La pénitence au foyer

Oui, affirment les uns ; la mortification volontaire est nécessaire pour garder l’élan de l’être vers Dieu, pour rester maître de soi-même, pour pouvoir donner aux autres davantage de son temps, de son argent, et se mouvoir plus librement au milieu des grandes ou petites épreuves venant de l’extérieur.

Non, disent les autres ; il y a tant d’occasions de se mortifier, imposées par les circonstances ! D’ailleurs n’y a-t-il pas plus d’humilité à accepter qu’à choisir, à faire acte d’abandon ?

En réalité, la marque de la vraie Pénitence, quelle qu’en soit la forme, est qu’elle est faite par amour. Prenons garde de ne pas négliger l’essentiel en faveur de l’accessoire et de ne pas nous charger au-delà de nos forces. Ce sont surtout les circonstances extérieures qui nous donnent les plus sûres indications : « Un autre te ceindra et te mènera où tu ne voulais pas aller, » dit Notre-Seigneur à saint Pierre. « Les événements sont des maîtres que Dieu nous donne de sa main. » Comment allons-nous les accueillir ?

Si nous acceptons la vie passivement, en courbant le dos, en disant oui parce que nous ne pouvons pas faire autrement, c’est peu pour un chrétien. Mais si nous acceptons avec joie la volonté divine, pour l’amour de Dieu, alors on peut dire que la mortification, quand elle se présente, est bien volontaire, quoique non choisie. Par là nos vies s’établissent dans un authentique esprit de pénitence, nous rapprochant en quelque sorte des âmes qui, dans les monastères, en font profession. N’avons-nous pas en effet, comme elles, mille occasions de pratiquer les conseils évangéliques opposés aux grandes convoitises humaines, malgré les différences de nos existences dans leurs formes et leurs devoirs ?

Esprit de pauvreté

La contrainte financière est actuellement effective à un degré plus ou moins grand dans la plupart de nos familles. Ne pas se laisser irriter par ses constants rappels, ne pas gémir en comparant notre vie à l’existence d’autres, accepter de porter une étoffe moins jolie, de prendre et d’offrir des repas moins fins, de vivre dans un cadre défraîchi qu’on ne peut renouveler, dans un espace trop étroit, mal chauffé ; de supprimer des distractions coûteuses, un spectacle, un voyage ; d’exercer un métier avec ardeur pour faire vivre les siens ; de s’y tenir malgré un trajet fatigant ; de se priver d’aide et d’outillage sans révolte, de demander aux autres de prendre part à tous ces sacrifices, tout en gardant la plus lourde part. Se voir, et leur voir interdire certaines formes de beauté, des fleurs, un piano, des beaux livres…Accueillir les renoncements exigés dans la vie amicale, sociale et même spirituelle. Accepter enfin et offrir la pauvreté dans notre être physique et moral : notre fatigue, nos maladresses, nos incapacités ; accepter, sans ralentir nos efforts de progrès, de ne pas apporter au conjoint, aux enfants, tout ce que nous voudrions pour eux, et aussi de ne pas recevoir ce que nous en espérions. Être heureux de nous dépouiller complètement de nous-même, de voir notre temps, nos pensées, nos forces, notre tranquillité dévorés par les nôtres ; être heureux de ne plus rien posséder qui ne soit pas partagé…  « Mon Dieu, j’accepte toutes ces pauvretés que vous voulez pour moi ! »

 

Esprit de chasteté

La chasteté des époux est d’abord la fidélité de l’un à l’autre jusque dans les moindres pensées. Il est certain que pour beaucoup d’époux, même fortement attachés l’un à l’autre, il y a là de nombreuses occasions de mortification, « tant la nature trouve de plaisir dans les imaginations vagabondes, les rêveries où l’on trouve une liberté illimitée, les relations, une amitié où, sans qu’on veuille entrer aucunement dans le domaine du péché, la vague idée qu’on joue un peu avec le feu ne manque pas d’un certain attrait » (Jeanne Leprince-Ringuet). L’esprit de pénitence, dans cet ordre, nous poussera à ne pas rechercher l’attention, ni les attentions d’autrui, à vouloir oublier volontairement un compliment, à déchirer une lettre flatteuse, à renoncer à telle sortie, à telle occasion de nous montrer sous un jour séduisant… Cependant, ici encore, que nos mortifications soient simples, discrètes, ne mettent pas de complications, de tensions là où il faut la droiture et « la liberté des enfants de Dieu ». La chasteté, c’est encore la façon d’user avec élévation d’âme des joies de l’amour charnel et d’en demeurer maîtres ; c’est la pratique d’une continence que la pauvreté, le manque de santé… rendent souvent obligatoire. Alors la pénitence peut devenir héroïque, toute d’amour : amour de Dieu dont on ne veut pas transgresser la loi ; amour humain de l’époux plein de compassion pour la faiblesse féminine et soucieux de ne point l’accabler d’un cruel fardeau, ou de l’épouse qui, au contraire, accepte la perspective d’un devoir pesant afin que Dieu ne soit pas offensé, et son mari tenté au-delà de ses forces.

Esprit d’obéissance

Ici, l’on a affaire à un conjoint imparfait, à un travail pressant, aux imprévus, aux nécessités des divers membres de la famille… Et voici requis l’abandon de ce qui nous tient peut-être le plus à cœur, celui de  notre volonté propre, celui de notre point de vue pour avoir «  le respect de l’autre », pour réviser nos manières d’être, pour nous améliorer dans notre rôle éducatif, pour accepter de transformer, et même de perdre cette chère petite personnalité à laquelle nous sommes si attachés…Sacrifier nos goûts pour telle occupation, telle manière d’arranger la maison, d’organiser les vacances, renoncer à une foule de petites habitudes sans importance en soi, mais qui sont dans notre tempérament, dans nos préférences sans l’être dans ceux des autres… Ici particulièrement, la mortification, sans être absolument choisie, peut devenir vraiment volontaire. On voit tant d’époux qui n’ont pas un tel esprit de soumission et d’humilité. Cependant que de joie et quelle libération apporte cette attitude de pénitence difficilement acquise ! Elle n’est pas une démission de notre dignité, ni une lâcheté devant les responsabilités dont nous chercherions à nous débarrasser. Joie et libération sont vraiment les fruits d’un réel esprit de pénitence. L’impatience, la tristesse devant les difficultés ne sont plus nôtres et laissent place à la bonne humeur à travers les soucis quotidiens. Et si, malgré une joie profonde de l’âme nous avons un tempérament un peu bouillant, agité, prêt aux paroles ou aux gestes trop prompts, ou au contraire froid et dépourvu de gaité, une mortification tout indiquée et nécessaire au bonheur des autres sera de le travailler pour le rendre plus… « eutrapélique » ! De même en ce qui concerne les défauts de la parole : « Mieux vaut triompher de sa langue que jeuner au pain et à l’eau » (Saint Jean de la Croix)

Ainsi Dieu nous mène par ses chemins, qui ne sont pas toujours les nôtres. Que nos pensées deviennent les pensées du Seigneur ; que nos voies suivent ses voies, même rudes, jusque dans les moindres détails de notre devoir d’état ; ce sera le fruit d’amour pour Dieu qui doit nous inspirer l’esprit de pénitence à rendre notre volonté plus souple, plus aimante, plus virile et plus allègre.

Saint et joyeux Carême !

 

Sophie de Lédinghen

 

Devoirs d’époux

« Est sans tache devant Dieu quiconque accomplit, avec fidélité et sans faiblesse, les obligations de son état. Dieu n’appelle pas tous ses enfants à l’état de perfection, mais Il invite chacun à la perfection de son état. » (Abbé de Fontgombault)

Pour les époux catholiques, le mariage n’est pas une alliance purement humaine ; il est un contrat où Dieu a sa place, la seule qui lui convienne, c’est-à-dire la première.

Le mariage a été institué pour la propagation du genre humain, fin première du mariage. Viennent ensuite les fins secondaires qui sont multiples, et non facultatives ou négligeables, mais tout simplement subordonnées à la première. Il s’agit du soutien mutuel et du remède à la concupiscence qui viennent soutenir, perfectionner la fin première comme un appui à la fois matériel, physique, sentimental, affectif, spirituel. C’est ce soutien mutuel qui est, pour les époux, le moyen providentiel de leur perfectionnement personnel et social, de leur progrès moral et de leur sanctification. C’est en recherchant les fins secondaires que les époux atteindront la fin première.

 

Les fins secondaires

Cette charité que les époux se doivent l’un à l’autre ne sera pas seulement une inclination purement charnelle, ou bornée à des paroles affectueuses, mais résidera dans les sentiments intimes du cœur, et se manifestera par l’action extérieure. L’amour conjugal n’est pas une passion égoïste mais un don mutuel et affectif. « Devoir si grand que l’Apôtre ne veut pas qu’un des époux s’en puisse exempter sans le libre et plein consentement de l’autre. » (Saint François de Sales)

La fidélité conjugale requiert que l’homme et la femme soient unis par un amour particulier, par un saint et pur amour ; ils ne doivent pas s’aimer à la façon des adultères, mais comme le Christ a aimé son Église. Et le Christ a assurément enveloppé son Église d’une immense charité, non pour son avantage personnel, mais en se proposant uniquement l’utilité de son épouse. Le bien de la fidélité conjugale comprend donc l’unité, la chasteté, une digne et noble obéissance qui ont pour effet de garantir et de promouvoir la paix, la dignité et le bonheur du mariage.

Le remède à la concupiscence soutient et fortifie les époux. On appelle concupiscence cette tendance aveugle de nos facultés sensibles vers leur objet. En tant que tendance naturelle, la concupiscence est bonne, mais depuis la révolte d’Adam et Eve contre Dieu, cette tendance est désordonnée, la chair est désormais en révolte contre l’esprit. Ce désordre entraîne des tentations des sens contre lesquelles il faut parfois lutter avec force, obligeant la volonté à choisir entre le bien particulier et le bien supérieur. Ces choix sont certes des tentations, mais qui fournissent aussi des occasions de prouver à Dieu notre amour, d’augmenter notre mérite et de fortifier notre vertu. Quelle que soit la violence de la tentation, Dieu est là avec sa grâce toute puissante pour nous soutenir dans le combat.

« L’homme est le prince de la famille et le chef de la femme ; celle-ci, toutefois, parce qu’elle est, par rapport à lui, la chair de sa chair et l’os de ses os, sera soumise, elle obéira à son mari, non point à la façon d’une servante, mais comme une associée ; et ainsi son obéissance ne manquera ni de beauté ni de dignité. Dans celui qui commande et dans celle qui obéit – parce que le premier reproduit l’image du Christ, et la seconde l’image de l’Église – la charité divine ne devra jamais cesser d’être régulatrice de leur devoir respectif. » (Léon XIII)

« La sanctification mutuelle dans la société domestique ne comprend pas seulement l’appui mutuel ; elle doit viser plus haut, elle doit viser à ce que les époux s’aident réciproquement à former et à perfectionner chaque jour davantage en eux l’homme intérieur. » Leur vie quotidienne les aidera ainsi à progresser jour après jour dans la pratique des vertus, à grandir surtout dans la vraie charité envers Dieu et envers le prochain, cette charité où se résume en réalité « toute la Loi des Prophètes ».

Les deux époux deviennent sanctificateurs l’un de l’autre et l’un pour l’autre. Non pas seulement au sens des réconforts, des élans du cœur, des exemples, des attentions, des dévouements, du partage des épreuves. Au moment où ils ont échangé de façon libre et sincère leur consentement, « ils ouvrent l’un à l’autre le trésor de la grâce sacramentelle ». Il y a là un cadeau particulier du Christ, adapté aux âmes qui se disent « oui », et ensuite à tout leur état de vie. Toutes les vertus, qualités et générosités ultérieures sont transfigurées par cette grâce. Toutes les fidélités y trouvent un appui spécial et privilégié. (Pie XI Casti connubii)

La fin première

Pour aider les époux à remplir leur mission et atteindre la fin première du mariage, qui est non seulement la procréation mais l’éducation des enfants, l’Église fait appel à la raison, au devoir et à la conscience, au véritable amour, à la générosité dans le don de la vie, aux responsabilités des parents, pour décider devant Dieu du nombre d’enfants qu’ils seront en mesure d’élever.

Les parents chrétiens doivent comprendre qu’ils ne sont pas seulement appelés à propager et à conserver le genre humain sur la terre, qu’ils ne sont même pas destinés à former des adorateurs quelconques du vrai Dieu, mais à donner des fils à l’Église, à procréer des concitoyens, des saints, et des familiers de Dieu. C’est pourquoi, dès que naît un enfant dans une famille catholique, il y a obligation de le baptiser. Sans ce sacrement, il ne peut y avoir de salut pour son âme puisque, n’étant pas membre de l’Église, il ne reçoit pas la vie de la grâce.

Un impérieux devoir d’éducation de leurs enfants s’impose aux parents à la fois par la nature, le Créateur, et l’Église catholique. Ce tout-petit enfant que Dieu vient de leur confier, les parents doivent le prendre dans cet état qui n’est presque rien, et l’élever, le faire monter, le conduire jusqu’à la taille du Christ. Œuvre de longue haleine, souvent difficile et ingrate, toujours exaltante ! La raison de ce devoir réside dans le fait que l’enfant n’est pas la propriété de ses parents. Il est un dépôt que Dieu leur a confié et qu’ils doivent conduire jusqu’à sa pleine autonomie, lui fournissant tout ce qui lui est nécessaire pour atteindre le but en vue duquel ils l’ont procréé : le Ciel !

Pour cela, les parents exerceront leurs enfants à développer cette grâce de leur baptême, cette vie divine sanctifiante, cette charité qui rend gracieux aux yeux de Dieu, par la prière et la pratique des sacrements. Alors, dans ces enfants transformés jusqu’au plus intime par cette charité surnaturelle apparaîtra la distinction de fils de Dieu qui gagnera les cœurs autour d’eux ; et leur savoir vivre, leurs bonnes manières, fleurs de la charité, les rendront agréables à leur prochain.

A l’éducation des parents se rattachent deux devoirs : celui de l’école et celui de l’éducation sexuelle.

Pour une éducation cohérente, l’école n’est pas autre chose que le « prolongement de la famille ». Pour la famille chrétienne, il ne saurait y avoir d’autre école que chrétienne. En effet, l’éducation a pour but de préparer l’enfant à sa destinée. L’école chrétienne est celle où tout l’enseignement, toute l’ordonnance de l’école, personnel, programme et livres sont régis par un esprit vraiment chrétien, sous la direction maternelle vigilante de l’Église, de telle façon que la religion soit le fondement et le couronnement de tout l’enseignement à tous les degrés, non seulement élémentaire, mais moyen et supérieur. Et n’allons pas croire que le jardin d’enfants (classes de maternelle) le plus proche de chez nous soit sans danger pour l’âme des petits qui ne font « que du coloriage »… Les histoires que l’on y raconte ne sont plus les contes de notre enfance, mais peuplées de personnages wokistes, et autres « nouveautés désordonnées » plutôt alarmantes… Là où les parents sont contraints de confier leurs enfants à l’école neutre, ils se doivent de collaborer loyalement et cordialement avec les maîtres de cette école, de surveiller et de compléter la formation donnée à leurs enfants.

« Les parents ne sauraient se dérober à cette responsabilité de donner une éducation sexuelle ni par une lâche abstention, ni par un silence coupable à l’heure où leurs enfants attendent d’eux, aux diverses étapes de la croissance, des explications légitimes » (Cal Suenens). Deux erreurs sont à éviter dans cette éducation : la première consiste à en dire trop, et la deuxième pas assez. Beaucoup trop de parents, se dérobant à leurs responsabilités, ne parlent pas de ces choses avec leurs enfants. C’est un grave problème car les conséquences en sont désastreuses pour les enfants. N’ayant pas appris de ceux qui avaient grâces d’état pour le renseigner sur ce qu’il avait besoin de savoir, l’enfant a recherché par lui-même, ou bien s’est laissé former, ou plutôt déformer, par un inconnu plus ou moins vicieux qui lui a appris le mal au lieu de lui révéler le plan de Dieu.

 

Faisons donc de toutes nos obligations familiales un véritable devoir d’état, en les centrant sur Dieu, en faisant d’elles un acte continu d’amour et d’offrande. Alors notre activité s’orientera d’elle-même dans le sens voulu par Dieu, notre devoir d’état sera vraiment le prolongement de notre vie contemplative ; et le rayonnement de notre vie familiale en deviendra infiniment plus efficace. C’est ainsi que les époux chrétiens, appuyés l’un sur l’autre, comprendront que le mariage, sacrement d’union, est aussi un sacrement de persévérance.

 

Sophie de Lédinghen

 

« Un glaive de douleur te percera le cœur »

Depuis le péché de notre premier père, la souffrance est la loi des hommes. Elle atteint les pécheurs et elle atteint les justes. Mais ceux-ci, s’ils ont assez de foi, trouvent une consolation au milieu de leurs souffrances. Quel catholique ignore que celle que le Bon Dieu a chargé tout spécialement de porter soulagement à ceux qui souffrent, est Marie, celle que l’on invoque sous le vocable de « Consolatrice des affligés » ? Marie que Dieu s’était réservée pour devenir la mère de son propre Fils, et qu’Il n’a pourtant pas préservée de dures souffrances.  « Un glaive de douleur te percera le cœur » lui avait prédit le vieillard Siméon

 Les douleurs de Notre-Dame

Si Dieu préserva cependant la Vierge Marie des douleurs de l’enfantement de son Fils, Il n’épargna pas ses souffrances lors de la fuite en Égypte pour sauver la vie de son petit enfant-Dieu qu’Hérode voulait massacrer ; puis lors de la recherche éperdue de son Jésus égaré, et enfin retrouvé au temple au bout de trois longs jours d’inquiétude. Et encore, durant les trois années de sa vie publique, quand il savait combien, dans sa solitude, elle pensait sans cesse à lui, se réjouissait de ses succès, s’affligeait de ses douleurs ; il savait aussi comment les supplications et les immolations que sa mère offrait sans cesse au Père fécondaient mystérieusement son œuvre : les pécheurs se convertissaient plus facilement, les âmes généreuses se donnaient plus entièrement parce que là-bas, dans son étroite chambre de Nazareth, Marie priait Dieu pour le succès de son grand fils Jésus.

Vint le moment du sacrifice suprême. Jésus voulut que sa Mère fût près de lui. Le Christ expirant et la Mère des Douleurs au pied de sa croix… Union visible entre le Crucifié et sa Mère, qui n’était que l’image d’une autre union bien plus intime, d’une union qui associait Marie non seulement aux souffrances mais à la mission même de son Fils. Ce fils, Dieu l’avait envoyé dans le monde pour racheter l’humanité, et il devait la racheter de concert avec sa Mère : il serait Rédempteur, elle serait Corédemptrice.

Pourquoi cette union dans la douleur et le sacrifice ? Car Jésus voulut que sa Passion, infiniment efficace en elle-même, le fût davantage grâce au concours de sa Mère. Il avait décidé qu’elle serait aussi notre Mère. Pour cela, il fallait qu’elle nous enfantât à la vie surnaturelle.

Le salut gagné dans la douleur

Toute autre mère donne le jour à son enfant dans la douleur. Toute vie commence ainsi sous le sceau de la souffrance qui devient aussi promesse d’enfantement faite à nos douleurs.

« Étonnante décision de la Miséricorde, car enfin la mort eut pu n’être que mort, et la douleur que destruction de la vie au profit de la mort dont elle est l’avant-garde. Il fallait un Créateur  >>>  >>> passionné de création, un Père passionné de miséricorde pour que, de la douleur et de la mort, nées du péché, rejaillisse la vie1. »

Ainsi avons-nous l’assurance que douleur et vie sont liées l’une à l’autre de telle manière que de l’une jaillira l’autre. Le ton est donné : dans notre vie naturelle, comme dans notre vie spirituelle, nous aurons à souffrir, à lutter contre bien des obstacles, bien des fatigues, des agacements, des épreuves terrestres plus ou moins lourdes, pour finalement « nous enfanter » au bonheur éternel promis par Dieu, s’Il nous en juge dignes.

Ainsi la mère, à l’heure redoutée de l’enfantement, se sent-elle à la fois triste d’avoir à souffrir, mais si heureuse de donner un nouvel enfant au Dieu vivant. Souffrance et joie amplement partagées moralement par son époux tout désemparé.

La première fois que nous arrive ce merveilleux événement, nous croyons naïvement en une chose accomplie : un être neuf est né de nous, c’est fait. Il nous semble maintenant destiné à vivre pour son compte, le plus pénible de notre tâche nous paraît achevé, quoi que nous n’ignorions pas qu’il faudra veiller.

Quelle erreur ! C’est ensemble, maintenant, et pendant de longues années que le père et la mère continueront d’enfanter dans la douleur. La vie de l’enfant exigera miette à miette leur propre vie où l’inquiétude est entrée avec l’amour de cet enfant fragile. À ses parents de le conduire à travers les écueils qui guettent la vie de son corps, et bientôt celle de son âme. Ils ne le feront pas sans risques, sans souffrances, ni sans déchirements. Plus tard pourront venir des heures difficiles où leur enfant sera en peine ou en danger au point de beaucoup les affecter. À eux de consentir un nouvel enfantement spirituel dans la souffrance et la prière.

Ne nous disons jamais « je ne peux rien pour lui » puisque nous pouvons au moins souffrir, et offrir cette souffrance pour sa délivrance. Et si nos douleurs n’écartent pas tel mal de ceux pour qui nous les offrons, n’allons pas les croire stériles ! Il existe d’invisibles libérations qui ne sont pas moins belles, et gardons confiance en notre divin Père de qui nous vient la promesse : « Tu enfanteras dans la douleur. »

Aux heures de doutes, ou de lassitude, tournons-nous vers Marie. Déposons au creux de son Cœur Douloureux non seulement nos maux et nos tourments, mais aussi nos joies et nos espoirs. Livrons à la meilleure des Mères ce qui nous pèse, autant que nos secrets les plus doux. Qu’y a-t-il de meilleur que le cœur aimant et consolant de notre bonne Mère du Ciel ; que craignons-nous, alors qu’elle nous a annoncé « À la fin mon Cœur Immaculé triomphera » ?

Doux cœur de Marie, soyez notre salut !

Sophie de Lédinghen

 

1 Rozenn de Montjamont

 

 

L’instant présent

L’instant présent est d’abord celui de la présence de Dieu : « Je serai avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. » Dieu est l’éternel présent. Nous devons être convaincus que chaque instant, quel qu’en soit le contenu, est plein de la présence de Dieu, riche d’une possibilité de communion spirituelle avec lui. On ne communie à Dieu ni dans le passé, ni dans le futur, mais en vivant chaque instant en sa présence.

Au lieu d’être constamment projeté dans le passé ou dans l’avenir, il faudrait apprendre à vivre chaque moment comme se suffisant à lui-même car Dieu est là, et si Dieu est là je ne manque de rien.

Notre sentiment de vide, de frustration, d’inquiétude, l’impression de manquer de telle ou telle chose vient souvent du fait que nous vivons dans le passé (regrets, déceptions…), ou dans l’avenir (peurs, vaines attentes…) au lieu de vivre chaque instant en l’accueillant tel qu’il est, riche de la présence de Dieu qui nous nourrit et nous fortifie. Vivre ainsi l’instant présent dilate le cœur ! « Apprenons à lancer notre cœur à Dieu », recommande saint Bernard. Le Seigneur se sent alors comme chez Lui dans l’âme qui s’abandonne tout à Lui.

 

Aujourd’hui

Sans me soucier du passé ni de l’avenir, aujourd’hui je décide de croire, aujourd’hui je veux mettre toute ma confiance en Dieu, aujourd’hui je choisis d’aimer Dieu et mon prochain, et le jour suivant, nouvel « aujourd’hui » qui m’est accordé par la grâce divine, je recommence. Et ainsi de suite inlassablement, sans chercher à mesurer mes progrès, sans me décourager de mes faiblesses, sans me targuer de mes réussites, ne comptant pas sur mes propres forces, mais m’appuyant sur la Providence dans une présence de Dieu constante.

Sainte Thérèse de Lisieux disait : « Pour t’aimer ô Jésus, je n’ai rien qu’aujourd’hui… C’est parce qu’on pense au passé et à l’avenir qu’on se décourage et qu’on se désespère. »

Ce qui nous écrase, c’est bien souvent la projection dans l’avenir. Ce n’est pas la souffrance, mais l’idée que nous en avons. « Le grand obstacle, c’est toujours la représentation et non la réalité. La réalité, on la prend en charge, on la hisse sur ses épaules, et c’est en la portant que l’on accroît son endurance. Mais la représentation de la souffrance, – qui n’est pas la souffrance car celle-ci est féconde et peut nous rendre la vie précieuse – il faut la briser. Et en brisant ces représentations qui emprisonnent la vie derrière leurs grilles, on libère en soi la vie réelle avec toutes ses faces, et l’on devient capable de supporter la souffrance réelle dans sa propre vie. »

 

Femme, pourquoi pleurez-vous ? Qui cherchez -vous ?

La foi de Marie-Madeleine a été mise à rude épreuve. Tantôt paisible et priante, tantôt pleurante et souffrante… La foi de la grande convertie a été modelée, purifiée par la sage pédagogie de Dieu. On aurait pu penser que cela suffisait, mais il n’en est rien ! La bonne et fidèle Madeleine va subir une nouvelle purification. Comment Jésus va-t-il s’y prendre ? En laissant quelque temps la pauvre femme troublée par ses propres pensées, ses manières, ses projets… >>>  >>> Or ce côté trop humain doit être anéanti pour que l’âme puisse se plonger sans retour dans la joie de la Résurrection.

Il est tôt le matin, Marie-Madeleine se rend au sépulcre qu’elle trouve vide, la pierre roulée. Une peur panique, irrépressible, l’angoisse du tombeau vide la gagne subitement. Saisie de vertige, elle court auprès de Pierre et Jean : « Ils ont enlevé du sépulcre le Seigneur, et nous ne savons où ils l’ont mis ! » Elle retourne ensuite au sépulcre et se retrouve seule, elle s’agite, tout en pleurs parcourant le monde par son imagination affolée…

On se souvient que Marie-Madeleine avait tout donné à Jésus, à commencer par elle-même. Elle avait vu en lui sa miséricorde éternelle et s’était livrée à Lui. Jésus était sa vie, sa joie, son espérance, son tout. Et Le voilà perdu, disparu. Que Lui a-t-on fait ? Où est-Il ?

La foi de Madeleine traverse un nouveau purgatoire, une épreuve terrible mais nécessaire pour jouir bientôt de « l’union transformante ». C’est en passant par le feu que le sable devient verre. La pécheresse convertie doit apprendre que Dieu n’est jamais plus présent que lorsqu’on le croit absent. Bossuet a très bien exprimé ce mystère :

« Vous plaindrez-vous qu’il vous a trompée ? Non, non il ne vous trompe pas ; ou s’il nous trompe, c’est d’une autre sorte. C’est qu’il nous unit à lui plus intimement dans le temps même que tous nos sens n’éprouvent qu’éloignement et séparation. C’est ainsi que l’amour doit être traité pendant ce pèlerinage.

Il faut qu’il se nourrisse de la foi, qu’il ne vive que d’espérance ; qu’il croisse parmi les détachements et les privations les plus tuantes ; car il faut non seulement qu’il meure martyr de Jésus-Christ, que ses propres ardeurs soient son martyre, et que son bien-aimé même soit son tyran. […] Telle est la conduite, tels sont les détours, telle est la tyrannie de l’amour divin durant ces temps misérables de captivité et d’exil1. »

« Le chrétien de tous les temps n’est pas exempt de telles épreuves. Il connaît aussi l’angoisse du tombeau vide quand il assiste impuissant à la perte de la foi chez un fils ou un frère, au désastre d’un foyer qui se déchire, aux sacrilèges liturgiques, aux profanations du sacerdoce. Autant de tombeaux, autant de sanctuaires souillés par la main des impies, autant de désastres qui laissent l’homme de Dieu désarmé, autant de vides qui arrachent les larmes de compassion, autant de tabernacles qu’il faut rendre au Seigneur. Quel tourment pour le cœur qui aime Dieu ! Mais l’Esprit Saint passe et prépare l’âme à la vision2. »

« A chaque jour suffit sa peine », essayons de suivre cet enseignement du Christ, et de ne pas ajouter à la peine du jour, qui est déjà bien suffisante, celle d’hier et celle de demain ! Pour cela exerçons-nous à ne porter que la difficulté d’aujourd’hui, en remettant le passé à la Miséricorde divine, et l’avenir à la Providence.

 

Sophie de Lédinghen

 

 

1 Bossuet, Discours inédit

Sainte Marie-Madeleine, la foi victorieuse. Ed. du Saint Nom

 

L’amour maternel

La famille est l’image de la sainte Trinité ; la mère y représente l’amour, le père l’autorité ; et tous les deux participent à cette sagesse qui les éclaire sans cesse. Voilà pourquoi ils sont inséparables, et doivent présider ensemble à l’éducation de leurs enfants. Chacun des deux parents y a un rôle à jouer avec le caractère et la fonction particulière de l’un et de l’autre. Mais tous les efforts tentés pour le remplir doivent être harmonisés, conjugués, et tendre au même but : la formation de l’homme futur et de l’enfant de Dieu. C’est cependant à la mère que revient la majeure partie de la tâche, surtout dans la petite enfance, car elle vit davantage avec ses enfants, elle est plus clairvoyante, et aime avec plus de dévouement.

On peut dire de la mère qu’elle a l’instinct de l’éducation ; elle le doit à la mission même que Dieu lui a confiée. Comme la fille de Pharaon l’a dit autrefois à la mère de Moïse, Dieu dit à l’épouse : « Recevez cet enfant, élevez-le pour moi. » Et comme Dieu n’emploie pas ses créatures et n’agit pas par elles sans leur communiquer quelque chose de ses attributs divins, Il a su donner aux parents, et à la mère plus spécialement, une participation de sa sagesse, de son intelligence et de sa clairvoyance pour deux raisons principales :

  • Parce que « aimer l’enfant et se faire aimer de lui, sera toujours le grand secret de l’éducation » (F. Kieffer).
  • Parce que l’éducation, qui ne va pas sans de nombreux et pénibles sacrifices, suppose, chez l’éducateur, un amour profond, dévoué et désintéressé. Or, personne n’est capable, au même degré que la mère, des tendresses et des héroïsmes de cet amour. Personne, par conséquent, ne peut lui contester la place qu’elle occupe dans la hiérarchie des éducateurs.

En venant à la lumière du jour, sauf rares exceptions, l’enfant trouve en sa mère une tendresse dans la plénitude de son intensité. Le père est heureux de son nouveau titre, content d’avoir un héritier, mais le bébé, en lui-même, n’éveille pas les enthousiasmes généreux que ressent une femme dans sa maternité expansive et triomphante. 

L’amour de la mère est fait de dévouement et d’abnégation. La mère aime l’enfant à proportion des sacrifices qu’elle s’impose pour lui. Plus il est faible, chétif, plus la part qu’elle lui réserve est grande. Le père, lui, aime davantage l’enfant dans la mesure des satisfactions que celui-ci lui procure.

L’ordre, dans l’amour maternel, consiste à aimer chacun à sa place et à son rang, lui donnant toute la mesure d’affection qui lui est due, sans transporter à l’un le sentiment qui appartient à un autre. Quand l’Évangile nous commande d’aimer tout le monde, même nos ennemis, cela ne veut pas dire qu’on doive aimer tout le monde de la même manière. Notre cœur doit aimer avec discernement, avec intelligence. La mère chrétienne aime Dieu, et doit l’aimer par-dessus tout. Elle aime son mari, ses enfants, ses parents, ses amis, ses proches… Mais ces divers amours sont distincts, chacun a son caractère, sa nuance, son degré d’intensité et de profondeur. La mère aime son mari d’une autre manière qu’elle aime ses enfants. Elle aime ses enfants autrement que ses parents ; et ses amis autrement que ses père et mère. Elle doit se garder d’intervertir l’ordre délicat de cette hiérarchie. De cette concordance, naissent les joies, l’harmonie et la paix.

Certaines mères vouent hélas parfois une affection désordonnée à leurs enfants, (ou même à certains de leurs enfants) et ne savent plus aimer Dieu. À peine leur reste-t-il, parfois, quelque amour pour leur mari ! Au lieu d’aimer leurs enfants selon Dieu et pour Dieu, elles les aiment pour elles-mêmes, elles les regardent comme des propriétés qui leur sont acquises à jamais, elles en font des objets de jouissance et d’adoration. Elles sont comme ivres d’une tendresse naturelle qui les étourdit et les aveugle, mais qui provoque trop fréquemment des regrets et des larmes.

On voit aussi des mères qui ne se contentent pas d’idolâtrer leurs enfants ; elles veulent elles-mêmes être leurs idoles ! Alors une cruelle jalousie se joint à leurs exigences, elles se posent comme le but même de la vie de leurs enfants. Elles s’inquiètent et s’agitent, veulent tout ordonner, tout prévoir, comme si elles étaient seules chargées de fixer l’avenir ; et dans leur activité débordante, oubliant le rôle de la Providence, elles excluent la part de Dieu dans les destinées.

Qu’en résulte-t-il ? Dieu laisse faire. Les enfants eux-mêmes, étouffés sous les étreintes d’une affection égoïste, s’impatientent contre ces excès d’attachement ; et ils secouent le joug, au risque de déchirer le cœur de leur mère.

Notre-Seigneur nous offre, dans l’Évangile, de remarquables exemples de ces divers degrés d’amour. Il aime toute la multitude de ses disciples ; mais il aime de préférence les douze apôtres. Parmi ces douze, trois sont manifestement l’objet d’une distinction spéciale (saint Pierre, saint Jacques et saint Jean) : seuls ils assistent à la divine agonie ; seuls ils sont témoins de la scène du Thabor. Et enfin, parmi ces trois préférés, il en est un qui est l’objet d’une prédilection plus singulière ; c’est celui que l’Évangile désigne toujours sous le nom de bien-aimé (saint Jean).

Telle est la gradation des affections saintes. C’est ainsi que les sentiments s’harmonisent dans un ordre sacré, sans se confondre et sans s’exclure les uns les autres. Le cœur chrétiennement organisé aime tout le monde, et par-dessus tout, Celui qui est le foyer de l’éternel amour.

 

        Sophie de Lédinghen