Edgar Grospiron, champion de ski à bosses, médaillé d’or aux jeux olympiques de 1992, raconte : « Je suis devenu champion du monde à 19 ans, grâce à ma vitesse : c’était mon point fort n°1. Mais je faisais des fautes techniques et la technique, c’est 50% de la note totale. J’ai donc décidé d’améliorer ma technique pour rester au top. C’était impossible en skiant à une telle vitesse. Il fallait que je ralentisse. Et même comme ça, il me faudrait des années pour progresser vraiment. Nano, mon entraîneur, m’a conseillé une autre stratégie. À l’époque, je descendais une piste en 32 secondes. Il m’a demandé de réduire mon chrono à 30 secondes. Quand j’y suis parvenu, il m’a fixé un nouveau temps : 28 secondes. Pour moi, c’était le bonheur total de skier toujours plus vite, et j’ai atteint ces 28 secondes en seulement quelques semaines. Ce jour-là, Nano m’a dit : « Objectif atteint : tu descends à une telle vitesse qu’on n’arrive plus à voir tes fautes ! »
« Je passais mon temps à m’améliorer sur mes forces. J’avais une grosse exigence sur mes points forts, et plus je travaillais dessus, plus j’étais bon même là où j’étais mauvais (sic). Ça m’a permis de donner le meilleur de moi-même, toujours plus, toujours mieux. »
Quelles leçons tirer de cet exemple ?
Nous ne sommes pas candidats aux jeux olympiques, mais nous devons gagner la course vers le ciel (cf. saint Paul), et pour cela remplir au mieux notre devoir d’état de père, nourricier, éducateur et gardien de l’équilibre et de la paix de notre famille sur cette terre.
Tel un sportif, nous développerons nos talents de père et les talents de nos enfants principalement par l’entraînement et par l’expérience. Bien sûr, les bons conseils seront indispensables, la réflexion et la prière aussi. Mais il faudra surtout nous relever de nos chutes ou erreurs inévitables avec une grande persévérance.
Comme notre sportif, n’envions pas les talents des autres, mais cultivons les nôtres. Le Bon Dieu nous a donné ceux qui nous conviennent ! Au fait, les connaissons-nous suffisamment ?
Identifions-les pour les faire fructifier selon les consignes de l’Evangile. Nous en avons bien plus d’un, au moins cinq ou dix talents… Sinon, pourquoi notre femme nous aurait-elle épousé ?
Développons donc les talents liés à notre état pour les sublimer et les élargir. Ils compenseront puis réduiront nos faiblesses.
Chacun comprend que les talents à usage professionnels sont à cultiver pour servir l’intérêt collectif de ses clients et de ses collaborateurs, assurer le bien-être de sa famille, réaliser un travail épanouissant…
Nous comprenons aussi que le bonheur dans le mariage et l’entretien de l’amour mutuel passent par un don de soi sans cesse renouvelé, une volonté de donner le meilleur de soi-même, donc d’avoir quelque chose à donner !
Mais peut-être oublions-nous parfois que Dieu n’a pas allumé le lampadaire de notre Foi et de nos qualités pour qu’elles restent sous le boisseau… Elles doivent luire aux yeux des hommes, non seulement par le bon exemple, mais par la participation au Bien Commun de la société. En particulier, les sociétés qui nous sont proches : la paroisse, l’école, le groupe de familles ou de jeunes, la commune et les associations.
Et avec nos enfants ?
Certains pères sont déstabilisés face à leurs enfants, tentés de déléguer (délaisser) totalement l’enjeu à leur épouse, à l’école et aux bons prêtres et religieuses qu’ils ont choisis et qu’ils financent… N’est-ce pas déjà bien ?
Pourtant, Dieu nous a fait pères, et nous a confié des enfants à faire grandir et à conduire au ciel, avec les grâces d’état de notre mariage. Pour cela, la présence du père auprès des enfants, passant du temps avec eux au moins le dimanche, est essentielle. On ne compte plus les études qui montrent le traumatisme, l’insécurité, le manque de confiance, la contamination des mauvaises influences liés à l’absence du père.
Alors, si nous pensons : « Je ne sais pas faire avec les jeunes enfants (puis avec les ados, puis avec les grands…).» « Je ne le comprends pas, » « avec lui, ça ne marche pas alors qu’avec son frère, c’était facile… ; » faisons comme notre champion olympique : retournons le problème !
Commençons par nous réjouir de la variété des tempéraments que Dieu a mis dans nos enfants, chacun reflétant une partie de l’image de Dieu. À nous de chercher leurs qualités avec persévérance, et de trouver ainsi les clés adaptées à chacun.
Pour cela, rien de tel que l’observation des enfants dans leur quotidien, dans les moments où nous jouons ou travaillons avec eux ! Encore faut-il y passer un peu de temps. Puis au calme, comparons régulièrement nos observations entre époux : « J’ai vu ceci chez Marc aujourd’hui, il m’a étonné par telle qualité (ou telle difficulté). Comment pouvons-nous l’aider ? »
Comme le coach sportif, encourageons-les à développer les talents qu’ils ont reçus. Il faut bien sûr, comme pour le skieur, aider à corriger les défauts éliminatoires : ceux qui font sortir de la piste (de la bonne voie) ou font tomber (dans le péché délibéré). Il faut aussi apprendre le sens de l’effort, de la persévérance, du courage pour se relever après une faute ou un échec. Mais la motivation de notre enfant pour valoriser ses talents sera une source d’énergie et de confiance en lui absolument indispensable. Avec elle, le progrès sera possible, sans elle, il sera difficile.
Comment utilisons-nous nos talents ?
Comment, nous les pères, allons-nous avoir le contact avec nos enfants si différents ? Appuyons-nous déjà sur nos propres points forts pour les transmettre ou au moins les vivre avec nos enfants.
Aimons-nous le jeu, le sport, les histoires, les visites, les promenades, les discussions, le bricolage, le dessin, écouter de la musique ou des conférences ? Peu importe, ce qui compte, c’est de commencer à partager nos points forts avec nos enfants.
Plus détendus dans ce que nous aimons, nous aurons envie de nous mettre à leur portée pour partager et transmettre, nous verrons mieux leurs réactions. Créons des rituels, la promenade à vélo ou à pied du dimanche, la vie de saint racontée un soir, le jeu de cartes familial… Nous serons agréablement surpris de voir les effets positifs de ces moments de qualité passés ensemble, même s’ils ne se produisent qu’une fois par semaine.
A travers ces moments du quotidien vécus ensemble, compléments indispensables des discours et de la prière familiale, nous développerons les aspirations des cœurs pour qu’ils soient épris d’idéal, qu’ils ne s’arrêtent pas aux idoles qu’ils rencontreront en route, mais qu’ils poursuivent leurs efforts jusqu’à approcher les trois sommets de la vie : le Vrai, le Beau et le Bien1.
Hervé Lepère
1 D’après le père Charmot – Esquisse d’une pédagogie familiale.