Porter deux âmes en son corps

Alice von Hildebrand est un écrivain contemporain, mort en 1922, auteur de nombreux livres dont The privilege of being a woman. Nous ne savons d’elle que ce que l’on nous a obligeamment montré sur Wikipedia (!) : c’était une femme catholique, jouissant d’un certain renom en philosophie. Nous avons recherché ces renseignements parce que notre avis nous avait été demandé sur un extrait de son livre Le privilège d’être femme dont nous ne croyons pas qu’il a été traduit en français. Nous ne pouvons pas nous prononcer sur la totalité du livre mais le passage que nous avons lu nous a paru constituer une pensée suffisamment intéressante et belle sur la maternité pour être mentionnée ici.

On peut en effet se dire que tout a été déjà dit et bien dit sur la maternité de la femme et que si l’on ne perd certes pas son temps à s’extasier sur ce qui est l’un des plus beaux mystères de l’ordre naturel, on ne peut plus guère espérer mentionner des idées vraiment inédites. Celle que nous empruntons à Alice von Hildebrand l’est-elle ? Il est bien possible que non. Mais c’est la première fois que nous l’avons rencontrée et elle est sans doute l’une de celles que légitime le titre que cet auteur a donné à son livre.

Alice von Hildebrand remarque d’abord que le don que le mari fait à sa femme dans l’acte conjugal est celui d’une semence vivante mais que, neuf mois plus tard, au terme de sa grossesse, c’est un être humain doté d’une âme immortelle faite à l’image de Dieu qu’elle présente à son mari. C’est que Dieu, quelques heures après l’étreinte des époux, au moment de la fécondation de l’ovule par le spermatozoïde, a créé l’âme de l’enfant.

Et elle admet ici ce « privilège » maternel qui est d’être touchée par Dieu, à l’instant de la création de cette âme, dans son habitacle intérieur. Peut-être, ailleurs dans son livre, admire-t-elle aussi la docilité divine qui ne manque jamais de répondre à la fécondation des gamètes par le bienfait de cette âme immortelle. De ce contact privilégié de Dieu avec la femme résulte un second privilège que la femme, pendant neuf mois, porte en elle deux âmes, la sienne et celle de son bébé.

Soyons reconnaissants à cet auteur d’avoir su mettre en valeur cette belle réalité qui manifeste, en demeurant encore sur le seul plan naturel, la dimension spirituelle de la maternité.

Que de pensées doivent alors surgir dans l’esprit de la mère chrétienne ! Une grande émotion à l’intervention de Dieu au plus profond d’elle-même, une reconnaissance pour son don, plus achevé encore que celui qu’elle a reçu de son mari, une attention à la seconde âme immortelle qu’elle porte en elle, mais une souffrance aussi car cette âme, lors de l’infusion dans la matière, n’a pas manqué de contracter la souillure originelle, une prière vers sainte Anne et sainte Marie, les deux seules femmes qui portèrent des enfants conçus sans aucune souillure, la première par un privilège unique fait à son enfant, et la seconde à cause de son union hypostatique, une autre prière d’espérance de baptême pour l’enfant à naître.

Il n’est pas trop de neuf mois pour mener un enfant à terme…  Mais sans doute les mères peuvent-elles dire aussi, il n’est pas trop de neuf mois pour méditer, pour savourer, pour admirer toutes les grandeurs et les beautés du mystère de la maternité.

Bien à vous dans le Cœur Douloureux et Immaculé de Marie,

R.P. Joseph

 

La précieuse amitié

I – Le Ciel, l’Enfer et la terre

Dans le Ciel, nous croyons que les trois Personnes de la Sainte Trinité vivent ensemble dans une constante et parfaite communauté d’amour. Jamais elles ne se lassent d’être toutes trois dans une telle unité qu’elles ne sont en réalité qu’une seule et même substance divine. Et tous les anges et tous les saints qui sont parvenus dans l’éternité bienheureuse entrent eux-mêmes dans ce bonheur ineffable que leur offre ce Dieu d’amour.

Le spectacle de l’Enfer est tout à l’opposé. Ceux qui y sont rassemblés, anges et êtres humains, ont en commun leur haine de Dieu. C’est là leur signe distinctif qui leur ferme à jamais le Ciel et les précipite à jamais dans leur géhenne. Et, de même qu’il n’est qu’un amour par lequel on aime Dieu et son prochain, il n’est aussi qu’une seule et même détestation qui englobe et Dieu et toutes ses créatures. Condamnés à vivre à tout jamais dans ce même lieu, les damnés multiplient leurs tourments par la haine qu’ils ne cessent de se porter les uns aux autres.

Entre le Ciel et l’Enfer, la terre. Est-elle plus proche du Ciel ou plus proche de l’Enfer ? Selon que les mœurs divines ou que les mœurs infernales prévalent, elle est plus proche du Ciel ou de l’Enfer. Lorsque les sociétés se christianisent, les cœurs s’ouvrent, les liens se renforcent entre les membres qui les composent et, si l’amitié pouvait déjà trouver sa place dans l’ordre naturel, elle se voit hissée à des sommets inconnus des peuples païens, dans l’ordre surnaturel. En revanche, la déchristianisation rapproche la terre de l’Enfer. La haine de Dieu ferme les cœurs et anime toutes les luttes et les antagonismes. L’homme n’est plus qu’un loup pour son semblable.

II – L’Enfer et la terre

A ce stade, il faut se demander comment il est possible que les hommes préfèrent à une terre inspirée par la vue du Paradis celle qui est une préface de l’Enfer. Comment a-t-on pu les persuader qu’ils trouveront leur contentement en cisaillant impitoyablement tous les liens qui les unissaient aux autres ? Que le bonheur était celui de l’homme réduit à l’état du « bon sauvage » de Rousseau ? Etant donné que « les autres », c’était « l’enfer », au jugement de Sartre ? Comment a-t-on pu aujourd’hui les amener à croire à l’avantageuse substitution de la société réelle par la société virtuelle ? Que la belle vie sur la terre, c’est celle où l’on est menacé dès sa conception par l’avortement, incité pendant sa vie au suicide assisté et, si l’on a survécu, encouragé à mourir euthanasié ? Quel tour de force pour qu’ils en arrivent à penser que les voilà ainsi parvenus au sommet d’une existence libre et heureuse !

III – Le Ciel et la terre

Quant à nous, il ne faut pas que nous nous laissions arracher à notre tour l’intelligence des liens d’amitié et d’amitié surnaturalisée, qui doivent exister entre nous. C’est une bataille réelle de chaque jour contre les lames qui cherchent à les couper dans tous les sens. La préservation de liens familiaux, amicaux, paroissiaux, communaux, nationaux, catholiques, nous demande de connaître les dangers qui les menacent et les remèdes qui les restaurent ou les restituent.

Voilà qui situe l’amitié, celle qui doit exister entre les hommes, image de la société céleste, celle qui doit davantage encore exister parmi les chrétiens. Cette amitié n’est pas un luxe mais une nécessité vitale, et pour que nous vivions sur la terre et pour que nous cheminions vers le Ciel.

Ne nous méprenons pas : la culture des liens d’amitié demande à chacun d’entre nous de mener des  combats permanents contre nous-mêmes et, en particulier, contre notre égoïsme. C’est au prix de ces combats généreusement menés que nos cœurs s’ouvrent et demeurent ouverts à Dieu et à notre prochain.

R.P. Joseph

 

La communion des saints

 

Le dogme de la communion des saints est l’un des plus beaux et des plus consolants qui soit. Ayons à cœur de le connaître avec suffisamment de précision pour l’en aimer davantage et mieux en profiter. A cet effet, nous le définirons en nous attardant sur les biens spirituels qu’il évoque (I). Nous regarderons ensuite de quelle façon cette communication des biens se fait (II) avant d’en tirer les bienfaits dans le cadre familial (III).

I – Ce qu’est la communion des saints

Les membres de l’Église catholique sont tous ceux qui, soumis à un même chef, qui est Notre-Seigneur Jésus-Christ, se trouvent de ce fait unis entre eux. Cette union leur ouvre la possibilité d’avoir accès au patrimoine de l’Église, vrai capital de cette société, et de faire tourner le bien de chacun au profit de tous.

Ce patrimoine est constitué des mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de la très sainte Vierge Marie et des saints, du Saint Sacrifice de la messe, des prières et des bonnes œuvres de fidèles. La richesse de ce trésor spirituel est inestimable et inépuisable car les mérites de Notre-Seigneur sont infinis, ceux de Notre-Dame incomparables. Et à eux, s’ajoutent les mérites surabondants des saints du Ciel ou des justes de la terre.

Chacun d’entre nous, accomplissant une œuvre méritoire, peut augmenter ce trésor. Dans toute œuvre méritoire, il n’y a en effet pas seulement une part personnelle à celui qui l’accomplit, mais également une autre qu’on appelle réversible, c’est-à-dire, précisément applicable à d’autres. C’est cette partie réversible qui entre dans le trésor de l’Église.

Cette communication se fait merveilleusement entre les fidèles de l’Eglise militante, qui sont sur la terre, de l’Église souffrante, au Purgatoire, et de l’Eglise triomphante qui est au Ciel et qui comprend aussi les anges.

II – La communication de ces biens spirituels

Voilà comment se fait la communication de ces biens spirituels entre ces trois Eglises qui n’en font qu’une seule : tout d’abord, les fidèles de la terre rendent un culte d’honneur aux saints du Ciel et leur adressent des prières, et d’autre part, ils intercèdent pour les âmes du Purgatoire en leur demandant de les délivrer et de les soulager. De leur côté, les saints du Ciel intercèdent en retour pour les fidèles de la terre et leur obtiennent par les mérites de Jésus-Christ et leurs propres mérites, des grâces abondantes. Ils leur suggèrent aussi de venir en aide aux âmes du Purgatoire en satisfaisant pour elles. Enfin, c’est une pieuse croyance que les âmes du Purgatoire, à leur tour, prient pour les fidèles de la terre, spécialement pour ceux qui, ayant pitié de leur sort, travaillent à les délivrer. Elles procurent aussi aux saints du Ciel, par le culte qu’elles leur rendent, un accroissement de joie et de bonheur.

Un autre aspect très important de la communion des saints est, cette fois-ci, l’aide que peuvent s’apporter les uns aux autres les membres de l’Eglise militante. Ils le font en intercédant les uns pour les autres, en demandant à Dieu la conversion des pécheurs, la persévérance des justes, l’exaltation de la Sainte Eglise, la cessation des fléaux qui affligent l’humanité. En outre, les grâces que chacun reçoit et les bonnes œuvres qu’il opère profitent à tous.

Ayons conscience, dans cette communication si élevée, que ce sont ceux qui donnent le plus qui sont également ceux qui reçoivent le plus. Plus on acquiert donc de mérites pour soi-même (puisque nos œuvres méritoires ont toujours cette part réversible), plus on participe aux mérites des autres.

III – Application de ce dogme à la famille

Il est extrêmement consolant, dans une famille, de savoir que l’on peut venir en aide aux autres membres de l’Église souffrante ou militante, par cette communication. Quel bonheur de penser aussi que l’on est aidé par ceux de notre famille, parvenus au Ciel, et qui ne nous oublient pas ! Quelle forte motivation pour leur vie chrétienne doivent trouver les parents dans cette vérité ! Qu’ils pensent tous les jours dans leurs prières, dans leurs travaux, dans leurs fatigues, dans leurs épreuves continuelles, qu’ils ont à faire du bien à ceux pour lesquels ils offrent, ils endurent et ils prient !

Enfin, il est de la plus haute importance, pour enraciner les enfants dans la Foi, de les familiariser avec cette vérité. Leur générosité chrétienne s’enthousiasmera de cette capacité immense de faire du bien, qu’ils apprendront à connaître et à expérimenter.

Puisse ce numéro donner le désir aux pères et mères de famille d’aimer à expliquer ces belles vérités catholiques à leurs enfants, par exemple à la prière du soir. Nul doute qu’ils en verront les bienfaits étonnants dans l’épanouissement de la vie surnaturelle de toute leur famille.

 

R.P. Joseph

 

La parabole des talents

La parabole des talents nous est rapportée par saint Mathieu au chapitre 25, versets 14 à 30. Saint Luc, de son côté, nous donne une autre parabole, celle des mines1, qui est très proche de la première tout en comportant des différences notables. Dans cette parabole des talents, il nous est rappelé que tout ce que nous avons nous a été donné par Dieu (I) et que les dons de Dieu nous ont été dévolus pour que nous les fassions fructifier (II). Il s’agit d’un devoir essentiel auquel se trouve suspendu la récompense ou le châtiment éternel (III).

 

I – Tout est don de Dieu

On s’est posé la question de savoir si « les talents » de la parabole signifiaient davantage les dons de la nature ou ceux de la grâce. La réponse juste consiste à penser que ce sont vraiment tous les dons divins qui sont figurés par les talents. Mais les dons surnaturels, étant les meilleurs de tous les dons, sont plus directement visés. Les serviteurs ne peuvent se glorifier de rien car c’est de Dieu qu’ils ont tout reçu. Ils ne doivent pas se laisser entraîner par une vanité coupable en se souvenant de la leçon que saint Paul donne aux Corinthiens : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu et, si tu l’as reçu, pourquoi t’en vanter comme si tu ne l’avais pas reçu ?2 » Au lieu donc de commencer à s’enorgueillir des largesses de Dieu à leur égard, les hommes ne doivent cesser de rendre grâce à leur divin bienfaiteur et de s’interroger sur le bon usage qu’ils en doivent faire. Dieu, en effet, qui ne cesse de donner, ne veut pas que les hommes gardent pour eux-mêmes ce qu’Il leur a donné.

 

II – La fructification

Bien que la comparaison nous surprenne, Dieu, figuré dans la parabole des talents par le maître, encourage les pratiques bancaires, voire usuraires !

Il donne, certes, mais Il demande à ceux auxquels Il donne de s’activer afin de faire fructifier l’argent qu’Il leur confie. La comparaison nous surprend parce que le Deutéronome3 condamnait déjà le profit illégitime que l’on retire de l’argent ou de marchandises, même si les Hébreux croyaient l’usure permise avec les étrangers. Dans la parabole de Notre-Seigneur, le maître, après avoir confié ses talents à ses serviteurs pour qu’ils les fassent fructifier, revient longtemps après et leur fait rendre compte, récompensant ceux qui par leur industrie, ont fait profiter les biens qui leur avaient été confiés, et châtiant celui qui n’en a rien tiré. On voit bien qu’il s’agit d’une véritable spéculation à laquelle devaient se prêter les serviteurs, au blâme qu’il adresse à celui des trois serviteurs qui s’est contenté de cacher son talent en terre. Il lui dit en effet : « Vous deviez donc mettre mon argent entre les mains des banquiers ; et à mon retour, j’eusse retiré avec intérêt ce qui est à moi4.» Notre-Seigneur fait donc raisonner ce maître suivant les principes de la banque.

Nous en sommes intrigués. Et c’est bien cet effet de surprise que vise la parabole pour nous donner le goût de creuser sa signification profonde.

Les biens que Dieu nous a donnés et qu’Il nous demande de faire fructifier ne nous ont été donnés qu’en vue de cette fin ultime qu’est sa gloire car Dieu ne peut pas ne pas vouloir en toutes choses sa gloire. S’Il voulait autre chose, Il ne serait pas Dieu. C’est donc toujours pour Lui que nous devons faire tout ce qui nous est demandé. Ajoutons que nous retirons nous-mêmes les véritables « intérêts » de notre fidélité dans l’amour et le service de Dieu car les récompenses dont Dieu désire nous combler vont au-delà de tout ce dont nous pourrions rêver. Le bonheur du Ciel est au-delà de tout bonheur. En réalité, « l’économie divine » est toute tournée à notre profit. Nous ne pouvons rien faire pour augmenter le bonheur de Dieu et Il n’a pas besoin de la gloire extérieure que nous lui procurons car Il se procure à lui-même sa gloire essentielle. S’Il nous prodigue les biens qu’Il nous distribue, c’est pour que nous en fassions un bon usage qui permettra alors de nous combler au-delà de toute mesure.

Selon les canons terrestres, Dieu est un bien piètre banquier qui ne prête pas mais qui donne et qui ne cesse de donner, et qui donne de plus en plus et sans compter, à mesure que ceux à qui Il donne font bon usage de ses dons.

 

III – Bons ou mauvais serviteurs

Qu’est-ce que Dieu attend de ses serviteurs ? Qu’ils mettent à profit le temps dont ils disposent pour bien utiliser leurs talents. Il exige que ses serviteurs consacrent à sa gloire tout ce qu’ils ont reçu de Lui afin de les en récompenser. On remarque que le Maître donne ses talents inégalement. Ce qui amène saint Grégoire à faire cette réflexion : « Ceux qui ont reçu en ce monde des grâces plus abondantes seront l’objet d’un jugement plus sévère car, plus on reçoit, plus grand est le compte que l’on devra rendre. »

Dans la parabole, le mauvais serviteur n’est pas un homme malhonnête. Il a reçu un talent et il le restitue au retour de son maître. Il est châtié pour sa paresse, sa pusillanimité et son insolence. En effet, il n’a rien fait de son talent. Il l’a enfoui et n’a rien produit alors que le maître escomptait une fructification. Son comportement est celui d’un pusillanime qui ne risque rien de peur de ses maladresses. La peur de ne pas pouvoir rendre son talent le paralyse et il ne fait rien. Sa pusillanimité provient de son manque de confiance en Dieu. Il a peur d’agir parce que, au lieu de se fonder sur l’aide divine, il ne compte que sur lui. On voit enfin comment il a bâti une justification détestable de son comportement où apparaît sa méconnaissance dramatique des intentions  si nobles de son maître.

Conclusion

« Il en est beaucoup dans l’Église, dont ce serviteur est la figure, qui craignent d’entrer dans les voies d’une vie plus sainte, et qui ne craignent pas de croupir dans une négligence sensuelle et honteuse.» Voilà un autre commentaire de saint Grégoire sur la parabole des talents. Il est important de noter dans cette parole que saint Grégoire envisage avant tout la fructification intérieure « les voies d’une vie plus sainte ». C’est en effet toujours par là que l’on doit commencer. L’activité -même extraordinaire – n’est rien si elle n’est pas un vrai débordement de cette vie, de cette fructification des dons intérieurs.

R.P. Joseph

 

 

1 Luc 19,12

2 I Cor. 4, 7

3 Deut. 23

4 Mt 25, 27

 

 

Le mot de l’aumônier

L’esprit de famille

Bien sûr, lorsqu’on lit les ouvrages de la Comtesse de Ségur, « Les vacances », « Les petites filles modèles » par exemple, on peut se dire avec nostalgie que, à d’autres  époques et dans certains milieux, il était tout de même plus aisé de former et de transmettre l’esprit de famille.

Qui pourrait le nier ? Une jolie propriété ancienne où la même famille vit depuis des siècles ; un passé familial dont les pages, parfois glorieuses et édifiantes, sont connues et servent de référence ; des meubles, des bibelots, des tableaux, des portraits auxquels sont attachés tant d’anecdotes pittoresques, amusantes ou dramatiques ; un parc dont les cachettes et les secrets avaient déjà fait le bonheur des arrière-grands-pères ou des arrière-grands-mères ! Et cette chapelle sous laquelle sont enterrés les ancêtres et dans laquelle tant de messes ont été célébrées et tant de prières se sont élevées à l’occasion de ces événements qui jalonnent l’histoire d’une famille : baptêmes, mariages, enterrements. Une telle propriété était comme l’incarnation d’une famille et restait pour tous le point de ralliement et la robuste racine qui ancrait ses membres sur tel arpent de la terre de France.

Il n’est guère besoin d’épiloguer longtemps sur la prolétarisation des Français. Comprenons bien qu’elle est idéologique, recherchée pour elle-même au nom des idéaux révolutionnaires. Il s’agit de protéger tout individu venant en ce monde des influences néfastes qui viennent de la société. Pour qu’il soit libre, il faut le défendre de l’Église, de sa famille, des traditions et de tout enracinement. Tout est donc conçu, savamment pensé, traduit dans le Code Civil, pour anéantir la société d’autrefois qui était si forte de ses corps intermédiaires. Le bonheur surviendra quand chacun, arraché par l’Etat à la mamelle, sera éduqué par lui et vivra dans le refus de tout engagement profond, dans une existence de relations éphémères, sans jamais rien construire. La famille doit donc, en particulier, disparaître.

Dans ces conditions révolutionnaires, reconnaissons qu’il est bien plus difficile de transmettre l’esprit d’une famille. Toutefois, il ne faut jamais baisser les bras, et il faut affirmer que, même dans ces conditions si défavorables de la modernité, l’esprit de famille peut étonnamment subsister.

Il est fondé, dans les milieux catholiques fidèles à la Tradition, sur un ensemble de considérations dont voici quelques-unes :

– Conscience de la grâce d’avoir gardé ou retrouvé la Foi en ces temps d’apostasie ;

– Volonté de fonder sa famille dans la Foi et de faire tous les sacrifices nécessaires pour la transmettre aux enfants ;

– Acceptation courageuse de vivre à contre-courant de ce monde corrompu ;

– Fierté de maintenir et de transmettre l’héritage catholique et français, coûte que coûte ;

– Foi en ce que Dieu n’a pas dit son dernier mot, que nous devons être ses soldats chaque jour de notre vie et que nous devons rayonner autour de nous pour faire connaître nos trésors ;

– Possibilité, pour ceux qui le peuvent, de retourner à la terre, ainsi que le conseillait Monseigneur Lefebvre, il y a déjà presque cinquante ans ;

– Amour de la France, terre catholique et terre de nos aïeux.

Il est évident que la détermination à vivre dans cette orientation résolument catholique et française ne manquera pas de susciter, dans les familles, là où elle existera, un esprit excellent qui marquera tous ses membres à vie.

S’il est vrai que l’époque de la Comtesse de Ségur est révolue, et que l’on veut nous faire entrer dans celle de la dissolution de la famille, enracinons-nous dans la Foi pour garder nos familles fortes, fierté de l’Église, pépinière de vocations et espérance de résurrection.

 

Je bénis vos familles et les confie au Cœur Douloureux et Immaculé de Marie.

 

R.P. Joseph