Ad Petrum : San Pietro al Monte de Civate

Au sommet d’une montagne escarpée sur la commune de Lecco en Lombardie (Italie du nord), se tient l’inaccessible abbaye romane de San Pietro al Monte de Civate. Uniquement accessible via un chemin de randonnée d’une heure minimum sur un dénivelé de 300m, c’est une véritable ascension qu’il faut réaliser pour atteindre cette abbaye bénédictine reculée, en haut de la montagne, dont la fondation remonte au VIIIe siècle.

Origines du monastère 

C’est au dernier roi des Lombards, Desiderius, que la légende attribue la fondation d’un monastère bénédictin en 772, sur la montagne de Civate, en reconnaissance pour la guérison miraculeuse de son fils Adelphe, devenu aveugle au cours d’une chasse au sanglier. Recueilli par un ermite installé en haut de la montagne, il est guéri miraculeusement par l’eau d’une source qui coulait à côté de son ermitage.

Le premier édifice, érigé à la demande de Desiderius, est par la suite intégralement reconstruit au XIe siècle à l’initiative d’Arnulphe, évêque de Milan. Nommé par l’empereur germanique et non par le pape, il fut d’abord déposé pour simonie avant de devenir lui-même un grand réformateur au service du pape Urbain II. Il fit le choix de se retirer à Civate à la fin de sa vie, en pénitence pour l’expiation de ses péchés. A cette occasion, l’axe de l’église est inversé. L’abside et donc l’autel sont déplacés à l’ouest, tandis que l’ancienne abside est transformée en narthex, espace d’accueil pour les pénitents et les catéchumènes, aménagé, dans la plupart des édifices paléochrétiens et médiévaux.

Les peintures murales

Le complexe monastique est actuellement composé de l’église abbatiale elle-même, de l’oratoire Saint-Benoit, autour duquel les moines étaient ensevelis, et de quelques vestiges des bâtiments monastiques aujourd’hui transformés en gîtes à destination des pèlerins et des randonneurs. Après sa construction au XIe siècle, elle est ornée de peintures murales d’une qualité remarquable, dont une large part nous est parvenue, notamment dans le narthex, à l’entrée de l’église.

A l’extérieur, au-dessus du portail, une traditio legis et clavium accueille le pèlerin. Rappelant le pouvoir de lier et délier les péchés donné à saint Pierre par le Christ lui-même, elle présente le Christ au centre, en train de donner les clefs à saint Pierre et la loi, sous forme d’un parchemin, à saint Paul, car Pierre et Paul ne vont jamais l’un sans l’autre.

Une fois rentré, le pèlerin se voit « arrosé » par les quatre fleuves du Paradis, représentés de façon allégorique sous la forme de petits hommes déversant le contenu de leurs outres en direction du sol, et donc du pèlerin qui vient de franchir le seuil de l’église. Sur la portion de voûte précédente, le Christ, accompagné de l’Agneau, trône au centre d’une enceinte quadrangulaire à douze portes, la Jérusalem Céleste. A ses pieds une source jaillit, c’est la source de Vie, Fons Vitae, en référence au baptême. Dans le livre qu’il tient de sa main gauche sont inscrits les mots latins : Qui sitit veniat (Apo 22, 17), « Que celui qui a soif vienne ». Avoir la volonté de se laver de ses péchés semble la condition sine qua non pour pénétrer dans l’édifice. A droite sur le mur, probablement en référence à l’histoire personnelle d’Arnulphe, le pape saint Marcel réintègre les lapsi, ces chrétiens, dont des évêques, qui, au cours des premiers siècles, avaient abandonné la foi par peur des persécutions politiques de Dioclétien.

La nef a en grande partie perdu son décor peint. Seul subsiste le récit magistral du chapitre 12 de l’Apocalypse, relatant le combat de la femme contre le dragon. Placé sur le mur oriental, juste au-dessus de l’entrée, il n’est donc visible qu’en sortant. Enfin, dans les absidioles latérales, respectivement dédiées aux anges et aux saints, et qui encadrent l’entrée, les peintures présentent les différents ordres angéliques et les différentes catégories de saints.

Aller à Saint-Pierre 

L’occupation monastique des lieux fut courte. Dès le XIIe siècle, en raison d’un conflit opposant l’empereur germanique Frédérique Barberousse à la commune de Milan, siège de l’évêché, les moines s’installent dans la vallée. Seuls quelques-uns d’entre eux demeurent dans la montagne pour accueillir les pèlerins de passage. Le sanctuaire conserve malgré tout sa vocation pénitentielle. Chacun monte à Saint-Pierre pour renouer avec Dieu et se laver de ses péchés, d’où la « douche » imposée à l’entrée par les quatre fleuves du Paradis.

Il y est également beaucoup question des clefs de saint Pierre, en rapport avec le sacrement de pénitence puisque la traditio legis représentée au-dessus du portail, réapparaît au-dessus de l’autel, sur la face orientale d’un imposant ciborium mi-sculpté, mi-peint. Le nom de Civate lui-même viendrait du latin clavis, désignant les clefs. Enfin, le monastère revendique la garde des précieuses reliques à savoir les clefs de saint Pierre, particulièrement imposantes, en fer forgé, même s’il est évident que saint Pierre ne reçut pas littéralement les clefs du Paradis et qu’il est peu probable que le Paradis dispose littéralement de telles portes. Mais on comprend l’idée, les clefs rappellent avant tout le pouvoir de lier et délier les péchés accordé à saint Pierre et dont chaque pécheur en quête de rémission espère la délivrance.

Conclusion 

Le chemin escarpé qu’il faut gravir, parfois sous des tonneaux de pluie, montre bien qu’aujourd’hui comme hier la rémission de ses péchés ne s’obtient pas confortablement depuis son canapé. L’ascension de San Pietro al Monte de Civate dans un esprit de pénitence est évidemment acte de volonté en plus d’être une épreuve physique. Mais quelle joie devait animer le cœur des pèlerins lorsqu’à la satisfaction d’être parvenus au sommet, s’ajoutait la délivrance de l’âme qui reçoit le pardon de ses péchés. Chacun y renouait avec Dieu, enthousiasmé c’est-à-dire littéralement rempli de Dieu comme au jour de son baptême.

Une médiéviste

 

Saint Joseph, discret dans les arts comme dans la vie

S’il est un personnage dont la présence dans l’art a connu de grandes évolutions, c’est bien saint Joseph ! Nul aujourd’hui n’imagine une Sainte Famille sans Joseph et nulle famille ne prive son foyer d’une Sainte Famille. Pourtant, le père nourricier du Christ fut pendant longtemps presqu’invisible aux yeux des hommes et, pendant toute la période médiévale, il ne bénéficia pas spécialement d’un culte propre. Il faut attendre le XIVe siècle pour que place lui soit faite dans l’art religieux.

 

A l’ombre de la Vierge et du Christ : une absence remarquable

L’absence primitive de Joseph dans l’art paléochrétien puis médiéval tient de sa non implication dans la conception du Christ. Pour des besoins dogmatiques, dans un contexte où les hérésies étaient nombreuses, sa place devait demeurer en retrait. C’est ainsi que sur les Nativités, comme à Palerme, en Sicile au XIIe siècle, il est à l’écart de la Vierge et du Christ. Il tient sa tête, adoptant l’attitude du penseur, et tourne le dos à la Vierge pendant que deux sages-femmes nettoient l’Enfant-Jésus nouveau-né, suivant les traditions apocryphes. Ce dos tourné est une manière de signifier visuellement, non pas qu’il ne reconnaît pas le Christ comme Dieu, mais qu’il ne participe nullement à sa conception. Il n’a rien à voir dans sa naissance.

En dépit de cette mise à l’écart, il n’est pour autant pas exclu de la sainte Famille dont il est le gardien et le chef : il conduit la Vierge et l’Enfant en Egypte pour les mettre à l’abri du danger, il présente l’Enfant-Jésus au temple, conformément à la loi juive. Seul pécheur de la Sainte Famille, il est pourtant investi d’une mission, chargé d’accomplir les devoirs qui incombent au chef de famille.

 

Une timide apparition

L’essor du culte de saint Joseph n’arrive que tardivement. Il débute au XIIIe siècle, notamment sous l’impulsion des Franciscains. Beaucoup débattent pour déterminer s’il est le dernier des patriarches ou le premier des saints. La plupart des auteurs se contentent toutefois de le citer pour louer la Vierge. La chasteté de Joseph appuie et valorise la virginité mariale. C’est donc uniquement en tant qu’époux de la Vierge qu’il est vénéré. Il ne fait pas l’objet d’une dévotion propre, même s’il est déjà fêté à la date du 19 mars. L’expression « père putatif » du Christ, parfois utilisée comme une moquerie à son égard, est alors forgée. Bien que prêtant à rire, elle a le mérite de rappeler qu’il n’est pour rien dans la naissance du Christ.

Les différents artistes ont alors coutume d’insister sur ses préoccupations matérielles, à l’inverse de la Vierge, perpétuellement en prière. C’est en tant que tel, parfois sous les traits d’un vieillard lourdaud, qu’il apparaît entre les XIVe et XVIe siècles, notamment sur le retable de Mérode où l’Annonciation centrale est encadrée à gauche par deux donateurs priants et à droite par saint Joseph très affairé à confectionner… un piège à souris. Le contraste est presque comique entre le Fiat de la Vierge et l’activité triviale de Joseph. Mais que l’on ne s’y méprenne pas, saint Joseph n’est pas le rustre que l’on pense et son activité n’est pas dénuée de sens, elle est un clin d’œil à saint Augustin qui à plusieurs reprises utilise la comparaison de la ratière pour signifier que le Christ sur la Croix a vaincu le Diable, il l’a pris au piège de la Croix. Sous ses airs de vieillard bien occupé à ses diverses tâches matérielles, Joseph tient le rôle qui est le sien dans le mystère de la Rédemption.     

 

Saint Joseph, patron des artisans et de la bonne mort

Les travaux manuels étant sa spécialité, c’est assez naturellement que saint Joseph est par la suite représenté au travail, enseignant son métier de charpentier au Christ. Celui qui a eu le meilleur élève de tous devient également le patron des éducateurs. Et ce n’est pas un hasard si aujourd’hui c’est lui qui comptabilise le plus grand nombre d’écoles à son nom en France, devançant largement le républicain Jules Ferry.

Les développements de son culte, notamment suite aux apparitions de Cotignac (XVIIe siècle), engendrent enfin des représentations d’un autre épisode de sa vie, celui de sa mort. Joseph devient de ce fait le patron à la fois des agonisants et de la bonne mort car il est vrai qu’on peut difficilement mourir mieux entouré qu’il ne le fut. La gloire éternelle de saint Joseph est ainsi proclamée, même si, comme les justes de l’Ancien Testament, il eut certainement à patienter aux Limbes avant que le Christ ne vînt l’en délivrer.

 

Conclusion

La ferveur actuelle que beaucoup portent à saint Joseph tranche avec la discrétion initiale de son culte. En retrait, il s’est fait discret pendant des siècles pour ne pas induire en erreur sur la virginité mariale et la divinité de son Fils. Il est resté dans l’ombre, à l’image de ce que fut son existence avant que sa valeur ne soit reconnue et sa chasteté exaltée pour mieux glorifier la Vierge. Il était là, presqu’invisible mais tenant sa place de père nourricier du Christ et de gardien de la Vierge. Il est ce grand timide de l’histoire de l’art qui n’apparaît qu’après une très longue attente.

 

Une médiéviste

 

Ecrire des icônes :plus qu’un art, une science

Souvent considérées à tort comme un patrimoine propre aux orthodoxes, les icônes suscitent de nombreuses interrogations, raison pour laquelle le travail de l’iconographe, souvent appelé « peintre d’icône », est particulièrement méconnu. Pour autant, l’art c’est-à-dire la technique de l’icône, bien antérieure au schisme de Michel Cérulaire, est un patrimoine commun à l’Eglise universelle. Le terme « icône » vient du grec eikon, désignant l’image. En latin, son équivalent est imago. Avec le temps, le terme icône fut réservé à une production artistique particulière et désigne une image qui, plus que pieuse ou religieuse, est une image sacrée.

 

Aux origines des icônes 

Le judaïsme est connu pour son iconoclasme. Interdiction formelle est faite de représenter Dieu, toute représentation divine étant de fait assimilée à une idole païenne. Le rapport à l’image change dès les premiers temps du christianisme. Dieu s’étant incarné, Il a pris forme humaine. Il est donc désormais possible de le représenter sous les traits du Christ. Pour autant, il ne s’agit pas de le représenter à la manière des dieux antiques, des idoles antiques. C’est la raison pour laquelle, après que le Concile de Nicée (787) ait définitivement condamné l’iconoclasme, celles-ci sont rapidement codifiées pour éviter tout glissement.

Tandis que la pratique picturale est l’œuvre de l’artisan, la validation du thème de l’icône et de ses composantes relève du théologien. Chaque détail jusqu’à la couleur des vêtements reçoit un sens particulier qu’il s’agit de respecter afin de révéler au mieux le mystère caché d’un épisode biblique ou d’un personnage. L’icône est un traité de théologie en image, raison pour laquelle l’icono-graphe (graphein signifie écrire en grec) préfère dire qu’il « écrit une icône » et qu’il ne la peint pas. Cela requiert autant de connaissances théologiques que de savoir-faire pratique. Ecrire une icône est une autre manière, très concrète, de contempler la vérité en la traduisant dans le langage de l’image. L’évangéliste saint Luc lui-même est considéré comme le premier iconographe puisque la tradition lui attribue le premier portrait de la Vierge Marie.

 

L’esthétique de l’icône 

Le fond est donc théologique, mais qu’en est-il de la forme ? On dit souvent que les icônes ne sont pas réalistes. C’est faux ! L’icône n’est pas un art abstrait, elle reproduit en tout point la réalité mais en la codifiant. En cela elle est d’ailleurs héritière des codes esthétiques antiques notamment en matière de drapés. Ces conventions formelles sont toutefois reprises en les rigidifiant. Pourquoi ? Pour parler à l’âme plus qu’aux sens. Les formes rondes sont douces, elles parlent plus à la sensibilité. Or l’icône vise l’âme par le biais des sens. Son but n’est pas de plaire aux sens mais de parler à l’âme.

 

Vient ensuite la question de la perspective inversée. Il est vrai qu’un œil qui n’y est pas habitué sera évidemment déconcerté par les représentations architecturales en perspective inversée. Depuis le XVIe siècle et « l’invention de la perspective », les tableaux sont représentés en >>>  >>>  profondeur, de la même manière qu’un œil humain perçoit le monde extérieur. Cela implique de placer un point de fuite dans l’image. Or, dans les icônes, le point de fuite n’est pas dans l’image, il est hors de l’image, précisément en nous. Le mystère retranscrit sur la planche rayonne et se déverse en celui qui la regarde, raison pour laquelle on parle de perspective inversée. L’icône permet par excellence la contemplation.

Le respect dû aux icônes 

L’icône n’est pas une simple image pieuse, pas plus qu’une simple pratique artistique. Elle vise à rendre présent le saint sur la planche. Le traitement pictural des visages lui-même rend sensible cette « apparition » du saint : après avoir tracé les traits, l’iconographe pose une première couche de couleur verdâtre, le proplasme. C’est la couleur des ombres, également celle du cadavre. Puis progressivement il ajoute des plages de couleurs jaunes et des lumières blanches qui lui font prendre vie. Une fois que le regard est placé, le personnage est sur la planche. Certains iconographes ont d’ailleurs l’habitude de parler à leur icône. On dit même qu’au fond, c’est le saint lui-même qui est l’iconographe et l’iconographe le pinceau qui se laisse guider. Evidemment, cela n’est vrai que pour les véritables icônes, pas pour les contrefaçons commercialisées y compris en Russie et qui ne sont que de simples images collées sur une planche.

 

Enfin, l’icône n’est pas bénie, elle est consacrée. C’est cette consécration qui rend le saint présent, à travers son image. Raison pour laquelle il ne faut pas manquer de saluer les icônes lorsque vous passez devant elles. Elles sont également consacrées pour faire des miracles. Certaines icônes, comme celle de Notre-Dame du Perpétuel Secours, sont par ailleurs qualifiées de « miraculeuses ». De même, l’icône de la Mère de Dieu du Signe, portée en procession par les habitants de Novgorod au XIIe siècle, protégea la ville d’un siège dans le cadre de la querelle opposant les novgorodiens à leurs voisins souzdaliens.

 

Conclusion 

L’icône est donc l’image sainte par excellence, le meilleur vecteur visuel pour contempler la Vérité divine. Pour autant elle ne rend pas caduques les autres formes d’art religieux, loin de là. Chaque époque connaît sa sensibilité artistique et finalement l’artiste exprime avec son propre style le Beau qu’il contemple, à sa manière. C’est un peu comme en musique : il y a le grégorien, musique sacrée par excellence. Cela ne rend pas laide ni mauvaise la musique classique, ni les cantiques populaires chantés à la sortie des messes. Il en est de même pour les images. Ecrire une icône, c’est contempler avec ses mains.

 

Une médiéviste

 

Les litanies de la Vierge dans l’art

La Vierge a toujours occupé une place à part dans l’art religieux. Qu’il s’agisse de relater les principaux épisodes de sa vie, d’exalter ses vertus, ou d’honorer ses apparitions, rien n’est jamais trop beau pour rendre gloire à notre Mère du Ciel. Parmi les thématiques mariales méconnues, se trouve notamment l’illustration des litanies de la Sainte Vierge.

Les litanies de la Vierge 

Les premières litanies de la Vierge seraient apparues au XIIe siècle à Lorette, en Dalmatie, sur les bords de la mer Adriatique, où la tradition rapporte que la maison de la Vierge, celle de Nazareth, où l’ange Gabriel lui était apparue, aurait été rapportée par les Croisés en 1291, ou miraculeusement transportée par des anges. C’est en ce sanctuaire de Lorette que se répand d’abord la pratique des litanies mariales. A l’origine il s’agissait de simples invocations telles que « Sancta Maria », « Ave Domina », suivies du traditionnel « Ora pro nobis ». Progressivement les litanies s’étofferont, augmentant sans cesse les titres et vertus attribués à la Vierge, au point qu’une multitude de variantes voient le jour. La version définitive, celle que nous connaissons aujourd’hui, est fixée au XVIe siècle. Sixte V accorde une indulgence à qui les récite en 1587, puis Clément VIII en 1601 unifie les pratiques en fixant la liste officielle.

Sa mise en image 

Du fait de leur fixation tardive, leur représentation ne remonte pas avant le XVIe siècle. Quelques gravures en présentent une liste complète associée d’une illustration. Dans chaque case, la Vierge est, soit remplacée par un symbole comme la Turris eburnea (tour d’ivoire) ou Stella matutina (étoile du matin), soit représentée avec un attribut spécifiant la vertu mise en avant. Ainsi la Mère du Sauveur (Mater Salvatoris) tient son fils arborant la Croix dans ses bras, ou la Vierge prudente (Virgo prudens) est munie d’une lampe allumée à la manière des vierges sages.

Plus régulièrement, c’est la Vierge des litanies qui remplace l’illustration des litanies elles-mêmes. Celles-ci sont alors réduites au nombre des métaphores héritées de l’Ancien Testament mettant en avant les principales vertus de la Vierge : Puits d’eau vive, Tour de David, Tige de Jessé fleurie, Miroir sans tâche, Cité de Dieu, Comme le lis entre les épines, etc… Sur un retable de Bayeux, ou dans certains manuscrits, la Vierge apparaît ainsi au centre d’un halo lumineux, entourée de différents symboles, la plupart étant identifiés par un phylactère. On y retrouve la rose mystique, la porte des cieux, l’échelle du salut, etc…                  

La célébration de l’Immaculée Conception

Sur certaines représentations, la Vierge centrale est toutefois remplacée par sainte Anne, sa mère, tenant sa fille et l’Enfant-Jésus entre ses bras. C’est le cas notamment dans un livre d’heures conservé à Beauvais. L’ajout de sainte Anne aux litanies s’explique par la volonté de mettre en avant sa pureté dès sa conception, son caractère immaculé dès avant sa naissance. Cette exaltation du caractère immaculé de la Vierge prend un autre tournant au XIXe siècle, à la faveur de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception. En 1883, le Regina sine labe concepta devient même le Regina sine labe originali concepta. Les litanies elles-mêmes proclament de manière plus nette le dogme. Le XIXe siècle, si prompt à la proclamer immaculée, ne manquera pas d’orner églises et chapelles de ses armes en ajoutant ses litanies sur les vitraux ou sur les peintures dans l’intrados d’une arcade. Peu d’églises du XIXe siècle semblent avoir échappé au phénomène.

 Conclusion

Depuis, la liste des litanies s’est encore allongée. En 1883, l’invocation Reine du Très Saint Rosaire est ajoutée aux litanies, puis en 1903, c’est au tour de la Mère du Bon Conseil. En pleine guerre, en 1917, elle devient Reine de la Paix avant d’être proclamée Regina in caelum assumpta (Reine montée aux Cieux) en 1950.

 

Une médiéviste

 

L’Angélus de Millet ou quand le travail cesse

Notez-bien que de nombreuses illustrations parsèment ce texte. Vous les retrouverez sur notre version papier ou sur la revue complète, téléchargeable gratuitement :  https://foyers-ardents.org/wp-content/uploads/2024/08/Composition-FA-47-site.pdf

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Chaque jour à 07h00, 12h00 et 19h00, les cloches retentissent. C’est l’Angélus. Chacun cesse son travail et se recueille un instant. Le monde se met en pause. C’est ce que décrit le célèbre tableau du peintre symboliste Jean-François Millet, réalisé entre 1857 et 1859, aujourd’hui exposé au Musée d’Orsay à Paris. Particulièrement connu, ce tableau présente un paysan et sa femme, recueillis dans les champs, alors qu’ils ramassent les pommes de terre.

Millet, le peintre du travail aux champs

Millet est connu pour ses tableaux mettant en scène les travaux des champs. Il a notamment peint Les glaneuses (1857), La récolte de pommes de terre (1855) et d’autres tableaux à thématiques rurales. Il peint notamment La plaine de Chailly en 1862, s’inspirant de la campagne environnant le hameau de Barbizon où il s’est installé. Le choix de l’Angélus s’inscrit donc dans cette série de tableaux à thématique paysanne où l’artiste dépeint le quotidien laborieux des paysans qu’il côtoie. Cette campagne lui sert de cadre également pour peindre l’Angélus. En arrière-plan, le clocher est celui de Chailly-en-Brière, paroisse voisine de Barbizon. Le soir tombe, répondant à l’appel des cloches, Monsieur a planté sa fourche dans le sol pour retirer son chapeau. A ses côtés, Madame a joint les mains sur son cœur. Tous deux inclinent la tête pieusement. A leurs pieds, un panier de pommes de terre attend d’être déversé dans la brouette. Leur attitude est simple et révèle toute la beauté de cette piété populaire.

Un souvenir d’enfance

Interrogé sur les raisons qui l’ont poussé à mettre en scène la piété paysanne, Jean-François Millet répondait qu’il s’agissait de peindre un souvenir d’enfance : « L’Angélus est un tableau que j’ai fait en pensant comment, en travaillant autrefois dans les champs, ma grand-mère ne manquait pas, en entendant sonner la cloche, de nous faire arrêter notre besogne pour dire l’Angélus pour ces pauvres morts.» Bien que l’Angélus célèbre l’Incarnation et le Fiat de la Vierge Marie lors de l’Annonciation, aux yeux de Millet cette prière commémore le souvenir de sa grand-mère défunte qui, elle-même, interrompait son travail au son de la cloche pour remercier le Seigneur. C’est peut-être ce souvenir qui le conduit à penser que cette prière est récitée en l’honneur des défunts alors qu’il n’en est rien. Intervenant aux trois heures de la journée correspondant aux offices monastiques des Laudes, de Sexte et des Complies, la cloche de l’Angélus invite chacun à mettre son travail en pause pour remercier le Seigneur. Ce faisant, elle rappelle à chacun ses fins dernières et la primauté de la prière sur le travail. Ayant lui-même prié l’Angélus avec sa grand-mère, Millet honore sa mémoire par ce tableau.

L’Angélus après Millet

Si Millet est le premier à peindre le rituel de l’Angélus, il ne reste pas seul à faire sienne cette thématique à la fois paysanne et religieuse. A sa suite d’autres artistes s’emparent du thème. C’est le cas de Jean Laronze qui, dans un tableau intitulé l’Angélus, conservé également au Musée des Ursulines de Mâcon, met en scène une famille de pêcheurs dans la même attitude de recueillement. Au milieu d’un fleuve où ils sont en train de pêcher, une famille se recueille, debout dans la barque qui leur sert d’embarcation.

Dans le même esprit, Georges Dupré réalise vers 1904 des plaques en bronze conservées au Musée d’Orsay, reprenant cette thématique : un bouvier en prière devant sa charrue, une femme gardant les brebis assisse avec son enfant, etc… Aux XIXe-XXe siècles, connus pour leur forte industrialisation, l’Angélus devient un thème artistique à part entière mettant à l’honneur la simplicité de la piété paysanne et la paix qu’elle apporte aux alentours.

Conclusion

L’Angélus, cette prière dont la pratique remonte au Moyen-Âge, a donc attendu quelques siècles avant de devenir un thème artistique reconnu. A la fois religieux et paysan, l’Angélus est aussi une thématique familiale. Quel que soit le tableau, l’Angélus y est dépeint comme un moment de recueillement familial ponctuant une journée de travail. Il est un instant de paix qui invite chacun à s’unir par la prière pour louer le Seigneur et offrir à Dieu son travail.

 

Une médiéviste au XXIe siècle