ce point de vue un précieux moment relationnel à observer. Ce jour-là, il faisait encore plus chaud que d’habitude, les journées et les longues soirées de prédication étaient harassantes. Jésus voit une jeune femme à la peine, près d’un puits où elle tire de l’eau. Sans l’ombre d’une hésitation, sous le prétexte d’une soif brûlante, il engage une longue causerie avec elle. Au grand dam des apôtres quelque peu étonnés par cette proximité avec une femme, de surcroît schismatique. Mais Jésus sait pourquoi il fait le premier pas en s’adressant à la Samaritaine. Ses simples mots de circonstance, « J’ai soif » aident à « briser la glace ». On ne peut s’empêcher de penser qu’ils font écho à un autre moment tragique de sa vie, douloureux entre tous, quand il criera sur la croix : « J’ai soif ! ». Oui, si Jésus a vraiment soif, c’est d’abord et surtout de convertir nos âmes appelées à l’accompagner au salut éternel… Quel plus beau motif pour aller à la rencontre d’autrui ? Exerçons-nous à notre tour, à être dans les mêmes dispositions humbles de cœur que celles de Jésus pour favoriser à temps et à contretemps une nouvelle connaissance. Se désaltérer est un prétexte pour Jésus, c’est le moyen efficace pour aborder la Samaritaine. N’en doutons pas cependant, si Jésus a vraiment soif, ce qui l’intéresse au premier chef, c’est le salut de l’âme de la Samaritaine. Enrichissante leçon de charité que s’approcher d’autrui pour lui-même, en dépit de tout intérêt égoïste. La communication du « premier pas » est toute entière inscrite dans cet acte de communication de Jésus avec la Samaritaine.                     

Examinons-nous

Repérer et imiter les premiers pas de Jésus constitue donc une excellente méditation-action. Comparons, et examinons nos propres comportements relationnels de premiers pas. Allons-nous spontanément vers autrui ? Proches ou plus éloignés…Qu’il s’agisse des membres de nos familles, ou bien des collègues de notre travail, ou encore des personnes que l’on ne connaît pas et qui semblent isolées. Quelle attitude avons-nous à l’occasion des sorties des messes, par exemple ? Posons-nous sincèrement la question : faisons-nous l’effort de nous libérer de notre petit cercle de connaissances habituelles ? Faisons-nous l’effort d’aller vers l’inconnu, vers le ou la fidèle de passage qui apprécierait un simple geste d’accueil ? A l’exact inverse, attendons-nous toujours que les autres viennent à notre rencontre ? Est-il inscrit sur notre visage : « je suis ailleurs, ne pas me déranger ».

Posons-nous, aussi sincèrement que possible, la question : telle personne, telle rencontre, tel étranger sur ma route, en quoi puis-je contribuer à l’aider ? Comment l’aborder et lui offrir un sourire. Puis-je lui donner un moment d’intérêt ?  Qu’est-ce que Jésus ferait à ma place : un simple regard, (parfois cela suffit…quand on rencontre un mendiant…), une attention particulière, in signe amical, un service à lui rendre, un mot de bienvenue à la sortie de la messe auprès d’une personne inconnue par exemple ?

En pratique, que faire ?

Allons plus loin, aux côtés de la Samaritaine dont l’âme est tourmentée, comme parfois la nôtre. Donnons la préférence aux relations directes et libérons-nous de la tentation irrésistible des écrans. Dans la « vraie vie », les relations humaines impliquent effort, générosité, réciprocité parfois, et même souvent, oubli de soi. A l’image exacte de Jésus qui vient dans notre monde « non pour être servi mais pour servir ! » 

Ouvrons notre âme, rendons-la disponible à la rencontre de nouvelles personnes, qui ont des opinions différentes, réveillons notre « intelligence du cœur » afin que comme celle de Jésus, elle soit attentive à l’autre, libérée de toute fausse pudeur et de tout « respect humain ».

Faire « le premier pas », c’est se libérer de ses préjugés, laisser pour un temps son cadre de références, privilégier l’attention portée à la personne plus qu’à ses a priori ! C’est d’ailleurs, souvent dans de telles circonstances que l’on fait les plus belles et les plus improbables rencontres suscitées par l’Esprit-Saint et les anges gardiens. Laissons-nous guider par l’Esprit-Saint, « expert en communication relationnelle » ; invoquons son aide pour être guidé à bon escient sur le chemin de nos rencontres.

Avec qui communiquer ? Tel collègue, telle personne isolée, tel enfant, tel étranger ? Oui, dans cette perspective de « faire le premier pas », n’ayons pas de restriction… Libérons-nous de l’esprit utilitariste qui guide le plus souvent notre univers relationnel. Ayons cette saine curiosité de faire connaissance avec la singularité de chacun. Cherchons à être intéressés plutôt qu’intéressants. On ne saurait trop imiter Jésus dans ce geste de communication du « premier pas » au passage, singulièrement efficace, si l’on en juge l’effet produit sur la Samaritaine qui deviendra une magnifique ambassadrice : « allez le voir ! » ne cessera-t-elle de dire à tout le monde.

Nous y insistons beaucoup parce qu’il s’installe chez nos contemporains une véritable timidité, si ce n’est une aversion phobique à la relation humaine spontanée et simple. Tant que la personne ne nous est pas présentée, nous restons indifférents et froids. A chacun de s’examiner au quotidien et de réagir, de se faire violence afin de privilégier une communication plus énergique et, pour tout dire, plus missionnaire. « Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? Les publicains ne le font-ils pas aussi ? Et si vous saluez vos frères seulement, que faites-vous de surcroît ? Les païens ne le font-ils pas aussi ?2 »       C’est un vrai combat à mener contre sa timidité et sa fierté, parfois mal placée d’autant plus que nos outils dits de « communication » nous éloignent habituellement des relations de proximité. C’est, d’une certaine façon, un combat de charité !

Pour aller plus loin et progresser

Tout d’abord, accordons une attention particulière à nos regards qui se doivent d’être francs et empathiques autant que la situation le permet. Abstenons-nous de ces attitudes froides et neutres, des regards en biais sans expression. Ensuite, travaillons notre voix, notre élocution et spécialement notre ton qui exprime beaucoup à lui seul. Souvenons-nous de Jésus dont la voix s’est fait souvent entendre en de multiples occasions.

Deux circonstances particulières démontrent qu’avec exactement les mêmes mots, le sens change diamétralement selon le ton employé : Autant le « C’est moi ! » apaisant adressé aux apôtres en pleine tempête, les rassure, autant la soldatesque romaine s’effraie, jusqu’à tomber à terre, en entendant la réponse de Jésus au jardin des oliviers prononçant sur un ton impérial ces mêmes mots : « C’est moi ».

Les mots perdent leur sens profond, si le ton ne les accompagne pas. La tendance générale de notre langue Française nous habitue à parler sur un ton plutôt monocorde. Cela se vérifie, en particulier, chez beaucoup de conférenciers. Il convient d’être plus attentif à l’intonation dans nos exposés. L’essentiel n’est pas de dire les choses, mais de se faire comprendre ! Imagine-t-on Jésus s’adressant à ses interlocuteurs ou aux foules sans y mettre le ton ?

Enfin en rapport avec ce geste d’une  communication généreuse dite de « premier pas », rien ne remplace la magie du sourire vrai et engageant. Expression certainement habituelle du visage de Jésus, apprécié tant des enfants que des personnes qui le croisent, de Marie-Madeleine à Zachée, en passant par tous les miséreux à qui il donne espoir de guérison, dès qu’ils croisent son visage apaisant.

Douce et rude pénitence que de s’exercer tous les jours à cette charité quelle que soit notre humeur. Notons-le, ces attitudes « non verbales » constituent à elles seules 70% de l’impact de la communication relationnelle. Ne nous en privons surtout pas.

Mais comment faire pour gagner du talent en agilité non verbale ?

Pas d’autres solutions que de s’exercer, et de s’exercer encore en osant, par exemple, prendre la parole en public, aussi souvent que possible. Certes, la communication est un effort, il faut s’en convaincre, un effort de tous les instants, surtout dans les situations douloureuses. Songeons à Jésus qui, jusque sur la croix, communique encore, avec sa mère et Jean, avec saint Dismas, le bon larron et enfin avec son Père.

Eviter les rencontres, fuir les contacts, avoir peur des autres, n’est pas une solution. Il faut se faire violence. La communication ne s’apprend pas dans les livres ! Pour stimuler sa confiance en soi il faut une pincée d’humilité et se jeter à l’eau. Qu’il s’agisse d’oser faire le « premier pas » ou de prendre la parole en public, la confiance en soi se gagne petit à petit et n’est d’ailleurs jamais définitivement acquise. L’illustre actrice Sarah Bernard, ne disait-elle pas que le trac venait avec le talent ? Et bien-sûr, méfions-nous de l’emprise quasi-hypnotique des écrans qui nous font perdre nos capacités naturelles à communiquer.

« Il est impossible de plaire à Dieu si on manque de charité pour un seul homme3. »

Frère Charles de Foucauld (cordigère capucin)

RESOLUTION PRATIQUE : Identifier les personnes auprès desquelles on se détermine à faire le premier pas dans un objectif d’apostolat. Ex : un membre de la famille dont on se préoccupe peu, une personne rencontrée à la sortie de la messe, un voisin à qui on pourra distribuer la médaille miraculeuse.

ENGAGEMENT SPIRITUEL : une dizaine d’AVE pour demander le secours de MARIE : 1er mystère Joyeux L’annonciation, OSER « faire le premier pas » 

Dieu par l’intermédiaire de l’ange va à la rencontre de Marie pour lui annoncer qu’elle serait la mère du Sauveur.   

1 Jean 4, 5- 42   

2 Matthieu 5, 46-47

3 Charles de Foucauld

 

L’esprit de famille

constituée en tant que communauté de vie et d’amour, la famille reçoit la mission de garder, de révéler et de communiquer l’amour. Le premier échange entre un enfant nouveau-né et ses parents est le plus souvent un échange d’amour d’une intensité inégalée sur cette terre et qui déterminera leur relation pour toujours, sauf regrettable désordre. Nous en avons tous fait l’expérience et pouvons le mesurer.

Or l’amour ne se partage pas mais se multiplie. A l’image de Dieu, les parents aiment leurs enfants d’un amour intégral et les enfants, se sachant aimés, aiment ceux qui sont aimés par ceux qui les aiment d’un même amour, dans un échange incessant. Tous les membres de la famille, chacun selon ses propres dons, ont la grâce et la responsabilité de construire, jour après jour, la communion des personnes, en faisant de la famille une école d’humanité plus complète et plus riche. Il me semble vraiment que l’on trouve ici la raison la plus profonde à ce que l’on pourrait appeler l’esprit de famille.

Aujourd’hui, il est bon de connaître la racine de ce qu’est la famille pour comprendre les enjeux recherchés par sa destruction et les valeurs à maintenir.

La famille souche

Mgr Delassus1 décrit ce qu’était la famille souche et ses avantages. «  L’intérêt que la famille-souche considère comme majeur et qu’elle place avant tous les autres, c’est la conservation du bien patrimonial transmis par les aïeux. La famille est semblable à une ruche, de nouveaux essaims y naissent, en partent, mais la ruche ne doit pas périr. Pour la maintenir, les parents, à chaque génération, associent à leur autorité celui de leurs enfants qu’ils jugent le plus apte à travailler de concert avec eux, puis à continuer après leur mort l’œuvre de la famille. Cet enfant n’est pas de droit l’aîné. Il se prépare de bonne heure aux obligations qui lui sont en quelque sorte imposées par la volonté divine. A l’époque de son mariage, il est institué héritier du foyer et du domaine ; ou plutôt, il en est constitué le dépositaire pour le transmettre, après l’avoir fait valoir, à la génération suivante.

Cette qualité lui impose les charges de chef de la famille. Il a l’obligation d’élever les plus jeunes enfants, de leur donner une éducation en rapport avec la condition de la famille, de les doter et de les établir avec l’épargne réalisée d’année en année par le travail de tous.

Si l’héritier meurt sans enfant, un des membres établis hors du foyer quitte sa maison pour y revenir et remplir les devoirs de chef. Ces devoirs comprennent, en outre de ceux que nous avons dits, l’entretien du foyer et de ses dépendances, la garde du tombeau des ancêtres, la célébration des anniversaires religieux, etc. Tout cela lui impose une existence sévère et frugale dont l’exemple est bien fait pour initier les jeunes générations à la vertu. »

L’organisation de la famille-souche, bonne à la société, est bonne aux individus. Elle distribue équitablement les avantages et les charges entre les membres d’une même génération. A l’héritier, en balance des lourds devoirs, elle confère la considération qui s’attache au foyer des aïeux. Aux membres qui se marient en dehors, elle assure l’appui de la maison-souche avec les charmes de l’indépendance. A ceux qui préfèrent rester au foyer paternel, à ceux qui sont plus fragiles, elle donne la quiétude du célibat avec les joies de la famille. A tous elle ménage, jusqu’à la plus extrême vieillesse, le bonheur de retrouver au foyer paternel les souvenirs de la première enfance.

Détruire la famille : un objectif atteint ?

Le code civil a tué chez nous la famille-souche. Par la liquidation perpétuelle du patrimoine familial qu’il impose, les grandes familles ont été condamnées à s’amoindrir de génération en génération, les familles bourgeoises ont été mises dans l’impossibilité de s’élever et même de se maintenir et les familles ouvrières sont enfermées dans leur condition. Il faut relire ici cette lettre que Napoléon écrivait à son frère Joseph, roi de Naples, le 6 juin 1806, pour comprendre qu’il s’agissait bien de détruire la famille : «  Je veux avoir à Paris cent familles, toutes s’étant élevées avec le trône et restant seules considérables. Ce qui ne sera pas elles, va se disséminer par l’effet du Code civil. Etablissez le code civil à Naples ; tout ce qui ne vous est pas attaché va se détruire en peu d’années, et ce que vous voulez conserver se consolidera. » C’est tout à fait clair. Il n’y a plus chez nous, légalement du moins, que des familles instables. L’esprit et le texte du code civil sont opposés à toute consolidation, à toute perpétuation. Il n’attache à la famille que l’idée d’une société momentanée qui se dissout à la mort d’un des contractants.

Alors même si la famille souche n’a pas disparu du jour au lendemain et que les plus anciens d’entre nous ont pu en voir encore quelques traces au fond des campagnes, il est bien clair que nous n’en vivons plus du tout aujourd’hui et que le modèle a complètement changé. Pour autant, la famille demeure et demeurera jusqu’à la fin des temps tant elle est essentiellement naturelle et il est peu probable que le Bon Dieu permette la fin de l’espèce humaine et son remplacement par l’Homme artificiel.

 « Tes père et mère honoreras afin de vivre longuement2» 

En ce qui concerne les valeurs fondamentales de la famille, après la remise en cause du principe essentiel de l’éducation donnée en priorité par la famille, l’attaque menée contre ce commandement revêt une actualité et une gravité croissantes. Les caractéristiques intrinsèques du troisième et du quatrième âge tiennent naturellement à l’affaiblissement des forces physiques, à la moindre vivacité des facultés spirituelles, à un dépouillement progressif des activités auxquelles ils étaient attachés, aux maladies et aux invalidités qui surviennent, à la perspective des séparations affectives entraînées par le départ vers l’au-delà. Ces caractéristiques attristantes peuvent être transformées par les certitudes de la foi. On peut affirmer que la manière dont une famille et plus largement une civilisation assume le grand âge et la mort comme élément constitutif de la vie, et la manière dont elle aide ses membres âgés à vivre leur mort, sont un critère décisif du respect qu’elle porte à ses membres. Nous n’aborderons pas ici l’abomination de l’euthanasie, signe manifeste du déclin de notre civilisation…

Le soin porté à nos anciens n’est pas quelque chose de facultatif. Nous le leur devons en justice. « Aie soin de ton père, dit saint Ambroise, aie soin de ta mère. Tu as pourvu aux besoins de ta mère, mais tu ne l’as pas payée de ses douleurs ; tu ne l’as pas payée des peines qu’elle a endurées pour toi ; tu ne l’as pas payée de la faim qu’elle a soufferte en se privant de manger ce qui aurait pu te nuire, de boire ce qui aurait pu vicier le lait qu’elle te destinait : c’est pour toi qu’elle a jeûné, pour toi qu’elle a mangé ; c’est pour toi qu’elle n’a pas pris la nourriture de son goût ; pour toi elle a veillé, pour toi elle a pleuré et tu la laisserais dans le besoin ? O mon fils, quel jugement tu te prépares si tu n’as pas soin de ta mère ! A celle à qui tu dois l’existence, tu dois ce que tu possèdes. »

Au niveau spirituel, pensons à l’âme de nos vieux parents qui, se détachant de tout, ont parfois du mal à se tourner vers le Bon Dieu. Il faut prier pour eux, veiller à ce que leurs derniers jours terrestres soient consolés par la réception des sacrements et qu’après leur mort, nos suffrages et le saint sacrifice de la messe les mettent au plus tôt en possession de la gloire du Ciel. Du côté matériel, il est important de penser à l’avenir pendant qu’il est encore temps car réorganiser la vie d’un vieillard qui ne vit que d’habitudes est à peu près impossible.

Dieu récompense ceux qui honorent leur père et mère et châtie ceux qui violent le quatrième commandement. « Celui qui aura maudit son père ou sa mère sera puni de mort. » Et « celui qui afflige son père et chasse sa mère est un misérable et un infâme » ou encore « Celui qui maudit son père ou sa mère verra sa lampe s’éteindre au milieu des ténèbres ». Tout le monde connaît l’épisode de l’ivresse de Noé.

Le catéchisme du Concile de Trente nous indique qu’accomplir nos devoirs envers nos pères et mères est pour nous une obligation de tous les instants et ne contredit pas du tout le fait de quitter son père et sa mère et de s’attacher à sa femme. Le terme « quitter » en hébreu se dit « azab », ce qui signifie « laisser derrière, rendre libre, laisser aller, libérer ». Au travers de ces termes, nous comprenons qu’une fois mariés, les époux ne sont plus sous l’autorité de leurs parents, qu’ils se détachent du foyer parental et sont libérés pour désormais vivre leur propre vie. Ils deviennent responsables de leur propre vie, de celle de leur foyer et des enfants que le Bon Dieu leur donnera. Cependant, il ne leur sera pas interdit de recevoir certains conseils de leurs parents si ceux-ci sont bons et non contraires à la morale. Se détacher de la tutelle parentale n’interdit pas de les honorer, nous le comprenons tous.

Nous sommes des héritiers

L’homme est un animal social et un héritier. Cette notion est si universelle qu’elle s’impose à toute personne qui observe honnêtement la réalité. On la trouve reconnue par tous, qu’il s’agisse de la famille ou de la société tout entière : « L’humanité a seule la possibilité de capitaliser ses découvertes, d’ajouter de nouvelles acquisitions à ses acquisitions plus anciennes, si bien que chacun de nous est l’héritier d’une somme immense de dévouements, de sacrifices, d’expériences, de réflexions qui constituent notre patrimoine, fait notre lien avec le passé et avec l’avenir3. »

Si cette vérité s’impose, si elle reste manifestement déposée dans la conscience de tous, c’est qu’elle est une vérité de l’ordre humain. La notion d’héritage est inséparable de la notion d’homme qui, s’il n’est pas héritier, n’est plus qu’une bête, et d’ailleurs la plus bête des bêtes car la plus dépourvue d’instinct. Il serait tout à fait puéril ou malhonnête de se demander si on doit l’admettre. Qu’on le veuille ou non, nous sommes des héritiers.

L’idée en est sans cesse rappelée dans la Sainte Écriture où les bénédictions de Dieu ne sont presque jamais mentionnées sans qu’il soit indiqué qu’elles s’étendent à la famille entière et aux générations qui en découleront. Le mystère de notre destinée lui-même ne s’insère-t-il pas dans les mêmes perspectives ? « Si nous sommes enfants, nous sommes héritiers, héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ4 » et c’est bien pourquoi Il a choisi la famille comme lieu privilégié de cette transmission.

L’honneur de la famille : une valeur à transmettre

Au général allemand qui, pendant la seconde guerre mondiale, occupe son château et lui reproche de ne pas se présenter à lui, le duc de Plessis-Vaudreuil, héros du roman de Jean d’Ormesson ‘Au plaisir de Dieu’, lui présentant tous ses titres acquis par sa famille au cours des siècles, conclut en lui disant : « Depuis neuf siècles, je suis sur les terres et dans la maison de ma famille », s’identifiant totalement, se confondant à sa lignée. Nous sommes héritiers et même bien au-delà.

Il est bien sûr que l’héritier est redevable envers tous ceux qui l’ont précédé, qui lui ont donné ce qu’il est. Ce dû s’exprime par l’honneur rendu à la famille, au nom qu’elle porte et transmet. Il ne suffira pas de reconnaître les vertus de ceux qui nous ont précédés, par la piété filiale ; il faudra surtout songer que d’autres portent ce même nom, aujourd’hui, et le porteront encore demain. Notre famille nous oblige. Qui s’honore, honore les autres à proportion qu’il s’honore lui-même. Il les élève à la hauteur où il a fixé son point d’honneur. Les mœurs d’une famille se vérifient et se mesurent à la rigueur avec laquelle chacun de ses membres précise et respecte son point d’honneur.

Pour autant, l’orgueil n’a pas sa place dans l’honneur. Les auteurs spirituels se sont toujours méfiés de l’honneur. Saint Jean Chrysostome, par exemple, enseigne qu’une bonne réputation durable et l’honneur ne s’acquièrent pas par des grands monuments, par des colonnes, des titres, mais par d’héroïques vertus. Pour l’abbé Berto, « L’honneur consiste précisément à faire de certaines valeurs une raison de vivre, et aussi bien une raison de mourir, c’est-à-dire à tenir ces valeurs pour transcendantes.» Saint Thomas d’Aquin rappelle que « Les démonstrations d’honneur ne sont rien si elles ne sont pas l’hommage rendu à la rectitude d’un homme. C’est pourquoi l’honneur consiste essentiellement dans la valeur intime, dans la droiture de la raison et de la volonté…, l’opinion des hommes n’en est que la constatation accessoire. » Cette droiture de la raison et de la volonté consiste donc à ne vouloir que le vrai et le bien, et finalement le Vrai et le Bien ultime, Dieu.

Je laisserai le dernier mot à Henry Bordeaux. Monsieur Roquevillard, admirable type de père, se voyant dans l’obligation de vendre une partie de ses domaines, répond à ceux qui tâchent de l’en dissuader : «  Dans le plan des choses humaines, il y a un ordre divin qu’il faut respecter. Au-dessus de l’héritage matériel se place l’héritage moral. Ce n’est pas le patrimoine qui fait la famille. C’est la suite des générations qui crée et maintient le patrimoine. La famille dépossédée peut reconstituer le domaine. Quand elle a perdu ses traditions, sa foi, sa solidarité, son honneur, quand elle se réduit à une assemblée d’individus agités d’intérêts contraires, préférant leur destin propre à sa prospérité, elle est un corps vidé de son âme, un cadavre qui sent la mort, et les plus belles propriétés ne lui rendront pas la vie. »

 Jérôme Colas

 

1 L’esprit familial

2 Les 10 Commandements de Dieu selon le Livre du Deutéronome Dt 5, 6-21

3 Ernest Renan

4 Epître de saint Paul aux romains 8:17

 

 

 

Les Zouaves pontificaux

« Vive le Sacré Cœur, vive la France et vive Pie IX ! » Les soldats qui, en ce 2 décembre 1870, poussent ce cri en chargeant les prussiens retranchés dans le village de Loigny, ne manqueraient pas de surprendre un spectateur non avisé. Si leur uniforme bleu ressemble à celui des troupes de zouaves de l’armée française, il diffère par la couleur, et les hommes qui le portent ne sont clairement pas originaires d’Afrique, mais plutôt de France, et même en grande partie des régions de l’Ouest. De plus, le drapeau qui les précède dans cet assaut n’est pas le drapeau tricolore, mais une bannière de procession immaculée sur laquelle se détache un Sacré-Cœur, et les mentions « Cœur de Jésus, sauvez la France » et « Saint Martin, patron de la France, priez pour nous », en face et au revers. Enfin, ils ne sont que quelques centaines à charger, sur un découvert complet de plus de deux kilomètres, une force deux fois supérieure en nombre et solidement embusquée, ignorant le déluge d’obus et de mitraille qui s’abat sur eux, comme s’il ne s’agissait que d’un exercice. Ce sont les derniers des Zouaves pontificaux, illustres combattants de Dieu et de l’Eglise. Quelle est leur histoire, et comment se sont-ils retrouvés des monts du Latium aux plaines de la Beauce ?

Un appel à l’aide

Il faut faire un saut de 10 ans en arrière pour comprendre l’origine des Zouaves pontificaux. En 1860, l’Italie est au cœur de conflits visant à assurer l’unification de la péninsule, sous le contrôle de Victor-Emmanuel, roi du Piémont. L’année précédente, la guerre qu’il a déclarée contre l’Autriche lui permet d’annexer le nord de l’Italie et une partie des Etats pontificaux, grâce à l’aide de Napoléon III. Il ne lui reste plus, pour atteindre l’hégémonie complète, qu’à se débarrasser du royaume de Naples au sud, et des terres de l’Eglise au centre.

Pie IX, pape depuis 1846, ne peut plus compter sur le soutien de l’empereur d’Autriche, et sait que Napoléon III n’est pas un allié fiable. Il lui faut d’urgence reformer les troupes pontificales, dont la valeur combative est douteuse, hormis certains corps tels que les Suisses. Il fait alors appel au général de La Moricière, ancien ministre de la guerre sous la Seconde République, qui aura ces mots : « Quand un père appelle son fils pour le défendre, il n’y a qu’une seule chose à faire, c’est d’y aller. » Pour compenser la faiblesse de l’armée (moins de 7 000 soldats, pas d’artillerie, peu d’armes modernes), La Moricière lance un appel à tous les chrétiens de bonne volonté. Ceux-ci répondent massivement, que ce soit par leurs personnes ou leurs biens. Il parvient ainsi à doubler les effectifs, notamment grâce à l’arrivée de volontaires et officiers français et belges, que l’on retrouve en grande partie dans un bataillon de tirailleurs.

Aussi impressionnante que soit la transformation opérée par le général de La Moricière, il ne disposait pas du temps nécessaire pour faire de ces troupes disparates et encore peu entraînées une armée d’élite, puissante et cohérente. En septembre 1860, Victor-Emmanuel lance ses troupes à l’assaut des Etats du Pape, et oppose près de 33 000 hommes aux 14 000 soldats de Pie IX. Ces derniers sont balayés le 18 septembre, à la bataille de Castelfidardo, près de Lorette. Les troupes fuient en pleine débâcle, à l’exception du bataillon franco-belge et d’un autre corps de volontaires français1. Le courage de ces hommes, dont la plupart se sont est confessés avant la bataille, sauve au moins l’honneur, et est un exemple d’héroïsme chrétien2. La capitulation qui suit cette bataille voit les Etats Pontificaux amputés de tout le nord, et réduits au Latium.

L’armée du Pape

Cette défaite entraîne une nouvelle refonte des armées papales, dont le bataillon franco-belge devient le cœur. Il prend au début de 1861 le nom de Zouaves pontificaux, et regroupe près de 1 000 hommes, avec une hausse jusqu’à plus de 3 000 à partir de 1867. Le recrutement des volontaires et leur armement est assuré en partie par les comités de Saint-Pierre, chargés de la collecte de fonds pour le pape après la perte des régions riches des Etats pontificaux. De 1860 à 1870, plus de 3 000 Français s’engagent pour la défense de la papauté. On y retrouve des catholiques de toutes conditions : paysans, ouvriers, notables, nobles… Beaucoup viennent des régions de l’Ouest, Bretagne et Vendée, et de nombreux noms illustres s’y côtoient : deux d’Aquin (de la famille de saint Thomas), deux Cadoudal, deux Cathelineau, cinq Charette, des descendants de Bourbon, de Chateaubriant, de Montesquieu, et d’autres encore. Tous ces hommes ont répondu à l’appel de Pie IX, tels des Croisés de l’ancien temps, à la différence qu’il ne s’agit pas cette fois de défendre l’Eglise sur quelque terre lointaine ou contre quelque hérésie, mais bien au cœur même de l’Italie. Les Zouaves se battent pour défendre le droit du pape sur ses terres, mais aussi pour contrer le principe faux de la séparation des pouvoirs temporels et spirituels, qui doivent tous deux mener l’homme à Dieu, avec la soumission nécessaire du politique au religieux.

La nouvelle armée pontificale ne va pas tarder à faire ses preuves. Victor-Emmanuel et Garibaldi tentent de déstabiliser les Etats du Pape en envoyant des troupes semer le trouble dans les territoires frontaliers. Les coups de main et les razzias se succèdent, et des affrontements ont lieu avec les Zouaves, envoyés pour faire face aux soudards. Ces opérations de contre guérilla durent de 1861 à 1867, et sont ponctués de maints faits d’armes et petites victoires. L’une des plus belles pages de ce corps d’élite n’est pourtant pas au combat, mais en cœur de l’épidémie : en août 1867, le choléra frappe la ville d’Albano. Les habitants se sont calfeutrés, et les corps des victimes sont jetés en pleine rue, sans sépulture. Un détachement de zouaves, passant par la localité, se met à ensevelir les cadavres et à porter secours aux malades. Animée du plus bel esprit de charité chrétienne, la quasi-totalité des zouaves et de leurs officiers va se porter volontaire pour se rendre à Albano et secourir son prochain, suscitant l’admiration de tous.

L’autre grande prouesse des zouaves, durant cette période, est la victoire remportée à Mentana contre les troupes de Garibaldi, le 3 novembre de la même année. Le combat se déroule dans les bois et les vignes pentues, et oppose la jeune armée papale à près de 10 000 garibaldiens, retranchés dans le village et le château, et sur les hauteurs. Les zouaves se lancent à l’assaut et, au terme d’une journée de violents affrontements, forcent les ennemis à la retraite. Garibaldi perd près de 1 000 tués, et 1 500 prisonniers, tandis que les zouaves, qui ont mené le plus gros des combats avec le corps expéditionnaire français3, comptent 28 morts. Cette belle victoire met un coup d’arrêt aux incursions de Garibaldi et de Victor-Emmanuel, mais ne marque malheureusement pas la fin des hostilités.

Fin des zouaves et derniers coups d’éclat

Tout bascule avec l’entrée en guerre de la France contre la Prusse, le 19 juillet 1870. Victor-Emmanuel, en échange de son soutien à Napoléon III, demande le départ du corps expéditionnaire français, envoyé pour protéger le pape d’une nouvelle invasion. Cette demande est d’abord refusée, mais le 5 août le corps est rappelé, sans que l’Italie n’entre en guerre du côté de la France. Victor-Emmanuel a les mains libres pour envahir les Etats pontificaux, et assemble une armée de 70 000 hommes, contre les 9 000 soldats du Pape. Les Italiens attaquent Rome le 20 septembre, défendue avec rage par les zouaves. Le combat est perdu d’avance, et Pie IX ordonne la fin des combats pour épargner le sang. Le Pape est retenu au Vatican, et son armée dissoute, avec le corps des zouaves pontificaux. Les 1 200 volontaires français sont autorisés à rentrer en France, où la guerre tourne au désastre. Le second Empire est tombé après la défaite de Napoléon III à Sedan, le 1er septembre, et le gouvernement de Gambetta se lance dans la guerre à outrance contre les Prussiens. Les zouaves sont regroupés dans la Légion des Volontaires de l’Ouest, et deviennent immédiatement une unité d’élite, du fait de leur expérience et de leur remarquable discipline au combat. Ils forment un corps-franc, dotés d’une plus grande autonomie que les troupes plus régulières, et sont rattachés au XVIIe Corps d’Armée que commande le Général de Sonis. Ils sont très vite engagés au combat et se distinguent à Orléans, mais se couvrent surtout de gloire à la bataille de Loigny, le 2 décembre 1870, où leur charge héroïque sauve l’armée du désastre. Afin d’empêcher une déroute et dans une tentative de repousser les Prussiens, Sonis ordonne la charge qu’il dirige lui-même avec leur chef, Athanase de Charette, alors qu’est déployée la bannière du Sacré-Cœur, avant d’être gravement blessé. L’assaut, mené dans de très mauvaises conditions, permet de faire reculer l’ennemi et donne le temps aux autres unités de se retirer en bon ordre. Ce sacrifice coûte cher aux zouaves, qui perdent 96 morts et 122 blessés sur les 300 hommes engagés, mais évite une défaite totale. Les ossements de ces chrétiens héroïques sont conservés dans la nécropole de l’église de Loigny, renommée Loigny-La-Bataille en l’honneur de ce fait d’armes, et reposent aux côtés des tombeaux des généraux Gaston de Sonis et Athanase de Charette, qui les ont si bellement menés au combat.

Les zouaves eurent à mener d’autres engagements après Loigny, mais aucun d’une telle ampleur. A la fin de la guerre, le gouvernement républicain tenta d’incorporer la Légion des Volontaires de l’Ouest au sein de l’armée, afin de mieux les contrôler. Charette refusa, la raison d’être des zouaves étant de servir l’Eglise, et non la République. La dissolution des Volontaires de l’Ouest est donc annoncée en août 1871, mettant fin à onze ans de bravoure et de sacrifices qui ont donné à l’Eglise un nouveau motif de gloire, et à la France chrétienne une cause de fierté supplémentaire.

RJ

 

Pour en apprendre plus sur les zouaves pontificaux :

Les Zouaves Pontificaux, de G. CERBELAUD-SALAGNAC

Article « L’épopée des zouaves pontificaux », de X. BARTHET, Le Sel de la Terre, n°81

Les Zouaves Pontificaux, de M. de CHARETTE

 

1 Les Guides du comte de Bourbon-Chalus

2 Certains font figures de saints, tel Joseph-Louis Guérin, séminariste nantais mort après deux mois de souffrances causées par ses blessures. Une quarantaine de guérison miraculeuses lui sont attribuées dont la guérison d’une aveugle.

3 L’attitude de Napoléon III dans les guerres d’unification de l’Italie est assez étonnante, virevoltant entre soutien aux révolutionnaires et aide militaire au pape.

 

Contra spem in spe

Qui peut dire aujourd’hui, sans s’étouffer, que la France est un beau pays ? Que la France de Péguy « mon pays, ma mère, toujours fidèle à sa promesse »,  suscite toujours notre admiration ?

La question invite à une réflexion sur notre amour de la France et particulièrement sur l’enthousiasme que pourrait encore allumer en nous une France tellement défigurée.

A l’évidence le constat est cruel pour la « fille aînée de l’Eglise » : apostasie généralisée, laïcisme revendiqué, constitutionnalisation de l’avortement, lois sociales immorales, politiques dégénérées, système éducatif pervers, art décadent, mœurs dépravées, économie en ruine, désindustrialisation, agriculture à l’abandon, santé en déliquescence… La description ne mérite pas d’être poursuivie, elle ressemble à un cauchemar qui ne mérite pas qu’on s’y attarde, nous le connaissons tous.

Peut-on aimer la France ? Peut-on encore aimer la France aujourd’hui ? Peut-on s’enthousiasmer pour la France ?

Certes, on peut rabâcher les trop célèbres banalités qui pourtant sont bien réelles et qui assurent à notre pays une renommée si méritée : « Tu dois aimer la France, parce que la nature l’a faite belle et parce que l’histoire l’a faite grande » disait Ernest Lavisse2.

Ainsi, de sa littérature et de sa langue : faut-il que nous soyons menacés de la perdre comme le petit Frantz de Daudet pour comprendre son élégance, sa précision et sa mélodie ? La diversité des paysages et des côtes spectaculaires, une architecture infiniment variée depuis l’humble chapelle jusqu’à la majestueuse cathédrale dont l’embrasement fit si peur au monde entier. La rude forteresse du moyen-âge qui tranche avec le distingué château de la Loire, ou encore ses traditions, sa gastronomie, ses vins…

Tout cela est bon et vrai. Assurément, peu de pays allient une géographie, une culture et une histoire aussi équilibrées et aussi généreuses que le nôtre. Ne méprisons pas ces harmonies, elles sont une œuvre qui a été préservée au prix de tant de sacrifices, de larmes et de gloire qu’elle mérite l’admiration et les égards de ses enfants reconnaissants. Malheur aux ingrats !

Cependant, notre enthousiasme n’est-il pas cimenté par l’arrimage irréversible de la France à son vrai Roi comme un navire sur son ancre ? Ainsi parle Gustave Thibon: « Une des constances de l’histoire de France, c’est que sa vitalité et sa grandeur ont toujours été intiment liées à sa fidélité au Christ3 ».

Avant les devoirs envers la nature et la terre des pères, s’impose la fidélité au Dieu rédempteur. La France Lui est indéfectiblement liée par son baptême, par ses saints et par la foi de son peuple.

Il y a quelques années, un ancien ministre de l’intérieur se permettait de fanfaronner: « Il y a un moment où l’Etat doit s’imposer et dire que la loi est au-dessus de la foi4 ».

Qui pourrait, qui oserait rester froidement et négligemment détaché devant de telles menaces faites à la France et à ses enfants ? Tout au contraire, l’enthousiasme – au sens propre : inspiration par Dieu – est stimulé, attisé et comme dynamisé par la provocation. La fidélité et la ferveur des enfants de France répondent par la voix du poète: « Tous les prosternements du monde ne valent pas le bel agenouillement droit d’un homme libre. Toutes les soumissions, tous les accablements du monde ne valent pas une belle prière, bien droite agenouillée, de ces hommes libres-là 5».

Mais laissons à saint Pie X le soin d’illuminer notre enthousiasme et notre espérance :

« Un jour viendra, et Nous espérons qu’il n’est pas très éloigné, où la France, comme Saül sur le chemin de Damas, sera enveloppée d’une lumière céleste et entendra une voix qui lui répétera : « Ma fille, pourquoi me persécutes-tu ? » Et sur sa réponse : « Qui es-tu, Seigneur ? », la voix répliquera : « Je suis Jésus que tu persécutes. Il t’est dur de regimber contre l’aiguillon, parce que, dans ton obstination, tu te ruines toi-même. » Et elle, tremblante et étonnée, dira : « Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? » Et Lui : « Lève-toi, lave tes souillures qui t’ont défigurée, réveille dans ton sein tes sentiments assoupis et le pacte de notre alliance, et va, Fille aînée de l’Eglise, nation prédestinée, vase d’élection, va porter, comme par le passé, mon nom devant tous les peuples et tous les rois de la terre. » Ainsi soit-il !   6»

 

Bizerbouec

1 Espérant contre toute espérance (Saint Paul, Romains, 4,18.)

2 Lavisse, Histoire de France, cours moyen 1e et 2e années.

3 G. Thibon, Propos d’avant-hier pour après-demain.

4 G. Darmanin : Interview sur CNEWS à propos du projet de loi contre le séparatisme (Fev.2021)

5 C. Péguy, Le mystère des saints innocents.

6 Saint Pie X : Fin de l’allocution consistoriale du 29 novembre 1911.

 

 

Les apparitions et les reliques de saint Joseph

Il y a une certaine difficulté à parler de saint Joseph. Simple humain désigné par la Sainte Trinité pour être le père putatif de Jésus-Christ, Dieu fait homme ; il se fait remarquer par le silence qui l’entoure dans les récits du Nouveau Testament et de la Tradition. On pourrait presque le considérer comme un personnage de second plan, si Dieu n’avait voulu l’exalter par les diverses apparitions et manifestations qu’il eut, et a encore dans notre monde.

 

Les apparitions de saint Joseph

La différence entre les apparitions de saint  Joseph et celles de la Sainte Vierge est frappante. Ces dernières se comptent par dizaines et sont pour la plupart bien documentées, tandis que les manifestations de saint Joseph sont, en comparaison, peu nombreuses et moins connues. Dans la plupart d’entre elles, saint Joseph est avec Marie et Jésus, ou seulement l’un des deux. Celles où il se manifeste sans eux sont plus rares, et à ce jour seule l’une d’elles est reconnue officiellement par l’Eglise.

 

La première des apparitions communes se produit au IIIème siècle, lors de la messe de consécration du monastère de Ferrière-en-Gâtinais par saint Savinien, la nuit de Noël. Au milieu d’une grande lueur, le célébrant voit la Sainte Famille dans la crèche, environnée des Anges chantant le Gloria. Surnommé par la suite « l’Abbaye de Bethléem », ce lieu verra deux rois francs1 s’y faire couronner, et divers souverains y aller en pèlerinage.

En 1879, la Sainte Famille apparaît à Knock, en Irlande, à une vingtaine de personnes. Nulle parole n’est prononcée, mais plusieurs guérisons miraculeuses sont opérées.

 

La manifestation de la Sainte Famille la plus connue est probablement celle de Fatima, qui eut lieu lors de la dernière apparition, le 13 octobre 1917, lors du « Miracle du Soleil », qui eut lieu devant près de soixante-dix mille témoins.

Moins nombreuses sont les apparitions où saint Joseph est seul. La plus connue est celle de Cotignac, dans le Var, en 1660. Ce village avait déjà connu, en 1519, une apparition de la Sainte Vierge portant l’Enfant-Jésus et entourée de saint Michel et de saint Bernard. C’était devenu un lieu de pèlerinage marial. Le sanctuaire, appelé « Notre-Dame de Grâces », fait mémoire de la parole que Marie y prononça : « Allez dire au clergé et aux Consuls de Cotignac de me bâtir ici même une église, sous le vocable de Notre-Dame de Grâces et qu’on y vienne en procession pour recevoir les dons que je veux y répandre. » Cent quarante ans plus tard, saint Joseph apparaît à un jeune berger assoiffé, du nom de Gaspard Ricard, et lui dit >>>         >>> en provençal : « Je suis Joseph. Soulève ce rocher et tu boiras.» La lourde pierre, que huit hommes parviendront à peine à bouger, couvrait une source où Gaspard put s’abreuver. Sur ce lieu, à moins de quatre kilomètres de celui où apparut Marie, sont bâtis un sanctuaire et un monastère, faisant de Cotignac l’endroit majeur de vénération de la Sainte Famille.

 

Dix ans plus tard, saint Joseph apparaît dans la ville de Kalisz, en Pologne, à un vieil homme malade du nom de Stobienia, qui ne cessait de l’invoquer pour avoir une bonne mort. Saint Joseph lui dit ces mots : « Tu guériras quand tu feras peindre un tableau représentant la Sainte Famille avec l’inscription portant ces mots : « Allez à Joseph.» Tu l’offriras à l’église collégiale de Kalisz.» Ce tableau y est encore exposé, et l’apparition de Kalisz fait en Pologne l’objet d’une   grande vénération, qui eut un renouveau à la fin de la Seconde Guerre Mondiale : en raison d’une menace d’exécution de tous les prisonniers de Dachau, une neuvaine à saint Joseph de Kalisz fut commencée, et se termina le 22 avril. Une semaine plus tard, le 29 avril 1945 à 18h00, une section de reconnaissance de l’armée américaine libéra le camp, trois heures avant le massacre des prisonniers planifié par les autorités du camp. Les prisonniers considérèrent cette libération obtenue grâce à saint Joseph comme miraculeuse.

 

Les reliques de saint Joseph

Les reliques de saint Joseph sont assez peu connues, et pourtant la Providence nous en a laissé plusieurs, dont la quasi-totalité se trouve en Europe.

 

L’Italie a la chance de détenir trois des reliques de saint Joseph. A Pérouse, dans la cathédrale San Lorenzo, est conservé l’anneau de mariage de saint Joseph. Ce magnifique symbole de l’union de Joseph et de Marie est exposé trois fois l’an, et est gardé précieusement par la Compagnia de Santo Anello de San Guiseppe. Acheté en 985 à un marchand de Jérusalem par un orfèvre de la ville de Chiusi, il est dérobé en 1473 par un moine allemand voulant l’exposer dans son village. Passant par Pérouse, un brouillard miraculeux l’empêche d’aller plus loin, et ne cesse que lorsqu’il se sépare de l’anneau, récupéré par le clergé de la ville.

Plus au Sud, à Naples, se trouve le bâton fleuri de saint Joseph. La tradition nous rapporte que le fleurissement de son bâton permit d’identifier Joseph comme l’époux choisi par Dieu pour Marie, parmi une foule de prétendants. Conservé d’abord au XIIIème siècle dans un couvent du Sussex, en Angleterre, il est dérobé, puis offert en 1795 à la congrégation San Guiseppe dei Nudi (Saint-Joseph-des-Nus) qui en a la garde sur la colline de San Potito.

 

On peut ensuite vénérer à Rome le manteau de saint Joseph, conservé dans la basilique de Sant’Anastasia al Palatino, probablement la plus ancienne église de la ville. Depuis 1600 ans, les fidèles peuvent y admirer ce vêtement du père de Jésus, exposé à côté d’une partie du voile de la Sainte Vierge. Ces reliques ont été apportées par saint Jérôme de Jérusalem à la fin du IVème siècle, et font l’objet d’une protection particulière, ne permettant leur exposition que lors de célébrations exceptionnelles, la dernière datant du 6 janvier 2020.

Deux autres reliques de saint Joseph sont conservées hors d’Italie. La ceinture est exposée à Joinville, en Haute-Marne. Elle a été rapportée de Terre Sainte par le Sire Jean de Joinville, proche compagnon de saint Louis et auteur de la célèbre chronique qui lui est dédiée. Enfin, la dernière grande relique de saint Joseph est vénérée dans la cathédrale d’Aix-la-Chapelle. Il s’agit des chausses du patriarche, ou plutôt des langes de Jésus, puisque c’est dans ce linge que l’Enfant Jésus fut emmailloté à la Nativité. Cette relique fut offerte à l’empereur Charlemagne vers l’an 800, et est constamment exposée à la vénération des fidèles.        >>> 

 

>>> Pour conclure sur ces reliques du saint patriarche, il peut être intéressant de mentionner le célèbre « escalier de saint Joseph » présent dans la chapelle de Lorette, à Santa Fé (Nouveau Mexique). Bâtie en 1873 par les Sœurs de Lorette, cette église souffrait d’un défaut puisque l’on avait oublié lors de la construction de faire un escalier, permettant l’accès à la tribune. Cet oubli constaté, les contraintes techniques étaient telles que nul artisan ne voulut s’engager à réaliser l’ouvrage. Les sœurs commencèrent alors une neuvaine à saint Joseph, pour qu’il les aide à trouver une solution. Le dernier jour de la neuvaine, un charpentier inconnu se présenta, accompagné d’un âne portant pour seuls outils un marteau, une scie et une équerre. L’étranger proposa de réaliser l’escalier tant désiré, à la condition de le laisser seul dans la chapelle tout le temps des travaux. Il y resta entre six et huit mois, et partit en toute discrétion une fois l’ouvrage terminé. Celui-ci tient tout du miracle : l’escalier en colimaçon est composé de trente-trois marches, sans clous ni colle. Il effectue deux tours complets, sans pilier central, faisant reposer l’intégralité de son poids sur la première marche. L’origine du bois est encore inconnue à nos jours, et ne provient en tout cas pas de la région. De toute évidence, il aurait dû s’effondrer à la première utilisation, et pourtant il est toujours debout, depuis cent cinquante ans.

 

Toutes ces apparitions et reliques nous rappellent deux choses importantes sur saint Joseph. Il s’agit tout d’abord de sa très grande humilité : on ne retient presque aucune parole de ses manifestations, et celles-ci se font sans les grands miracles qui accompagnent presque toujours les venues de la Sainte Vierge. On lui connaît peu de sanctuaires, et pourtant sa vénération est grande dans l’Eglise universelle, dont il est le Patron. Ensuite, ses apparitions et reliques sont presque toujours liées, de près ou de loin, à Marie et à Jésus, comme pour mettre en lumière le lien indéfectible qui les unit. Son anneau, ses chausses, son apparition à Cotignac, son escalier miraculeux nous rappellent l’amour de Jésus et de Marie, le dévouement et la fidélité qu’il leur a consacrés durant sa vie et qu’il continue d’incarner au Ciel. De même que Marie s’est tenue sans cesse aux côtés de Jésus, Joseph est resté fidèle en toutes choses, véritable témoignage du service que les hommes sont appelés à remplir pour Dieu, dans le travail de chaque jour et la fidélité de chaque instant.

RJ

 

1 Louis III et Carloman, en 879

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