La vengeance

           L’homme, de par sa nature sociale, ne peut vivre sans suivre une certaine règle morale, que cette dernière soit divine (les dix Commandements), sociale (la loi, les coutumes), ou simplement personnelle (les principes de vie,…). Transgresser l’une ou l’autre de ces règles revient à nuire à l’ordre établi, et demande réparation du dommage causé ainsi que la punition du fautif, afin de le corriger et de prévenir tout autre écart de sa part ou de celle de ses semblables. Cette réparation, ce châtiment des fautes commises est à proprement parler appelé « vengeance1 », et peut relever du droit public, comme du droit privé, et bien sûr du droit divin. Saint Thomas s’est penché à différents endroits de sa Somme Théologique sur la question du juste châtiment, de la nécessité ou non d’infliger une punition, des défauts qui peuvent y être liés, et de divers aspects qu’il peut être intéressant d’aborder pour mieux comprendre le principe évangélique du pardon.

 

Vengeance et Vindicte

  La première question que se pose saint Thomas au sujet de la vengeance2, est celle de sa licéité, de sa moralité : peut-on demander réparation d’une offense quand Dieu lui-même, dans l’Ecriture, dit « A moi la vengeance et la rétribution3 », et quand Jésus-Christ prescrit de « Tendre l’autre joue » quand l’on a été offensé ? A cela le Docteur Angélique répond en distinguant vertu de vengeance et vengeance de haine.

 

  La vertu de vengeance, que l’on peut nommer vindicte, est la « poursuite et punition des crimes par l’autorité légale » (Dictionnaire La Langue Française). Elle s’exerce par les institutions de l’Etat, telles que les tribunaux et les forces de police, et fait partie de ses pouvoirs régaliens4, puisqu’il lui appartient d’assurer la sécurité de ses citoyens, entre autres moyens par le châtiment de ceux qui contreviennent à la Loi et à l’ordre public. C’est là une prérogative élémentaire du pouvoir civil et des princes, « Ministre[s] de Dieu pour tirer vengeance de celui qui fait le mal5 ». La vengeance, ou vindicte, fait dans ce cas partie de la justice commutative, dont le but est de régler les relations, les échanges entre personnes. L’Etat n’en est pas le seul garant, mais partage ce rôle de juge avec toute autre autorité naturelle, de celle du père de famille à celle du chef d’entreprise ou du président d’une association, ces derniers étant, à leur niveau, responsables de la société dont ils sont à la tête. C’est pour cette raison qu’ils peuvent chacun infliger une punition à ceux qui leur sont subordonnés, en vue du bien commun. Aucun n’usurpe ici un droit qui n’appartiendrait qu’à Dieu, mais tous en usent par délégation, toute autorité venant de Dieu.

 

  Différente est la vengeance, au sens où nous l’entendons couramment. Il s’agit alors du châtiment infligé par une personne privée à une autre personne en raison d’une injustice commise, que cette dernière soit réelle ou imaginée. L’expression courante que l’on retient est « se faire justice », mais il existe un principe très simple en Droit : l’on ne peut à la fois être juge et partie. L’offensé a naturellement tendance à surestimer le mal dont il est la victime, et donc à infliger une punition disproportionnée. L’homme qui se ferait justice, – en plus de s’arroger un droit réservé à l’autorité et donc de créer un désordre – , déclenche une spirale de violence pouvant très vite tourner au chaos. Si, en effet, j’ai le droit de punir mon voisin pour un dommage qu’il m’aurait causé, qu’est-ce qui l’empêcherait à son tour de chercher à se venger de moi ? Quel serait l’arbitre, où serait la limite ? C’est là tout le problème de la vendetta, véritable coutume encore présente en Sicile ou dans la région des Balkans : l’offense reçue doit être réglée entre les deux rivaux sans en référer au pouvoir légal, et il revient aux fils de venger leurs pères. Il s’ensuit des décennies de guerre entre familles, la vengeance appelant la vengeance. A rebours de cela, l’Evangile nous apprend à « Vaincre le Mal par le Bien6 » et à pardonner « comme Dieu nous a pardonné7 ». Saint Thomas expose en ces mots l’immoralité de la vengeance privée : « Ce n’est pas une excuse que de vouloir du mal à celui qui nous en a causé injustement, de même qu’on n’est pas excusé de haïr ceux qui nous haïssent ».

 

Cruauté et faiblesse

  Infliger une peine en réparation d’un mal commis demande, de la part de l’autorité, une vision claire du bien commun et un respect évident de la morale, sans quoi elle risque de tomber dans deux vices liés à la vengeance, selon saint Thomas : le premier vice par excès, à savoir la cruauté, le second par défaut, à savoir la faiblesse, ou la mollesse.

  La cruauté désigne tant une trop grande sévérité dans la punition d’une faute, qu’un châtiment infligé sans raison valable. L’autorité peut se montrer coupable d’une excessive sévérité pour plusieurs raisons. La première pourrait être de « faire un exemple », en frappant les esprits et en terrifiant les membres de la société, afin de les empêcher d’agir contre la Loi. Le but peut être louable, mais empêcher un désordre par un tel moyen reste en soi un désordre, et donc ne peut être en aucun cas justifié et moralement bon. La « Raison d’Etat » ne saurait être un prétexte au mal, une autorité devant toujours protéger la justice.

  Une autre raison de l’excessive sévérité d’une autorité serait de forcer l’obéissance, ou plutôt la soumission de ses subordonnés, à une loi stupide, sans réel fondement ou même immorale. Le mot Draconien fait référence au tyran Dracon homme d’Etat de l’Antiquité grecque à l’origine d’un code de lois dont la plupart des transgressions, mineures comme majeures, étaient punies de mort. L’Histoire regorge d’exemples de cette sorte, et la période actuelle ne fait pas exception.

Pour ce qui est du châtiment infligé sans raison réelle, il s’agit bien souvent d’une vengeance aveugle, désignant comme victime toute personne partageant un quelconque lien avec un offenseur réel ou présumé : c’est le célèbre « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère », de la fable de la Fontaine8. La cruauté désigne également la violence gratuite, mais cette partie concerne moins notre propos actuel.

 

  La faiblesse dans le châtiment est le second défaut lié à la vengeance. L’autorité peut s’en rendre coupable par peur, ou par désintérêt. Le principe « Tous égaux devant la Loi », a en effet connu maintes dérogations, en fonction de l’importance du contrevenant ou de la puissance de ses relations sociales. Cela peut être totalement justifié quand la condamnation publique causerait plus de mal que de bien, il faut alors tolérer sans pour autant approuver, mais ces cas sont assez rares, concernant principalement la faute d’une autorité elle-même : « Il faut fermer les yeux si le châtiment de sa faute doit causer du trouble parmi le peuple9 ». L’on a trop souvent pu faire le constat d’un pouvoir « fort contre les faibles, faible contre les forts ». Le résultat est inévitablement une hardiesse plus forte des fauteurs ainsi qu’une exaspération de leurs victimes, tentées alors de se faire elles-mêmes justice, créant un nouveau désordre.

  L’autre cause de cette mollesse dans la vengeance est plus souvent le fait de l’autorité paternelle, ne s’appliquant pas à son devoir de correction parce qu’accaparée par d’autres occupations (vie professionnelle, divertissements) ou simplement désintéressée du bien de sa famille. A ce sujet, l’Ecriture dit « Celui qui ménage la baguette hait son fils10 ». Manquer, par excès ou défaut de sévérité, au devoir de vengeance imposé par la justice, entraîne dans l’un et l’autre cas le délitement de l’ordre social. A l’opposé de ces vices, les vertus de clémence et de mansuétude permettent de renforcer une société, et favorisent l’harmonie et la concorde entre ses membres.

 

Clémence et mansuétude

  Clémence et mansuétude règlent respectivement la vindicte exercée par l’autorité et la vengeance des individus. Elles permettent de modérer les passions et d’éviter d’infliger une punition disproportionnée.

 

  La clémence est donc propre à l’autorité. Elle est, selon la définition de Sénèque, « La douceur du supérieur à l’égard de l’inférieur11 ». Son effet est de limiter la peine prévue, de punir en deçà de ce qui est édicté par la Loi, voire même d’annuler le châtiment. Il ne s’agit pas là du vice de faiblesse ou de mollesse dont nous avons parlé précédemment, la clémence s’inspirant toujours de la droite raison pour mieux corriger le fautif et l’emmener plus sûrement à la vertu, si ses dispositions s’y prêtent. Dans Cinna de Racine, l’empereur Auguste pardonne au personnage éponyme malgré la volonté de ce dernier de l’assassiner. Cinna, touché par la douceur de l’empereur, lui voue sa fidélité et sa vie. De manière plus commune, la clémence « [] diminue les peines, comme discernant que l’homme ne doit pas être puni davantage », en prenant en compte les circonstances particulières et la possibilité d’amendement du fautif. Elle est donc diamétralement opposée à une certaine « bureaucratisation » de la Justice, qui appliquerait à tous les mêmes peines, sans distinction.

 

  La mansuétude, elle, vise à réprimer la colère qui est un désir de vengeance causé par l’injustice, et à la remplacer par la bienveillance envers l’offenseur. C’est là proprement l’attitude du chrétien, animé par l’amour surnaturel du prochain enseigné par Jésus-Christ : « Comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres12 ». Il s’ensuit, nous dit saint Thomas, que le chrétien doit, « dans la mesure où l’offense est purement personnelle, la supporter avec patience ». Il faut ici appuyer sur le « purement personnelle », la réparation d’une offense étant nécessaire quand, à travers soi, est attaqué Dieu, la religion ou bien l’autorité que l’on représente. On ne châtie alors pas pour soi, mais pour quelque chose qui nous dépasse, qui est au-dessus de nous. Ne pas demander réparation d’une injure faite à Dieu serait, par exemple, une marque d’ingratitude et d’infidélité : « Rester insensible aux offenses faites à Dieu, c’est le comble de l’impiété13 ». Moïse, saisi d’une sainte colère à la vue des Hébreux adorant le Veau d’or, brisa les Tables de la Loi et fit périr par l’épée trois milles des impies. Autres temps, autres mœurs…

 

  La vengeance peut donc autant désigner une vertu qu’un vice, selon les dispositions de celui qui l’applique : rétablir la justice et corriger le fautif, ou bien satisfaire sa colère. Dans le premier cas, elle est une prérogative de l’autorité et ne peut être exercée par les individus, même en cas de défaillance de sa part. Dans le second cas, elle n’est tout simplement pas permise, le mal ne devant pas entraîner le mal. La Loi ancienne, celle du Talion, « Œil pour œil, dent pour dent », a définitivement été remplacée par la Loi nouvelle, celle de la Charité. A nous de nous appliquer à acquérir cette douceur et cette patience qui font l’admiration du monde et la gloire de l’Eglise, et qui sont la marque des amis de Dieu : « Bienheureux les Doux, car ils recevront la terre en héritage, Bienheureux les assoiffés de justice, car ils seront rassasiés, Bienheureux les Pacifiques, car ils seront appelés fils de Dieu14 ».

   

Un animateur du MJCF



1 Du latin Vindicta : Punition, Vengeance

2 Somme Théologique, 2nda, 2ndae, Q.108

3 Deutéronome, 32-35

4 « Se dit des fonctions politiques et administratives (police, défense, etc.) qui dépendent directement de l'État ou de son représentant suprême », Larousse

5 Saint Paul, Rom.,13.4

6 Saint Paul, Rom. 12,21

7 Cf Foyers Ardents n°25 : « Le Pardon »

8 Le Loup et l’Agneau, Livre 1er, fable 10

9 Somme Théologique, 2nda, 2ndae, art.1 : cette tolérance n’est évidemment plus valable quand la faute de l’autorité est pire que le scandale causé par le châtiment de sa faute (excommunication de Rois responsables de crimes, d’adultères publiques, …)

10 Proverbes, 13, 24. Il s’agit là, bien évidemment, de punir en vue de la correction, de la progression dans la vertu, non de violence gratuite.

11 De Clementia, Sénèque

12 Jean, 13.34

13 Saint Jean Chrysostome

14 Mat. 5, 4-9



Le féminisme, ou le meilleur ennemi de la femme

           « Les femmes ne seraient pas opprimées s’il n’existait pas un concept de la femme1 ». Se présentant comme seul mouvement défenseur de la femme, le féminisme est aujourd’hui incontournable sur la scène politique aussi bien que civile. On ne peut, sous peine d’être taxé de machisme, « mysoginisme » et obscurantisme, se désintéresser de la cause féminine et remettre en question ce qui fait aujourd’hui le credo de tous les partis : l’égalité des sexes. Mais, il peut sembler pour le moins incongru de chercher à atteindre une quelconque égalité si l’on refuse à la femme, comme l’énonce, entre autres, la féministe Judith Butler, une nature propre. Se pencher sur le féminisme présente alors un intérêt certain, afin de voir un peu plus clair dans ce mouvement multiforme mais omniprésent dans notre monde moderne, mêlé étroitement aux plus profonds bouleversements moraux et politiques des XXème et XXIème siècles. Aussi, aborderons-nous tout d’abord le féminisme en tant que tel, puis son instrumentalisation dans le système révolutionnaire, et enfin la réponse qu’en donne le Magistère de l’Eglise.

 

L’idéologie féministe en bref

 

  La genèse du féminisme remonte, – on n’en sera pas surpris-, au siècle, ô combien obscur, des « Lumières », siècle de la révolte contre Dieu, contre l’Eglise, et contre l’Etat. Partant d’une observation juste, à savoir la place différente et inégale qu’occupent les hommes et les femmes dans la société d’Ancien Régime, les premiers ayant seuls accès aux fonctions de magistrats, d’officiers dans l’armée, les secondes étant confinées au rôle ingrat de mères et d’épouses, Poullain de la Barre s’insurge3 voyant dans cet écart une injustice née d’un préjugé sans fondement : « De tous les préjugés, on n’en a point remarqué de plus propre à ce dessein que celui qu’on a communément sur l’inégalité des deux sexes ». Le préjugé dénoncé ici est le suivant : « les femmes sont faibles, incapables de vivre sans l’homme, inconstantes, irrationnelles ». Elles se trouvent alors en infériorité dans une société naturellement encline à favoriser la force, l’intelligence, la capacité à commander. L’inégalité entre l’homme et la femme n’est donc due qu’à un fait social, et non à un objectif réel. On retrouve là le vieux couplet libéral sur la corruption de l’être humain par la société, et son état de perfection avant la création du premier corps social. Ce dernier, loin d’apporter à l’Homme une perfection, l’aliène et le brime, il ne lui est nullement naturel mais, au contraire, est imposé artificiellement. A la source du féminisme se trouve donc un rejet pur de la société.

  Rousseau, même s’il n’est pas à proprement parler féministe, accentue ce phénomène en attaquant l’ordre social, le mariage, l’éducation, en vue de l’égalité la plus complète entre tous les hommes. L’acte conjugal n’est que l’assouvissement d’un instinct aveugle, « dépourvu de tout sentiment du cœur », l’enfant qui en découle « [n’est] plus rien à la mère sitôt qu’il [peut] se passer d’elle4 » et est son propre éducateur, en bref, personne ne dépend de qui que ce soit puisque tous sont égaux, et de cette égalité découle la liberté universelle.

  Plus proche de nous, Simone de Beauvoir fait figure d’héroïne du féminisme. Son célèbre « On ne naît pas femme, on le devient5 » exprime bien le rejet d’une quelconque nature féminine, et même humaine. Au rebours de l’adage antique « l’Agir suit l’être », Simone de Beauvoir et les féministes proclament que la nature n’est en rien stable, définie, mais bien plutôt le fruit d’un acte continuel, permanent : notre nature ne s’impose pas à nous, c’est nous qui décidons ce que nous sommes. La filiation de cette pensée avec le « Non serviam » de Satan est évidente, et s’inscrit pleinement dans le mouvement révolutionnaire qu’a vécu, et que vit encore notre pays.

 

Féminisme et révolution

 

  Nous venons de voir qu’à la base de l’idéologie féministe se trouve la remise en question de la société comme naturelle à l’homme, car cause d’inégalités. Le système révolutionnaire, même s’il n’en fait pas son cheval de bataille principal, ne peut que s’en faire le défenseur et le promoteur6, puisqu’ils partagent les mêmes modes de pensée. Le libéralisme qui est leur base commune débouche sur une même conséquence : l’absolutisation de l’individu et le rejet de tout ce qui lui est supérieur. Cela se traduit par des actes concrets, à commencer par la suppression de l’institution du mariage, expression par excellence de la soumission de la femme à son homme de mari. La Constitution de 1791, ne considérant plus le mariage que comme un « Contrat civil », est suivie par la loi du 20 septembre 1792, autorisant le divorce en même temps qu’elle supprime les vœux religieux : l’homme étant libre, il est impossible de le priver de cette liberté par un quelconque engagement irrévocable : « On le forcera à être libre ».

  Même s’il ne s’agit pas à proprement parler d’une mesure féministe, la légalisation du divorce est, dans la stratégie révolutionnaire, le premier pas vers la destruction de la famille, lieu où s’exprimait par excellence la domination de l’homme sur la femme. La législation en 1967 des moyens contraceptifs7, puis de l’avortement en 1975, inscrit dans la loi le slogan féministe « Mon corps, ma propriété », déconnectant l’acte conjugal de la procréation pour en faire principalement un outil de plaisir et d’émancipation de la femme, la rendant moins dépendante de l’homme.

  Ces mesures phares de la « libération de la femme » sont accompagnées d’actions plus discrètes mais primordiales dans la praxis féministe. Parmi elles, la question de l’habillement féminin, anodine pour beaucoup, a grandement participé à brouiller les différences hommes/femmes. Le port du pantalon et de tenues originellement masculines manifeste, à la base, l’opposition au « patriarcat » et à l’inégalité des sexes : « le pantalon féminin s’inscrit dans une dynamique de remise en cause des mythes structurant les deux genres8 », il est « un symbole politique de la lutte pour l’égalité des sexes9 ». Il est à ce propos édifiant de faire le constat suivant : loin d’en faire une question de mode comme une autre, les femmes qui, les premières ont porté le pantalon et en ont fait la promotion, ne sont nulles autres que les grandes militantes du féminisme : Simone de Beauvoir, Françoise Sagan, plus tôt George Sand, Rosa Bonheur… Autant de femmes dont l’attachement aux idéaux de la Révolution et les mœurs dissolues ne sont plus à prouver10. Fidèles à la maxime maçonnique du « Solve et coagula », les féministes et la Révolution s’acharnent à pervertir la femme, en lui ôtant la pudeur et la retenue qui lui sont naturelles, pour en faire, soit un être asexué et androgyne, sur le modèle de la « garçonne », soit un être sexualisé à outrance, débridé et objet de plaisir.

 

Féminisme chrétien

 

  Aux dires des féministes et des révolutionnaires, eux seuls se sont intéressés au sort de la femme. C’est oublier près de deux mille ans d’œuvre civilisatrice de l’Eglise, qui par l’esprit de l’évangile, a toujours cherché à adoucir ce qu’il pouvait y avoir de trop rude dans les mœurs des peuples. Le Magistère rappelle qu’il existe un ordre naturel, loin des idéologies de l’homme. De par leurs différences psychologiques et physiques, homme et femme n’ont pas la même mission dans la vie de famille. L’homme possède la force et est doué d’un jugement plus général, d’une vision plus abstraite des choses, lui permettant de décider et d’agir plus facilement en visant le bien commun de la famille. Autant de traits de caractères que l’on attend instinctivement d’un chef. De son côté, la femme est naturellement plus attentive et patiente, plus apte à voir les détails qui échappent à l’œil masculin. Elle est donc plus compétente dans l’éducation des petits enfants, plus capable de gérer la maison et de conseiller l’homme dans la direction de la famille en lui faisant voir certaines conséquences inaperçues. Cette hiérarchie naturelle n’entraîne pas pour autant un asservissement de la femme à l’homme, celui-ci devant s’appuyer sur elle pour assurer sa tâche de chef de famille. La femme est une aide, et non un instrument de son mari. Tous deux sont complémentaires.

  C’est la grande erreur des modernes que de considérer que la soumission de la femme à l’homme dans la vie de famille est une déchéance, une autre forme d’esclavage, alors qu’il est tellement beau, noble et nécessaire pour elle de se dévouer à l’éducation des petits et à la vie de la famille. Sans elle, la maison n’est rien moins qu’un foyer sans âme : « N’est-ce pas une vérité que c’est la femme qui fait le foyer et qui en a le soin, et que jamais l’homme ne saurait la remplacer dans cette tâche ? (…) attirez-la hors de sa famille (…), le foyer cessera pratiquement d’exister et il se changera en un refuge précaire de quelques heures11 ». Cette mission est d’autant plus belle qu’elle demande à la femme une force, un esprit de sacrifice et un dévouement de chaque instant, lui méritant ce magnifique éloge de Dieu lui-même par la bouche de l’auteur sacré : « Une femme forte, qui la trouvera ? Elle est plus précieuse que les perles, le cœur de son mari a confiance en elle (…)12 ».

  Mais cette mission ne peut s’accomplir en complète indépendance, en séparant la femme de l’homme. Son accomplissement se trouve dans la maternité, dans la vie de famille et donc passe par la soumission à son mari — lequel est aussi fait pour la vie de famille. Combien de femmes, arrivées au sommet d’une carrière brillante et exemplaire, regrettent d’avoir consacré toute leur énergie à un patron indifférent ou à une cause stérile, plutôt que d’avoir donné la vie et l’être à une nouvelle génération d’enfants ! « La femme sera sauvée par la maternité », déclare solennellement saint Paul13, que celle-ci soit physique ou spirituelle (enseignement,…). Malheur à celui qui voudrait l’en séparer ! En corrompant la mère, il corrompt les enfants, et appelle sur lui la vengeance de Dieu. A sa mort, il sera jugé par toutes ces mères et tous ces petits qu’il aura voulu éloigner du Sauveur.

  « Femmes, soyez des hommes ! », clame le féminisme. Fondamentalement, l’erreur de cette idéologie néfaste est de refuser à la femme sa mission propre, et de la vouloir l’égale de l’homme dont elle est le complément. Elle est dès lors vouée à n’être qu’une créature sans cesse changeante et incomplète, car privée de sa raison d’être et soumise au diktat capricieux d’une caste de révoltés et de dégénérés. Rendre à la femme sa grandeur passe par la restauration de ce lien qui la rattache à l’homme, sans lequel elle ne peut exercer son rôle dans la société : « Femmes, soyez soumises à vos maris », enseigne saint Paul. Mais il ajoute également, et ces mots sont lourds de sens : « Maris, aimez vos épouses, tout comme le Christ aime l’Eglise et s’est livré pour elle14. »

 

Un animateur du MJCF

 

 

1 Judith Butler

2 Il n’est bien évidemment pas question ici de faire un exposé exhaustif, du fait de l’ampleur du sujet. Afin d’approfondir la question, nous conseillons la lecture de l’ouvrage D’Eve à Marie du Père Jean-Dominique, O.P., et la lettre sur le féminisme de Monsieur l’abbé de Cacqueray (La Porte Latine, Gender).

3 In De l’égalité des deux sexes (1673),

4 Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes

5 In Le Deuxième Sexe

6 Tout en s’autorisant à le réprimer s’il devient trop envahissant : se rapporter à l’exécution en 1793 de Olympe de Gouges, rédactrice de la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne », présentée comme pionnière du féminisme.

7 Loi Neuwirth

8 Histoire politique du pantalon, Christine Bard

9 Ibid.

10 Pour une étude plus approfondie sur le sujet de l’habillement dans la stratégie révolutionnaire, se référer à l’article « Du genre vestimentaire au Gender », 1er oct.2012, La Porte Latine, P. Joseph d’Avallon.

11 Pie XII, Allocution aux jeunes époux

12 Epître de la messe d’une sainte femme, Prov. 31, 10

13 1 Tim. 2, 15

14 1 Pe. 3,1

 

 

La prudence

           « Le prudent, nous enseigne Voltaire, se fait du bien, tandis que le vertueux en fait aux autres ». Cette conception de la prudence comme d’une sorte de mesquinerie, de pusillanimité, est popularisée au cours du XVIIIème siècle, le « siècle des Lumières », par les penseurs de la Révolution. Cependant, moins de cent ans auparavant, la Bruyère en faisait dans ses Caractères la marque de la noblesse d’âme : « Où manque la prudence, trouvez la grandeur si vous le pouvez », tandis que saint Thomas la présentait comme « la vertu la plus nécessaire à la vie totale de l’homme ». Afin de redonner à cette vertu ses lettres de noblesse, Marcel de Corte lui consacre un de ses ouvrages, La Prudence, ou la plus humaine des vertus, nous permettant de redécouvrir sa beauté et son importance dans l’agir humain.

 

La Prudence, d’après Aristote et saint Thomas d’Aquin

  La Prudence est l’une des quatre vertus cardinales, ou morales, avec la Justice, la Force et la Tempérance. « Cardinal » vient du latin cardo, ce qui se traduit par gond ou pivot. Quant à « Moral », il s’agit de ce qui est conforme aux mœurs, aux règles de l’agir. Ces vertus ont pour rôle de guider l’action de l’homme, en lui permettant de faire le bien et d’éviter le mal. Par elles, l’homme remplit sa nature d’être raisonnable et politique, en régissant sa manière d’agir par rapport à la société où il se trouve et au bien commun. Parmi ces quatre vertus, la prudence a la primauté. Elle est, selon les mots d’Aristote et de saint Thomas, la Recta ratio agibilium, la « droite règle de l’agir ». Son but est de « gouverner la vie de l’homme », de mener chaque acte, quel qu’il soit, vers sa fin bonne. saint Thomas dit qu’elle est « l’art de bien vivre », et donc nécessaire pour progresser dans la vertu. Cette importance peut sembler étonnante au premier abord, aussi Marcel de Corte, citant toujours Aristote et saint Thomas, analyse plus profondément ce en quoi elle consiste ainsi que les trois étapes qui la composent : la délibération, le jugement et l’exécution.

  La Prudence, nous l’avons dit, est la manière de mener toute action vers sa fin.

– La délibération, ou conseil, est « la recherche conduite par la raison relativement aux actions à faire ». Cette recherche, dans les cas où la réponse n’est pas évidente, se fait auprès de ceux qui ont le savoir, l’expérience, avant de devenir plus naturelle, plus instinctive. Elle appelle l’humilité de la part du sujet, qui reconnaît son ignorance et se met à l’école de plus sage que lui, mais aussi un juste choix des « maîtres » à consulter. Une fois les différents avis rassemblés1 (plus l’acte est important, plus la délibération est longue et les conseils nombreux), il est alors nécessaire de choisir, de juger de ce qui a été délibéré.  

– Le jugement détermine ce qui est le plus juste en fonction de l’objectif à atteindre, en écartant les propositions idéalistes (qui ne manquent pas dans un monde dénaturé comme le nôtre) pour se concentrer uniquement sur la solution réaliste, conforme à la fin de l’action recherchée. Il détermine, parmi les différents choix qui se présentent à lui, quel est le plus adéquat et le plus conforme à la fin recherchée, en fonction du contexte présent. Juger appelle un certain sens critique, une certaine connaissance des principes et un certain caractère. Si la délibération a en effet comme objectif de recueillir l’avis des maîtres, le jugement n’est en rien une application stupide de ce qui a été dit par tel ou tel, mais bien plutôt l’expression d’une volonté propre du sujet qui choisit l’une des options qui s’offrent à lui en acceptant les conséquences possibles et en les assumant. Juger engage déjà la responsabilité, avant même que l’action soit exécutée, car il entraîne naturellement un acte de la part du sujet.

– Une fois que la décision induite par le jugement est prise, il reste à la mettre en œuvre. Cette partie est la plus importante de la Prudence, car cette dernière étant la vertu de l’agir, elle doit se concrétiser dans un acte. Il est des hommes qui sont dotés d’une sagesse remarquable et d’une connaissance des choses qui force le respect. Ces hommes sont de bons conseils et savent les moyens de parvenir à une fin donnée, mais certains se refusent d’agir par crainte, par désintérêt, ou encore parce qu’ils considèrent que leur devoir est d’éclairer leur prochain plutôt que d’agir pour le sauver. Cela est hautement imprudent et dommageable, et le bon sens populaire ne manque pas de bons mots pour condamner cette apathie : « Il n’y a que ceux qui ne font rien qui ne font pas d’erreurs », « qui ose gagne » … Car agir est prendre un risque : risque de se tromper, de se faire du mal, de ne pas rencontrer le résultat escompté. Mais risque nécessaire car lié intimement à un bien que l’on a jugé supérieur, plus digne d’être poursuivi, et ultimement rattaché au Bien suprême qu’est Dieu.

 

La prudence, d’après le monde moderne

  « La prudence, lit-on dans le Larousse, est l’attitude de quelqu’un qui est attentif à tout ce qui peut causer un dommage, qui réfléchit aux conséquences de ses actes et qui agit de manière à éviter toute erreur ». Il ne s’agit plus de viser au plus grand bien, objectif et indépendant de notre volonté, mais d’atteindre un bien personnel, subjectif, opposé au bonheur spirituel suite au rejet de la nature humaine, dirigée vers Dieu. Ainsi le « Prud’homme » des temps médiévaux, tant vanté par saint Louis2, a laissé la place au « influenceurs » des réseaux sociaux, aux girouettes humaines qui ne s’engagent jamais afin de toujours être du côté de la bien-pensance, du consensus populaire. Des trois actes de la Prudence, le monde moderne ne conserve en effet que la délibération, en l’étendant à l’extrême pour au final s’exempter de juger et s’éviter les conséquences potentiellement négatives d’une prise de position et d’un passage à l’acte. Et quand les circonstances les obligent à poser un acte, censément réfléchi et raisonnable, combien de fois voyons-nous ces Homonculi3 revenir sur leur parole et prétexter leur revirement, qui dans bien des cas est une trahison, par une ignorance des conséquences, un « changement de programme », un manque de réflexion. Cette prudence, synonyme de pusillanimité et de lâcheté, troque la moralité de chaque acte, dépendant de la fin visée, par une « morale de situation » liée au contexte particulier.

Rejetant les notions fondamentales de bien commun et de vérité, l’homme moderne fait de la Vox Populi le nouvel Evangile, le nouveau Décalogue. Les démocraties modernes deviennent alors les refuges parfaits de ces éternels enfants, condamnés à rester comme tels parce que rejetant toute responsabilité et toute atteinte à leur confort. A cette tyrannie du nombre s’ajoute le dictat suprême de la technique, des procédures. On crée des schémas qui s’efforcent de donner une solution miracle à chaque situation, en forçant si besoin la réalité à rentrer dans le cadre que l’on a établi. Le particulier, objet de la vertu de prudence, se trouve noyé dans le général. Le chef et le juge, premiers concernés par cette vertu, car ayant l’agir le plus important au vu du bien commun, se transforment en techniciens chargés d’appliquer les protocoles. Cela se vérifie dans la puissance toujours plus grande donnée à la Loi, chargée de remplacer l’absence générale de prudence pour assurer un semblant d’ordre social, car moins l’homme est prudent, plus il est nécessaire de le canaliser par la contrainte : « La loi joue ici le rôle de la prudence chez ceux qui n’en ont pas ».

 

Cultiver la prudence

  La vertu est un habitus, c’est-à-dire une « disposition stable à faire le bien », de manière ferme (« Firmiter »), rapide (« Expediter ») et agréable (« Delectabiliter »). Cela sous-entend un apprentissage qui peut être l’œuvre de toute une vie, puisque les vertus ne grandissent pas seules mais s’imbriquent et se soutiennent mutuellement. Il en est ainsi pour l’acte de prudence, qui bien que dominant l’ensemble de l’agir humain, doit s’appuyer sur la justice, la force et la tempérance pour atteindre sa perfection. Comment, en effet, un homme égoïste et soumis à ses pulsions pourrait, de manière habituelle, agir conformément à la règle de la prudence ? Discerner la vérité, arrêter le meilleur moyen de l’atteindre et le mettre en œuvre demande une disposition favorable au bien. Cela n’est bien sûr pas l’apanage des seuls chrétiens, un non croyant pouvant tout à fait être animé par l’amour du bien commun et faire grandir en lui, avec l’aide de la grâce actuelle que Dieu offre à chaque homme, les vertus de justice, de force et de tempérance ; sa prudence sera seulement imparfaite tant qu’elle restera cantonnée aux vues humaines, mais trouvera son ultime justification dans l’amour de Dieu, Bien suprême.

  De manière plus concrète, l’acquisition de la prudence, vertu de chef car vertu de l’agir, et vertu de « l’homme total », demande d’aimer le bien, et donc de le connaître. D’où le bienfait évident de la formation personnelle, tant spirituelle (religieuse) qu’intellectuelle : aimer entraîne une volonté de se rapprocher, de connaître plus profondément, et de cette connaissance grandit l’amour. Les ouvrages de maîtres ne manquent pas pour découvrir ou approfondir les grandes vérités de l’existence et celles de Dieu. Ces « maîtres à penser » transmettent aux générations qui les suivent la sagesse des temps, s’étant eux-mêmes appuyés sur les hommes de bien les précédant. La docilité à leur enseignement est une autre condition sine qua non pour acquérir la prudence, comme le souligne le livre de l’Ecclésiastique : « Tiens-toi au milieu des anciens prudents, et unis-toi de cœur à leur enseignement ». Il est également nécessaire de prendre garde au « prêt à penser » si présent dans notre monde moderne : télévision, radios et autres médias qui sont autant d’écrans, dans le sens d’obstacles, à un jugement droit et posé. La prudence demande une vie intérieure, et non pas une vie artificielle constamment connectée à la 4G et aux ondes. Ce serait faire ainsi le jeu du monde, « ennemi de tout forme de vie intérieure », avide de faire de chacun de nous des homo emptor, des « hommes consommateurs ».

 

  « Pareille à l’aurige qui, fermement appuyé de ses deux pieds sur le plancher du char, dirige celui-ci vers le but de la course, elle guide toutes les vertus vers leurs accomplissements. » Cette image, reprise des anciens philosophes, montre bien cette suprématie de la prudence sur les autres vertus de l’agir, mais également la nécessité pour elle de les faire grandir en parallèle pour progresser. Hélas, on préfère aujourd’hui voir les autres courir à notre place plutôt que de prendre les rênes, et le monde souffre cruellement de l’absence de ces hommes prudents, appelés à guider leur prochain dans la voie de la vérité et du Bien. Cependant, n’oublions pas que si la Prudence est reine de l’agir et « la plus humaine des vertus », la vertu des hommes complets, elle ne saurait surpasser la Charité, vertu des chrétiens. Aussi, si certains sont appelés à commander, et d’autres à transmettre la science, selon les mots de l’Apôtre, tous sont appelés à servir Dieu sur terre et dans les cieux : soyons humains, c’est entendu, mais soyons par-dessus tout chrétiens.

 

 Un animateur du MJCF

 

La peur

           Rivarol, homme de lettres de la seconde partie du XVIIIème siècle connu pour sa finesse d’esprit et ses attaques contre les soi-disant philosophes des Lumières, parlait de la peur en ces mots : « Elle est la plus terrible des passions parce qu’elle fait ses premiers effets contre la raison ; elle paralyse le cœur et l’esprit ». Quelques années avant sa mort, il voyait la Révolution française éclater et répandre la Terreur sur tout le royaume. Plus de deux cents ans ont passé. Nous sommes bien loin du temps où les Colonnes Infernales semaient la mort et la destruction, mais pourtant la Paix universelle promise par les Pères de la Révolution se fait encore attendre : la crise actuelle, plus sociale que sanitaire, a en effet servi, entre autres, à exposer à la face de tous cette peur qui dévore le cœur et l’esprit de ceux qui ne croient plus qu’en eux-mêmes. Intéressons-nous donc à cette passion de la peur, en tâchant tout d’abord de la définir en nous basant sur saint Thomas d’Aquin, puis en observant son utilisation comme moyen de contrôle des masses notamment dans le monde moderne, et enfin en essayant de lui rendre sa valeur propre aussi étonnant que cela puisse paraître.

La peur selon saint Thomas d’Aquin

  « Toutes les passions, écrit le Docteur, découlent d’un même principe : l’amour ». Elles relèvent soit du concupiscible, soit de l’irascible, selon que le bien1 désiré est simple ou ardu à acquérir. Ces deux catégories se subdivisent ensuite en passions « bonnes » ou « mauvaises », selon qu’elles attirent vers une chose considérée comme bonne ou qu’elle repousse une chose considérée comme mauvaise. Par exemple, l’amour à proprement parler est une « bonne » passion du concupiscible, opposée à la haine (on peut bien sûr aimer une mauvaise chose et haïr une bonne chose, mais cela est un autre sujet).

La peur, saint Thomas use plutôt du mot de crainte, est rattachée aux passions de l’irascible. Par opposition à l’audace, qui meut vers un bien difficile à atteindre, la crainte fuit un mal futur auquel il est difficile de résister. Ce mal ne peut être présent, auquel cas il s’agirait de la tristesse, causée par la perte actuelle d’un bien. Il n’est pas non plus invincible, auquel cas l’on parlerait de désespoir. Saint Thomas distingue également deux sortes de maux : celui qui découle de l’agir humain et celui qui lui est extérieur. Dans le cas de l’agir de l’homme, le premier mal est le travail qui pèse à la nature. Il en résulte la paresse, « qui se refuse à agir par crainte d’un travail excessif ». Le second est l’atteinte à sa réputation, « l’infamie », intimement liée à l’orgueil. On reconnaît là les deux vices principaux de l’homme. Dans ce qui est extérieur à l’homme, le mal peut être difficile à surmonter en raison de sa grandeur (il est si grand que l’on ne sait quelle en sera l’issue), il s’agit alors de l’étonnement. Il peut être également insolite, inhabituel (il tire sa grandeur de notre imagination, qui le grossit exagérément), il s’agit alors de la stupeur2. Enfin il peut être imprévisible et impossible à éviter (le « hasard »), il s’agit alors d’angoisse. Ces maux tirent leur puissance soit d’eux-mêmes (la mort, …), soit de l’exagération de notre imagination, qui parce qu’elle n’est plus soumise à la volonté, a tendance à donner au mal plus d’importance qu’il n’en a réellement. Cette œuvre de l’imagination s’inscrit dans ce que nous pouvons appeler la « stratégie de la peur », dans le contrôle de l’homme moderne par les gouvernements et les instances révolutionnaires.

 

La stratégie de la peur

  La peur joue un rôle capital dans le monde moderne, au vu de son utilisation par les deux grands pouvoirs que sont les gouvernements issus de la Révolution et les « Mass médias ».

  Toute société se définit par un agir commun, par un but que partagent ses membres. Sous un gouvernement «traditionnel», le principal moteur de cet agir est naturellement l’amour du bien commun, qui dans le cas d’un pays n’est rien d’autre que l’harmonie entre les citoyens3 et leur épanouissement, de leur progression dans la vertu. Or cela implique nécessairement une connaissance du Bien et du Mal, moralement parlant, et donc une reconnaissance de l’existence de Dieu et la nécessité de Le servir. Les gouvernements révolutionnaires ne peuvent bien sûr admettre cela, et par conséquent sont dans l’incapacité de définir un bien commun vers lequel tendre. Afin de rassembler les peuples et les mouvoir vers un objectif préalablement défini, ces gouvernements désignent alors un « mal commun » propre à terrifier les masses. Ce mal peut être réel (la guerre, …) mais sera soigneusement déformé pour paraître encore plus effroyable (une épidémie, …). Si cela ne suffit pas, on crée tout simplement ce mal commun (une mouvance politique, une menace extérieure, …). Poussée par ce sentiment primal de la peur, excitée par les sens mais contre toute raison, la masse est alors le jouet de ses dirigeants qui l’agitent au gré de leur envie. Il ne peut en être autrement puisque toutes les sociétés naturelles, seuls corps organisés face à l’Etat, ont préalablement été éliminées. La masse se police alors naturellement, vouant à l’opprobre publique l’homme lucide qui voudrait résister et allant jusqu’à le déclarer « ennemi du bien commun », l’exposant aux poursuites judicaires ou encore physiques, comme il en a été – et est toujours – le cas dans les dictatures communistes, même si nos démocraties modernes ne sont pas en reste.  Situation orwellienne4 s’il en est. Cette domination par la peur ne serait cependant pas envisageable si les gouvernements modernes ne pouvaient compter sur un allié de poids : les Mass médias.

Groupes de diffusion massive de l’information, les Mass médias5 décident de ce qui doit être cru par les masses et de ce qui doit être ignoré. Un Etat révolutionnaire ne peut se passer d’eux pour exercer son contrôle sur la foule. Même si leurs moyens d‘actions ne se limitent pas qu’à la peur, celle-ci reste dans notre monde individualiste et égoïste la passion la plus puissante et la plus efficace pour fédérer (momentanément) les individus contre un « mal commun » servant les besoins du régime. A force de répétition et d’amplification, de savantes altérations des faits voire de leur création de toute pièce, les médias donnent l’impression d’un mal irrésistible et omniprésent, propre à terrifier les individus car les menaçant dans leur confort, dans leur mode de vie paisible et égoïste. Selon les directives de l’Etat, les médias poussent ainsi la masse à agir dans un sens donné afin de prévenir ce mal que seule elle peut vaincre, ou la paralysent afin de laisser le champ libre au gouvernement6.    Après tout ceci, et il serait encore possible de développer plus avant le côté évidemment néfaste de la peur, il apparaît que cette passion est un obstacle au bonheur de l’homme et qu’elle doit être vigoureusement combattue. Cependant, elle peut être occasion d’actes vertueux, et non pas des moindres.

 

La nécessité de la peur

  Que la peur soit une des passions les plus puissantes de l’homme, soit. Qu’elle lui soit un obstacle à sa sanctification et à sa progression dans la vertu, c’est certain. Mais qu’elle soit inconditionnellement mauvaise et nuisible, il ne peut en être question. Une passion n’est en soi ni bonne, ni mauvaise : sa valeur dépendra du pouvoir que nous lui laissons prendre sur notre intelligence, sur notre agir. De même qu’il existe une sainte colère qui pousse au bien, la crainte peut être bonne, et cela par rapport à soi, par rapport à la société et par rapport à Dieu.

  L’expression la plus simple de la peur s’exprime par l’instinct de conservation, partagé par tous les êtres vivants7. De sa forme la plus basique qui est la fuite de ce qui porte atteinte à la vie de l’être et à sa santé, elle se retrouve chez l’homme, par phénomène d’opposition, dans la recherche d’un certain confort et le développement de moyens atténuant la pénibilité du travail, même si cela peut facilement – et nous le voyons bien aujourd’hui – déboucher sur la luxure et la société de consommation. De plus, la peur est la condition sine qua non à l’éclosion de vertus comme la force, la persévérance, le courage, qui consistent justement dans le dépassement de cette peur. Le martyre n’est rien d’autre que le dépassement de la peur naturelle à l’homme pour un bien plus élevé : Dieu en personne. La peur est donc un moyen pour l’homme de s’élever, de devenir meilleur. A cela s’ajoute un côté bénéfique de la peur dans le maintien et le développement de la société.

  La construction d’une société vertueuse, harmonieuse, commence par l’éducation et l’enseignement des enfants dans la famille d’abord, à l’école ensuite. Or, les éducateurs le savent bien, il y a trois manières d’éduquer et d’enseigner : par l’amour des parents  et des maîtres d’abord, par le désir d’un bien ensuite (récompense, métier, …), puis par la crainte d’une punition. Si celle-ci est le moyen le moins noble et méritoire, il n’en reste pas moins une étape souvent obligée pour forcer l’enfant à apprendre malgré lui. Cette crainte dépasse d’ailleurs les murs du foyer ou de la classe pour se retrouver dans les rues des villes : le passage à l’âge adulte ne rend malheureusement pas saints des hommes blessés par le péché originel. Il est donc nécessaire à la société politique de faire peur aux criminels, pour empêcher autant que possible les atteintes à la paix civile. La « peur du gendarme » est bonne en ce qu’elle est un obstacle supplémentaire à la réalisation d’un acte nuisible au bien commun : nous pouvons la comparer – toute proportion gardée – à cette voix de l’ange gardien, poussant à reconsidérer ce que l’on s’apprête à faire8.

  Ces aspects positifs de la peur mènent à une autre vision autrement plus élevée : la crainte de Dieu. On retrouve dans cette expression la marque de l’amour qu’a une âme fidèle pour son Créateur, car ces mots, bien plus que la peur des châtiments divins, signifient la crainte d’offenser Dieu. Le juste a bien plus peur de lui-même que de Dieu. Il craint la faiblesse de sa nature qui le fait pécher « sept fois par jour ». Il a peur d’offenser son ami qui a tant fait pour lui. Ayant cette peur, il met alors tout en œuvre pour éviter les chutes, les maladresses, les abandons même minimes. Il emploie toutes ses forces à connaître ce Dieu-Frère, pour aimer ce qu’il aime, rejeter ce qu’il déteste, lui plaire à chaque instant. C’est en cela que « la crainte de Dieu est le début de la Sagesse ».

 

  La crainte ne doit pas être pour nous un obstacle. La seule manière de la faire servir à notre bien est de la tenir fermement soumise à la raison, et à ne pas lui accorder plus d’importance que nécessaire. Son simple rôle est de nous avertir d’un danger, pas de nous empêcher de faire le bien. Sa domestication n’est bien sûr pas l’affaire d’une journée, elle peut être un combat d’une vie, mais elle est un passage obligé pour progresser dans la vertu. La répétition des actes bons, mais redoutés, est comme la fabrication d’une armure. Elle ne supprime pas le danger, mais elle permet de passer outre et d’agir malgré lui. Ne nous illusionnons pas : notre peur indomptée est le seul moyen qui permet aux hommes de mal de triompher et de cracher au visage de Dieu. Coupons nos écrans, n’écoutons plus les voix des marchands de peur, appliquons-nous à connaître le Bon Dieu et à le servir : Il se chargera du reste. Face à l’angoisse qui paralyse nos contemporains et les pousse d’abandon en abandon, les condamnant à une vie pire que la mort, cultivons les vertus d’espérance et de persévérance et soyons fidèles jusqu’au bout :

« Ceux qui luttent, ce sont ceux qui vivent […]

Ayant devant les yeux, sans cesse, nuit et jour,

Ou quelque saint labeur, ou quelque grand amour9. »

  Un animateur du MJCF

 

 

Pour approfondir :

Somme Théologique, 1a, 2ae, q.41-44

Soyez des Hommes, F-A VUILLERMET

La Subversion, R. MUCCHIELLI

Groupes réducteurs et noyaux dirigeants, A. LOUBIER

 

 

1 À ne pas confondre ici avec le Bien, moralement parlant. Un bien n’est ici qu’une chose que l’on recherche pour ce qu’elle nous apporte de plaisant, tout en pouvant être in fine nuisible (l’alcool, …)

2 Étonnement et stupeur sont ici à considérer par rapport à la grandeur dans le mal, et non par rapport à la simple surprise.

3 En tant que membres de la Cité politique, et non d’une quelconque république.

4 En référence à l’ouvrage de George Orwell, 1984.

5 Radio, télévision, films, journaux à grands tirages, réseaux sociaux sur Internet,…

6 Il arrive cependant que ces mêmes médias aient leurs propres objectifs, et s’érigent alors en contre-pouvoir se servant de la masse pour déstabiliser un Etat.

7 Hors végétaux, l’instinct nécessitant une certaine forme d’intelligence, même purement sensible.

8 Considérons cela dans le cadre d’une société juste, où les lois protègent le bien commun. Autrement, cette « peur du gendarme » fait partie de l’arsenal révolutionnaire.

9 Victor Hugo, les Châtiments

 

 

 

La peur

           Rivarol, homme de lettres de la seconde partie du XVIIIème siècle connu pour sa finesse d’esprit et ses attaques contre les soi-disant philosophes des Lumières, parlait de la peur en ces mots : « Elle est la plus terrible des passions parce qu’elle fait ses premiers effets contre la raison ; elle paralyse le cœur et l’esprit ». Quelques années avant sa mort, il voyait la Révolution française éclater et répandre la Terreur sur tout le royaume. Plus de deux cents ans ont passé. Nous sommes bien loin du temps où les Colonnes Infernales semaient la mort et la destruction, mais pourtant la Paix universelle promise par les Pères de la Révolution se fait encore attendre : la crise actuelle, plus sociale que sanitaire, a en effet servi, entre autres, à exposer à la face de tous cette peur qui dévore le cœur et l’esprit de ceux qui ne croient plus qu’en eux-mêmes. Intéressons-nous donc à cette passion de la peur, en tâchant tout d’abord de la définir en nous basant sur saint Thomas d’Aquin, puis en observant son utilisation comme moyen de contrôle des masses notamment dans le monde moderne, et enfin en essayant de lui rendre sa valeur propre aussi étonnant que cela puisse paraître.

 

La peur selon saint Thomas d’Aquin

  « Toutes les passions, écrit le Docteur, découlent d’un même principe : l’amour ». Elles relèvent soit du concupiscible, soit de l’irascible, selon que le bien1 désiré est simple ou ardu à acquérir. Ces deux catégories se subdivisent ensuite en passions « bonnes » ou « mauvaises », selon qu’elles attirent vers une chose considérée comme bonne ou qu’elle repousse une chose considérée comme mauvaise. Par exemple, l’amour à proprement parler est une « bonne » passion du concupiscible, opposée à la haine (on peut bien sûr aimer une mauvaise chose et haïr une bonne chose, mais cela est un autre sujet).

La peur, saint Thomas use plutôt du mot de crainte, est rattachée aux passions de l’irascible. Par opposition à l’audace, qui meut vers un bien difficile à atteindre, la crainte fuit un mal futur auquel il est difficile de résister. Ce mal ne peut être présent, auquel cas il s’agirait de la tristesse, causée par la perte actuelle d’un bien. Il n’est pas non plus invincible, auquel cas l’on parlerait de désespoir. Saint Thomas distingue également deux sortes de maux : celui qui découle de l’agir humain et celui qui lui est extérieur. Dans le cas de l’agir de l’homme, le premier mal est le travail qui pèse à la nature. Il en résulte la paresse, « qui se refuse à agir par crainte d’un travail excessif ». Le second est l’atteinte à sa réputation, « l’infamie », intimement liée à l’orgueil. On reconnaît là les deux vices principaux de l’homme. Dans ce qui est extérieur à l’homme, le mal peut être difficile à surmonter en raison de sa grandeur (il est si grand que l’on ne sait quelle en sera l’issue), il s’agit alors de l’étonnement. Il peut être également insolite, inhabituel (il tire sa grandeur de notre imagination, qui le grossit exagérément), il s’agit alors de la stupeur2. Enfin il peut être imprévisible et impossible à éviter (le « hasard »), il s’agit alors d’angoisse. Ces maux tirent leur puissance soit d’eux-mêmes (la mort, …), soit de l’exagération de notre imagination, qui parce qu’elle n’est plus soumise à la volonté, a tendance à donner au mal plus d’importance qu’il n’en a réellement. Cette œuvre de l’imagination s’inscrit dans ce que nous pouvons appeler la « stratégie de la peur », dans le contrôle de l’homme moderne par les gouvernements et les instances révolutionnaires.

 

La stratégie de la peur

  La peur joue un rôle capital dans le monde moderne, au vu de son utilisation par les deux grands pouvoirs que sont les gouvernements issus de la Révolution et les « Mass médias ».

  Toute société se définit par un agir commun, par un but que partagent ses membres. Sous un gouvernement «traditionnel», le principal moteur de cet agir est naturellement l’amour du bien commun, qui dans le cas d’un pays n’est rien d’autre que l’harmonie entre les citoyens3 et leur épanouissement, de leur progression dans la vertu. Or cela implique nécessairement une connaissance du Bien et du Mal, moralement parlant, et donc une reconnaissance de l’existence de Dieu et la nécessité de Le servir. Les gouvernements révolutionnaires ne peuvent bien sûr admettre cela, et par conséquent sont dans l’incapacité de définir un bien commun vers lequel tendre. Afin de rassembler les peuples et les mouvoir vers un objectif préalablement défini, ces gouvernements désignent alors un « mal commun » propre à terrifier les masses. Ce mal peut être réel (la guerre, …) mais sera soigneusement déformé pour paraître encore plus effroyable (une épidémie, …). Si cela ne suffit pas, on crée tout simplement ce mal commun (une mouvance politique, une menace extérieure, …). Poussée par ce sentiment primal de la peur, excitée par les sens mais contre toute raison, la masse est alors le jouet de ses dirigeants qui l’agitent au gré de leur envie. Il ne peut en être autrement puisque toutes les sociétés naturelles, seuls corps organisés face à l’Etat, ont préalablement été éliminées. La masse se police alors naturellement, vouant à l’opprobre publique l’homme lucide qui voudrait résister et allant jusqu’à le déclarer « ennemi du bien commun », l’exposant aux poursuites judicaires ou encore physiques, comme il en a été – et est toujours – le cas dans les dictatures communistes, même si nos démocraties modernes ne sont pas en reste.  Situation orwellienne4 s’il en est. Cette domination par la peur ne serait cependant pas envisageable si les gouvernements modernes ne pouvaient compter sur un allié de poids : les Mass médias.

Groupes de diffusion massive de l’information, les Mass médias5 décident de ce qui doit être cru par les masses et de ce qui doit être ignoré. Un Etat révolutionnaire ne peut se passer d’eux pour exercer son contrôle sur la foule. Même si leurs moyens d‘actions ne se limitent pas qu’à la peur, celle-ci reste dans notre monde individualiste et égoïste la passion la plus puissante et la plus efficace pour fédérer (momentanément) les individus contre un « mal commun » servant les besoins du régime. A force de répétition et d’amplification, de savantes altérations des faits voire de leur création de toute pièce, les médias donnent l’impression d’un mal irrésistible et omniprésent, propre à terrifier les individus car les menaçant dans leur confort, dans leur mode de vie paisible et égoïste. Selon les directives de l’Etat, les médias poussent ainsi la masse à agir dans un sens donné afin de prévenir ce mal que seule elle peut vaincre, ou la paralysent afin de laisser le champ libre au gouvernement6.    Après tout ceci, et il serait encore possible de développer plus avant le côté évidemment néfaste de la peur, il apparaît que cette passion est un obstacle au bonheur de l’homme et qu’elle doit être vigoureusement combattue. Cependant, elle peut être occasion d’actes vertueux, et non pas des moindres.

 

La nécessité de la peur

  Que la peur soit une des passions les plus puissantes de l’homme, soit. Qu’elle lui soit un obstacle à sa sanctification et à sa progression dans la vertu, c’est certain. Mais qu’elle soit inconditionnellement mauvaise et nuisible, il ne peut en être question. Une passion n’est en soi ni bonne, ni mauvaise : sa valeur dépendra du pouvoir que nous lui laissons prendre sur notre intelligence, sur notre agir. De même qu’il existe une sainte colère qui pousse au bien, la crainte peut être bonne, et cela par rapport à soi, par rapport à la société et par rapport à Dieu.

  L’expression la plus simple de la peur s’exprime par l’instinct de conservation, partagé par tous les êtres vivants7. De sa forme la plus basique qui est la fuite de ce qui porte atteinte à la vie de l’être et à sa santé, elle se retrouve chez l’homme, par phénomène d’opposition, dans la recherche d’un certain confort et le développement de moyens atténuant la pénibilité du travail, même si cela peut facilement – et nous le voyons bien aujourd’hui – déboucher sur la luxure et la société de consommation. De plus, la peur est la condition sine qua non à l’éclosion de vertus comme la force, la persévérance, le courage, qui consistent justement dans le dépassement de cette peur. Le martyre n’est rien d’autre que le dépassement de la peur naturelle à l’homme pour un bien plus élevé : Dieu en personne. La peur est donc un moyen pour l’homme de s’élever, de devenir meilleur. A cela s’ajoute un côté bénéfique de la peur dans le maintien et le développement de la société.

  La construction d’une société vertueuse, harmonieuse, commence par l’éducation et l’enseignement des enfants dans la famille d’abord, à l’école ensuite. Or, les éducateurs le savent bien, il y a trois manières d’éduquer et d’enseigner : par l’amour des parents  et des maîtres d’abord, par le désir d’un bien ensuite (récompense, métier, …), puis par la crainte d’une punition. Si celle-ci est le moyen le moins noble et méritoire, il n’en reste pas moins une étape souvent obligée pour forcer l’enfant à apprendre malgré lui. Cette crainte dépasse d’ailleurs les murs du foyer ou de la classe pour se retrouver dans les rues des villes : le passage à l’âge adulte ne rend malheureusement pas saints des hommes blessés par le péché originel. Il est donc nécessaire à la société politique de faire peur aux criminels, pour empêcher autant que possible les atteintes à la paix civile. La « peur du gendarme » est bonne en ce qu’elle est un obstacle supplémentaire à la réalisation d’un acte nuisible au bien commun : nous pouvons la comparer – toute proportion gardée – à cette voix de l’ange gardien, poussant à reconsidérer ce que l’on s’apprête à faire8.

  Ces aspects positifs de la peur mènent à une autre vision autrement plus élevée : la crainte de Dieu. On retrouve dans cette expression la marque de l’amour qu’a une âme fidèle pour son Créateur, car ces mots, bien plus que la peur des châtiments divins, signifient la crainte d’offenser Dieu. Le juste a bien plus peur de lui-même que de Dieu. Il craint la faiblesse de sa nature qui le fait pécher « sept fois par jour ». Il a peur d’offenser son ami qui a tant fait pour lui. Ayant cette peur, il met alors tout en œuvre pour éviter les chutes, les maladresses, les abandons même minimes. Il emploie toutes ses forces à connaître ce Dieu-Frère, pour aimer ce qu’il aime, rejeter ce qu’il déteste, lui plaire à chaque instant. C’est en cela que « la crainte de Dieu est le début de la Sagesse ».

  La crainte ne doit pas être pour nous un obstacle. La seule manière de la faire servir à notre bien est de la tenir fermement soumise à la raison, et à ne pas lui accorder plus d’importance que nécessaire. Son simple rôle est de nous avertir d’un danger, pas de nous empêcher de faire le bien. Sa domestication n’est bien sûr pas l’affaire d’une journée, elle peut être un combat d’une vie, mais elle est un passage obligé pour progresser dans la vertu. La répétition des actes bons, mais redoutés, est comme la fabrication d’une armure. Elle ne supprime pas le danger, mais elle permet de passer outre et d’agir malgré lui. Ne nous illusionnons pas : notre peur indomptée est le seul moyen qui permet aux hommes de mal de triompher et de cracher au visage de Dieu. Coupons nos écrans, n’écoutons plus les voix des marchands de peur, appliquons-nous à connaître le Bon Dieu et à le servir : Il se chargera du reste. Face à l’angoisse qui paralyse nos contemporains et les pousse d’abandon en abandon, les condamnant à une vie pire que la mort, cultivons les vertus d’espérance et de persévérance et soyons fidèles jusqu’au bout :

« Ceux qui luttent, ce sont ceux qui vivent […]

Ayant devant les yeux, sans cesse, nuit et jour,

Ou quelque saint labeur, ou quelque grand amour9. »

 

 Un animateur du MJCF

Pour approfondir :

Somme Théologique, 1a, 2ae, q.41-44

Soyez des Hommes, F-A VUILLERMET

La Subversion, R. MUCCHIELLI

Groupes réducteurs et noyaux dirigeants, A. LOUBIER

1 À ne pas confondre ici avec le Bien, moralement parlant. Un bien n’est ici qu’une chose que l’on recherche pour ce qu’elle nous apporte de plaisant, tout en pouvant être in fine nuisible (l’alcool, …)

2 Étonnement et stupeur sont ici à considérer par rapport à la grandeur dans le mal, et non par rapport à la simple surprise.

3 En tant que membres de la Cité politique, et non d’une quelconque république.

4 En référence à l’ouvrage de George Orwell, 1984.

5 Radio, télévision, films, journaux à grands tirages, réseaux sociaux sur Internet,…

6 Il arrive cependant que ces mêmes médias aient leurs propres objectifs, et s’érigent alors en contre-pouvoir se servant de la masse pour déstabiliser un Etat.

7 Hors végétaux, l’instinct nécessitant une certaine forme d’intelligence, même purement sensible.

8 Considérons cela dans le cadre d’une société juste, où les lois protègent le bien commun. Autrement, cette « peur du gendarme » fait partie de l’arsenal révolutionnaire.

9 Victor Hugo, les Châtiments