Souvent considérées à tort comme un patrimoine propre aux orthodoxes, les icônes suscitent de nombreuses interrogations, raison pour laquelle le travail de l’iconographe, souvent appelé « peintre d’icône », est particulièrement méconnu. Pour autant, l’art c’est-à-dire la technique de l’icône, bien antérieure au schisme de Michel Cérulaire, est un patrimoine commun à l’Eglise universelle. Le terme « icône » vient du grec eikon, désignant l’image. En latin, son équivalent est imago. Avec le temps, le terme icône fut réservé à une production artistique particulière et désigne une image qui, plus que pieuse ou religieuse, est une image sacrée.
Aux origines des icônes
Le judaïsme est connu pour son iconoclasme. Interdiction formelle est faite de représenter Dieu, toute représentation divine étant de fait assimilée à une idole païenne. Le rapport à l’image change dès les premiers temps du christianisme. Dieu s’étant incarné, Il a pris forme humaine. Il est donc désormais possible de le représenter sous les traits du Christ. Pour autant, il ne s’agit pas de le représenter à la manière des dieux antiques, des idoles antiques. C’est la raison pour laquelle, après que le Concile de Nicée (787) ait définitivement condamné l’iconoclasme, celles-ci sont rapidement codifiées pour éviter tout glissement.
Tandis que la pratique picturale est l’œuvre de l’artisan, la validation du thème de l’icône et de ses composantes relève du théologien. Chaque détail jusqu’à la couleur des vêtements reçoit un sens particulier qu’il s’agit de respecter afin de révéler au mieux le mystère caché d’un épisode biblique ou d’un personnage. L’icône est un traité de théologie en image, raison pour laquelle l’icono-graphe (graphein signifie écrire en grec) préfère dire qu’il « écrit une icône » et qu’il ne la peint pas. Cela requiert autant de connaissances théologiques que de savoir-faire pratique. Ecrire une icône est une autre manière, très concrète, de contempler la vérité en la traduisant dans le langage de l’image. L’évangéliste saint Luc lui-même est considéré comme le premier iconographe puisque la tradition lui attribue le premier portrait de la Vierge Marie.
L’esthétique de l’icône
Le fond est donc théologique, mais qu’en est-il de la forme ? On dit souvent que les icônes ne sont pas réalistes. C’est faux ! L’icône n’est pas un art abstrait, elle reproduit en tout point la réalité mais en la codifiant. En cela elle est d’ailleurs héritière des codes esthétiques antiques notamment en matière de drapés. Ces conventions formelles sont toutefois reprises en les rigidifiant. Pourquoi ? Pour parler à l’âme plus qu’aux sens. Les formes rondes sont douces, elles parlent plus à la sensibilité. Or l’icône vise l’âme par le biais des sens. Son but n’est pas de plaire aux sens mais de parler à l’âme.
Vient ensuite la question de la perspective inversée. Il est vrai qu’un œil qui n’y est pas habitué sera évidemment déconcerté par les représentations architecturales en perspective inversée. Depuis le XVIe siècle et « l’invention de la perspective », les tableaux sont représentés en >>> >>> profondeur, de la même manière qu’un œil humain perçoit le monde extérieur. Cela implique de placer un point de fuite dans l’image. Or, dans les icônes, le point de fuite n’est pas dans l’image, il est hors de l’image, précisément en nous. Le mystère retranscrit sur la planche rayonne et se déverse en celui qui la regarde, raison pour laquelle on parle de perspective inversée. L’icône permet par excellence la contemplation.
Le respect dû aux icônes
L’icône n’est pas une simple image pieuse, pas plus qu’une simple pratique artistique. Elle vise à rendre présent le saint sur la planche. Le traitement pictural des visages lui-même rend sensible cette « apparition » du saint : après avoir tracé les traits, l’iconographe pose une première couche de couleur verdâtre, le proplasme. C’est la couleur des ombres, également celle du cadavre. Puis progressivement il ajoute des plages de couleurs jaunes et des lumières blanches qui lui font prendre vie. Une fois que le regard est placé, le personnage est sur la planche. Certains iconographes ont d’ailleurs l’habitude de parler à leur icône. On dit même qu’au fond, c’est le saint lui-même qui est l’iconographe et l’iconographe le pinceau qui se laisse guider. Evidemment, cela n’est vrai que pour les véritables icônes, pas pour les contrefaçons commercialisées y compris en Russie et qui ne sont que de simples images collées sur une planche.
Enfin, l’icône n’est pas bénie, elle est consacrée. C’est cette consécration qui rend le saint présent, à travers son image. Raison pour laquelle il ne faut pas manquer de saluer les icônes lorsque vous passez devant elles. Elles sont également consacrées pour faire des miracles. Certaines icônes, comme celle de Notre-Dame du Perpétuel Secours, sont par ailleurs qualifiées de « miraculeuses ». De même, l’icône de la Mère de Dieu du Signe, portée en procession par les habitants de Novgorod au XIIe siècle, protégea la ville d’un siège dans le cadre de la querelle opposant les novgorodiens à leurs voisins souzdaliens.
Conclusion
L’icône est donc l’image sainte par excellence, le meilleur vecteur visuel pour contempler la Vérité divine. Pour autant elle ne rend pas caduques les autres formes d’art religieux, loin de là. Chaque époque connaît sa sensibilité artistique et finalement l’artiste exprime avec son propre style le Beau qu’il contemple, à sa manière. C’est un peu comme en musique : il y a le grégorien, musique sacrée par excellence. Cela ne rend pas laide ni mauvaise la musique classique, ni les cantiques populaires chantés à la sortie des messes. Il en est de même pour les images. Ecrire une icône, c’est contempler avec ses mains.
Une médiéviste