L’Eglise contre la science

Les très nombreuses et spectaculaires avancées technologiques et scientifiques des dernières décennies, liées à un athéisme aujourd’hui omniprésent, semblent pousser de côté la religion en l’assimilant à de l’obscurantisme, à du fanatisme, ou encore à une preuve évidente de manque d’esprit critique et de raisonnement : l’homme un tant soit peu sensé n’a que faire de l’enseignement de l’Église, puisque c’est bien souvent d’elle qu’il s’agit. Des multiples critiques formulées à son égard, nous pouvons retenir les principales : l’Église doit son succès à l’ignorance des peuples, ignorance qu’elle a entretenue ; l’Église s’est opposée à la recherche scientifique, persécutant les chercheurs. Voyons ce qu’il en est1.

« L’Église profite de l’ignorance des peuples »

« Le pouvoir religieux va de pair avec l’ignorance », assène Yves Lever, dans sa Petite critique de la déraison religieuse. Cette idée que l’Église s’oppose à la connaissance a fait son chemin parmi les cercles anticléricaux, et a été largement entretenue depuis les soi-disant Lumières. Mais est-ce vraiment le cas ? L’Histoire nous prouve le contraire.

On fait souvent remonter l’origine de l’école à Charlemagne, au IXe siècle. Il ordonna en effet la création d’une école auprès de chaque abbaye ou cathédrale, dans le but d’enseigner les clercs mais également certains laïcs. On y apprenait la grammaire, le droit, la médecine, les lettres, la philosophie, sur des copies de textes antiques produites dans les bien connus scriptorium. Les religieux enseignaient à de jeunes hommes destinés aux ordres, ou aux fonctions politiques. Cette organisation scolaire était si bien établie qu’elle survécut aux invasions barbares et à l’anarchie du Xe siècle. Les religieux, principaux détenteurs du savoir, n’avaient pas cessé de transmettre leurs connaissances et de continuer à enseigner, ce qui permit un nouvel élan intellectuel en Gaule et en Italie après les années 950. Les XIe et XIIe siècles virent le développement d’écoles non rattachées à une cathédrale ou à un monastère, jetant la base des premières universités, dirigées par des religieux ou des laïcs reconnus pour leur piété (Saint Albert le Grand…). Ces universités bénéficièrent très tôt de la haute protection de l’Église. Ainsi les universités de Bologne (créée en 1088), d’Oxford, de Montpellier, de Toulouse, reçurent des papes divers privilèges en vue de favoriser leur enseignement et leur croissance. Par ailleurs, le 3ème concile de Latran (1179) fait obligation pour chaque cathédrale de disposer d’une école gratuite : « Il y aura, pour l’instruction des pauvres clercs, en chaque église cathédrale, un maître […] qui enseignera gratuitement.» Ainsi toute personne appelée aux responsabilités religieuse ou politique pourra bénéficier d’un enseignement de qualité, le préparant à assurer son office de la meilleure manière qui soit, et ce pour le plus grand bien non seulement de l’Église, mais encore de toute la société civile.

On pourrait alors objecter que cet effort de l’Eglise dans l’enseignement ne visait que les élites, afin de les diriger et de les subordonner au clergé, tandis qu’elle laissait le bas peuple dans l’ignorance. Il est vrai que l’éducation du Tiers Ordre2 à l’époque médiévale n’est pas à l’ordre du jour : la très grande majorité de la jeunesse est en effet attendue dans les champs ou à l’atelier familial, plutôt qu’au siège des échevins, notaires et huissiers de justice. L’enseignement est surtout religieux, avec l’apprentissage du catéchisme et de la morale chrétienne lors des sermons et des leçons publiques, que prêtres et moines dispensent à l’église ou sur les parvis. C’est là le fonctionnement de la société médiévale, où l’on estime que la connaissance principale est celle qui touche au salut de l’âme, le reste n’étant pas d’une vraie utilité quand il ne répond pas à un besoin particulier nécessité par un office spirituel ou politique. Cette apparente ignorance est en réalité compensée par un solide bon sens et une réelle connaissance du monde, aujourd’hui quasiment perdus du fait des idéologies modernes et de l’omniprésence du virtuel.

Une autre constatation vient rejeter l’objection faite plus haut : la croissance de l’Eglise en Europe et dans le monde s’est partout accompagnée d’une prolifération des écoles et autres établissements d’enseignement. Des ordres religieux en font leur spécialité, tels les salésiens3 ou les jésuites4, en Occident comme en terre de mission. En terre étrangère, l’école est l’un des premiers bâtiments construit par les missionnaires assurant bien souvent l’enseignement de leurs nouvelles ouailles. Ainsi, l’histoire de l’Eglise est indissociable de celle de l’enseignement, au rebours de ce qu’affirment de nombreuses critiques.

« L’Eglise s’est opposée aux scientifiques et à leurs recherches »

Une attaque plus courante contre l’Eglise est qu’elle se serait généralement opposée à la recherche scientifique et aux savants qui, par leurs travaux, contredisent ou risquent de remettre en question son autorité. Référence est alors faite à l’affaire Galilée, comme preuve de l’obscurantisme et de la tyrannie de l’Église contre les chercheurs, désireux seulement d’éclairer le peuple. Revenons brièvement sur cette histoire, ce qui permettra de rétablir des faits historiques et en même temps d’exposer quelques principes de la relation entre la science et la Foi.

Galilée5 enseigne d’abord les mathématiques, puis l’astronomie à l’université de Padoue. Le système alors en vigueur est celui de Ptolémée, ou système géocentrique : la Terre est fixée au centre de l’univers, tandis que les autres planètes ainsi que le Soleil tournent autour d’elle. Cette croyance a bien été remise en cause par Copernic6, soutenant au contraire le système héliocentrique (le Soleil est le centre de l’univers), mais il ne réussit pas à apporter suffisamment de preuves scientifiques pour convaincre ses contemporains, d’autant plus que le géocentrisme semble plus en accord avec ce que l’on peut lire dans la Sainte Ecriture. L’héliocentrisme bénéficie pourtant d’un certain soutien parmi les papes eux-mêmes, dont Clément VII7, ne remettant pas pour autant en cause l’Ecriture : cette dernière n’est pas un traité de science ou une œuvre à prendre systématiquement au sens littéral. Elle s’adresse à l’ensemble des hommes et doit donc être comprise par eux, charge ensuite à l’Église de clarifier ce qui pourrait interroger, à la lumière de la Tradition. En 1609, Galilée est convaincu du système de Copernic et proclame haut et fort la fausseté du géocentrisme. Le problème est qu’il présente immédiatement ce système comme une certitude scientifique, impliquant ainsi une remise en cause de l’interprétation alors en cours de l’Ecriture, sans pour autant donner de preuves concluantes8. Or les autorités religieuses sont disposées à corriger leur compréhension des textes, pour peu que la certitude scientifique soit établie : « Que Galilée nous apporte d’abord quelques preuves scientifiques convaincantes ; il lui sera ensuite loisible de parler de la Sainte Ecriture » (P. Greinberger) : « Je ne croirai pas à l’existence d’une pareille démonstration avant qu’elle ne m’ait été faite et, dans le cas de doute, on ne doit pas abandonner l’interprétation traditionnelle. » (Cardinal Bellarmin)

Le problème est donc d’abord une question de méthode scientifique (pas d’affirmation absolue avant de prouver) puis une question religieuse (l’interprétation de l’Ecriture). Le refus de Galilée de présenter l’héliocentrisme comme une théorie, en l’absence de preuves réelles, et sa remise en question implicite de l’Ecriture lui valurent une première condamnation : il lui est interdit de parler de l’héliocentrisme, tant que les découvertes scientifiques n’auront pas apporté de certitude en la matière. Ne respectant pas son serment, il sera assigné à résidence suite à un second procès en 1633, pour parjure et tromperie, ayant obtenu par fraude l’autorisation de publier un ouvrage affirmant de nouveau la certitude de son système, sans apporter plus de preuves. Cette nouvelle condamnation disciplinaire sera effectuée dans divers palais avec toutes les commodités possibles, bien loin de l’image de persécution que rapporte l’historiographie moderne.

 

La science, servante de l’Eglise ?

La relation entre Science et Eglise, entre Raison et Foi, s’exprime dans une subordination de la première à la seconde. Elles ont toutes deux la vérité comme objet, mais sur des plans différents. La science relève plutôt de la vérité physique, qu’elle cherche à démontrer principalement par l’expérience et l’observation. Pour arriver à une certitude absolue, à la vérité scientifique, des théories sont d’abord échafaudées, pour être ensuite confirmées ou contredites par les expériences et les observations. Le chemin est long avant de parvenir à la vérité recherchée, et les exemples ne manquent pas de certitudes d’un temps qui ont été remplacées par d’autres : le remplacement du géocentrisme par l’héliocentrisme, où s’est illustré Galilée, le montre bien. Les défaillances humaines, les défauts éventuels des outils scientifiques rendent difficile l’atteinte de la vérité. Par la science, l’homme découvre lentement le monde qui l’entoure. Il peut, par la raison, sortir du monde physique pour prouver l’existence de Dieu ou l’immortalité de l’âme, mais il est bien en peine d’en dire plus.

La Foi, quant à elle, a pour objet direct Dieu et sa création. Elle s’appuie sur la Révélation, contenue dans la Bible, et sur la Tradition, c’est-à-dire sur l’enseignement des apôtres par le Nouveau Testament et l’enseignement de l’Église. Alors que la Raison peut errer et se tromper dans sa recherche de la vérité, la Foi donne une connaissance sûre des vérités les plus hautes concernant Dieu, puisqu’elle provient directement de Lui. La théologie, ou science de Dieu, vient approfondir les vérités qui seraient plus difficiles à comprendre. Cette connaissance des choses de Dieu est en soi la seule nécessaire à l’homme, puisqu’elle lui permet d’accomplir son but qui est de connaître, d’aimer, de servir Dieu et ainsi d’atteindre le bonheur parfait. La science humaine, pour respectable et éminente qu’elle soit, n’a pour but que de permettre à l’homme d’atteindre une paix terrestre, temporelle, qu’il doit mettre à profit pour mieux se diriger vers Dieu. Cette connaissance du monde peut malheureusement être dévoyée, et servir à des buts autres que la recherche de Dieu et sa contemplation, s’attirant alors la condamnation des autorités romaines9 : le salut de l’homme étant supérieur au savoir, il appartient au devoir de l’Église de corriger les chercheurs quand leurs erreurs mettent le prochain en danger de perdre son âme. 

Nous pourrions pour conclure dresser une liste des religieux qui, par leurs travaux, ont fait avancer la science. Cela permettrait d’enterrer définitivement l’accusation d’opposition de l’Église à la science ; mais leur nombre est bien trop important pour en faire ici le catalogue10. En résumé, l’Église a toujours encouragé la Science et son enseignement, quand elle permet à l’homme de devenir meilleur et de se rapprocher de Dieu. Elle l’a également combattue ou dénoncée lorsqu’elle était utilisée au mal. Dans ce dernier cas, elle n’est plus légitime et corrompt l’homme au lieu de le grandir : « Science sans conscience, disait Rabelais, n’est que ruine de l’âme.» Cela est encore plus vrai quand la science s’oppose à la conscience de Dieu.

RJ

1 Science est utilisé dans cet article pour parler de l’ensemble des sciences, et non pas uniquement de la science « technologique »

2 La société médiévale est divisée entre le Clergé (religieux), la Noblesse (chevaliers) et le Tiers Ordre (artisans, laboureurs …)

3 Congrégation fondée en 1859 par saint Jean-Bosco

4 Fondée par saint Ignace de Loyola en 1539

5 Galileo Galilei : Italie, 1565 – 1642

6 Nicolas Copernic : Prusse, 1473 – 1543

Pape de 1523 à 1534

8 Il appuyait sa démonstration sur le phénomène des vents et des marées, qui ne sont pourtant pas causés par la rotation de la Terre.

9 Se référer aux textes de Pie XII : l’encyclique Humani Generis (1950), Discours à l’académie des sciences (1951)…

10 Nous renvoyons le lecteur intéressé par ce sujet au Savoir et Servir n°75, ed. du MJCF, duquel une grande partie de cet article est tiré.

 

L’Eglise et l’Etat, quelle relation ?

S’interroger aujourd’hui sur la relation entre l’Eglise et l’Etat peut sembler incongru, tant la question paraît faire consensus : ne sont-ce pas deux choses complètement séparées ? Ne faut-il pas, pour que tous deux soient efficaces dans leur domaine, qu’ils soient indépendants l’un de l’autre ? Le système « Eglise libre dans un Etat libre » n’a-t-il pas permis d’éviter les problèmes d’ingérence des religieux dans la vie civile, et celle des politiques dans la vie religieuse ? Essayons de discerner plus précisément les rapports qui doivent animer ces deux entités.

Leur nature

S’interroger sur l’Etat et l’Eglise revient à s’interroger en premier lieu sur la notion d’autorité, puisque c’est leur relation en tant qu’autorité politique pour l’une, et religieuse pour l’autre, qui fait débat. Ce terme vient du latin « Augere, auctus », qui signifie augmenter, grandir. L’autorité a donc pur but de faire grandir les sujets qui lui sont confiés, de les rendre meilleurs. On est assez loin de la conception moderne d’un pouvoir froid, coercitif, parfois oppresseur, toujours limitant notre liberté. Elle se définit plus précisément par rapport à la société qui est objet : un père de famille, un chef d’Etat et un religieux n’ont ainsi pas la même autorité, les sociétés dont ils sont les responsables ayant des natures et des buts différents. Quelle que soit sa forme, « l’autorité a pour mission de mener la société à sa fin1 », et use des moyens à sa disposition pour atteindre ce bien commun.

Le but de l’Etat dépend donc du but de la société qu’il anime, et donc de ses citoyens.

L’homme est un animal social, composé d’une âme et d’un corps. La société a pour fin de l’aider à satisfaire ses besoins matériels, par une relation d’échange : l’individu seul ne peut en effet pas assouvir tous ses besoins. Mais la société vise également à satisfaire ses besoins spirituels, et à lui permettre de vivre en paix et en accord avec ses voisins. Cela implique l’apprentissage des vertus morales, condition sine qua non à l’harmonie en société. Le but de l’Etat est le Bien Commun, ou fin de la Cité, qui est le bonheur des hommes, et pour ce faire il cherche la vertu et la prospérité de ses membres. Il assure le « vivre » et le « bien vivre ».

Pour ce qui est de l’Eglise, sa mission est de mener les hommes au Ciel, et pour cela de répandre la Foi, d’enseigner la parole de Dieu et de la défendre contre les erreurs, et d’administrer les sacrements. Son pouvoir est donc d’ordre spirituel. Tout comme l’Etat, l’Eglise est une société « parfaite », c’est-à-dire disposant en elle-même des moyens d’atteindre sa fin. Cependant, son but est supérieur à celui de l’Etat, puisque lié directement à la fin surnaturelle de l’homme, à savoir la contemplation de Dieu. Son action va également porter sur des aspects de la vie politique de l’homme, puisqu’elle se doit de transcender la simple vertu naturelle en une vertu surnaturelle, par l’action de la grâce qu’elle dispense. L’Etat seul ne peut en effet donner à l’homme les moyens d’atteindre le Ciel, ces moyens n’ayant été donnés qu’à l’Eglise : « Allez enseigner toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et Saint-Esprit, et leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé2 ». Il y a donc hiérarchie entre l’autorité politique et l’autorité religieuse, du fait de leurs natures et de leurs buts respectifs, inégaux en importance.

Une subordination

Eglise et Etat cherchent donc tous deux le bonheur de l’homme, mais la société politique ne peut lui donner les moyens spirituels dont seule l’Eglise dispose, moyens nécessaires pour atteindre la fin ultime de l’humanité. Il s’ensuit donc une supériorité du pouvoir religieux sur le pouvoir temporel. Mais est-ce dire que cette supériorité est absolue et entraîne une soumission totale du temporel au spirituel ? Non, puisque l’Etat a indépendance sur nombre d’aspects de la vie politique qui ne dépendent pas de l’action de l’Eglise. Saint Thomas use de l’analogie entre le corps et l’âme : « Le pouvoir séculier est soumis au pouvoir spirituel comme le corps à l’âme3.» Il est bien plus aisé de faire des saints dans une Cité où règnent la concorde, la prospérité et la justice, que dans un pays en proie à l’anarchie, à la misère et à la débauche. Et il est également plus facile au Prince de faire respecter la Loi si celle-ci s’appuie sur la vertu de Justice et que l’Eglise la soutient. Eglise et Etat collaborent dans toutes les questions politiques qui touchent au spirituel, ce qu’on appelle le « domaine mixte ». S’y retrouvent la Justice, l’Education… Dans ces domaines, l’action de l’Etat est soumise au contrôle de l’Eglise, puisque ces questions touchent de près ou de loin à la fin spirituelle de l’homme.

Du côté de l’Eglise, son action est indépendante de celle de l’Etat. Ce dernier n’a pas son mot à dire dans les questions de Foi, de morale, ou de tout autre sujet touchant à la vie de l’Eglise en tant que société spirituelle. Cependant, cela ne signifie pas que l’Etat ne puisse défendre son bon droit face à de possibles excès de la part de prélats : un religieux ne peut arguer de son statut de représentant de l’Eglise, pour contredire le Prince sur des questions purement politiques. Il peut certes conseiller, mais pas interdire tant que le spirituel n’est pas en jeu, et il serait du devoir du Prince de s’opposer à cette ingérence.

L’Eglise avec l’Etat, l’Etat sans l’Eglise

L’histoire de notre pays nous permet de considérer ce qu’il advient lorsque Eglise et Etat travaillent de concert, et lorsqu’ils sont séparés.  Il s’agit des époques du Moyen-Age chrétien, ou de la chrétienté, et de la Révolution. Le pape Léon XIII décrit la première en ces termes : « Il fut un temps où la philosophie de l’Evangile gouvernait les Etats. […] Alors le sacerdoce et l’empire étaient unis dans une heureuse concorde et l’amical échange de bons offices. Organisée de la sorte, la société civile donna des fruits supérieurs à toute attente, dont la mémoire subsiste et subsistera, consignée qu’elle est dans d’innombrables documents […] ». Conscients que la vie sur terre n’est que temporaire et n’a de sens que dans la perspective du Ciel, nos ancêtres faisaient de la vie politique un moyen de servir Dieu et de se rapprocher de Lui. Les gouvernants étaient également conscients de ces vérités, même s’ils n’étaient pas à l’abri de chercher des intérêts purement temporels. Cette époque vit s’épanouir des trésors incommensurables de vertus, des saints en foule innombrables, et des signes encore omniprésents de la dévotion de ses peuples. L’union n’était pas parfaite, bien des exemples prouvent l’existence de conflits de ci, de là, mais l’esprit général était imprégné de cette union du temporel et du spirituel. Cette union n’est pas étrangère à l’exceptionnel rayonnement de l’Europe chrétienne sur le monde entier. Mais les Etats, abusés par les sirènes des faux prophètes des Lumières, ont fini par se détourner de leur mission, pour s’attacher à leur pouvoir et à leur indépendance, privant l’homme de la voie royale qui lui avait été tracée vers le Ciel.

La Révolution consomme le divorce. Les Droits de l’Homme viennent remplacer les droits de Dieu sur les sociétés, et faire du citoyen la nouvelle divinité. L’Eglise est alors honnie, puisque prônant un ordre opposé à celui de la jouissance temporelle. Les églises sont fermées, les prêtres pourchassés et mis à mort, les fidèles bannis. C’est une forme extrême de ce que peut donner la désunion entre l’Eglise et l’Etat, si on ne la retrouve pas partout où il y a eu séparation, la fin est restée plus ou moins la même : en refusant à l’Eglise sa primauté et son rôle organisateur, l’Etat s’est lui-même empêché d’atteindre sa fin, et l’a remplacée par des mirages qui ne peuvent mener l’homme qu’à sa perte. Une simple cohabitation ne peut exister après cette séparation : l’Etat cherche immanquablement à mettre la main sur l’Eglise ou à la détruire, selon qu’elle peut lui permettre d’atteindre une certaine paix civile, ou qu’elle vient s’opposer à sa volonté de domination sans partage. Mais sans l’Eglise, l’Etat n’est plus qu’un corps sans âme.

En conclusion, Eglise et Etat cherchent tous deux à assurer le bonheur de l’homme, mais doivent pour ce faire collaborer en respectant le rôle de chacun. Etant directement en charge du bonheur spirituel de l’homme, l’Eglise est supérieure à l’Etat qu’elle guide à la lumière de la Foi et de la Morale. Unis, ils parviennent à un état d’harmonie propice à la croissance des vertus naturelles et morales de l’humanité. Séparés, l’Etat devient inévitablement un aveugle tentant plus ou moins violemment d’atteindre un but chimérique et voué à l’échec, qu’il nommera Liberté, Egalité, Fraternité, victoire du prolétariat ou enrichissement sans fin. Le bonheur de l’homme sur terre n’est possible que dans l’union du politique et du religieux, que dans le règne du Christ Roi. Sans cela, les efforts des nations séparées de Dieu seront vains et sources de souffrances innombrables : « S’il n’est pas temps pour Jésus-Christ de régner, alors n’est pas temps pour les Etats de durer4

 

RJ

 

 

Pour découvrir et approfondir :

  1. Jean-Dominique, Sept leçons de politique, ed. du Saint Nom

Savoir et Servir n°72, La Laïcité : quand César se fait Dieu, ed. du MJCF

Jean Ousset, Pour qu’Il règne, ed. DMM

P.T. de Saint Just, La royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ d’après le Cardinal Pie, ed. ESR

 

 

Le purgatoire : un entre-deux mondes

Pour l’homme moderne, l’idée d’un purgatoire est une énormité. Croyant difficilement à Dieu, et encore plus difficilement au Paradis, il est persuadé que le purgatoire n’est qu’une invention de l’Eglise, créée pour maintenir les fidèles dans la crainte et ainsi mieux les contrôler1. Mais nous savons que la vérité est tout autre : la simple raison nous rend comme quasi évidente l’existence de ce lieu d’expiation, existence que nous confirment la Révélation et la Tradition. Nous savons également que bien peu nombreuses sont les âmes qui montent au Ciel sans passer par le purgatoire, et que nous-mêmes devront très probablement y rester un certain temps avant d’être autorisés à rejoindre Dieu. S’interroger sur le purgatoire, c’est connaître un peu plus l’étendue de la justice et de l’amour de Dieu, c’est un peu mieux se préparer à Le rencontrer, et c’est découvrir l’un des plus beaux aspects de la communion des Saints.

 

Connaître le purgatoire par la Foi et la raison

Le dogme du purgatoire est défini par les conciles de Florence (1438) et de Trente (1563). Reprenant les Saintes Ecritures et la Tradition, ce dogme explique les principaux aspects du purgatoire : c’est un lieu de souffrance temporaire pour purger les âmes en état de grâce des restes de leurs péchés. Le temps adjugé à chacune de ces âmes peut être écourté par les prières des vivants. Il y est fait référence dans l’Ancien Testament, au Livre des Macchabées, lorsque les Israélites prient pour les âmes de leurs frères morts au combat, après que des idoles aient été découvertes dans leur paquetage. L’Evangile de saint Matthieu parle également de ce lieu où « vous ne sortirez pas avant d’avoir remboursé le dernier quadrant2 », c’est-à-dire avant d’avoir expié jusqu’à la dernière faute qui n’aurait pas été pardonnée. Affirmer alors que le purgatoire est une invention de l’Eglise, plus de dix siècles après sa fondation, est un non-sens, davantage basé sur des préjugés idéologiques que sur une véritable démarche historique.

 

En sus des preuves données par la Foi, l’existence du purgatoire est confirmée par l’intelligence. Le premier élément est que la croyance dans une étape transitoire entre le monde des vivants et le « paradis », quelle que soit sa forme, est partagée par la majorité des civilisations anciennes (grecque, romaine, égyptienne, babylonienne, etc). Même si cela ne formait pas en soi une preuve, le fait que cette croyance ait été partagée par des peuples si différents et pendant si longtemps est un signe non négligeable de vérité. Le second élément est lié à la justice : le spectacle du monde nous présente bien que les bons sont rarement récompensés de leurs bienfaits et subissent malheurs et humiliations, tandis que les méchants profitent bien plus des honneurs, de la gloire et des plaisirs. Dieu étant juste par définition, il est nécessaire que l’équilibre soit rétabli, et s’il ne l’est en cette vie terrestre, alors il doit l’être dans l’autre. C’est pourquoi ceux qui, avant de mourir, auront eu la grâce de la conversion finale, seront sauvés des flammes de l’enfer mais auront néanmoins à expier les fautes qu’ils n’auraient pas rachetées. 

 

Le purgatoire, œuvre de la Charité

La Charité s’exprime de deux manières dans le purgatoire, tout d’abord de Dieu vers l’homme, puis des hommes entre eux. L’existence même de ce lieu est une preuve de l’amour infini de Dieu pour nous. En toute justice, la moindre souillure du péché devrait nous éloigner de Lui pour l’éternité, et seuls les saints pourraient espérer monter au Ciel. La très grande majorité des défunts serait alors privée de la vision béatifique et du bonheur céleste. Mais parce que Dieu est également bon, Il permet au grand nombre des fidèles de Le rejoindre après être passé par le feu purificateur du purgatoire. Il satisfait ainsi à Sa justice et à Son amour. Et Il va encore plus loin, en permettant aux âmes qui passent par ce feu d’abréger leur temps de souffrance grâce à l’intercession des fidèles vivants encore sur terre.  

 

C’est là la seconde expression de la Charité dans le purgatoire : la relation qu’y entretiennent les âmes de l’Eglise militante et celles de l’Eglise souffrante illustre de belle manière la communion des saints. Les morts n’étant plus capables d’actes vertueux qui pourraient racheter leurs fautes, ce sont les vivants qui vont, par leurs prières et leurs sacrifices, participer à leur expiation et accélérer leur montée au Ciel. La peine une fois satisfaite, les âmes sauvées du purgatoire se font une joie d’intercéder pour ceux-là qui les ont aidés. C’est ici un véritable commerce de grâces qui se réalise, où chacune des parties est gagnante. Ainsi serons-nous accueillis, à notre entrée au paradis, par les âmes que nous aurons contribué à sauver de la souffrance du purgatoire. Certaines âmes n’attendent d’ailleurs pas ce moment pour se manifester à nous, ayant obtenu de Dieu la permission, ou la mission de se révéler aux vivants afin de les aider à se convertir, d’obtenir leurs suffrages ou de les remercier de leur intercession. Nous pouvons encore aujourd’hui constater une partie de ces manifestations surnaturelles au musée des âmes du purgatoire, dans l’église del Sacro Cuore del Suffragio à Rome.

 

Mais prier pour les âmes de l’Eglise souffrante n’est pas seulement un devoir de charité, c’est également un devoir de religion, en participant à l’œuvre rédemptrice de Notre-Seigneur par le salut des âmes. C’est aussi un devoir de justice puisque s’y trouvent, ou s’y trouveront, des âmes qui nous ont côtoyés et auxquelles nous auront fait commettre quelque mal : tous nos péchés n’ayant pas été commis en solitaire. Enfin c’est également un devoir d’intérêt personnel, puisque nous avons vu plus haut que ces âmes, une fois sauvées, intercéderont pour nous. L’Eglise décrit les moyens à notre disposition pour accomplir ces devoirs : il y a en premier lieu les trois grandes œuvres de la vie chrétienne que sont la prière, le jeûne et l’aumône, puis les indulgences gagnées à l’intention des âmes du purgatoire, et enfin la sainte communion et le Saint Sacrifice de la messe. On peut également, et c’est là un acte d’une très grande vertu, offrir pour les défunts toutes les satisfactions que nous accumulons pour l’expiation de nos propres peines. Quel que soit le moyen choisi, il nous sera rendu « au centuple », Dieu sachant récompenser notre générosité à secourir notre prochain.

 

« Le feu du purgatoire », disait saint Augustin, « est plus terrible que tout ce que l’homme peut souffrir en cette vie ». Il nous faut prendre garde à minimiser cette réalité. Certes, on est assuré d’être sauvé une fois entré au purgatoire, mais savons-nous combien de temps nous devrons y rester pour satisfaire nos fautes ? Les révélations faites à sainte Brigitte sur le purgatoire exposent le cas d’âmes condamnées à la peine du dam et du feu jusqu’à la fin du monde, pour des fautes que notre tiédeur jugerait bénignes. Vouloir vivre en évitant simplement le péché mortel ne suffit pas : Dieu nous exhorte à rejeter aussi les fautes vénielles, qui restent une offense à Sa bonté infinie. C’est ainsi que nous réduirons, ou même éviterons les souffrances du purgatoire. Il n’est certes pas aisé de se détourner des attraits du monde, aussi profitons pleinement de cette aide que Dieu nous offre, en intercédant pour les âmes du purgatoire. Elles ont, comme nous, vécu sur cette terre, exposées aux mêmes dangers. Elles en sont sorties, et sauront nous guider et nous soutenir, comme nous les aurons soutenues.

 

RJ

 

1 Jacques le Goff (1924-2014), dans son ouvrage La naissance du Purgatoire (1981)

2 Matt. 5:25

 

L’heure de Dieu sur le Nouveau Monde

La légende noire de la chrétienté regorge de mythes et d’histoires toutes plus horribles les unes que les autres, adaptées aux goûts du jour quand elles ne sont pas forgées de toutes pièces, dans le seul but de discréditer l’Eglise et de corrompre son image aux yeux des peuples modernes, crédules et ignorants. Dans ce cortège de mensonges, les Grandes Découvertes1 ont une place de choix. Les nations chrétiennes, et principalement la très catholique Espagne, y sont dépeintes comme assoiffées de richesses, dépourvues de tout sens moral et prêtes à tous les massacres pour arracher la plus petite once d’or aux populations indigènes. Dans le sillage des Conquistadors, les missionnaires dominicains et jésuites ne sont que de vulgaires sbires du Pape, envoyés pour assujettir les pauvres Indiens et les soumettre aux vice-rois et gouverneurs venus d’outre-atlantique. La vérité est bien différente, comme l’expose Jean Dumont dans son ouvrage L’Heure de Dieu sur le Nouveau Monde2. Il ne s’attache pas à contrebalancer une « légende noire » par une « légende rose », mais bien plutôt à remettre les faits dans leur contexte, à corriger les mensonges et demi-vérités communément admis, et surtout à nous faire découvrir le visage de ceux qui ont eu la charge de civiliser les terres du Nouveau Monde, et d’y répandre la Parole de Dieu.

La découverte

Lorsque Christophe Colomb atteint ce qu’il croit être l’Inde, en 1492, il ne s’agit en fait que des Antilles, archipel s’étendant entre l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud. Ce sera sept ans plus tard, en 1499, que l’Italien Amerigo Vespucci, lui aussi au service de l’Espagne, découvrira le Brésil, et comprendra qu’il s’agit d’un nouveau continent. Les premières volontés claires d’évangélisation sont exprimées dès le mois de mai 1493 dans l’Instruction envoyée par le roi Ferdinand et la reine Isabelle à Colomb, devançant la volonté du pape3 qui sera exprimée en juin de la même année par la bulle Piis fidelium. Les désirs des autorités politiques et religieuses sont louables, mais vont se heurter dans leur exercice à plusieurs obstacles.

Le premier provient de la mauvaise disposition de certains Européens, dont Christophe Colomb. Nommé gouverneur des Antilles, il réduit en esclavage les indigènes pour les faire travailler à son profit dans le comptoir commercial qu’il a créé. Il semble peu se soucier de leur évangélisation, n’ayant avec lui que trois ou quatre missionnaires : en 1500, huit ans après la découverte, on ne compte que deux mille baptêmes sur près d’un million d’Indiens. Il sera arrêté la même année, sur ordre d’un enquêteur mandaté par le roi et la reine.

Le second obstacle réside dans les Indiens eux-mêmes. Libérés de l’esclavage par ordonnance d’Isabelle la Catholique4, ils sont regroupés dans des communautés dirigées par des « hommes de bien », chargés de les protéger, d’améliorer leurs conditions de vie et de favoriser l’évangélisation : ces regroupements sont appelés les « Encomiendas ». Dans un souci de les faire parvenir le plus vite possible à l’autonomie, une première communauté libre exclusivement indienne est créée en 1503 afin de servir de test. D’autres suivent entre 1518 et 1520. Tous les membres sont sélectionnés parmi les sujets jugés les mieux préparés, mais dans chaque cas l’échec est sans appel. Des notes d’alors soulignent que les Indiens « ne travaillent pas assez pour se substanter », « oublient le christianisme qui leur a été enseigné », et retournent à leurs mœurs païennes d’avant la découverte5. En un mot, « ils ne donnent pas lieu au moindre espoir dans la civilisation6 », et ce même après plusieurs années d’essai. Ces communautés libres doivent donc être abandonnées pour revenir au régime de l’encomienda, qui durera jusqu’en 1748.

Le dernier obstacle majeur réside dans l’instabilité politique qui va suivre la mort d’Isabelle la Catholique, en 1504. Il faudra attendre vingt ans pour que, une fois l’ordre rétabli par Charles Quint, soit institué le Conseil des Indes. L’effort de civilisation et d’évangélisation des terres espagnoles d’Amérique va alors vraiment débuter, soutenu en Espagne par le Roi et mené en Amérique par des hommes d’un dévouement extrême, tel le premier archevêque de Lima, Jérôme de Loaisa.

L’essor de la civilisation

Le développement matériel des peuples d’Amérique7 va de pair avec le développement moral et spirituel, pour dépasser leurs limites énoncées plus haut. Des hommes comme les vice-rois, les gouverneurs, les titulaires d’encomienda, et bien évidemment les missionnaires et hauts responsables du clergé, vont être les bâtisseurs de ce Nouveau Monde. Il est sûr que certains d’eux ont démérité, mais les rapports et les enquêtes montrent que la majorité s’est consciencieusement livrée à sa belle et noble tâche. Jérôme de Loaisa se démarque parmi ces bâtisseurs de nations, par le zèle et le très grand amour des Indiens dont il a fait preuve. Né en 1498, il est nommé en 1537 pour être le premier évêque de Carthagène, capitale des Caraïbes espagnoles. Il y commence son apostolat amérindien pour être désigné comme archevêque de Lima en 1541. Son archevêché est immense, le plus vaste de la chrétienté : avec les diocèses qui lui sont rattachés, il s’étend du Nicaragua (Amérique centrale) jusqu’à la Terre de Feu (extrémité sud de l’Argentine), pour englober plus de la moitié du continent sud-américain. Le terrain de mission est colossal, mais rien n’arrête le nouvel archevêque.

La tâche de missionnaire est bien souvent triple : le religieux se fait tour à tour bâtisseur, prêcheur et politique, confronté à un climat auquel il n’est pas habitué, à une culture nouvelle et bien souvent barbare, à des carences matérielles omniprésentes. Mais il n’est rien que l’amour des âmes et de la Croix ne rende possible, soutenu par la grâce de Dieu. De tout cela, Jérôme n’en manquera pas. Ce que lui doit l’Amérique est impressionnant. « Protecteur général des Indiens du Pérou8 », il défend contre Las Casas9 les encomiendas, base de la civilisation et de l’évangélisation. Ces communautés d’Indiens, régies par un Espagnol « homme de bien », permettent d’améliorer les conditions de vie des populations, de les protéger et de les convertir. Il punit ceux des Conquistadors qui abusent de leur pouvoir et exploitent les Indiens, et fait restituer aux Indiens les biens et trésors injustement saisis. Ses tournées pastorales lui font visiter chaque village, presque chaque maison où se trouvent des Indiens convertis ; son plus long voyage apostolique l’emmène jusqu’au Panama à trois mille kilomètres de Lima ! Le premier et le second conciles de Lima, qu’il convoque en 1552 et 1567, fixent les règles de l’évangélisation et la formation d’une Eglise autochtone : obligation est faite aux prêtres d’apprendre les langues locales, pour prêcher, administrer les sacrements et catéchiser.

Il fait construire à ses frais écoles et hôpitaux, s’endettant même lorsque ses revenus ou l’argent donnés par le Roi ne suffisent pas. Il érige ainsi l’hôpital Santa Anna, réservé aux Indiens, et pour lequel il réunit plus de quarante mille pesos d’or. Il le confie aux Jésuites, et y fait soigner chrétiens et païens. En moins d’un siècle, près de cinquante mille Indiens y reçoivent les derniers sacrements. Jérôme lui-même y mourra en 1575, parmi les Indiens qu’il a tant aimés, couché sur le « dernier lit », après avoir passé ses dix dernières années à servir les malades. L’hôpital Santa Anna subsiste encore aujourd’hui, près de cinq siècles après sa fondation, même s’il a changé de place puis de nom : on l’appelle aujourd’hui « Hôpital archevêque de Loaisa ».

  Il faudrait, pour rendre à la Découverte espagnole les honneurs qui lui sont dus, s’attarder sur d’autres figures emblématiques telles que le vice-roi Toledo ou encore saint Turibe, successeur de Jérôme de Loaisa. Chacune d’elles suffit pour mettre à bas les accusations injustes portées sur l’action des Espagnols et de l’Eglise au Nouveau Monde, mais il y aurait tellement à en dire que ces quelques lignes ne pourraient suffire10. Quoi qu’il en soit, l’Espagne peut être fière de ce temps où elle a porté à bout de bras la lumière de la Foi et de la civilisation sur ces terres d’Amérique, les arrachant au démon et donnant à l’Eglise l’un de ses plus beaux joyaux : un continent où les conversions se compteront par centaines de milliers et où Dieu et sa Mère seront, pendant près de cinq siècles, honorés et servis.

 

RJ

 

1 Terme désignant la découverte et la conquête des Amériques, entre la fin des XVème et XVIème siècles.

2 Ed. FLEURUS

3 Alexandre VI

4 Ordonnance de 1499 punissant de mort tout esclavagiste et complice d’esclavagiste

5 Orgies rituelles, sacrifices humains, réduction de têtes d’enfants, drogueries …

6 J. DUMONT, L’Heure de Dieu sur le Nouveau Monde, p.13

7 Nous utiliserons ce raccourci pour désigner les terres d’Amérique du Sud sous tutelle espagnole.

8 Titre donné par Charles Quint

9 Bartlomeo de las Casas (1484-1566) est connu pour ses attaques contre les colons espagnols et le régime pourtant si bénéfique des encomiendas

 10 Nous recommandons vivement la lecture de l’ouvrage de Jean DUMONT pour découvrir ou approfondir ce sujet passionnant.

 

Homme et femme Il les créa

 

Pour une meilleure perception de la portée de cet article, nous recommandons vivement de lire l’article publié dans FA n°41. ( https://foyers-ardents.org/2023/09/11/contre-limpurete-et-ses-ravages-toute-une-education/).

Cet article veut être un complément mettant l’accent sur les différences entre les garçons et les filles dans les mécanismes sous-tendant la sexualité, dont la connaissance est un préalable indispensable à la noble mission d’éducation. Il est publié paradoxalement après le précédent, qui contient pourtant des notions qui lui sont subordonnées, car il nécessite, pour être mieux compris, les éléments déjà développés sur les éléments communs aux deux sexes.

 Contrairement à l’idéologie indifférentialiste du moment, si, en droit comme aux yeux de Dieu l’Homme et la Femme sont parfaitement égaux, les différences de leurs corps – jusqu’au fonctionnement de leurs cerveaux – engendrent une asymétrie de leurs modes de pensée, donc d’action. Le prométhéen projet féministe n’est en cela pas seulement un effet de mode mais bien la dernière étape d’un plan de déconstruction proprement satanique et annoncé de longue date. Dès l’enfance, cette différenciation se marque et l’éducation doit respecter cette nature sous peine de produire des adultes à la personnalité claudicante.

La vision, talon d’Achille du garçon

Le professeur André Bergevin1, spécialiste des facteurs neuropsychologiques sous-tendant les conduites, prouve et analyse l’instinct sexuel masculin comme étant lié à la vision, principalement des formes féminines. Ce fonctionnement du cerveau masculin, qui s’étend à d’autres domaines que la sexualité, explique la curiosité extrême des petits, bien plus bouillonnante chez les garçons. On comprend donc que ce mécanisme automatique doit être éduqué par la tempérance et la retenue du regard. Qu’on ne s’y méprenne pas, cette curiosité naturelle est nécessaire, elle permet la connaissance du réel et constitue un moteur puissant pour pousser l’homme à devenir la porte du foyer vers l’extérieur et les connexions sociales.

Chez la femme, il en est autrement. Statistiquement, il est prouvé2 que la structure de ses connexions cérébrales est bien moins dichotomique que chez l’homme, et lui permet d’idéaliser davantage son environnement. Plus englobante, sa pensée est prédominante dans ses actions, et contrairement au sexe opposé, elle est moins sujette au principe de « stimulus déclencheur » dans le cadre de sa sexualité. Concrètement, pour elle, le plaisir sexuel sera bien moins recherché pour lui-même que comme confirmation d’un bien-être affectif.

Cela s’observe, en négatif, dans les motivations des malheureuses qui peuvent parfois tomber dans l’addiction à la pornographie : je peux citer des témoignages de femmes qui, tout en étant écœurées par les images qu’elles vont voir, y reviennent afin d’y retrouver l’impression (fausse !) de tendresse et d’affection dont certains traumatismes de la vie les ont privées. Mais dans ce domaine, si la sécrétion de dopamine aura à terme le même effet addictif que chez l’homme, l’absence de stimulus visuel limitera la profondeur du mal, et le phénomène d’addiction aura moins d’emprise, car très largement dû à l’attirance du regard.

 

Est-ce à dire que les filles sont peu partie prenante dans ce fléau ?

Non, bien sûr, mais d’une manière différente. Elles en sont à la fois victimes et causes. Victimes en tant qu’êtres profondément spirituels, car elles sont réduites à devoir se conformer à un stéréotype que l’indifférentialisme voudrait libérateur, lorsqu’il n’est qu’un rabaissement à quelques courbes et parties de corps rendues désirables par le seul mécanisme instinctif et – disons-le – prédateur, du cerveau masculin. Victimes en tant qu’êtres de cœur, car on leur refuse par cette dégradation d’être désirées pour elles-mêmes, tant elles sont enjointes par l’idéologie du moment à se conformer aux codes de la pornographie. Causes parce que souhaitant se soustraire à cette prédation, elles l’amplifient en ne voulant voir en l’homme qu’une femme aux instincts incontrôlés.

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>>> Ni féminisme, ni angélisme

Je m’explique : que ce soit dans le féminisme ou dans l’angélisme, on retrouve cette crainte de se confronter à l’altérité. Cela se traduit dans le premier cas par une impudicité outrancière, qui aura le double effet pervers d’exciter les sens masculins, et finalement de réduire encore davantage la femme à ce qu’elle refuse légitimement d’être considérée. Dans le deuxième cas, plus présent dans les milieux catholiques, la méconnaissance du caractère masculin amène la jeune fille à lui signer un blanc-seing quant à sa vertu, transposant par naïveté la primauté du spirituel (qui est plus spécifiquement féminine) sur de simples amis dont la bonne éducation et la retenue ne sauraient annihiler les instincts naturels. Ils sauront contenir extérieurement les effets de ces derniers, qui feront alors leurs ravages dans leurs âmes. Ne soyons pas naïfs pour autant, cet angélisme est bien plus humain qu’il n’y paraît, car grâce à cette capacité qu’elle a de ressentir ce qui n’est pas dit, la jeune fille aura vite l’intuition que son attitude lui attire regards et attentions, ce qui ne fera que l’ancrer dans son attitude.

Loin de moi l’idée de rejeter la faute sur l’un ou l’autre. Ces mécanismes ne sont rien d’autre que des phénomènes très naturels que nous voyons à l’œuvre partout chez les animaux, et l’être humain fait partie du règne animal : la femelle fait sa danse nuptiale dans le but de déclencher chez le mâle l’instinct reproductif qui assurera la perpétuation de l’espèce. On retrouve par ailleurs cet échange dans les deux excès cités plus haut. Dans l’un, l’Homme n’est qu’un corps, dans l’autre il n’est qu’esprit.

Apprendre à se compléter de manière harmonieuse

Ce développement quelque peu philosophique est nécessaire avant de revenir dans le monde concret : l’Homme (avec un grand H) est corps et esprit. Il est homme et femme. Loin de les opposer, leurs différences sont autant d’occasions de se compléter de façon harmonieuse, et de se porter vers le Bien de sorte que leur union est infiniment plus que la somme des deux.

Les deux écueils précédents sont abordés sous l’angle de la féminité car ils aboutissent à la même impasse chez l’homme : son effacement comme être spirituel par l’exploitation de son mécanisme sexuel instinctif. La solution apparaît alors clairement : tout d’abord la connaissance de l’autre, puis une véritable charité qui vise à se fournir l’un à l’autre les moyens permettant de s’accomplir en ce qu’il/elle est.

Nous sommes faits à l’image de Dieu, Lui qui, Esprit procédant d’un Père pur esprit et d’un Fils charnel, a voulu par l’image de l’altérité des sexes, reproduire cette perfection afin de nous signifier d’où nous venons. L’antidote à ce monde que nos ennemis appellent de leurs vœux et de leur actes, c’est l’autorité paternelle.

La paternité est indispensable à l’épanouissement de la femme, en lui créant l’environnement sécurisant dont elle a besoin afin de donner la pleine mesure de sa générosité et des puissances de son cœur. Et ce faisant, elle construira pour l’homme le foyer dont il a besoin afin d’enflammer son énergie au service de causes nobles.

 

Eduquer les enfants à la retenue

Abordons maintenant l’éducation des sexes, qui va au-delà d’une simple éducation sexuelle. L’autorité paternelle, entre autres effets, aura pour bienfait d’éduquer les enfants à la retenue, retenue du regard et des appétits charnels pour les garçons et retenue dans le paraître et les sentiments pour les filles, les préparant ainsi dès le plus jeune âge à considérer l’autre sexe en ce qu’il est, afin plus tard de l’aider à devenir ce à quoi il est appelé. Lorsque l’on parle d’appétit charnel, il n’est pas question uniquement de sexualité : la gourmandise (on ne mange pas n’importe quand, et on mange de tout à table), le confort (on ne paresse pas avec une BD vautré dans son lit, on ne s’étale pas sur des chaises longues au soleil…), la possession (on n’est pas tenu d’acheter immédiatement le jeu que notre enfant réclame à cor et à cri) sont autant d’entraînements efficaces pour les luttes qu’il aura à mener plus tard. Et pour nos filles, l’image paternelle doit préfigurer ce qu’elles rechercheront dans leur futur époux. La relation père-fille a cela d’unique qu’elle permet à la jeune fille d’obtenir affection et tendresse sans avoir à passer par la case séduction, et que l’amour qui lui sera prodigué sera naturellement dédié à sa personne intégrale, corps et âme. C’est aussi grâce à l’authenticité de cette relation que nul mieux que le père ne peut conseiller sa fille sur la retenue de son attitude et de ses sentiments.

 

La pudeur

La retenue est une autre façon de parler de pudeur : pour citer le professeur Bergevin, « la pudeur féminine n’est pas autre chose qu’une réponse à cette tendance masculine innée de ne la prendre que pour un corps3 ». Autrement dit, bien plus qu’une honte, il s’agit d’une incitation pour l’homme de considérer la femme d’abord en son âme et sa personne, sachant qu’elle a aussi un corps.

La pudeur masculine est différente, et concerne davantage la relation qu’il entretiendra à l’égard des jeunes filles, prouvant par son regard et sa retenue dans ses effusions qu’il considère avec respect la personne féminine, refusant de l’offenser par la réduction à l’état de corps pour laquelle le sien est programmé. Dans une formule très schématique, je dirais que la pudeur féminine avertit « que la femme n’est pas qu’un corps » quand le garçon devra alerter « qu’il n’est pas qu’une âme ».

 

Pour l’éducation, le combat culturel allié au combat spirituel

Ces considérations psychologiques peuvent sembler très théoriques, mais elles sont indispensables pour guider une saine éducation à la pureté. Lues à l’aune des dangers de notre époque, elles mettent en exergue le fait que le combat est général, autant personnel et spirituel que social et civilisationnel, tant le vice a infiltré la plupart des codes de conduite, des jeunes comme des adultes. On pourrait d’ailleurs étudier avec précision les effets que ce phénomène produit dans les milieux catholiques traditionnels, dont les murs moraux sont d’efficaces remparts contre la déferlante, mais ne sauraient empêcher des infiltrations insidieuses. Certes, c’est Dieu qui donne la victoire, mais la lutte nous revient, et ôtons de nos têtes la tentation de recettes magiques qui permettraient de résoudre le problème sans mouiller la chemise. Il est temps. Grand temps.

 

Odoric Porcher

 

1 A. Bergevin, Révolution permissive et sexualité, François-Xavier de Guibert, 2003. Beaucoup de notions de ce texte sont issues de cet ouvrage de référence, dont je ne saurais que trop conseiller la lecture !

2 Voir les travaux de Roger W. Sperry, prix Nobel de médecine, sur les rôles de hémisphères cérébraux droit et gauche et leur répartition (majoritaire sans être exclusive) chez l’un et l’autre sexe.

3 A. Bergevin, Révolution permissive et sexualité, op.cit., p. 82.