Deus vult

Le petit garçon regarde son cahier d’analyse et lit pour la centième fois la phrase qui lui résiste : « Le chevalier vacilla et tomba par terre.» « terre » …  Quelle est la fonction de ce mot ? Hum … on dirait bien un complément, mais complément de quoi ? Il y a plein de compléments ! Si on lui demandait son avis, Paul dirait qu’il y a beaucoup trop de compléments… Alors, complément du nom ?  Complément d’objet ? Pas sûr, et puis, la terre, ce n’est pas un objet. Et puis pourquoi il tombe ce chevalier ? Le coup était-il si fort ? Il est vrai que son adversaire semble coriace. C’est certain, il va perdre le tournoi. L’exercice de la joute n’est pas aisé : tenir la lourde lance, droite, viser l’adversaire, diriger le cheval, à toute vitesse, affronter sa peur, ne pas détourner le regard … 

 

« Allons Paul, concentre-toi enfin ! On ne va pas y passer la nuit quand même !» La voix de maman le rappelle à l’ordre. Ah oui, c’est vrai ! Quelle est la fonction du nom « terre » ? Car c’est bien un nom n’est-ce pas ? « terre » … Comme la Terre Sainte. Paul pense à son cours sur les croisades. Tous ces chevaliers qui partirent en bateau, à l’autre bout du monde, pour combattre les Arabes et délivrer le Tombeau du Christ. Comme sur l’immense fresque de la Salle des Illustres au Capitole, à Toulouse. Son papa l’y avait emmené le mois dernier. Il avait beaucoup aimé la grande fresque :  Urbain II, sur son destrier, défile dans la ville, précédé par les saintes reliques de l’évêque Saturnin, portées en triomphe. Sur les murailles et dans les rues, toute la ville se tient debout, en fanfare, sous les bannières et les oriflammes. Les chevaliers en armes s’apprêtent à suivre la sainte procession : la ville se lève pour partir défendre Jérusalem. Le comte de Toulouse précède les hommes en armes, la foule crie d’une seule voix. « Paul, je monte habiller ta petite sœur. Quand je reviens, je veux que tu aies terminé tes devoirs. »

Mais Paul est déjà parti avec les Croisés. Il a embarqué dans les hautes nefs et navigue sur la mer, toutes voiles dehors. Il galope dans le désert au pied des murs de la Cité Sainte, le sable fouette son visage, le fracas du fer répond aux cris des ennemis dans la mêlée. Paul tient la ligne avec les Français, son écu et son épée à la main. Couvrant le tumulte de la bataille, Godefroy de Bouillon harangue ses chevaliers.

« Paul, de qui te moques-tu ? Ça fait trente minutes que tu es sur ton analyse. Eh bien tant pis pour toi, ferme ton cahier, tu expliqueras à la maîtresse que tu préfères rêvasser plutôt que faire tes devoirs. Si elle te met un 0, tu ne pourras t’en prendre qu’à toi-même ! »

 

Ne sommes-nous pas tous un peu comme Paul ? Parfois, nous rêvons de grandes et belles choses, mais nous négligeons notre devoir d’état. Il est tellement plus facile d’être un saint demain qu’un bon chrétien aujourd’hui, d’être le meilleur employé de l’entreprise l’année prochaine qu’un employé loyal maintenant, d’être l’entrepreneur à succès de la prochaine décennie que de s’acquitter d’abord des engagements déjà pris. Le Bon Dieu n’attend pas de nous que nous soyons des martyrs demain si des hordes païennes hostiles venaient à envahir nos églises un jour, Dieu veut que nous soyons des martyrs des petites choses du quotidien, des petits devoirs qui incombent à notre état, à notre situation actuelle.

 

Pourtant, nous le savons ! Les héros et les saints, grands dans les grandes choses, ont d’abord été grands dans les petites choses. Mieux que cela, nous savons que la Charité n’a pas de limite. Sa mesure est Dieu, sa mesure est l’infini. La Charité doit animer chacun de nos actes, plus notre Charité sera grande, plus nos actes seront grands, même les plus insignifiants, comme passer le balai, apprendre une leçon de grammaire, rédiger un rapport de vente ou enduire un mur de plâtre. Chacun selon sa place. Ainsi croissent les belles fleurs du jardin de Dieu. Parfois, Dieu en cueille une, lui demandant un acte héroïque. Mais cela, c’est la décision de Dieu et non la rêvasserie de l’homme.

 

Si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, nous savons ce que le Bon Dieu attend de nous. Cette résolution que nous avons lâchée, reprenons-la avec vigueur. Ce défaut qu’on traîne depuis des années et son cortège de péchés qu’il entraîne, quand nous attèlerons-nous à le combattre ? Ces tâches quotidiennes qui nous agacent et que nous cherchons à éviter ou à retarder, aimons-les ! Faisons-les avec courage. Elles sont le moyen que Dieu met à notre disposition pour nous sanctifier. Dieu, dans sa sagesse, nous demande d’accomplir ces tâches, quotidiennes, liées à notre profession, à notre place dans la famille, à notre âge, à notre vocation. Il ne nous demande pas d’être courageux dans une vie parallèle, il nous veut aimants et dociles dans cette vie-là, la vie réelle, et aucune autre.

 

Alors, Dieu veuille que Paul cesse de rêver et s’attache à son analyse grammaticale, voilà la Croisade voulue par Dieu pour Paul. Elle comporte aussi sa noblesse, sa sainteté dès lors qu’elle est faite avec Charité. Nous, si notre devoir d’état n’est plus scolaire, nous savons quels sont nos devoirs de père ou mère de famille, d’époux, d’employés, d’homme ou de femme, chacun selon son état, là où Dieu nous a placés. Mettons toute la Charité possible dans notre agir, même dans les choses les plus insignifiantes. Voilà notre Croisade ! Et si les fleurs de son jardin sont belles, Dieu veuille en faire un bouquet, de la manière qu’il Lui plaira et quand Il le voudra. Deus vult !

 Louis d’Henriques

 

« Mode silencieux »

Comment font-ils, nos contemporains, pour vivre dans ce monde qui a perdu la tête ? Comment font-ils, ces gens qui tous les matins, lisent les nouvelles où s’enchaînent les désastres et les tragédies, pour continuer à se lever et à ne pas désespérer ? A l’ouverture du journal, nous sommes submergés par les viols, meurtres, bombardements, tragédies qui ensanglantent notre pays et le monde entier.  

Les peuples se déchirent à l’Est et au Proche Orient, les bombes détruisent des villes en ruine, des peuples entiers se vouent une haine totale prête à tuer femmes et enfants. La Terre Sainte est devenue la terre de la guerre perpétuelle. Les villes des antiques églises des temps apostoliques comptent leurs derniers chrétiens au milieu des fanatiques et des peuples hébétés. Des filles de France sont massacrées par des assassins, souvent étrangers, lâchés dans nos rues par un Etat coupable. Des incendiaires brûlent nos églises en France et jettent à terre les croix de nos chemins. On organise des « cérémonies » blasphématoires et licencieuses avec toujours plus de pompe et de fierté. On se moque de Dieu de manière toujours plus outrancière. On érige le péché en vertu enseignée dans nos écoles et nos universités.

Que faire ? Comment traverser ce torrent de boue qu’est devenu notre siècle ?

Voici deux conseils qui peuvent alimenter notre méditation.

Tout d’abord, un conseil spirituel. Car finalement, que nous dit ce monde ? Ce flot de nouvelles révoltantes porte un enseignement : le péché tue. Le péché tue d’abord la vie de l’âme, parfois celle du corps. Le péché détruit la société car il détruit l’ordre naturel. Sans Dieu, la civilisation meurt et se trouve remplacée par la barbarie. Et pourtant, le péché a été vaincu. Si nous éteignons le bruit que fait le mal dans notre esprit, si nous ouvrons nos yeux pour voir un peu à la manière dont Dieu regarde le monde, alors nous verrons le bien. Les fruits immenses de la Grâce dans les cœurs et dans le monde : le renouvellement des vœux des frères qui se consacrent à Dieu à la Saint Michel ; la vie de prière qui progresse dans le cœur d’un enfant ; les sacrements innombrables distribués chaque jour par nos prêtres ; les nouveaux convertis qui pénètrent dans nos églises ; les enfants, toujours plus nombreux, qui s’alignent sur les bancs du catéchisme ; les écoles chrétiennes, les anciennes qui poussent les murs et les nouvelles qui ouvrent leurs portes. Il y a tant de motifs de se réjouir. Dieu vit parmi nous, d’une manière beaucoup plus présente que toutes ces nouvelles qui nous révoltent.

 

Enfin, un conseil plus pratique. Posons-nous la question suivante : avons-nous réellement besoin de lire tous les jours les nouvelles ? Ce flot continu d’immondices ne nous laisse pas totalement indemne. Oui, pour exercer la vertu de prudence, particulièrement pour les pères de famille, il nous faut nous informer un minimum. Connaître les enjeux nationaux, locaux, y apporter notre pierre pour l’édification d’une cité catholique avec l’aide de Dieu. Nous devons aussi nous informer de la vie de l’Eglise et de ses membres, comme des fils attentionnés. Nous avons besoin de connaître les usages, les tendances de marché, les nouveautés, pour nos métiers ou nos entreprises, pour ne pas nous déconnecter du monde qui reste le monde que Dieu a choisi pour notre sanctification. Internet nous permet d’accéder à des quantités astronomiques d’informations en un coup de main. Mais avons-nous besoin pour autant de regarder les nouvelles tous les jours ? Parfois plusieurs fois par jour ?                        Faisons le test suivant : prenons la résolution de ne regarder les nouvelles qu’une ou deux fois par semaine, par exemple le lundi et le jeudi. Ensuite, remplaçons peut-être les journaux quotidiens par des hebdomadaires ou des journaux qui traitent plus le fond que l’instantané. Les premiers recherchent la réflexion, les seconds ne sont que des marchands d’émotions trafiquées. Enfin, excluons autant que possible les formats vidéo, sauf reportages ou entretiens de qualité. Faisons ce test, et nous verrons des fruits immédiats : nous retrouverons du temps dans nos journées pour lire ou nous occuper des devoirs des enfants. Nous serons moins tristes et affligés. Cela est une évidence ! Mais surtout, nous retrouverons un peu de silence intérieur, propice à la méditation. Soyons honnêtes : ne vaut-il pas mieux approfondir notre connaissance des grandeurs de Marie que de savoir dans l’heure que le chef du Hezbollah a été tué ? Il est évident que la richesse, la durée et la fréquence (voire l’existence même) de nos méditations sont inversement proportionnelles à la quantité des « informations » que nous digérons chaque jour.

Comment le Cœur Immaculé de Marie pourra-t-il triompher à la fin si les bons chrétiens s’intéressent plus aux invectives et petites phrases que nos médiocres politiciens se jettent à la figure qu’à soulever le coin du voile de la Sagesse et découvrir la Largeur, la Hauteur et la Profondeur de la Charité ?

Alors, Hauts les Cœurs !

 Louis d’Henriques

 

Le monde s’affole

Le monde s’affole. Ses idoles sont capricieuses.

D’abord Gaïa, la déesse de la Terre, qui tourmentée par un climat qui perd toute mesure, exige de ses serviteurs d’ordonner toute leur vie, dans les moindres gestes, à ses exigences. Mais rien ne change. Il fait plus chaud, plus sec, les pluies inondent les terres, les ouragans sont plus énervés, alors on s’affole ; il faut aller plus loin, nourrir la bête. Les pythies, nourries aux oracles publiés sur YouTube, ânonnent leurs prophéties de fin du monde.

Puis il y a la déesse du corps, qui accepte les adeptes de multiples cultes : culte du sport érigé comme valeur suprême ; culte de la silhouette et des salades de quinoa ; culte du plaisir dont les limites repoussées avachissent tant de gens dans la fange du péché. Mais voilà, les années passant, le corps montre ses faiblesses, la vie mène à la mort. Alors on s’affole, on tente par tous les moyens d’en repousser l’échéance, par la mode, par la chirurgie, par l’égoïsme du divorce ou de la rupture pour « recommencer sa vie », essayer d’en vivre une deuxième.

Enfin, il y a la distraction perpétuelle, l’information continue, le sensationnel routinier. La politique du caprice et de l’indignation perpétuelle aligne ses coups de théâtre mal joués et ses acteurs en mal de lauriers. De rebondissements truqués en scénarios écrits à l’avance, les « électeurs » inquiets tentent de faire entendre leur détresse identitaire et matérielle. Les prophéties de cracks économiques s’entassent sur internet, jusqu’à ce qu’enfin un prophète finisse par dire vrai. En attendant, les petits épargnants s’affolent et scrutent les cours de la bourse.

 

Et l’âme dans tout cela ? Oubliée, ignorée, méprisée. Qu’attendre de plus de ce monde, devenu pire qu’un monde matérialiste, car apostat ? Comment, nous, Chrétiens, traverser cette époque détestable en gardant vive la grâce de Dieu dans notre âme ? Comment ne pas nous laisser séduire par les pompes de Satan à l’œuvre partout dans ce cloaque qui nous sert de siècle ? D’une manière très simple, en nous vidant de nous-même pour nous remplir de Dieu. En abolissant notre volonté propre, en immolant notre caprice, pour n’être plus que mûs par la Volonté de Dieu, tout au service de sa Gloire.

C’est bien joli, me direz-vous, mais concrètement ? Tout d’abord en faisant du silence notre compagnon. Dieu ne peut nous parler dans le bruit qui désormais est partout. Sachons utiliser internet comme un outil, pour notre travail évidemment, les besoins administratifs, et pour nous informer, avec l’aide de vrais journaux, sur une durée limitée. Pourquoi pas une heure tous les deux jours ? Ou seulement un jour sur trois ? Sachons aussi nous couper des réseaux sociaux, cela est vital pour notre silence intérieur.

Une fois le silence fait, il nous faut prier. Oh ! Pas à la façon des modernes qui recherchent plus un psy qu’un Dieu, une émotion qu’une grâce. Non, à la façon des saints : forts dans les temps de désolation, fidèles dans ses résolutions, en se nourrissant de bons livres spirituels, en méditant et récitant le chapelet. En tâchant aussi de ne pas uniquement demander des grâces au Bon Dieu, mais de savoir aussi l’adorer, le remercier et lui demander pardon pour nos péchés.

Enfin, en fortifiant notre espérance. La Terre peut brûler, la maladie peut frapper, la France peut être aux mains des pourris, tant que nous usons des moyens de salut de notre mère la Sainte Eglise, alors nous avons la certitude d’avoir la grâce de Dieu dans notre âme jusqu’au seuil du Ciel. Cela, nous le savons. Comment ne pas avoir la paix intérieure avec cette certitude ? Si nous n’avons pas cette paix, est-ce parce que nous y croyons ? Laissons-nous Dieu habiter dans notre âme ? Mais plus encore !  C’est avec cette grâce de Dieu chevillée à l’âme que nous pourrons vaincre les maux terrestres qui malmènent notre société. C’est avec la grâce de Dieu que nous serons des apôtres pour gagner des âmes à notre Sauveur. C’est avec la grâce de Dieu que se lèvent de jeunes hommes pour entrer au service de Dieu dans le sacerdoce, que d’autres deviennent frères ou épouses de Jésus-Christ dans la vie religieuse. C’est avec la grâce de Dieu dans le cœur que des foyers chrétiens fendent la boue du siècle pour ériger de petites citadelles et transmettre la foi à une nouvelle génération. Ce sont des âmes pleines de Dieu qui se dressent déjà et se dresseront demain pour œuvrer au Bien Commun dans notre société, à l’intérieur de nos chapelles, mais aussi à l’extérieur, en créant de nouveaux médias, en œuvrant au redressement culturel de notre pays, en montant des écoles, en s’engageant en politique ou dans les œuvres sociales. Notre France, pour renouer avec son baptême, n’attend que de nouveaux chevaliers animés par l’Espérance chrétienne. Le résultat de nos entreprises appartient à Dieu. Notre devoir et notre honneur sont de servir, pas de vaincre. La victoire est dans les mains de Dieu.

Méditons cela en ce temps de rentrée. Laissons le monde s’affoler. Mais réfléchissons plutôt à la résolution que nous pouvons prendre pour faire silence dans notre vie. Quelle règle de prière adopter pour se faire petit enfant dans les mains de Dieu ? Quel engagement prendre pour œuvrer au règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ ? Nous verrons comme cela nous apportera la paix du cœur, la paix du bon serviteur certain d’avoir servi fidèlement.

 Louis d’Henriques

 

Le chevalier servant

Pour faire une mère, il faut un père. Dans le plan de Dieu, l’enfant est le fruit de l’amour d’un homme et d’une femme. Si la mère ne peut devenir mère sans le père, et inversement, chacun à un rôle différent à tenir auprès de l’enfant.

L’enfant prend forme dans le sein de la mère, caché pendant neuf longs mois. Puis survient la délivrance, la première respiration, le premier pleur. Les premières années, l’enfant est totalement dépendant de sa mère. Il a besoin d’elle pour se nourrir, mais aussi pour se construire. L’œuvre maternelle fonde le futur de toute une vie. Ne dit-on pas avec raison que le catéchisme le plus durable, celui qui revient à l’esprit au moment de l’agonie, est celui que l’on apprend sur les genoux de sa mère dans ses tendres années ? Cette nourriture corporelle, mais surtout spirituelle, cette vie fondée et élevée les premières années, c’est l’honneur de la mère, son devoir et sa grandeur.

Les premières années, le père est moins important. Disons-le clairement, jusqu’à ses six ou sept ans, un enfant a plus besoin de sa mère que de son père. Tout le temps de la gestation, sa vie dépend directement de la vie de sa mère. Tuez la mère et vous tuerez l’enfant. Puis, l’enfant boit le lait de sa mère. Si depuis quelques décennies, le lait en boîte peut remplacer l’allaitement naturel, par essence, l’enfant dépend encore de sa mère pour se sustenter. Sans elle, il périt. Enfin, les premières années, jusqu’à l’âge de raison, l’enfant est véritablement construit par sa mère. Il apprend le langage parlé et corporel, la reconnaissance, l’hygiène. Il découvre les premières émotions, les joies et les contrariétés, les larmes et les rires, il apprend à dominer ses caprices et à offrir ses premiers sacrifices. Là encore, contrairement à ce que veut nous faire croire le féminisme et notre société moderne qui nie la réalité pour ne pas voir l’inanité de ses idéologies, la mère est la mieux placée pour construire le petit d’homme. Elle a cette finesse psychologique, cette tendresse et cette douce autorité, cette abnégation et ce courage propre aux mères, véritable don de Dieu pour construire le cœur et l’âme des enfants. Qui peut nier une telle évidence ?

Au Moyen-Age, le jeune seigneur passait du monde des femmes au monde des hommes à sept ans. Les années passant, le rôle du père devient de plus en plus important pour construire l’enfant et l’adolescent, sans jamais remplacer la mère pour autant.

Irremplaçables mères, trésors de courage et de sacrifices, à l’image de Marie mère de Dieu, elles immolent véritablement une partie d’elles-mêmes pour leurs enfants. Peut-il y avoir amour plus fort que celui que donne une mère pour son enfant ? La maternité porte quelque chose de mystérieux. La mère donne la vie dans la douleur. La souffrance de l’accouchement, que nul homme ne connaîtra jamais, annonce la grandeur de la mission de la femme : mourir soi-même pour faire éclore la vie. N’y a-t-il pas là une ressemblance avec le mystère de la Croix ? Un cœur de vraie mère est nécessairement un cœur généreux.

Face à ce grand mystère, que les pères tiennent leur place ! Qu’ils soient le roc solide sur lequel leur épouse peut se reposer. Qu’ils travaillent avec courage pour subvenir aux besoins de la famille. Qu’ils soient l’autorité charitable pour guider la famille vers le Bon Dieu. Qu’ils soient le secours généreux pour seconder leur femme quand elle en a besoin. Qu’ils soient la force tranquille pour les travaux pénibles de la maison comme pour les grandes équipées, balades et pèlerinages. Qu’ils soient le modèle de piété et de sacrifice pour leurs enfants. Qu’ils soient les apôtres de l’Evangile dans la cité.

Mais surtout, qu’ils ne cherchent pas à remplacer la mère de leurs enfants. Face au grand mystère de la maternité, que les pères restent à leur place ! Un père ne rend pas service à ses enfants ni à son épouse s’il tente de devenir une deuxième maman…

Avec les enfants d’abord. Ne câlinez pas trop, maîtrisez vos émotions, restez toujours juste, ne couvez pas vos enfants. Ce n’est pas au père qu’il revient de soigner les écorchures sur les genoux ou les petites blessures faites à l’amour-propre pendant la récréation. Non ! Mais jouez avec eux, emmenez-les marcher, courir, apprenez-leur à se relever après une chute, à encaisser une humiliation ou un mauvais mot sans broncher. Montrez-leur comment agir avec honneur et courage. Voilà le rôle du père !

Puis avec votre épouse. Admirez son courage, soutenez-la, remerciez-la, tous les jours. Admirez votre épouse quand elle donne le sein, quand elle berce le petit, quand elle console ou encourage. Remerciez-la pour tout ce qu’elle fait quotidiennement pour le bien de la maison. Dites-lui combien elle vous est précieuse et combien vous l’aimez. Que le poète écrive un poème à son épouse, le musicien une symphonie, que le bricoleur lui fabrique la maison de ses rêves, que le jardinier lui plante une roseraie, que le globe-trotteur l’emmène en Patagonie, que le gourmand lui offre un bon dîner au restaurant, que chaque époux montre à son épouse la reconnaissance qu’il lui doit pour sa mission de mère. Il y a quelque chose de mystérieux dans l’œuvre maternelle. Le rôle du père, c’est d’être le chevalier servant de ce mystère, voulu par Dieu.

 Louis d’Henriques

 

Le Grand Ami

La foule se presse sur les trottoirs pour attraper le prochain RER. Au passage piéton, les automobilistes tentent de trouver un intervalle dans le flot continu, mais il semble qu’à chaque fois un piéton surgisse au dernier moment. Les chauffeurs s’impatientent. Certains finissent par forcer, s’attirant des regards noirs de chaque côté de la chaussée. D’autres klaxonnent. Au milieu, les trottinettes slaloment, manquant de renverser une vieille dame, pestant contre un piéton plus lent que la moyenne. Les cyclistes se suivent en file, le doigt sur la sonnette, prêts à houspiller le premier qui oserait poser le pied sur leur voie réservée. Il y a peu de sourires dans cette foule. Quelques rares éclats de voix brisent le bruit des pas sur le béton, entre deux collègues de travail, le temps de rejoindre l’anonymat du quai. Les visages sont globalement fermés, les yeux rivés sur les écrans ou perdus dans le brouhaha que des écouteurs déversent directement dans leurs oreilles.

Assis sur le béton, un mendiant regarde le torrent humain qui charrie les individus comme des galets qui s’entrechoquent dans le courant. Personne ne voit le miséreux. Il est sale et malodorant. Déshumanisé, il devient invisible. Qui pour l’aider ? Enfin, une parmi un millier, une âme généreuse lui tend la main et glisse dans sa paume crasseuse une petite aumône. La Charité fleurit dans le sourire du misérable et dans celui de son bienfaiteur, que la foule happe de nouveau.

Jérusalem. Les cris ameutent les passants. Des gens, les bras levés, menaçants, insultent un homme seul, entouré d’une troupe de soldats. La foule éructe et crache sur le malheureux. Son corps est une immense plaie. Les yeux sont tuméfiés. La nuque, le dos, les épaules, les jambes sont lacérés par les coups de fouet. La chair est à vif. Reste-t-il quelque chose d’humain chez ce condamné ? Les épines humilient et blessent son front. Ses mains sont liées au patibulum qui lui laboure les épaules. Il ne peut se protéger le visage quand il chute de nouveau, sous les railleries. Il n’a plus figure humaine. Il est comme un ver de terre. Défiguré par le péché, les hommes se détournent de lui et le mènent à la mort, sans pitié aucune.

Qui pour l’aider ?

« Je ne vous appelle plus serviteurs […] mais je vous ai appelés amis. »

Où sont vos « amis », Seigneur ?

Par la Croix, Dieu restaure la dignité de l’homme. Non pas à la façon de l’âme généreuse qui donne l’aumône au misérable du coin de la rue. Non, en se faisant plus misérable que le misérable, afin que le mendiant restaure sa dignité en faisant lui-même l’aumône du peu qu’il a, à plus indigent que lui.

Dieu ne fait pas l’aumône aux hommes. Il se fait plus misérable que le plus misérable de tous les hommes pour mendier notre amour. Il revêt tous nos péchés qui le défigurent et lui ôtent toute apparence humaine. Il porte nos trahisons jusqu’au Calvaire pour les détruire, sous les coups et les crachats, versant tout son sang. Tout cela pour que, pris de compassion, nous l’aimions. Notre-Seigneur Jésus-Christ est venu sur terre pour mendier notre Charité. Son Sacré-Cœur veut notre amitié. Il veut notre amitié plus que jamais nous ne pourrons le vouloir.

Ô Dieu Mendiant ! Ô Divin Ami ! Resterons-nous ingrats ? Resterons-nous dans le camp des hommes sans pitié qui l’ont vu dans les rues de Jérusalem et n’ont rien fait, ou pire, qui ont jeté leurs insultes et leurs crachats avec la foule ?

« Voici ce cœur qui a tant aimé les hommes, et qui reçoit en retour tant d’ingratitudes. »

Le vrai amour est quand celui qui aime est prêt à se sacrifier pour le bien de l’être aimé. Aimons-nous véritablement ? Comment aimons-nous Dieu ? Pour nos intérêts d’abord ou pour Dieu uniquement ? Aimons-nous Dieu pour éviter l’Enfer et obtenir une promotion au boulot ? Ou aimons-nous Dieu pour sa Gloire et uniquement pour sa Gloire, pour répondre à son amitié et ne chercher qu’à Le glorifier ?

« Je ne vous appelle plus serviteurs […] mais je vous ai appelés amis. »

Où sont vos amis, Seigneur ? Vous êtes venu mendier la charité des hommes, qui avez-vous trouvé pour se donner tout entier à vous ?

Que chacun de nous, au fond de son âme, considère le Sacré-Cœur de Jésus qui a tellement souffert à cause de nous, qui ne veut pas faire l’aumône en nous sauvant sans nous, mais qui veut restaurer notre dignité en se faisant plus misérable que nous pour mendier notre charité. Quelle preuve d’amitié ! Il n’y a pas de plus grand ami que Jésus ! Que ferions-nous pour le meilleur de nos amis qui nous a sauvés en donnant sa vie ? Tout simplement donner sa vie en retour. Qu’au fond de notre cœur jaillisse le don total.

Ô Jésus, je vous donne tout, mon âme, ma vie, ma santé, mon corps, mon honneur, mes richesses, ceux que j’aime, tout. Vous voulez tout prendre comme Job ? Faites ! Tout ce que vous voudrez, Ô Cœur divin, tout ce qui vous est agréable, Ô Dieu mendiant, Ô vous Jésus, mon grand Ami.

 Louis d’Henriques