Une complémentarité équivoque

La complémentarité entre l’homme et la femme a été si bien pensée et voulue par Dieu qu’on la retrouve, active, à chaque étape de l’histoire humaine :

  • Complémentarité entre Adam et Eve dans le péché et la chute,
  • Complémentarité entre le Christ et sa Mère dans l’œuvre de Rédemption,
  • Complémentarité entre Joseph et Marie dans la famille et la parentalité.

1. La chute

Le récit de la Genèse montre bien que le serpent est venu tenter l’homme et la femme séparément, individuellement et avec un même argument : celui de la désobéissance à Dieu. C’est le désir d’égaler Dieu dans sa toute-puissance qui fit tomber Ève (« Vous serez comme Dieu, connaissant le Bien et le Mal ») : cette proposition du serpent, en faisant d’elle dans le couple l’initiatrice de cet affranchissement, lui offrait l’occasion de prendre l’ascendant sur Adam, inversant l’ordre de la création qui l’avait fait naître d’une de ses côtes. Adam, de son côté, n’hésita pas une seconde à manger le fruit défendu que lui proposait Ève, pensant échapper à la colère de Dieu par son statut, sans songer un seul instant qu’être créé directement par Lui à partir d’une poignée d’argile n’est pas plus méritant que de l’être, comme le fut Ève, à partir d’une de ses côtes. Chez l’un comme chez l’autre, le même orgueil, la même inconséquence et la même irresponsabilité lorsque l’une accuse le serpent, l’autre sa compagne, sans envisager qu’ils auraient pu trouver la force de résister à la tentation en pratiquant la vertu d’obéissance que Dieu attendait d’eux. Cette complémentarité se retrouve dans le châtiment qui leur est infligé : l’une devra souffrir pour transmettre la vie, l’autre suer pour subvenir à leur besoin. On comprend qu’une complémentarité harmonieuse entre l’homme et la femme ne pourra advenir à nouveau sans une réconciliation personnelle de l’un et de l’autre avec Dieu Lui-même.

2. La rédemption

Restaurer la ressemblance avec le Père, telle est l’œuvre de Rédemption à laquelle la nouvelle Ève et le nouvel Adam doivent collaborer. Comme Marie donne toute son humanité à son Fils, Jésus comble sa Mère de sa Divinité, et tous deux réparent dans leur obéissance le péché qui était entré dans le monde par la désobéissance du couple initial. (Voir Saint Irénée, Contre les Hérésies, III, 22-24). A travers cette œuvre, chaque homme et chaque femme se voit en proposer le salut, à condition de se reconnaître pécheurs et d’être sincèrement pénitents. Chacun peut retrouver, du Fils, la Paternité (« Nul ne vient au Père que par Moi »), de Marie, la Maternité (« Homme, voici ta Mère »). Cette complémentarité entre Jésus et sa Mère se retrouve dans celle entre le Christ et son Église, et se perpétue dans l’action réparatrice des sacrements qu’elle donne à l’humanité pècheresse au fil de chaque année liturgique.

3. La sainte famille

Les tribulations de la Sainte Famille nous montrent que c’est encore à travers cette complémentarité que se joue le destin de l’humanité. La chasteté dans le mariage chrétien n’est rien d’autre, en effet, que la restauration de la complémentarité de chaque sexe avec Dieu, elle-même aussi nécessaire à la perpétuation de l’espèce que l’acte de procréation lui-même. Voilà qui donne tout son sens à la préparation au mariage chrétien, préparation à laquelle le démon s’est attaqué avec virulence à travers la libération sexuelle, l’émancipation des volontés, le culte de l’égalitarisme, la célébration de l’avortement, de l’union libre et de l’homosexualité, les revendications à la procréation assistée sous toutes ses formes, la théorie du genre enseignée à des enfants en guise de catéchisme, etc… Dans tous les cas, c’est bien la Paternité et la Maternité qu’incarne la Sainte Famille qui sont visées, outragées et niées, par la fureur de l’orgueil et la démence de l’athéisme. Nous parvenons sans doute au stade ultime de cette fuite en avant avec les projets du transhumanisme et de la cybernétique, où se retrouvent associés les rêves fous d’une procréation maîtrisée par la science et d’une intelligence asservie à la technologie ; c’est-à-dire, dans toute son abomination, le consentement de nations jadis catholiques au mensonge initial du vieux serpent.

4. « Une Ethique révisable »

La réflexion philosophique des encyclopédistes du XVIIIe siècle concernant la nature de l’homme et de la femme postulait encore une égalité et une complémentarité entre eux (égalité quant à « leur nature commune », complémentarité quant à leur « fonction »). Mais pour les actuels apprentis-sorciers des NBIC1, la procréation, fondement de cette complémentarité naturelle, devient une affaire dont il faut redéfinir les fondements moraux afin de pouvoir mettre la main définitivement dessus. C’est pourquoi la liquidation de toute foi en la Surnature constitue le mot d’ordre des concepteurs d’une nouvelle bioéthique, où ne subsistent que les droits de l’individu, lui-même, si possible, réduit à des formes de dépendance psychologique, sexuelle et mentale déterminées par la loi. Dans le chapitre « Questions d’éthiques » qui clôt l’ouvrage qu’il signa avec le mathématicien Alain Connes, le neurologue Jean Pierre Changeux plaidait, il y a déjà trente ans, pour une « morale naturelle, rationnelle et révisable2 ». Les comités internationaux de bioéthique sont ainsi chargés de légitimer cette fameuse et universelle réinitialisation des esprits, cette réforme de l’entendement3 qui puise ses racines dans la haine de Dieu, de l’Église et du catholicisme millénaire. Alain Graesel, grand maître de la Grande Loge de France de 2006 à 2009 et président de la Confédération internationale des Grandes Loges Unies d’Europe depuis 2010, déclarait à ce sujet en 2016 :

« Les problèmes philosophiques, éthiques et humains qui vont se poser sont considérables et aucune réponse appropriée n’existe à ce jour. Nous sommes pratiquement au point zéro en ce domaine. Les maçons de toutes obédiences ont là un thème de réflexion riche de perspectives4. »

C’est donc la conception même de cette complémentarité, certes rendue équivoque par le péché originel, mais qui appartient fondamentalement au Bien commun, qui se trouve aujourd’hui remise en cause et menacée. Elle doit donc être expliquée, préservée, transmise et entretenue. Quant aux idéologies mortifères et aux lois contre-nature qui la contestent, tout homme sensé ne peut que les combattre. Qui, mieux que chaque catholique, peut se positionner correctement dans le combat politique à mener ? Car la victoire face à de tels ennemis ne se réalisera pas hors de l’Eglise du Christ, ni sans l’assistance des Cœurs Sacré de Jésus et Immaculé de Marie.

 

G. Guindon

1 Acronyme de nanotechnologies, biotechnologies, sciences de l’information, sciences cognitives

2 Jean Pierre Changeux et Alain Connes, Matière à pensée, Odile Jacob, 1989

3 Le mot est de Spinoza dans son Tractatus de intellectus emendatione, 1660. Reprenant la tradition rabbinique, il appelait de ses vœux une « emendatio intellectus » (une réforme de l’entendement), fondée sur la confiance dans la puissance de l’esprit humain pour la résolution des plus hautes questions, sans le secours d’une grâce surnaturelle. Il s’agissait d’extirper tout appel à une forme de transcendance, en réduisant le champ acceptable de la connaissance au seul domaine de ce que les sciences physique et mathématique peuvent démontrer de la réalité.

4 GLDF : introduction à la conférence de Jean-Pierre CHANGEUX Transhumanisme, l’homme augmenté,  le 9 avril 2016 à Paris.

 

Ecologie

 

Quand la Nature devient toute une histoire…

Un jour, la riante rivière de mon enfance, honteusement draguée et nivelée en aval d’une usine chimique, se mua pour jamais en un morne, gris et navrant canal. J’avais une dizaine d’années. Familier de ses moindres lacets, courants, trous d’eaux, j’avais tiré de la limpidité de ses eaux maints goujons, brochets, tanches et poissons-chats. Si l’industrie humaine avait pu ruiner à ce point « ma rivière », je comprenais qu’elle ne se priverait guère d’agir partout avec une même insolence. Les Anciens, me racontait-on au collège, considéraient la Nature comme un domaine enchanté. C’est en son sein mystérieusement peuplé de dieux immortels que se déroulait l’Histoire édifiante d’hommes prosaïquement mortels. Le dieu de « ma » rivière, hélas, pas mieux que moi, n’avait su la protéger de l’action toxique de ces derniers… Pire ! De marées noires en déforestation sauvage, une génération d’hommes, plus irréligieux encore que les païens de l’Antiquité, instrumentalisait impunément une Création, à leurs yeux devenue au mieux un objet d’étude, au pire un simple produit. La dévastation allait prendre un tour planétaire.

Après Hiroshima et Nagasaki, le monde entier avait admis que la fin historique de la planète et celle de l’humanité pouvaient devenir soudainement concomitantes, au gré de la folie de quelques dirigeants. Ainsi, l’antique et raisonnable distinction établie entre la force d’une Nature immortelle et la précarité d’une humanité mortelle volait en éclat. Et la philosophe Hannah Arendt pouvait écrire : « Nous avons commencé par agir à l’intérieur de la Nature, comme nous agissions à l’intérieur de l’Histoire (…). Dès le moment où nous avons commencé à déclencher des processus naturels de notre cru, et la fission de l’atome est précisément un tel processus naturel engendré par l’homme, nous avons capté la nature dans le monde humain en tant que tel, nous avons manifestement commencé à transporter l’imprévisibilité qui nous est propre dans le domaine même que nous pensions régi par des lois inexorables1.» En s’engouffrant dans notre histoire, la planète s’est mise à développer aussi une forme d’existence idéologique, et à devoir affronter l’éventualité de sa propre mort.

Quand la planète devient une personne…

La décennie des années soixante vit proliférer dans les campus universitaires la contestation anti-nucléaire. Quoi d’étonnant à ça ? Ainsi posée dans la champ intellectuel occidental, la question de l’environnement prenait une dimension à la fois plus conceptuelle et globale : on pensa la terre comme un macro-organisme individuel doté d’un statut de personne morale, et l’humanité tout entière comme « une seule famille ». La préservation de la planète, conçue telle une victime de l’activisme humain et une idole à vénérer, s’imposa dans le champ politique et sociétal, à travers la mode, la musique, le cinéma et la vie associative. Créée en 1970, Les Amis de la Terre d’Alain Hervé2 devint en quelques années la succursale hexagonale de la très influente Friends of the Earth du californien David Brower3. Le situationniste Guy Debord fut l’un des premiers à mettre en rapport la question de la pollution avec celle de la révolution. Dans ce qu’il appelle le Spectacle, c’est-à-dire la mise à distance idéologique d’avec le réel ordinaire des gens, la dimension collective de l’une comme de l’autre fait qu’elles échappent autant à l’action individuelle qu’à la gouvernance des nations, pour devenir, entre les mains de ceux qui intriguent, un moyen de contrôle des sociétés et de conditionnement des individus aussi efficace que redoutable4. Dès lors que « Dieu est mort », la terre, n’est-ce pas la seule chose que « nous ayons en commun » ? Sauver la planète devient ainsi le mot d’ordre idéal sur lequel asseoir la cause révolutionnaire d’une écologie qui prétend organiser les conditions de l’existence heureuse des masses, à un niveau à la fois globalisé et communautarisé…

Quand les gens ordinaires menacent la maison commune…

Pour conditionner le plus grand nombre au programme de cette doxa verte, il restait à démontrer que non seulement un éventuel recours à l’arme atomique, mais surtout la simple vie ordinaire des gens manifeste en soi une atteinte à la survie de la planète : la propagande pour le réchauffement climatique et toutes les conséquences absurdes sur le quotidien qu’elle justifiait fut mise en place en quelques décennies. Telle fut la mission d’organismes internationaux comme le GIEC et ses multiples relais ou ramifications dans les gouvernements, les think tanks et les médias. Grâce à de prétendues expertises, l’oligarchie développa nombre de moyens technologiques et législatifs pour imposer sa conception d’une nouvelle citoyenneté mondiale fondée sur ses préceptes et réussir ainsi une sorte d’OPA sur le droit légitime que les hommes ont de posséder la nature et d’y organiser leur destin. Ainsi réduite à la simple cause de l’environnement, la question du respect de la Création de Dieu ne se pose plus aux jeunes générations, hélas, qu’en termes de recommandations, procédures, normes, chartes et réglementations internationales : le pape François lui-même évoqua étrangement à ce propos la nécessaire sauvegarde de la « maison commune », expression dont nul n’ignore les connotations maçonniques5. Il s’agit de placer le comportement de chacun en adéquation avec le projet idolâtre de cette prétendue préservation, institué par les agents du Nouvel Ordre Mondial. Au nom de ce dogme totalitaire, une simple promenade en forêt vous sera interdite sous prétexte de canicule, tout comme au titre d’une prétendue pandémie, on vous ferma l’accès aux plages. On règlementera votre consommation d’énergie, on remodèlera votre habitat, on vous fera insidieusement manger des insectes, on redéfinira pour vous de nouveaux principes éthiques qui s’énonceront dans une nouvelle rhétorique à laquelle il vous sera de plus en plus difficile d’échapper. En un mot, le gouvernement utopique que le communisme, dans ses débordements les plus caricaturaux, avait rêvé d’établir, on le mettra en place. Le paradoxe de cette construction écologique est que l’agent prédateur le plus puissant dont il dispose pour séduire les foules n’est désormais même plus un dictateur bêtement humain au masque aboyeur et grimaçant, mais un monstre cybernétique déployant partout ses informations, dont les tentacules éparses couvrent toutes les terres connues, jusqu’au fin fond des océans.

Pour finir sur une note d’espérance, concluons par une anecdote de la vie de saint Louis : alors que son embarcation se trouvait en pleine nuit dans une Méditerranée déchaînée, le roi qui fonda à Vauvert la Chartreuse de Paris s’enquit de l’heure. Et comme un prud’homme lui répondit qu’il était deux heures du matin, il répondit, joyeux : « Nous sommes sauvés ! Les Chartreux se lèvent pour prier. »

G. Guindon

1 Hannah Arendt, La Crise de la Culture, 1961

2 Alain Hervé (1932-2019), journaliste et bourlingueur, fonde le 11 juillet 1970 les Amis de la Terre-France.

3 David Brower, 1912-2002, fonde en 1969 l’ONG Friends of the Earth

4 La planète malade, Debord, 1971, p1063

5 Pape François, Encyclique Laudato si’ sur « la sauvegarde de la maison commune », mai 2015. Rappelons que l’expression désigne depuis la Révolution Française ce qu’on appelait auparavant Maisonde-Ville.  L’article 6 du décret du 20 septembre 1792 stipule que tout nouveau-né doit y être présenté : « L’enfant sera porté à la maison commune ou autres lieux publics servant aux séances de la commune ; il sera présenté à l’officier public. » Baptêmes, mariages et décès étaient auparavant inscrits sur les registres paroissiaux de l’Église catholique.

 

Réparation

Christianisme secondaire

 La récente affirmation de Roselyne Bachelot qu’il serait « impossible de conserver toutes les églises de France en raison du budget que leur entretien nécessite » découle de fait de la séparation de l’Église et de l’État, qui fit des édifices religieux la propriété de communes aujourd’hui chargées d’entretenir ce qui ne serait plus, aux yeux de l’ex-ministre de la culture, qu’un encombrant patrimoine religieux. Mais son constat témoigne surtout de ce « christianisme secondaire », subtilement analysé par Romano Amerio dans un ouvrage déjà ancien, Iota Unum, et qui est une des conséquences d’une philosophie humaniste à la manœuvre lors du concile Vatican II. L’Église post conciliaire, écrit le philosophe italien1, ne considère plus le christianisme que sous un aspect uniquement terrestre, comme un modèle de perfection civilisationnelle. On identifie le christianisme à ses effets, qui furent bien d’apporter l’ordre, la culture, la civilisation, tout en négligeant son essence, son action et ses fins surnaturelles. C’est une erreur, car le culte dû à Dieu devient secondaire par rapport à la notion moderne de patrimoine humain, qui, en traitant le catholicisme comme un fait historique, certes fondateur, paraissent le défendre, mais le font passer en réalité au second plan par rapport à ses fruits civilisationnels. Dès lors, peuvent dire certains, à quoi bon conserver toutes ces églises ? D’autant plus que ce fut la conséquence de Vatican II, de promptement les vider de la plus grande partie de leurs fidèles… Si les français réduisent le catholicisme à un héritage patrimonial, ils trahissent le culte qu’ils doivent rendre à Dieu. Jérusalem n’a-t-elle pas perdu son Temple pour n’avoir pas accepté son Messie en son sein ?

 

Eglises vandalisées

Dans le froid mordant de cet après-midi du 21 janvier 2023, jour anniversaire de l’assassinat de Louis XVI, un petit groupe de catholiques emmenés par leur abbé se rassembla devant l’église Saint-Louis-Roi de Champagne au Mont-d’or, qui venait d’être vandalisée onze jours plus tôt. L’église étant close, le chapelet de réparation fut donc récité à genoux à même les marches. La semaine précédente, l’archevêque de Lyon s’était lui-même déplacé pour célébrer un rite pénitentiel. Interrogé par la presse locale, le curé de l’église, parlant d’une « volonté manifeste d’attenter à la sainteté du lieu », avait alors donné le détail de la profanation : chemin de croix et tableaux du chœur détruits, ambon renversé, deux crucifix brisés en morceaux, des livres, des cierges, des vases jetés sur le sol, la crèche retournée et endommagée, trois vitraux significativement abîmés… L’inénarrable ministre des cultes s’était empressé de twitter son « soutien aux catholiques du Rhône ». Peu après, identifié par la vidéo-surveillance, on plaça en garde à vue un individu avant qu’un expert psychiatrique ne conclût à des « troubles du comportement » …

 

Statues indésirables

Une autre affaire concernant une statue de la Très Sainte Vierge fit parler d’elle à l’autre bout du pays. D’abord placée dans un jardin privé, elle avait été en 1983 offerte à la commune de La Flotte-en-Ré, qui l’installa à un carrefour. En 2020, une association de laïcards, La Libre  pensée 17, a saisi la justice au nom de la loi >>>  >>> interdisant l’installation de monuments à caractère religieux sur le domaine public. Le maire allégua naïvement qu’une statue de la Sainte Vierge relève de la civilisation française, au même titre que celle d’un roi ou de Napoléon, ce que le tribunal contesta en soulignant à raison la dimension éminemment religieuse de l’œuvre incriminée, dimension que l’élu faisait mine de ne plus percevoir : à trop jouer avec le feu en limitant le christianisme à une simple valeur culturelle ou nationale, voilà le résultat ! Le « christianisme secondaire » avait encore frappé, et par lui, cette idée que la pensée postconciliaire a élevé au rang d’opinion commune, « que la participation de tous les individus au gouvernement de la communauté politique serait affaire de justice naturelle ».

 

Dans le tourment de la souveraineté populaire

Pour ses adeptes, en effet, le « christianisme secondaire » serait une doctrine essentiellement démocratique ; et les principes révolutionnaires de liberté, égalité, fraternité dériveraient naturellement de cette charité chrétienne introduite dans le monde par l’Évangile de Notre Seigneur Jésus-Christ. Romano Amerio cite un document de l’épiscopat français de 1981 qui prétend même que « les principes de 1789 sont la substance du christianisme et que l’Église s’est tardivement mise à la défendre ». Donc, poursuit ironiquement Amerio, « à reconnaître sa propre substance » … On voit combien de telles allégations conduisent la raison dans les voies tortueuses du paradoxe. Car jamais l’Église de Jésus-Christ n’a supposé que l’autorité pût venir de la souveraineté populaire, ni même d’un quelconque droit humain : l’Église, au contraire, a toujours affirmé que toute autorité provient de Dieu. Mais ce concept de souveraineté populaire, à laquelle le concile a délibérément soumis l’Église contemporaine, règne dorénavant en dogme dans les esprits. Faut-il s’y accorder, lorsque le gouvernement vote des lois iniques allant contre Dieu, ou que l’épiscopat le soutient implicitement par des propos laxistes ? Peut-on encore se soumettre à ce type d’autorité sans en établir une critique intellectuelle, au risque de sombrer dans une tentation d’orgueil ou une indignation morale stérile ? La bonne posture est, me semble-t-il, de remettre le christianisme à sa place, de secondaire à « Dieu premier servi » !

 

Un combat pour le salut des âmes

La France est de Dieu ou elle n’est pas, point final ! Non, le christianisme n’est pas seulement une affaire civilisationnelle, c’est un combat pour le salut de la multitude ! Non, les principes de 89 ont été pensés en loges, jamais ex cathedra !  C’est ce qu’ont compris ces milliers d’anonymes de « La France qui prie » qui, par poignées de trois à vingt personnes, se retrouvent chaque mercredi devant un calvaire, une statue, le perron d’une église fermée, pour prier un chapelet dans l’espace public. C’est ce qu’ont compris ces autres catholiques qui, çà et là, se réunissent pour des prières de réparation à chaque fois qu’un acte christianophobe est commis quelque part. Ils tournent leur espérance vers l’Église triomphante ; l’Église triomphante ne peut se réjouir de la faiblesse de l’Église militante, mais elle est toujours prête à répandre ses grâces sur les quelques-uns déterminés à servir Dieu, qui ont compris que même si la sauvegarde des pierres compte, cette sauvegarde n’aura de sens, de mérites et d’effets que si l’on mène le combat pour le véritable enjeu apostolique : celui du salut des âmes dans le respect du magistère inaltérable de l’Église.

G. Guindon

 

1 Romano Amerio, Iota Unum, chapitre XXII, « Civilisation et christianisme secondaire », pp 412-421, NEL, 1987

2 Romano Amerio, Iota Unum, chapitre XIII, « La démocratie dans l’Eglise », pp 412-421, NEL, 1987

 

 

Pays réel ou pays virtuel ?  

« Vous avez béni, Seigneur votre pays,

Vous avez ramené les captifs de Jacob. » (Ps. 84)

 

Une forteresse assiégée ?

Pays réel : Étonnante formule ! À quelle autre s’oppose-t-elle ? Le pays bientôt virtuel ? Le pays partout communautarisé ? Le pays vendu par bribes à des intérêts étrangers ? Le pays médiatique, ses quelques experts de plateaux et ses gourous universitaires ?… Ou à tout cela, tout cela à la fois… Le pays réel serait ainsi le dernier pays capable de résister simultanément aux assauts :

  • du modernisme dans la religion,
  • du wokisme et de l’écologisme dans l’éducation,
  • du transhumanisme, du métissage et du communautarisme dans la société,
  • de la déconstruction dans l’art, la morale et la philosophie,
  • de la corruption idéologique dans la politique,
  • de Davos et consorts dans la géopolitique internationale.

 

Ce serait le territoire des irréductibles complotistes, toujours annoncés en voie d’extinction, et protestant sans cesse et sans relâche. Ce pays dont on dit qu’il est perdu, alors qu’il est partout majoritaire. Il est sûr, beau et nourricier comme une église, ce pays, scintillant de la réalité intérieure qui habite ses membres lorsqu’ils prient, lorsqu’ils rient, lorsqu’ils communient, lorsqu’ils se rencontrent, lorsqu’ils combattent ou se reposent. On croit la cité en feu, l’économie en ruine, la société en décadence : mais voici qu’à l’écart des écrans, ce pays demeure là, malgré tout, et se dresse, et rayonne. Et se rit des programmes et des agendas, des directives et des quotas de ceux qui, dans la méconnaissance du Dieu trinitaire vivant, ne parient plus que sur la victoire finale de leur pays fantasmé. Contre ce dernier, le pays réel ne pourra en réalité qu’avoir le dernier mot.

 

Pays réel et pays surnaturel :

« Comment, écrivit Barrès, ne pas aimer les personnages qui entreprennent de rétablir une magistrature suprême et de raviver le surnaturel sur les cimes de leur pays ? »1 Il serait fastidieux d’entreprendre le compte des hosties déposées, depuis le radieux commencement de la France, sur les langues de tous ses enfants agenouillés. Le catholicisme n’a pas seulement nourri les générations de ce pays, il en a fondé la réalité légitime, immuable et surnaturelle. Or, dit l’Ecriture, si quelqu’un ne demeure pas en Jésus-Christ, il est, comme le sarment, jeté dehors, et il se dessèche : « Les sarments secs, on les ramasse, on les jette au feu, et ils brûlent »2. C’est inévitablement ce qui arrivera aux adeptes du pays virtuel, du pays communautarisé, du pays vendu à des intérêts étrangers, dont il est question plus haut. Les habitants de ce « no man’s land fou », écartelés par leurs contradictions, parvenus au bout de leur violence et au terme de leur ignorance, paieront inévitablement un jour le prix de leur indifférence à Dieu ou de leur détestation de la Tradition.

Un troublant privilège nous revient, en attendant, à nous, membres de ce pays réel, c’est-à-dire de la Cité catholique. C’est celui de jouer pleinement le rôle que le Seigneur veut nous y voir jouer. Placés en une situation de survivalisme au milieu de l’instabilité des temps, il nous faut trouver les paroles justes ; provoquer les situations adéquates ; susciter les questions opportunes, afin de faire comprendre à tous ceux que l’évolution des temps inquiète, que rien, de la Tradition, n’est évidemment perdu ; à nous d’occuper avec persévérance l’espace/temps culturel et politique, tout en étant gentils dans la fermeté, efficaces dans la gratuité, inébranlables dans la charité. À nous d’aider à la conversion du plus grand  nombre d’âmes. >>> 

 

>>> Hommage à l’abbé Louis Coache :

Car ce pays réel est depuis toujours greffé à la vraie vigne, celle du Père. Je suis tombé par hasard l’autre jour sur l’enregistrement d’une Radioscopie de Jacques Chancel datée de mai 1975, dont l’invité était l’abbé Louis Coache. Évoquant au terme de l’entretien le drame des temps modernes, ce dernier posait ce diagnostic : « Dieu donne à l’homme la vie surnaturelle qui lui permet de s’approcher de lui, et le drame de cette époque, c’est qu’on n’y parle plus du surnaturel ».

Quand le pays virtuel se bornera à n’être plus, comme les mondialistes y travaillent, qu’un métavers ridiculement clos sur les chimères de ses concepteurs, le pays réel apparaîtra aux yeux de tous pour ce qu’il est : celui de la réalité réellement augmentée, parce que surnaturellement vivante, face à la mort et à la désolation que les transhumanistes auront partout semées. Déjà perce chez beaucoup de nos compatriotes la nostalgie de ce surnaturel chrétien qu’ils croient perdu et recherchent dans de mauvais endroits. C’est lui qui a toujours vivifié les âmes, guidé les espoirs, ordonné aux fins dernières les actes individuels et collectifs voulus par le Seigneur. À nous, plus que jamais, d’en témoigner, avec courage, ferveur et fierté.

 

G. Guindon

1 Barrès, La Colline inspirée, I,4

2 Saint-Jean (15, 6)

 

 

Quitter l’empire du laid  

« Venez voir la beauté, la clarté du Sauveur,

Et admirez en lui les beautés immortelles. »1

 

           L’empire du laid a si détestablement envahi les rues de nos cités qu’on peut le considérer comme l’une des manifestations les plus significatives et les plus déplorables de l’apostasie qui y règne, en lieu et place de la loi de Jésus-Christ. Le citoyen, en effet, a besoin du Beau au même titre qu’il a besoin du Juste ou du Vrai, qu’il a besoin de Dieu. Les forces maçonniques à la manœuvre dans les institutions culturelles et universitaires le savent bien qui, au nom du subjectivisme, ont sans discontinuité contesté l’objectivité du Beau et fait de la revendication du « moche » un droit pour tous. Jean Ousset dénonça en son temps cette manipulation idéologique. Il expliqua que, si la plénitude du Beau peut parfois être difficile à percevoir, « cela ne diminue en rien son caractère objectif, tout comme le caractère objectif d’une découverte scientifique ne saurait être contesté, sous prétexte que ladite découverte fut particulièrement compliquée.»2 Contester le caractère objectif du Beau, autour duquel s’était construite une forme de lien social pérenne et de décence esthétique commune, revient donc non seulement à précipiter la déconstruction de ce lien et l’abandon de cette décence, mais surtout à ériger le laid comme mode d’expression privilégié de tout individu en quête d’une reconnaissance au sein de son empire médiatique. Cela revient à déspiritualiser le champ de l’apparence du monde.

Il fut un temps où les peintres de la Contre-Réforme s’adonnaient aux Exercices Spirituels d’Ignace de Loyola. Dans la pratique de leur art, ils respectaient ainsi au mieux la « composition du lieu » que le saint hidalgo y préconise. D’abord conçue en une intelligence contemplative, l’image ne prenait qu’ensuite forme dans la matière, lors de la réalisation effective de leur toile. Pierre Gibert a consacré un ouvrage édifiant à cette pratique de la peinture, qu’on pourrait qualifier de théologique, à travers l’observation d’œuvres de Poussin, Morales, Rubens, Lotto, Vermeer…3

Il a démontré que l’agencement de leurs sujets reproduit souvent les suggestions des préambules données dans les Exercices spirituels : « Me rappeler l’histoire de ce que j’ai à contempler… Voir le lieu… Voir les personnages les uns après les autres… Entendre ce que disent les personnages… Ensuite, regarder ce qu’ils font, etc. » On pénètre par exemple dans cette Adoration des bergers (Rubens, 1608, cathédrale de Soissons) selon les indications très précises consignées au n°114 : « Dans le premier point, je verrai les personnes : Notre-Dame, Joseph, la servante, et l’Enfant Jésus lorsqu’il sera né. Je me tiendrai en >>>  >>> leur présence comme un petit mendiant et un petit esclave indigne de paraître devant eux. Je les considérerai, je les contemplerai, je les servirai dans leurs besoins avec tout l’empressement et tout le respect dont je suis capable, comme si je me trouvais présent. » Il est frappant de constater que le regard de « ce petit mendiant » est à la fois celui du personnage, du peintre et du spectateur de la scène. Par sa technique, certes, mais avant tout par sa spiritualité et son intelligence contemplative, l’artiste s’est hissé à la hauteur de cette plénitude objective de l’œuvre, si nécessaire au partage du Beau.

L’architecte Soufflot énonça de même quatre règles à respecter dans la conception d’un bâtiment, règles nécessaires « dont le respect assure le succès à tout architecte de bon sens »4 : l’utilité, qui détermine le rapport du bâtiment à l’usage qui lui est imparti, la sûreté, seule garante de la sécurité des gens appelés à le fréquenter, la convenance, qui insère l’ouvrage dans le paysage, la symétrie, qui confère à l’édifice son unité et sa beauté. Or tout ce qui, de nos jours, se prétend artistique revendique partout l’éphémère (graffitis, clips, tags), l’incongru (piercings, tatouages), l’abstraction (art contemporain), le virtuel (« œuvres » numériques) et, toujours, une certaine et spectaculaire prouesse technologique… Aussi, avant même l’apprentissage des règles esthétiques et techniques, dont l’expérience a prouvé qu’elles peuvent être dévoyées, seule une pratique spirituelle authentiquement catholique sera à même de susciter de nouveau, chez nos artistes, un goût accordé non à l’idéologie du moment, mais à l’Esprit Saint, et de les rendre capables de pratiquer leur art à bon escient. Ils pourront alors injecter de nouveau la plénitude de ce « Beau », dont la cité catholique a tant besoin pour rayonner de tous les éclats du Christ parmi nous. Pour cela, il est évidemment nécessaire que de plus en plus de gens reconnaissent collectivement le besoin vital d’un renouveau esthétique allant durablement dans ce sens.

 

G. Guindon