L’amour maternel

La famille est l’image de la sainte Trinité ; la mère y représente l’amour, le père l’autorité ; et tous les deux participent à cette sagesse qui les éclaire sans cesse. Voilà pourquoi ils sont inséparables, et doivent présider ensemble à l’éducation de leurs enfants. Chacun des deux parents y a un rôle à jouer avec le caractère et la fonction particulière de l’un et de l’autre. Mais tous les efforts tentés pour le remplir doivent être harmonisés, conjugués, et tendre au même but : la formation de l’homme futur et de l’enfant de Dieu. C’est cependant à la mère que revient la majeure partie de la tâche, surtout dans la petite enfance, car elle vit davantage avec ses enfants, elle est plus clairvoyante, et aime avec plus de dévouement.

On peut dire de la mère qu’elle a l’instinct de l’éducation ; elle le doit à la mission même que Dieu lui a confiée. Comme la fille de Pharaon l’a dit autrefois à la mère de Moïse, Dieu dit à l’épouse : « Recevez cet enfant, élevez-le pour moi. » Et comme Dieu n’emploie pas ses créatures et n’agit pas par elles sans leur communiquer quelque chose de ses attributs divins, Il a su donner aux parents, et à la mère plus spécialement, une participation de sa sagesse, de son intelligence et de sa clairvoyance pour deux raisons principales :

  • Parce que « aimer l’enfant et se faire aimer de lui, sera toujours le grand secret de l’éducation » (F. Kieffer).
  • Parce que l’éducation, qui ne va pas sans de nombreux et pénibles sacrifices, suppose, chez l’éducateur, un amour profond, dévoué et désintéressé. Or, personne n’est capable, au même degré que la mère, des tendresses et des héroïsmes de cet amour. Personne, par conséquent, ne peut lui contester la place qu’elle occupe dans la hiérarchie des éducateurs.

En venant à la lumière du jour, sauf rares exceptions, l’enfant trouve en sa mère une tendresse dans la plénitude de son intensité. Le père est heureux de son nouveau titre, content d’avoir un héritier, mais le bébé, en lui-même, n’éveille pas les enthousiasmes généreux que ressent une femme dans sa maternité expansive et triomphante. 

L’amour de la mère est fait de dévouement et d’abnégation. La mère aime l’enfant à proportion des sacrifices qu’elle s’impose pour lui. Plus il est faible, chétif, plus la part qu’elle lui réserve est grande. Le père, lui, aime davantage l’enfant dans la mesure des satisfactions que celui-ci lui procure.

L’ordre, dans l’amour maternel, consiste à aimer chacun à sa place et à son rang, lui donnant toute la mesure d’affection qui lui est due, sans transporter à l’un le sentiment qui appartient à un autre. Quand l’Évangile nous commande d’aimer tout le monde, même nos ennemis, cela ne veut pas dire qu’on doive aimer tout le monde de la même manière. Notre cœur doit aimer avec discernement, avec intelligence. La mère chrétienne aime Dieu, et doit l’aimer par-dessus tout. Elle aime son mari, ses enfants, ses parents, ses amis, ses proches… Mais ces divers amours sont distincts, chacun a son caractère, sa nuance, son degré d’intensité et de profondeur. La mère aime son mari d’une autre manière qu’elle aime ses enfants. Elle aime ses enfants autrement que ses parents ; et ses amis autrement que ses père et mère. Elle doit se garder d’intervertir l’ordre délicat de cette hiérarchie. De cette concordance, naissent les joies, l’harmonie et la paix.

Certaines mères vouent hélas parfois une affection désordonnée à leurs enfants, (ou même à certains de leurs enfants) et ne savent plus aimer Dieu. À peine leur reste-t-il, parfois, quelque amour pour leur mari ! Au lieu d’aimer leurs enfants selon Dieu et pour Dieu, elles les aiment pour elles-mêmes, elles les regardent comme des propriétés qui leur sont acquises à jamais, elles en font des objets de jouissance et d’adoration. Elles sont comme ivres d’une tendresse naturelle qui les étourdit et les aveugle, mais qui provoque trop fréquemment des regrets et des larmes.

On voit aussi des mères qui ne se contentent pas d’idolâtrer leurs enfants ; elles veulent elles-mêmes être leurs idoles ! Alors une cruelle jalousie se joint à leurs exigences, elles se posent comme le but même de la vie de leurs enfants. Elles s’inquiètent et s’agitent, veulent tout ordonner, tout prévoir, comme si elles étaient seules chargées de fixer l’avenir ; et dans leur activité débordante, oubliant le rôle de la Providence, elles excluent la part de Dieu dans les destinées.

Qu’en résulte-t-il ? Dieu laisse faire. Les enfants eux-mêmes, étouffés sous les étreintes d’une affection égoïste, s’impatientent contre ces excès d’attachement ; et ils secouent le joug, au risque de déchirer le cœur de leur mère.

Notre-Seigneur nous offre, dans l’Évangile, de remarquables exemples de ces divers degrés d’amour. Il aime toute la multitude de ses disciples ; mais il aime de préférence les douze apôtres. Parmi ces douze, trois sont manifestement l’objet d’une distinction spéciale (saint Pierre, saint Jacques et saint Jean) : seuls ils assistent à la divine agonie ; seuls ils sont témoins de la scène du Thabor. Et enfin, parmi ces trois préférés, il en est un qui est l’objet d’une prédilection plus singulière ; c’est celui que l’Évangile désigne toujours sous le nom de bien-aimé (saint Jean).

Telle est la gradation des affections saintes. C’est ainsi que les sentiments s’harmonisent dans un ordre sacré, sans se confondre et sans s’exclure les uns les autres. Le cœur chrétiennement organisé aime tout le monde, et par-dessus tout, Celui qui est le foyer de l’éternel amour.

 

        Sophie de Lédinghen 

 

La dame du bon conseil

S’il ne s’agissait à la maison que de se partager la besogne, et d’y agir chacun de son côté, selon les nécessités de la vie familiale (la femme se réservant l’entretien de la maison et l’éducation des enfants, et le mari ne se consacrant qu’aux affaires administratives et financières), le problème serait très simplifié. Tellement simplifié que nous voyons la nature, sans l’aide de la vertu, tendre spontanément à cette solution qui va de soi. Ce serait une collaboration, mais ni intime ni sacrée. Ce genre de vie, divergente, à deux, ne suffit pas. Il n’est pas bon que l’homme soit seul à côté de la femme.

Si, à l’opposé de ce système de la division dans la communauté de vie, on recommandait à la femme de participer aux affaires de l’homme et, réciproquement à l’homme de coopérer aux tâches de sa femme, on aboutirait plutôt à la confusion qu’à l’union… Quoi que l’on puisse en dire aujourd’hui !

Pour que la collaboration soit pratique, il est nécessaire qu’elle soit spirituelle. Car la participation de l’esprit, autrement dit de la vie de l’âme, à toutes les tâches de l’homme, est une chose possible et facile. La fonction spirituelle est double : donner de la lumière, donner de la chaleur. D’abord action sur l’intelligence pour l’éclairer ; puis action sur la volonté pour l’animer. Cette influence rappelle le rayonnement qu’eut la très Sainte Vierge dans la primitive Église. La Vierge, épouse modèle, épouse par excellence, éclairait et animait les Apôtres. Elle était l’âme de tout l’apostolat.

Quand on essaie de se représenter sous quelle forme précise la Sainte Vierge, pendant ses vingt ou vingt-cinq années que Jésus la laissa sur la terre, exerça ce ministère d’illuminatrice des âmes, on ne la voit ni agitée, ni affairée, ni prêchant, ni voyageant, ni occupée aux œuvres extérieures, mais on se la figure seulement comme une présence continuée du Christ. Lampe toujours éclairée au sein du premier cénacle. On la trouvait, en effet, toujours à Jérusalem, dans sa demeure, tranquille et fidèle au poste. Elle était surtout pour les Apôtres, pour Jean en particulier, Notre Dame du Bon Conseil. Elle inspirait à en toutes leurs ardeurs le véritable esprit de l’Évangile.

Or voici bien le titre que le mari doit spontanément donner à sa femme : Ma dame du bon conseil.  Dieu porte à l’homme un secours quotidien en sa femme, « un asile sacré que l’inviolabilité du mariage défend contre tous les assauts, avec plus de force que tous les remparts, c’est l’asile que l’épouse chrétienne peut donner dans l’intimité de son amour1. » Il suffit pour cela que l’épouse vive elle-même profondément de cet esprit et qu’elle le fasse respirer constamment par celui qui l’approche dans l’intimité de son foyer. 

« L’homme souffre du métier qui le surmène et qui le courbe vers la matière sans arrêt… Il souffre de ne pas être aussi rempli d’idéal qu’il le voudrait ; il souffre d’être en proie partout à la rivalité, farouche quoique polie, des âmes livrées à toutes les laideurs des péchés capitaux ; il souffre d’être déçu par des amitiés […], de ne pas trouver dans les livres la manne du Ciel dont il voudrait se nourrir… » En un mot, il a besoin de respirer, comme une poitrine oppressée, le bon air de la montagne, l’atmosphère du surnaturel.

Mais voici maintenant son désir le plus sincère : ce bon air d’en haut, il compte le trouver dans l’intimité de sa femme, parce qu’il ne peut le trouver vraiment que là.  « Elle est la dame du bon conseil, parole vivante et pénétrante, qui sait dire ce qu’il faut dire, cet ineffable nécessaire que l’esprit attend et réclame. Elle a le tact, l’opportunité, la délicatesse. »

Pour pénétrer son époux de cet esprit supérieur, il faut nécessairement qu’elle vive elle-même dans un monde supérieur, au-dessus du terre à terre, des mesquineries, de l’amour-propre, des timidités, des vues étroites, égoïstes qui, loin de favoriser le bonheur, condamnent au contraire toute la famille à la souffrance vaine. Comment vivra-t-elle à ce niveau si elle ne prend pas l’habitude de tout juger du point de vue de Dieu ?

C’est ainsi que Pierre Dupouey, officier de marine, voit sa femme comme la présence de Dieu en son foyer :                                   

30 novembre 1914

« En dehors du devoir et des choses divines, je n’ai besoin que de toi (ou plutôt, j’ai besoin de toi, parce que tu fais partie des choses divines de ma vie) parce que c’est le Bon Dieu qui t’y a fait entrer, parce que tu es, sous mon toit, sa bénédiction vivante et efficace… Depuis que je t’ai reçue de Dieu, j’ai compris ce qu’était la Providence… »

19 décembre 1914

« En revenant des tranchées, je trouve trois lettres bénies, je veux dire : pleines pour moi de bénédictions, de joie, de paix, de réconfort. Je te remercie de me continuer ainsi de loin l’intimité de ton cœur… et de me permettre, du fond de mes tanières, de partager les chères pensées que Dieu lui inspire. Cette union de pensées et de désirs, qui a été la bénédiction et la force de notre cher mariage, continue de loin à me soutenir, à me fortifier, à me montrer l’excellence de mon devoir. Dans la patiente fidélité de ton cœur, mieux que partout ailleurs, je goûte ce bel ordre français et catholique que Dieu me demande de défendre. »

 

Il n’est pas étonnant que, dans l’absence, le plus grand désir de cet époux soit de retourner auprès de celle qui le spiritualise par sa présence. Il sait que sa force est là, dans l’intimité du foyer.

Ainsi, toute épouse chrétienne, avec une inaltérable confiance en la Providence, devrait aujourd’hui plus que jamais panser et guérir les blessures morales de son mari, en illuminant son âme de pensées idéales de foi chrétienne, et en soutenant sa volonté d’un courage surnaturel.

 

Sophie de Lédinghen

 

Notre-Dame du Oui

La fête prochaine de l’Annonciation commémore l’humble et fervente réponse que Marie fit à Dieu : Fiat… Oui ! C’est la fête du consentement de la Vierge à l’inimaginable proposition de Dieu. C’est le oui de l’Épouse à l’Époux, le consentement joyeux et grave, par lequel le cœur se livre, cède toute la place à l’autre présence : Marie a dit oui à Dieu et le Verbe s’est fait chair en son sein. Toute la vie de la Vierge-Mère, engagée par le oui de l’Annonciation, fut une continuelle ascension d’amour, aussi est-ce bien auprès d’elle que les foyers chrétiens apprendront à prononcer une première fois, et puis toute leur vie, le oui qui est l’âme de leur amour.

C’est Marie, l’humble servante du consentement, qui apprend à leurs âmes comment on redit et comment on vit chaque jour le oui du premier jour. Le oui de Marie n’évoque-t-il pas irrésistiblement le foyer du « oui parfait » que fut la maison de Nazareth, que fut et qu’est toujours le cœur de Marie ? C’est en regardant de ce côté que les époux apprendront le secret du oui vraiment chrétien, fidèle et constant, du oui des heures d’anxiété et des heures d’allégresse, du oui qui consent à l’autre, à l’autre tel qu’il est, du oui répondu à ses demandes et parfois à ses exigences, du oui qui participe à ses joies et assume ses peines, à l’exemple même du Christ et de la Vierge de Compassion, du oui de toute abnégation, sans nulle avarice ni réticence. « Je veux apprendre avec Dieu à être cette chose toute bonne et toute donnée qui ne réserve rien et à qui l’on prend tout.» (Claudel)

Non seulement la Vierge enseignera aux époux à vivre ce mystère du oui, d’un oui toujours plénier, mais elle leur révèlera d’abord que nul ne peut dire oui, vraiment, à un autre s’il n’a pas d’abord dit oui à Dieu. C’est l’amour même de Dieu qui passe par son cœur pour rejoindre un autre cœur. Qu’il consente plus pleinement, qu’il s’ouvre plus largement et l’amour divin sera en lui une source jaillissante, intarissable. L’amour vient de Dieu, va à Dieu et ne peut vivre parfaitement qu’en Dieu. Celui qui répudie l’amour divin ignorera toujours la plénitude de l’amour humain, quoi qu’il en pense. « Les amants ne sont jamais seuls, écrit Gustave Thibon, si Dieu n’est pas en eux pour les unir, il est entre eux pour les séparer. » Et quand, aux heures sombres, ils ne voient plus la route, quand la présence divine les intimide, il leur reste de recourir à la toute proche et tendre présence de la Vierge Marie.

Le foyer aussi, comme chacun des époux, doit dire oui à Dieu. Le cœur du foyer, ce cœur nouveau, unique, issu de ces deux cœurs qui se sont donnés l’un à l’autre, doit consentir à Dieu et se donner à Lui. Alors le oui que l’amour dit à Dieu et qu’il renouvellera bien des fois, appelle ce oui de Dieu qui deviendra source de vie au foyer, fleuve de vie plus tard, et suscitera au cours des siècles un peuple d’enfants de Dieu. Parce que le foyer a dit oui, la vie est en lui et va féconder la terre, mystère tout proche de celui de l’Annonciation. La Vierge a engendré le Chef, le foyer engendre les membres. Le foyer connaît avec émerveillement qu’en joignant son oui à celui de Marie, il collabore avec elle et contribue à donner le Christ au Père et aux hommes.

Il importe toutefois de noter que les parents ne transmettent que la vie naturelle et que leur oui dit au Dieu créateur, doit être doublé d’un oui dit au Rédempteur présent en son Église. Humblement, ils doivent venir solliciter pour leur enfant cette vie divine que la paternité humaine ne peut donner, mais que l’Église possède et qu’elle communique par les sacrements, et d’abord par le Baptême.

Présenter un enfant aux fonts baptismaux, c’est l’initier au consentement, c’est le mettre déjà en disposition de oui à l’égard de Dieu. A partir du baptême, toute l’éducation de l’enfant va consister à lui enseigner le mot de l’amour.

C’est en apprenant à l’enfant à dire oui à son père et à sa mère qu’on l’initiera à cette vie de consentement aux vouloirs divins. Apprendre à l’enfant à ne pas refuser et à ne pas se fermer, lui enseigner l’obéissance alerte et joyeuse, le don de soi sans marchandage, lui faire découvrir et vivre l’allégresse du consentement à ses parents, c’est déjà l’acheminer par étapes à ces consentements que Dieu lui demandera. L’enfant est engagé dans la voie du consentement à Dieu par la docilité à ses parents. Parfois ceux-ci éprouvent une angoisse à la pensée qu’en apprenant à l’enfant à dire oui à Dieu, ils s’obligent eux-mêmes à l’avance à dire oui à ces appels de Dieu qui le leur prendra. Mais leur inquiétude s’apaise en contemplant la Vierge de l’Annonciation. Elle aussi pressentait bien qu’un jour Dieu appellerait son Fils loin de la maison de Nazareth, pour l’envoyer sur les routes de Palestine et le livrer aux foules, qu’un jour Dieu le convoquerait au Calvaire et sur le Mont de l’Ascension, et que le oui du Fils exigerait le plein consentement du cœur de la Mère.

Auprès d’elle et comme elle, les parents vraiment chrétiens comprennent que leur enfant n’est pas pour eux. Il y a fête en leur cœur, si déchiré soit-il, le jour où l’enfant, préparé par une éducation chrétienne, répond par un oui généreux à la vocation que Dieu lui signifie.

Invoquons Notre-Dame du Oui. C’est elle, cette mère consentante, s’ils la veulent intimement présente en leur demeure, qui leur enseignera le consentement et qui veillera sur leur amour.

 

Notre Dame, qui par votre oui
Avez changé la face du monde,
Prenez en pitié ceux qui veulent

Dire oui pour toujours. 
Vous qui savez à quel prix

Ce mot s’achète et se tient, 
Obtenez-nous de ne pas reculer 
Devant ce qu’il exige de nous. 
Apprenez-nous à le dire comme vous, 
Dans l’humilité, la pureté, la simplicité 

Et l’abandon à la volonté du Père. 
Demandez à votre Fils Jésus,

Que les « oui » que nous dirons après celui-là, 
Tout au long de notre vie 

Nous servent, à l’exemple du vôtre,
À faire encore plus parfaitement

La volonté de Dieu 
Pour notre salut et celui du monde entier. 
Ainsi-soit-il.

 

 

 

Comme le Christ a aimé l’Eglise

Le mariage est le sacrement qui tend à rendre un amour humain parfait comme celui du Christ et de l’Église. À travers cette image, nous observons que dans l’amour des époux, Dieu a non seulement donné deux rôles différents et complémentaires à l’homme et à la femme ; mais Il offre aussi un rôle commun aux deux époux dans leur collaboration à l’édification du temple de l’Église composé de nouvelles âmes baptisées, reçues de Dieu par leur naissance au foyer, pour les lui consacrer.

Quand l’amour de l’époux doit avoir la caractéristique d’être chef (comme le Christ est chef de l’Église), d’aimer et sanctifier (comme le Christ a aimé l’Église et s’est livré pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant), et de nourrir l’âme de sa femme (« Nul n’a jamais haï sa propre chair ; il la nourrit au contraire et il en prend soin. » Saint Paul) ; l’idéal de l’amour de l’épouse prend modèle sur l’Église à travers l’exemple de NotreDame, son modèle le plus parfait. Or la Vierge Marie a été à la fois Mère de Jésus, sa collaboratrice et sa créature (c’est-à-dire celle qui a tout reçu, tout appris de Lui.)

L’exemple du Christ rappelle au mari qu’être le chef, c’est se dévouer pour le salut de son épouse (et celui de sa famille), par exemple en la soutenant dans l’effort qu’elle fait pour devenir meilleure, en l’encourageant et l’épaulant dans son rôle d’épouse et de mère. L’amour des époux catholiques est un don total, qui n’est pas une alliance purement humaine, mais « un contrat où Dieu a sa place, la seule qui lui convienne, c’est-à-dire la première* ». Dans une volonté de sanctification mutuelle et de collaboration avec Dieu lui-même à la continuation de son œuvre « créatrice, conservatrice et rédemptrice ». Ainsi le Christ voulut-il que l’Église, sa mystique épouse, « fût sans tache, sans ride, mais sainte et immaculée » (Saint Paul, Eph.). Est sans tache devant Dieu « quiconque accomplit, avec fidélité et sans faiblesse, les obligations de son état* ». Dieu n’appelle pas tous ses enfants à l’état de perfection, mais Il invite chacun d’eux à la perfection de son état.

 Telle est l’union des époux chrétiens, et celle du Christ et de son Église, selon la célèbre expression de saint Paul. « Dans l’une comme  >>> >>> dans l’autre, le don de soi est total, exclusif, irrévocable ; dans l’une et dans l’autre, l’époux est le chef de l’épouse, qui lui est soumise comme au Seigneur ; dans l’une et dans l’autre, le don mutuel devient principe d’expansion et source de vie*. »

En s’incarnant, le Fils de Dieu, sauveur du genre humain, éleva le lien conjugal de l’homme et de la femme à la dignité de sacrement. La mission des époux chrétiens dans l’Église n’est pas seulement d’engendrer des enfants pour les offrir, pierres vivantes, au travail des prêtres, ministres plus élevés de Dieu. Les grâces, si abondantes, que le mariage a communiquées aux époux par le sacrement de mariage, leur ont été données également pour se sanctifier, s’éclairer et se fortifier mutuellement dans leur ministère corporel et spirituel, pour mener toute leur famille au bonheur du ciel voulu par Dieu.

Notre mariage est un travail quotidien d’abnégation, de dépouillement de nous-mêmes pour l’amour de l’autre, pour son bien supérieur. Le considérons-nous avec les yeux de Dieu, ou ceux du monde ? Ce qu’une épouse fait à son mari, elle le fait au Christ lui-même. L’amour de l’époux pour sa femme doit être celui du Christ pour son Église. Comme dit si bien l’abbé Ludger Grün (Le vin de Cana) « l’amour dans le mariage devient le thermomètre de l’amour pour Dieu ».

N’oublions pas que les grâces de notre mariage nous aident à nous rapprocher du Christ-Église. La branche doit s’accorder à l’arbre. Plus nous sommes fidèles aux grâces, plus la vie du Christ et de l’Église apparaît dans la vie des époux. Le Christ attend de sa vigne les fruits correspondants. Alors ne laissons pas perdre, ne gaspillons pas les fruits de la grâce de notre mariage.

Sophie de Lédinghen

 

* Pie XII, Allocution aux jeunes époux (8 nov. 1939)

 

 

La vie familiale

Nous vous livrons ici quelques pensées tirées du livre du Père A.D. Sertillanges (1863-1948), La vie familiale.

Notre idée générale de la vie catholique : union à Jésus-Christ en tout, de telle sorte que par l’infusion de son Esprit dans tous les cas humains qu’il adopte, Jésus-Christ se poursuive en nous tout au long du temps.

Voyez comme Jésus-Christ dépend du foyer où naissent et s’alimentent toutes les existences. Le foyer, point de départ de tout, siège d’une humanité en raccourci : la famille.

Pour que Jésus vive dans l’humanité et pour que l’Église, sa continuation authentique, subsiste, il faut que le foyer l’abrite et l’adopte ; il faut que la vie, qui meurt, soit sans cesse renouvelée, que l’avenir sorte du passé, que l’amour procrée et que l’éducation achève d’enfanter ceux que le baptême et les autres sacrements auront pour rôle de régénérer, c’est-à-dire d’engendrer à la vie de la grâce.

Jésus attend, pour naître en nous tous, que la famille chrétienne lui donne vie ; qu’elle fasse éclore sa nouvelle flamme et ne la tienne pas sous le boisseau ; qu’elle lui procure la chaleur vitale d’où procèdent les jaillissements, d’où partent les élargissements qui répandront la vie sur la terre.

Miracle du foyer ! L’humanité sans cesse fléchissante assure à Dieu qui ne meurt pas une perpétuité temporelle pour son œuvre. 

De génération en génération, de baptême en baptême, de mariage en mariage, d’esprit en esprit et de cœur en cœur comme de chair en chair, de maison en maison, de domaine en domaine, de fortune en fortune, de situation en situation, de famille élargie en famille plus complète et plus ample : cité, peuple ou famille de peuples, la chrétienté avance. La route des âges voit se dérouler le cortège ainsi qu’une procession. Jésus est en tête avec sa croix ; Jésus est en arrière en son Sacrement ; Jésus aussi est tout du long, comme une eucharistie humble et grande, comme un Dieu spirituellement incarné en tous ses enfants ; car ce n’est pas seulement sur le pain, c’est aussi sur les hommes que la consécration se prononce, et c’est bien une réalité, l’appel de tous à devenir dans l’Église comme un « corps de Dieu ».

Les vagissements des berceaux préluderont au murmure des prières, aux paroles de vérité et de vie, et toute l’activité chrétienne portera promesse d’immortalité pour ce que notre vie s’incorpore et entraîne.

Toute famille est une sainte famille ; tout père rappelle Joseph ; toute pieuse mère

Marie, et tout enfant Jésus.

Après tant d’autres sur la terre et avant tant d’autres, qu’il est donc grand de marcher en famille vers le ciel !

Pour les parents, toute la vie familiale est un dévouement ; ceux qui y chercheraient uniquement leur propre bonheur n’en seraient pas capables ; en tout cas le bonheur qu’ils goûteraient ne serait pas celui d’aimer ainsi que père et mère. L’amour des père et mère est un amour de don ; il coule, il ne remonte pas ; il n’exige pas de retour.

Voici le père qui peine : car il faut peiner pour faire face à une situation qui engage plusieurs êtres et qui est ambitieuse du fait que la famille ouvre sur l’avenir. La vie du père, sa vie catholique, c’est d’être père en tous les sens du mot ; c’est d’être pourvoyeur, défenseur, gardien, modérateur ou excitateur, justicier au besoin, correcteur en tout cas, nourricier pour le corps et l’âme. C’est ensuite d’être époux chrétien, c’est-à-dire d’enfermer l’amour dans un ordre qui en assure l’emploi paisible et utile, loin des passions malsaines, dans une exacte discipline du cœur et des sens, domptant, en même temps qu’il la satisfait, la nature physique.

De son côté, la mère trouvera dans Nazareth la femme qui lui offre et lui intime doucement l’idéal des mères. Unie à son époux et formant avec lui en faveur de l’enfant un unique principe ; sachant aider, patienter, régenter et organiser, acceptant au besoin de souffrir ; vivant pour ses enfants en vivant avec ses enfants, pour son mari en vivant la vie de son mari qu’elle double au-dedans et qu’elle secourt ou conseille plus d’une fois au dehors. Elle est reine de l’intimité. C’est à elle de veiller à ce qu’une même attirance fixe au foyer celui que sollicite le dehors, y ramène l’inconstant, y attache la parenté, y invite ceux que l’amitié peut élire au profit commun.

Les frères, les sœurs, enfants principalement doivent demeurer aussi sous la loi qui veut que tout soit donné, au foyer, à l’heureuse poussée des êtres. Ils obéissent pour être formés ; ils travaillent ou s’efforce(nt) en de petits services, ce que doit être chrétiennement une association de frères. On joue ensemble avec entrain, car le jeu est la vie de l’enfance ; mais peu à peu le jeu cède et le sérieux s’installe. On se connaît à fond ; on se rejoint sans peine ; on se complète l’un par l’autre, additionnant les ressources et soustrayant les défauts que le frottement réduit ; on partage les mêmes soins ; on se réjouit des mêmes affections ; on n’est jaloux qu’en faveur de l’un ou de l’autre ; on évite les disputes ; on se porte secours ; on se sert de lien entre enfants et avec les parents ; on s’aide à mieux juger et à se mieux disposer ; on sourit au présent qui est paisible encore et, en face d’une croix minuscule, on apprend à souffrir.

La famille est un départ de vie, et la famille chrétienne divinise cette vie par sa jonction avec celle du Christ qui l’adopte et l’inspire. Elle se fait des trésors dans le ciel. Et elle s’en fait également sur la terre. En acceptant l’harmonie des devoirs on assure la vie tout entière. On ne peut en bannir la souffrance, qui est le lot inévitable et d’ailleurs utile.

Avant l’éternité, rien ne donne une sécurité plus grande, parmi les arrangements humains, qu’une famille étroitement unie, adonnée à tous ses devoirs, et chrétienne.

Dans ce modèle réduit de l’existence, il y a tout ce qu’il faut pour donner le chef-d’œuvre ; car Dieu est un sculpteur qui essaie dans la glaise et qui ébauche sur la sellette étroite du foyer les marbres destinés aux avenues de la terre et aux pavillons du ciel.

 

Père A. D. Sertillanges (1863-1948)

Extraits de La vie familiale