L’autorité des parents

Voici un nouvel extrait d’ « Un curé picard en campagne », de Bernard Gouley, qui regroupe les textes issus du bulletin paroissial du curé de Domqueur, Monsieur l’abbé Sulmont, dans les années 1973-1974. Avec son franc-parler, il y fustige le manque d’autorité des parents de cette époque.

Janvier 1973

Dieu punit parfois. Les parents devraient savoir en faire autant.

Décidément, le missel n’est pas très au point. Le 14 janvier, la première lecture de la messe étonnera l’auditeur attentif : Samuel, appelé par Dieu durant son sommeil, dit : « Parlez, Seigneur, votre serviteur écoute. » Samuel écoute donc, mais Dieu ne dit rien. Le nouveau missel lui a coupé la parole en omettant les versets 11 à 18.

Samuel se contente donc de grandir et le texte nous dit qu’aucune des paroles de Dieu ne demeura sans effet. De quelles paroles s’agit-il, nous ne les connaîtrons qu’en recourant à la Bible. Nous constaterons alors que ces paroles de Dieu sont sévères et pas du tout dans « l’esprit du concile » qui, comme chacun sait, ne prétend condamner personne.

Or Dieu condamne. Il condamne à mort Eli, le prêtre, un fort brave homme pourtant, mais qui a péché par faiblesse en laissant ses deux fils agir comme des vauriens (I Sam. II, 12) : « Je condamne ta maison parce que tu as su que tes fils maudissaient Dieu et que tu ne les as pas corrigés. » (I Sam. III, 13) Eli, puni par Dieu, mourra presque subitement, ayant eu le temps toutefois d’exprimer son repentir. « Il est Dieu, dira-t-il, que sa volonté soit faite. » (Verset 18)

Combien de parents, aujourd’hui, espèrent avoir la paix en laissant tout faire à leurs enfants, et combien de chefs font de même à l’égard de leurs subordonnés. Démission, abandon, désertion. Jamais la paix véritable n’a été obtenue au moyen de lâchetés, que ce soit dans le domaine civil ou dans les familles…

 

VŒU : VEUX !… Aussi le vœu que j’exprime pour tous et chacun de mes paroissiens en ce début de l’année 1973, c’est de bien savoir ce qu’il veut, et de mettre son énergie à le réaliser avec la grâce de Dieu. On manque de volonté aujourd’hui. Notre époque est intellectualiste, discutailleuse, velléitaire, incapable, semble-t-il, de continuité dans le vouloir, de sorte qu’on n’ose pas s’engager et qu’on ne tient guère ses engagements.

Les conséquences sont terribles quand il s’agit du sacerdoce, du mariage ou de l’éducation des enfants. L’un des seuls domaines où l’on rencontre une énergie farouche, une persévérance acharnée, c’est le domaine des sports. L’objectif à atteindre est pourtant là d’une importance assez limitée : mettra-t-on plus de courage à devenir champion de football qu’à être un bon chrétien, un bon mari, un bon éducateur de ses enfants, un prêtre fidèle…, en un mot qu’à correspondre à la vocation et à la grâce que Dieu nous donne ?

 

La joie dans le devoir d’état

Comment garder la joie au milieu du devoir d’état ? Nous pouvons trouver des éléments de réponse dans le Traité de la joie chrétienne du Père Antoine de Lombez.

 En voici quelques extraits :

« On exige souvent trop de soi-même : on s’efforce ; on s’impose des devoirs arbitraires, et on les remplit avec une excessive rigidité. On est quelquefois excédé ; n’importe, on veut achever sa tâche. De là l’accablement et la tristesse, l’humeur et le dépit. Vous avez souvent entendu dire de certaines dévotes, qu’elles sont plus inquiètes que les gens du monde. Vous les trouverez plus sages, plus réservées, plus équitables, plus sobres, plus retenues, plus appliquées à leurs devoirs que ne le sont les femmes du monde : leur aigreur, à certains moments, ne vient que des scrupules ou de l’excès de leur application (….).

On s’efforce et on est abattu ; on aime le travail, on s’y livre avec excès ; on souffre quelque besoin ou quelque douleur qu’on veut supporter sans se donner les secours et les soulagements qui se présentent. Si c’était par une véritable inspiration de la grâce, à la bonne heure, Dieu nous conserverait la joie au milieu de la peine. Mais souvent la propre volonté est satisfaite, et la joie est perdue. Le prophète-roi conservait ses forces pour servir Dieu ; et nous devrions à son imitation conserver toujours la liberté de notre âme, pour nous élever à Dieu, et la force de notre corps, pour travailler à son service.

Variez vos occupations, faites succéder la prière au travail, et la lecture à la prière. C’était la maxime des anciens solitaires et c’était ce qui les mettait en état de rester toute leur vie dans de vastes déserts. Tout, hors le devoir rigoureux, doit céder à la liberté intérieure, à la paix et à la joie. 

Chaque exercice de piété en particulier est louable, mais tous réunis nous accableraient sans nous sanctifier. Tous les aliments sont bons ; mais l’excès est nuisible. Le bon régime est d’en prendre toujours moins qu’on en pourrait digérer, et la bonne conduite en matière de pratique arbitraire, est de s’en imposer toujours moins qu’on en pourrait remplir, ou du moins de les laisser sans scrupule dès qu’on s’en trouve fatigué. De cette manière on les fait sans dégoût, on les reprend sans répugnance, on les remplit beaucoup mieux, et un air de contentement nous accompagne partout. Là où est l’esprit de Dieu, là règne la liberté et la joie, et là où est l’esclavage, là domine la tristesse. Surtout il faut s’abstenir des austérités excessives, qui en détruisant la santé nous font perdre la joie et le goût même des saints exercices. Si vous vous apercevez, dit saint Anselme, que l’austérité de votre vie intéresse votre santé, modérez-la ; car il vaut mieux faire quelque chose avec la joie que donne la bonne santé, que d’être obligé de tout abandonner, ou que de s’acquitter mal, quand le tempérament sera ruiné, de ce que vous faites toujours bien quand vous le faites avec joie.

 

Les gloires de Marie

Il est de nombreux auteurs qui ont célébré les gloires de Marie et la joie de l’avoir pour Mère. Le Cardinal Joseph Mindszenty nous en cite quelques-unes dans son livre : La Mère, miroir de Dieu :

« Il est consolant de pouvoir dire que Marie prie pour nous : « Deux blanches mains jointes dans une prière pour moi ! Les lèvres de la Mère la plus belle, la plus pure disent une prière pour moi ! Ce cœur sans péché bat pour moi ! »

Tous, nous connaissons la main secourable de Marie. Placée dans le monde de la grâce et de l’amour, elle sait, mieux que chacun de nous, ce qu’une âme pèse devant Dieu. Ce qu’elle a dit à Sainte Bernadette est aussi vrai pour nous : « Le bonheur que je te donnerai n’est pas de cette terre. »

Dans la foi catholique, Marie n’est pas simplement une parure belle mais inutile ; elle n’est pas seulement la matérialisation du mot de Goethe : « L’éternel féminin nous attire. » C’est à elle que le christianisme doit sa force et son élan victorieux. Marie fait partie intégrante du christianisme au même titre que le Christ : on ne peut séparer la Mère de l’Enfant.

 

Honorer Marie, c’est dire avec le grand missionnaire saint Léonard : « Ma santé, ma raison, ma foi, c’est à vous, Marie, que je les dois. Ma pensée, ma volonté, mes sentiments, tout cela je le dois à votre secours. De tout mon cœur, de toute mon âme, je ne peux que répéter : Marie est mon secours. Et si j’obtiens mon salut éternel, je le devrai encore à Celle qui est maîtresse de moi-même. »

 

Lorsque nous vénérons Marie, nous remplissons le vœu le plus cher de l’Eglise, nous suivons l’exemple des saints ; nous ne faisons qu’un avec le sens, avec la pensée du monde catholique pour qui, après Dieu, Marie est tout.

En vérité, si l’on a célébré Marie, si on l’aime, si on la supplie, si les peuples et les siècles lui rendent hommage, ce n’est pas pour Jésus une offense, mais une joie ; pour nous, c’est une promotion. Quel bonheur, pour nous catholiques, d’avoir dans la Vierge Marie une Mère ! Célébrons-la sans fin de ce que Dieu a fait en elle de grandes choses ! »

 

Que m’arrivera-t-il aujourd’hui, ô mon Dieu ?

Comme le dit le Père Poppe : « Une âme offerte ne peut jamais perdre son calme ni se départir de sa paix ; toujours elle doit aimer la volonté de Dieu, quand tous les plans et les espoirs s’écrouleraient. »

C’est ce que manifestent les grandes figures de saints de notre Histoire, et particulièrement, celle de Madame Elisabeth, sœur du roi Louis XVI, qui a été guillotinée à 30 ans place de la Concorde (Place Louis XV sous l’Ancien Régime, puis place de la Révolution), le 10 mai 1794. Quasiment à la fin de la période de la Terreur (27 juillet 1794), alors qu’elle avait vu, jour après jour, périr tous ses êtres chers, et avait subi l’angoisse de ce long martyr psychologique et les affres de deux années d’emprisonnement.

De l’avis de beaucoup de ses contemporains, elle est morte en odeur de sainteté. Ainsi, son médecin qui l’a croisée alors qu’elle était en route vers l’échafaud, dit en rentrant à son épouse. « Je viens de rencontrer un ange allant à l’échafaud ». Madame de Genlis mentionna l’odeur de rose qui se répandit place de la Concorde après son exécution.

Aujourd’hui encore, la quantité de vocations sacerdotales sur la paroisse saint Symphorien, nettement supérieure aux autres paroisses, est attribuée aux grâces envoyées par Madame Elisabeth sur son « village », aujourd’hui quartier de Versailles.

La prière de cette grande âme, entièrement offerte à Dieu, illustre parfaitement l’universalité de cet état d’abandon qui procure, en toutes circonstances, la paix intérieure :

« Que m’arrivera-t-il aujourd’hui, ô mon Dieu, je l’ignore. Tout ce que je sais, c’est qu’il ne m’arrivera rien que Vous ne l’ayez prévu de toute éternité. Cela me suffit, ô mon Dieu, pour être tranquille. J’adore vos Desseins éternels, je m’y soumets de tout mon cœur. Je veux tout, j’accepte tout, je Vous fais un sacrifice de tout ; j’unis ce sacrifice à Celui de votre cher Fils, mon Sauveur, Vous demandant, par son Sacré-Cœur et par ses Mérites infinis, la patience dans mes maux et la parfaite soumission qui Vous est due pour tout ce que Vous voudrez et permettrez. Ainsi soit-il. »

 

Distrait de Dieu

Il est très intéressant de relire quelques passages du bulletin paroissial du Curé de Domqueur, Monsieur l’abbé Philippe Sulmont, prêtre de la campagne picarde1 qui dès l’année 1972, et pendant près de 40 ans, écrivit tous les mois ses réactions face à l’évolution de l’Eglise et de la société. On s’aperçoit qu’avec sa verve pittoresque, il traite les mêmes sujets que ceux que nous connaissons encore de nos jours. C’est une lecture revigorante et tonique, dont je vous livre un extrait qui vous fera sans doute sourire.

 

Mai 1975 

Il n’y a peut-être pas aujourd’hui beaucoup plus d’athées véritables qu’il y en avait jadis, mais le nombre est énorme des gens « distraits de Dieu » (Tresmontant). Les « distractions » sont innombrables. Les manières d’occuper ses loisirs sont infiniment variées sur terre et sous terre, au bord de l’eau, sur l’eau et sous l’eau, sur la neige et sur la glace, dans les airs et sur la lune.

Il est loin le temps où l’Evangile n’avait à signaler comme distraction dommageable à la religion que le fait d’avoir acheté trois bœufs ou le fait de se marier.

Le grain de la Parole de Dieu a aujourd’hui neuf chances sur dix de tomber au milieu des broussailles touffues : forêts de skis, de drapeaux olympiques et de bien d’autres choses…

L’esprit de renoncement, de sacrifice, la modération des plaisirs…, la vertu de tempérance en un mot devient d’urgente nécessité si l’on veut que la pensée de Dieu trouve encore une petite place et qu’une vraie joie vienne illuminer ces occupations et tous ces plaisirs qui, sans Dieu, seront bien vite sentis comme creux et sans but.

 Etonnamment d’actualité, ne trouvez-vous pas ?

 

1Bernard GOULEY, Un curé picard en campagne, Fayard, 1978