Résonne le cor

Quel Français, petit ou grand, n’a pas lu ce récit épique ? Oh oui, on imagine bien que la plume des troubadours a enjolivé le récit pour donner naissance à la légende, pourtant, personne ne peut rester indifférent.

Roland se battait avec ardeur. Durandal dansait dans les airs, découpant les destriers, fendant les heaumes et les têtes, brisant les écus en mille éclats. Le sang coulait, l’herbe était rouge, la lumière du soleil rutilait dans la mort répandue à grand flots. Les cadavres des Sarrasins jonchaient le sol, mélangés aux nobles corps des Francs, submergés par le nombre. Ah, quelle pitié ! Malgré leur bravoure, les chevaliers tombaient peu à peu sous les coups félons ! Roland perdit son destrier qui chuta lourdement, abattu par une lance dans un hennissement terrible. Désarçonné, le chevalier se releva et abattit ses ennemis par centaines. C’était fureur que de voir l’audace et la fougue de ses coups.

 

– Roland, mon ami, s’écria Olivier, sonne de ton olifant d’ivoire, que par-delà la montagne, l’empereur oie notre détresse et de secourir nos chevaliers se presse.

Roland, rempli de gloire, refusa.

– Non, Olivier, je ne sonnerai point de l’olifant d’ivoire, point ne ferai résonner notre détresse. De ce côté de la montagne, nous protégerons l’empereur, sous ce ciel loin de chez nous, nous mourrons pour notre gloire. Je ne déshonorerai pas mon nom, mais combattrai jusqu’à la mort, quand Dieu m’en trouvera digne.

Alors, Olivier et Roland, reprirent le combat de plus belle. Le fer dansait dans le ciel. Malheur ! Un coup félon ouvrit le flanc de Roland : le sang pur du chevalier coula à grands flots.

 La chanson de Roland est un des premiers récits épiques de notre Histoire de France. Roland en est le héros. Ce récit a imprégné l’âme de notre pays.

Ah Seigneur Dieu ! Une flèche frappa le preux Olivier ! Roland, blessé, prit son fidèle ami dans ses bras que la vie quittait, pleurant toute sa tristesse en larmes pures. Alors, saisissant son olifant d’ivoire, Roland sonna ! Le son fit vibrer la terre et tressaillir le ciel. L’alarme vola au-dessus des montagnes, par-dessus la terre et au-delà des mers. Roland sonna si fort que le sang éclata dans ses yeux : ce n’était pas un appel de détresse, c’était un cri de guerre, le chant de l’honneur roulant au-dessus des ennemis terrorisés. Puis, avec l’archevêque Turpin, le dernier survivant de l’arrière-garde de l’Empereur, Roland se releva et repartit à l’assaut. Durandal à la main, il chargea sur les Maures. Sa fureur fut telle qu’elle terrassa de terreur les Sarrasins qui s’enfuirent, laissant derrière eux des milliers de morts. Roland, avait vaincu ! Gloire immortelle ! Blessé, le visage maculé de sang, le preux chevalier sentit la mort venir. Avant que la vie ne le quittât, il tenta de briser Durandal, sa fidèle épée, pour qu’elle ne tombât point aux mains des Maures. Mais l’épée, forgée au feu de l’honneur, ne put se briser : il frappa contre la montagne… la montagne se fendit en deux. Coup terrible ! Un fer d’un tel courage ne pouvait même s’ébrécher. Le grand Roland fit tournoyer son épée dans l’air, avant de la lancer aussi loin qu’il put vers le nord, au-delà des Pyrénées, jusqu’à Rocamadour où elle se ficha dans la roche. Las, Roland se coucha sur le sol, le regard vers le ciel. Il contempla la course du soleil à travers les nuées, et au-delà, le paradis. Dans un dernier souffle, il expira. La terre pleura.

 Qu’est-ce qui fait de Roland ce héros à travers les siècles ? Roland n’est pas un héros moderne. Il est fort, certes, mais ses ennemis aussi. Ce qui fait son héroïsme, c’est sa vertu. Le chevalier chrétien, c’est le combattant au cœur pur. C’est celui qui, au mépris de sa vie, sert une cause qui le dépasse : la protection de la veuve et de l’orphelin, le service du roi, le service de Dieu. Pour cela, le chevalier se forme : il prie, il s’entraîne à cheval et à l’épée. La formation du chevalier est un long chemin d’aguerrissement et d’étude. Peu à peu, par de petites choses, par de nombreux sacrifices, sa vertu croît, son cœur devient pur. Puis, un jour, la Providence révèlera sa valeur, à la face des hommes pour certains, dans le secret du cœur pour tous. Avoir une âme de chevalier, c’est d’abord avoir une âme de saint. Avoir une âme de saint, c’est avoir une âme de chevalier.

C’est cela l’héroïsme.

Alors où sont les chevaliers aujourd’hui ? Sont-ils tous morts avec Roland ? Gavée de confort, de plaisirs et d’égoïsme, la France n’a-t-elle plus de petits Roland, Godefroy, Baudouin, Louis, Jehanne, Bayard, Henri, Turenne, Charette, Sonis, Thérèse, Foch, Marcel ? Si, bien sûr ! Tout est possible à Dieu. Parmi tous ces cœurs vivant aujourd’hui de l’amour de Dieu, dont la vertu grandit dans le creuset des familles catholiques, il est des âmes de saints et de chevaliers. Soyons sûrs que Dieu dirige le monde et révèlera un jour, sur terre ou ailleurs, la gloire de ses fidèles serviteurs. Le cor qui clamera leur honneur ne s’éteindra jamais. Il est peut-être plus difficile d’être chrétien aujourd’hui, mais n’est-il pas justement plus facile d’être un saint ?

 

Alors, debout les cœurs vaillants, et que résonne le cor !

 

Louis d’Henriques

 

Honneur à nos parents

Toute la famille est agenouillée devant la statue de la Vierge qui occupe la place d’honneur sur le buffet. Le petit dernier joue dans un coin avec quelques cubes de bois qui traînaient là. Les plus grands récitent le chapelet avec les parents. Les « je vous salue Marie » s’égrènent lentement. Pendant un court quart d’heure, l’agitation quotidienne cesse et vient s’échouer aux pieds de la Vierge. Avec plus ou moins de ferveur, se tenant plus ou moins droit, articulant plus ou moins bien, la famille récite le chapelet. Le temps semble se mettre en pause quelques instants. Les cahiers d’école sont laissés sur la table, le dîner mijote dans la casserole, le téléphone est silencieux… Seuls les ave rythment le temps. Les mystères divins, comme des bannières familières, processionnent dans notre âme. Avant chaque dizaine, les enfants donnent parfois une intention de prière qui leur tient à cœur. C’est la Communion des Saints. On prie pour le voisin, la maîtresse, la mère titulaire, la nouvelle élève, la famille de convertis, l’abbé, les cousins, les amis, pour papa et maman, pour le pape, l’Eglise, la France. Pour les défunts aussi. Nos chères âmes du Purgatoire… Près de la statue de la Vierge, les visages souriants des images « in memoriam » nous regardent. Les petites images sont des fenêtres sur mille souvenirs qui animent les visages figés sur le papier. On entend le rire de bonne-maman, son doux regard, ses petites attentions. Ses précieux conseils aussi. On revoit sa silhouette, mantille sur ses cheveux blancs comme neige, pieusement recueillie à la messe. Et le chapelet qui, souvent, coulait entre ses doigts fatigués. Une petite voix ouvre la cinquième dizaine. « Nous dirons cette dizaine pour bonne-Maman.»

La petite, malgré ses sept ans, conserve jalousement le souvenir précieux de son arrière grand-mère, sa bonne-maman, partie vers le Père, il y a deux ans déjà. Après tout, n’est-ce pas un de nos premiers devoirs que d’honorer nos parents ? Sous le regard de la Providence, ils nous ont donné la vie, en s’engageant dans le mariage, en nous donnant naissance, en nous portant sur les fonds baptismaux. Et bonne-maman, si elle n’avait pas dit « oui » à bon-papa, où serions-nous ? Et bon-papa, s’il ne nous avait donné l’exemple du travail, de l’étude et de la formation, qu’aurions-nous aujourd’hui ? Si tous les deux n’avaient pas fait de Dieu le centre de leur vie, de leur choix, de leurs préoccupations, que ferions-nous aujourd’hui ? S’ils n’avaient pas fait de la Tradition et de la Vérité les piliers de l’éducation de leurs enfants, que penserions-nous aujourd’hui ? S’ils n’avaient pas suivi Monseigneur Lefebvre malgré les sacrifices, à quelle messe assisterions-nous aujourd’hui ? Quel catéchisme professerions-nous ?

Honorer son père et sa mère… Honorer ceux qui exercent une autorité sur nous… Ce commandement vient percuter notre époque moderne. De plus en plus, les générations se détestent. On rejette l’autorité. On méprise l’héritage civilisationnel et chrétien de nos aïeux tout en dilapidant l’héritage matériel qu’ils nous ont laissé. On dit souvent qu’il faut trois générations pour détruire une famille. La première construit, la deuxième profite, la troisième dilapide, ayant perdu le sens de l’effort, du sacrifice et de l’honneur. Combien de générations faudra-t-il pour détruire la Chrétienté et la France ? Cinq ou six, depuis 1918, point de bascule de l’Europe dans la décadence après avoir sacrifié sa courageuse jeunesse ? Il n’est pas certain que beaucoup de générations suivront l’actuelle avant que la France ne change de visage. Peut-être est-elle la dernière… La natalité s’effondre, le pays sombre dans le déclassement sur tous les plans, économique, culturel, diplomatique, la guerre civile guette notre avenir, les églises sont vides quand elles ne sont pas détruites par les pelles mécaniques ou les pyromanes.

Mais Dieu est bon ! Haut les cœurs, car au milieu des ruines, des îlots de chrétienté se dressent, comme les clochers de nos campagnes qui sonnent l’angélus pour continuer d’annoncer à contretemps la Bonne Nouvelle du salut. Des familles portent encore la croix, autour du cou, mais surtout dans leur cœur. Leurs membres sont fiers de porter la croix, leur étendard, ce signe de contradiction face au monde. C’est dans leur sein que Dieu trouve ses derniers amis privilégiés, les dernières vocations, si peu nombreuses, mais si précieuses, pour continuer de donner le Bon  Dieu aux hommes. Ces îlots de chrétienté n’existeraient pas sans le courage de certains pères et mères de famille, qui après 1962, firent le choix de la Tradition, qui malgré le monde moderne, décidèrent de rester fidèles au Christ et à ses commandements, quoiqu’il en coûte. Ils sont nos parents. Honneur à eux ! Honneur selon les hommes, mais surtout, honneur selon Dieu.

Certains ont déjà quitté ce monde pour l’Au-delà. Leurs visages se découvrent entre les pages de nos missels ou sur le buffet, à côté de la statue de la Vierge. Leur souvenir vit dans nos cœurs et dans nos intentions de prières. Car nous connaissons notre catéchisme, nous ne canonisons pas nos parents en les mettant au Ciel trop vite, souvent d’abord pour soulager notre sensibilité. Non, nous prions pour eux, pour que Dieu leur pardonne leurs péchés, qu’Il purifie leurs âmes comme l’or dans le creuset de l’orfèvre pour être lavé de toute impureté, puis, qu’Il les libère du Purgatoire et les emmène au Ciel. Jusqu’au bout, jusqu’à notre propre mort, nous les honorerons, par nos prières, par leur souvenir que nous entretiendrons, par leurs images que nous garderons précieusement.

Honneur à nos parents ! A nos grands-parents !  A nos ancêtres ! A nos prélats, nos prêtres, nos pères, nos saints !

 

Louis d’Henriques

 

Catholique et Français, toujours !

« Paris, c’est nul. C’est tout gris et tout moche. Il n’y a que du béton et du goudron », affirma vigoureusement le garçon.

« N’importe quoi, rétorqua sa sœur, les joues rougies par la colère, Paris c’est la capitale de la France, avec les plus beaux monuments du monde. Notre-Dame, les Invalides, La Tour Eiffel (…) »

« La Tour Eiffel, ce gros tas de ferraille !?! » ricana son frère.

La discussion est animée. Les enfants ne sont pas loin de s’écharper. Lors d’un passage à Paris, à l’occasion du pèlerinage, le grand frère affirma fortement sa satisfaction de quitter enfin la capitale et son béton pour retrouver sa verte contrée, chez lui. Sa sœur, au contraire, les yeux encore remplis des images des grandes avenues parcourues et de la messe, rétorqua que la vie à la campagne dans l’ouest, c’était chouette pour les vacances, pour contempler les vaches aussi, mais que rien ne pouvait dépasser Paris. De là vint une discussion animée. Chacun des enfants ajouta son grain de sel, se réclamant de Corrèze, d’Alsace, de Paris, de la Vendée… La dispute était sur le point d’éclater mais les parents coupèrent court aux échanges.

De plus en plus, les familles déménagent au cours d’une vie. Cela est particulièrement vrai pour les militaires : ils emmènent femme et enfants, dans leur paquetage, au gré des mutations. Mais de plus en plus aussi, les familles de civils changent de région, pour se rapprocher d’une bonne école, pour quitter la ville, pour prendre un nouveau poste. Ainsi, les familles sont moins enracinées qu’autrefois. Certaines ont la chance d’avoir un point d’ancrage, une vieille maison de famille, transmise sur deux ou trois générations, parfois sur plusieurs siècles. D’autres n’ont plus la vieille maison chargée du souvenir des anciens, mais les enfants gardent dans leur cœur le souvenir et la fierté des origines familiales. Et chaque fois que le nom du village des aïeux, celui de la rivière qui le traverse ou la silhouette des paysages qui l’entourent, surgissent dans leur mémoire, les enfants dispersés éprouvent un doux sentiment joyeux et nostalgique, comme un parfum d’enfance qui apaise le cœur. Mais, dispersés de plus en plus aux quatre coins de France, voire au-delà, les familles du XXIe siècle s’enracinent dans de nouvelles contrées. Les enfants, notamment, en plus de la fierté des origines familiales, s’identifient à leur terre d’adoption. Voilà qu’untel, né à Versailles, se sent presque chez lui dans la Galerie des Glaces. Ou unetelle, née à Carcassonne, ne se défend pas contre la pointe d’accent qui chante parfois dans sa voix. Ainsi, le pays de naissance, celui des vacances, des études ou de la première installation devient parfois une nouvelle petite patrie. Mais une patrie naturelle seulement.

Lors de la grande procession, comme chaque année, les pèlerins chantèrent à tue-tête le traditionnel « Catholique et Français toujours » ! Les deux mots sont dans le bon ordre : catholique d’abord, Français ensuite. Car avant notre patrie naturelle, notre patrie du Ciel, notre patrie surnaturelle est la plus importante. C’est elle qui nous vivifie véritablement, c’est en elle que vit notre Père du Ciel, c’est d’elle que nous tenons notre héritage par l’intermédiaire du Christ et de son Eglise. Notre patrie de la terre vient après. Oh, il ne faut pas la négliger, cela ne serait pas chrétien. Dieu a voulu les nations, comme il a voulu les familles. Mais il faut considérer notre patrie de la terre à l’aune de celle du Ciel. Nous sommes fiers d’elle quand elle aime Notre Seigneur, porte son étendard, se soumet à ses lois, instaure son règne social. Mais nous devons combattre ses représentants, son influence, ses lois mêmes, si elle venait à prendre l’étendard de Satan contre Dieu. Alors oui, Catholique et Français, d’abord  Catholique, puis Français. D’abord Jésus-Christ, puis nos pères, nos villages, nos pays, notre nation. Et en ce sens, notre première patrie charnelle sur la terre, c’est Rome.

Rome, choisie par Dieu, entre toutes les cités, pour devenir le siège de son Eglise … Notre patrie à nous tous, les Catholiques. Cet été, beaucoup auront la chance d’y péleriner, de pénétrer dans les grandes basiliques par les portes saintes, d’obtenir les indulgences, biens insignes donnés par Dieu aux hommes, par l’intermédiaire de son vicaire. A Rome, le catholique est chez lui. Il doit se sentir chez lui. Comme parfois, dans d’autres cités de la Chrétienté, devant un calvaire ou à l’intérieur d’une cathédrale, il retrouve l’étendard du Christ et la maison du Père, et s’y sent chez lui. Cela est plus vrai encore à Rome, mère de toutes les églises. Alors oui, chantons gaiement « Catholique et Français », toujours ! Catholique romain d’abord, Français ensuite.

 Louis d’Henriques

 

Catholique et Français, toujours !

« Paris, c’est nul. C’est tout gris et tout moche. Il n’y a que du béton et du goudron », affirma vigoureusement le garçon.

« N’importe quoi, rétorqua sa sœur, les joues rougies par la colère, Paris c’est la capitale de la France, avec les plus beaux monuments du monde. Notre-Dame, les Invalides, La Tour Eiffel (…) »

« La Tour Eiffel, ce gros tas de ferraille !?! » ricana son frère.

La discussion est animée. Les enfants ne sont pas loin de s’écharper. Lors d’un passage à Paris, à l’occasion du pèlerinage, le grand frère affirma fortement sa satisfaction de quitter enfin la capitale et son béton pour retrouver sa verte contrée, chez lui. Sa sœur, au contraire, les yeux encore remplis des images des grandes avenues parcourues et de la messe, rétorqua que la vie à la campagne dans l’ouest, c’était chouette pour les vacances, pour contempler les vaches aussi, mais que rien ne pouvait dépasser Paris. De là vint une discussion animée. Chacun des enfants ajouta son grain de sel, se réclamant de Corrèze, d’Alsace, de Paris, de la Vendée… La dispute était sur le point d’éclater mais les parents coupèrent court aux échanges.

De plus en plus, les familles déménagent au cours d’une vie. Cela est particulièrement vrai pour les militaires : ils emmènent femme et enfants, dans leur paquetage, au gré des mutations. Mais de plus en plus aussi, les familles de civils changent de région, pour se rapprocher d’une bonne école, pour quitter la ville, pour prendre un nouveau poste. Ainsi, les familles sont moins enracinées qu’autrefois. Certaines ont la chance d’avoir un point d’ancrage, une vieille maison de famille, transmise sur deux ou trois générations, parfois sur plusieurs siècles. D’autres n’ont plus la vieille maison chargée du souvenir des anciens, mais les enfants gardent dans leur cœur le souvenir et la fierté des origines familiales. Et chaque fois que le nom du village des aïeux, celui de la rivière qui le traverse ou la silhouette des paysages qui l’entourent, surgissent dans leur mémoire, les enfants dispersés éprouvent un doux sentiment joyeux et nostalgique, comme un parfum d’enfance qui apaise le cœur. Mais, dispersés de plus en plus aux quatre coins de France, voire au-delà, les familles du XXIe siècle s’enracinent dans de nouvelles contrées. Les enfants, notamment, en plus de la fierté des origines familiales, s’identifient à leur terre d’adoption. Voilà qu’untel, né à Versailles, se sent presque chez lui dans la Galerie des Glaces. Ou unetelle, née à Carcassonne, ne se défend pas contre la pointe d’accent qui chante parfois dans sa voix. Ainsi, le pays de naissance, celui des vacances, des études ou de la première installation devient parfois une nouvelle petite patrie. Mais une patrie naturelle seulement.

Lors de la grande procession, comme chaque année, les pèlerins chantèrent à tue-tête le traditionnel « Catholique et Français toujours » ! Les deux mots sont dans le bon ordre : catholique d’abord, Français ensuite. Car avant notre patrie naturelle, notre patrie du Ciel, notre patrie surnaturelle est la plus importante. C’est elle qui nous vivifie véritablement, c’est en elle que vit notre Père du Ciel, c’est d’elle que nous tenons notre héritage par l’intermédiaire du Christ et de son Eglise. Notre patrie de la terre vient après. Oh, il ne faut pas la négliger, cela ne serait pas chrétien. Dieu a voulu les nations, comme il a voulu les familles. Mais il faut considérer notre patrie de la terre à l’aune de celle du Ciel. Nous sommes fiers d’elle quand elle aime Notre Seigneur, porte son étendard, se soumet à ses lois, instaure son règne social. Mais nous devons combattre ses représentants, son influence, ses lois mêmes, si elle venait à prendre l’étendard de Satan contre Dieu. Alors oui, Catholique et Français, d’abord  Catholique, puis Français. D’abord Jésus-Christ, puis nos pères, nos villages, nos pays, notre nation. Et en ce sens, notre première patrie charnelle sur la terre, c’est Rome.

Rome, choisie par Dieu, entre toutes les cités, pour devenir le siège de son Eglise … Notre patrie à nous tous, les Catholiques. Cet été, beaucoup auront la chance d’y péleriner, de pénétrer dans les grandes basiliques par les portes saintes, d’obtenir les indulgences, biens insignes donnés par Dieu aux hommes, par l’intermédiaire de son vicaire. A Rome, le catholique est chez lui. Il doit se sentir chez lui. Comme parfois, dans d’autres cités de la Chrétienté, devant un calvaire ou à l’intérieur d’une cathédrale, il retrouve l’étendard du Christ et la maison du Père, et s’y sent chez lui. Cela est plus vrai encore à Rome, mère de toutes les églises. Alors oui, chantons gaiement « Catholique et Français », toujours ! Catholique romain d’abord, Français ensuite.

 

 Louis d’Henriques

 

Montjoie, Saint Denis !

La forêt grouille du bruit des godillots qui piétinent le sous-bois. Des files de garçons s’avancent précautionneusement, espérant que personne ne les entend. Ils prennent possession du fort. Dans les broussailles, une troupe de garçons en culottes courtes observe « l’ennemi ». Le chef de la bande garde ses yeux rivés vers ces fourbes d’Anglais. Lui-même, avec sa troupe de Français, doit rejoindre sainte Jehanne d’Arc et les armées du roi Charles. Mais après leur avoir volé leur ravitaillement lors du dernier « largage de bouffe », voilà que ces foutus Anglais se sont rendus coupables d’avoir volé Joyeuse, l’épée de Charlemagne. Ils ont déposé la précieuse relique dans leur fortin afin de la protéger des Français. Cela ne se fera. La détermination se lit dans le regard du chef des Français. Il récupérera la précieuse relique et la rendra à Jehanne. Dans sa tête, le chef de patrouille compte les Anglais. Ils sont bien une vingtaine. Le perfide ennemi est sur ses gardes, le gros des troupes est entassé dans le fortin, faisant une muraille humaine derrière les palissades de branches. Le visage illuminé, il se retourne et observe ses petits gars tapis derrière lui. Ils ont les mains sales, le visage barbouillé de charbon, certains se sont attachés des feuilles de fougères avec une ficelle pour améliorer leur camouflage. Les mollets et les bras sont striés de griffures de ronces. Tous les visages sont fixés sur lui, attendant son signal. Dans les yeux des garçons, l’aventure brille de mille feux. La grande aventure, celle qui élève les cœurs et emporte tous les sacrifices. Le chef leur sourit. L’heure de la grande bataille a sonné. Il se lève, en hurlant de toutes ses forces. Derrière lui, le sol tremble sous la charge des scouts. Un grand cri résonne sous les arbres : « Montjoie, Saint Denis ! » Des siècles d’héroïsme déferlent dans les pas des petits gars.

Nous connaissons ces cris de guerre qui transportent les cœurs et anéantissent les peurs. Certains résonnent encore entre les pages des livres d’Histoire : le « Deus Vult » des Croisés, le « Semper Fidelis » des Templiers, le « Saint Georges » des Anglais, le « Toulouse » des comtes de Toulouse ou le « Montjoie Notre Dame » des Bourbons !

Beaucoup de familles héritent aussi d’une devise avec leur nom. Ces cris de ralliement sont comme des bannières sous lesquelles on se rassemble pour faire face à l’adversité ou simplement pour afficher son attachement à quelque chose qui nous dépasse : la famille, la patrie, Dieu. Parfois, le simple fait de crier sa devise, même simplement en pensée, raffermit notre volonté vacillante.

 

Peu après la fin de la deuxième guerre mondiale, un jeune homme mourut accidentellement, tué par une mine anti-personnelle laissée par les Allemands. Sa mort causa une grande douleur à ses parents, ses frères et sœurs, à ses amis, à ses scouts et à son aumônier. Gérald était son prénom. Ses proches l’estimaient pour sa grandeur d’âme, sa générosité, son enthousiasme, sa fidélité à servir là où Dieu l’avait placé. On retrouva quelques écrits et pensées dans ses affaires après sa mort, qui témoignèrent de la Charité qui habitait son âme. Dieu révèlera au Jugement Dernier la grandeur de ces nombreuses âmes saintes et cachées aux hommes, qui fleurissent dans les familles vraiment catholiques. Le jeune homme avait une devise qui résumait toute sa vie : « A bloc, avec le sourire, par la grâce de Dieu ». Les mots d’un chrétien, d’un scout, d’un chevalier dans l’âme ! Peut-être ces simples mots étaient-ils la clé de sa vie intérieure ?

L’enthousiasme du chrétien est un mélange d’abandon et de joie. Abandon, car tout ce qui nous arrive est voulu par Dieu. Sa Providence gouverne le monde. Rien n’est laissé au hasard. Dans toutes les situations, Dieu est présent. Alors, sourions ! Sursum Corda !  Et de là, découle la joie. Peu importe les choses d’ici-bas, seules comptent les choses d’en-haut. Peu importe nos états d’âmes et nos petits désagréments, seule compte la gloire de Dieu. Peu importe notre petite personne et nos faiblesses, seul compte le règne de Notre-Seigneur. Alors, que ne crions-nous pas « Montjoie » avec nos aïeux ! Avec Jeanne, osons, « Seigneur Dieu Premier Servi » !

Nous pouvons nous inventer une devise personnelle ou nous en approprier une, dans le secret de notre cœur. Pourquoi pas « A bloc, avec le sourire, par la grâce de Dieu » ? Ou autre chose. « A Dieu, pour toujours ! » ? Demandons à notre Ange Gardien de nous inspirer. Les anges n’ont-ils pas crié avec saint Michel : « Qui est comme Dieu ? »

Quelques mots qui terrasseront nos peurs et nos caprices ! Quelques mots qui nous aideront à nous vider de nous-mêmes pour nous remplir de Dieu. N’est-ce pas cela, l’enthousiasme ?

Montjoie ! Sursum corda !

 

 Louis d’Henriques