Premier Mystère Glorieux : La Résurrection de Notre-Seigneur

Fruit de ce mystère : La joie chrétienne

 « Dis-nous Marie, qu’as-tu vu en chemin ?

-J’ai vu le tombeau du Christ vivant et la gloire du Christ ressuscité !…

Joie et allégresse de ce matin de Pâques où, dans la pure fraîcheur de l’aube les saintes femmes courent vers le tombeau, portant les aromates et les parfums pour ensevelir le Maître que, dans la hâte d’une veille de sabbat, on n’a pu que rouler dans son linceul. Leur cœur les tire, vite, si vite ! Mais « qui déplacera pour nous la pierre du tombeau » ?…

Et voici le jardin, le tombeau ouvert que les gardes, dans leur terreur ont abandonné, cette lumière mystérieuse qui s’en échappe, le linceul soigneusement plié, le vide solennel et silencieux d’un tombeau d’où la mort est maintenant absente, et l’ange aux vêtements éblouissants : « Pourquoi cherchez-vous parmi les morts Celui qui est parmi les vivants ?… »

Et voici Marie-Madeleine avec son cœur éperdu qui se prosterne aux pieds du Maître, pleuré et retrouvé : « Marie !… : la voix qui appelle, qui entre dans l’âme apportant certitudes et espérance : dialogue qui commence entre le Christ et les âmes fidèles et ne prendra jamais fin !…

Et les apôtres, à leur tour, qui courent vers le tombeau, mais qui ne verront rien, eux, que les bandelettes gisantes et le linceul, bien plié dans un coin ; mais ce témoignage leur suffit : « Ils ont cru », dit solennellement l’Evangile.

On ne sait comment les recueillir toutes ces images de joie, ces souvenirs pleins d’allégresse de ce matin unique entre tous, plus beau que le premier matin qui se leva sur le monde au paradis terrestre.

Oh ! matin de Pâques qu’on imagine si lumineux sous le ciel palestinien !… Matin qui pour toujours, tant qu’il y aura des cœurs chrétiens, déversera la joie des Alléluia pleins de cloches !…

La joie chrétienne

Vierge Marie, qu’on ne nous dise plus que la croix du Christ assombrit l’horizon du monde, alors qu’elle n’est que le porche de la joie durable !… Est-ce le christianisme qui a inventé la mort ? le mal ? la souffrance ?… et ceux qui ont ôté la croix de leur vie en ont-ils en même temps ôté toutes les souffrances ? N’ont-ils jamais rencontré l’échec, la maladie, les déceptions, les rêves commencés et avortés ? La vie ne leur a-t-elle jamais semblé, « une chose dure qui serre de trop près et perpétuellement nous fait mal à l’âme[1]»… N’est-ce pas pour eux, alors que sera vrai le mot de Saint Paul : « Si le Christ n’est pas ressuscité, nous sommes les plus malheureux des hommes » ?

Mais le Christ est ressuscité ! Alléluia ! Les anges l’ont dit, les saintes femmes l’ont vu et des milliers et des milliers ont rendu témoignage tandis que Thomas, pour rassurer notre incrédulité, a mis ses doigts dans les trous béants des plaies saintes. Le Christ est ressuscité ! Alléluia ! Si nous ne pouvons pas le chanter tous les jours comme nous le chantons en chaque matin de Pâques, il faut que sans cesse, la récitation de notre rosaire, en nous ramenant devant le tombeau vide, nous rappelle que nous sommes les enfants de la joie !…

C’est grâce à ce matin de Pâques où le Christ est sorti vivant du tombeau que nous pouvons porter des fleurs dans les cimetières et regarder sans désespoir cette terre qui recouvre ceux qui nous ont quittés. Vierge Marie, c’est pour nous aussi que l’ange assis sur la pierre du tombeau lève le doigt vers le ciel : « ne cherchez plus parmi les morts celui qui est parmi les vivants ! » « Ils sont vivants, éternellement vivants, nos bien-aimés ; ils ont passé la porte obscure qui provisoirement les sépare de nous, mais c’est pour commencer la vie définitive dont la nôtre n’est qu’un prélude plus ou moins bref ; ils sont des invisibles, ils ne sont pas des absents ; ils cheminent près de nous, jusqu’à l’heure de la réunion définitive[2] »

Le Christ a vaincu la mort ; Il a vaincu pour nous la solitude humaine. Je suis seule peut-être dans ma maison et dans ma vie, je suis celle qui pleure et qui ne reconnaît pas sous les traits du jardinier Celui qu’elle pleure, jusqu’à ce que la voix connue appelle « Marie » !

Mon Dieu ! Ce matin de Pâques, c’est votre voix qui nous appelle chacun par notre nom pour mettre la joie jusqu’au plus intime définitivement et n’est-ce pas une joie infinie d’entendre Celui qui dit : « Ne pleure pas ! » ?

Je saurai maintenant vous reconnaître derrière tout ce qui vous cache… Vous êtes dans ma maison, vous êtes dans ma vie, vous êtes là pour m’appeler par mon nom et pour qu’au lieu de rester amère dans ma solitude, je courre moi aussi pour annoncer cette bonne nouvelle que je porte en moi comme une espérance invincible… Le Christ est ressuscité ! Il a remporté toutes les batailles ; Il est le Vainqueur ; que craindrais-je ? De quoi aurais-je peur ?

Et joie aussi que cette certitude du mal définitivement vaincu ! C’est dur, Vierge Marie de voir tout ce mal qui s’étale impudemment, torturant les corps, les cœurs et les âmes. Je suis là bien tranquille chez moi, et le mal du monde vient me souffleter brutalement : les vengeances, les atrocités, les colères, les haines, les injustices, les profits… Mon Dieu ! Tout en moi proteste ! Il faut que le mal soit vaincu pour que j’aie le courage d’élever mes enfants, de faire ma tâche de chaque jour, de résister à la pente glissante de cette immoralité qui emporte tout, de ces moqueries et injustices qui m’entourent… Vierge Marie, tout à l’heure, avant de prendre mon Rosaire, un poids d’amertume m’oppressait. Maintenant j’ai compris : le mal n’a qu’un triomphe passager… Celui qui va du Vendredi Saint au matin de Pâques. Je laisserai dire ceux qui se moquent de ma vie, ceux qui ricanent… Je sens en moi les paroles qui faisaient brûler d’amour le cœur des disciples d’Emmaüs. Ne faut-il pas que, comme le Christ a souffert, nous réalisions nous-mêmes la vérité des Béatitudes, cette joie au-delà des larmes, des injustices, des persécutions, de la pauvreté ?… Bienheureux ! Bienheureux ! Oh ! oui, bienheureux sommes-nous mon Dieu  puisque nous avons la certitude de vos promesses qui, au-delà de la nuit des temps, percent l’horizon comme l’aube du matin de Pâques.

Vierge Marie ! Faites qu’à force de réciter cette première dizaine, je sente grandir en moi la pure joie chrétienne qui est l’authentique témoignage des disciples de votre Fils !

D’après Paula Hoesl

[1] Marcel Proust

[2] Paul Claudel

Cinquième Mystère Douloureux : Jésus meurt sur la Croix

Fruit de ce mystère : Le don de soi

            En haut du chemin, il y a la petite colline où le drame s’achève. Le dénouement est brutal comme le reste. Cette tunique arrachée, ce corps meurtri étendu sur le bois rude et ces clous qui s’enfoncent dans les membres ! Notre cœur chrétien a peine à regarder ces scènes affreuses !

Et maintenant, sur le ciel de fin d’après-midi, voici que se détache la Croix de Jésus entre les deux autres condamnés. Au pied de celle qui porte l’écriteau : « Jésus, roi des Juifs », il y a le groupe, -si petit hélas !- des amis : sa mère et les saintes femmes… Seul Saint Jean est là, revenu, happé par son cœur. Peut-il laisser mourir seul, l’ami, le bien-aimé, sur la poitrine duquel sa tête reposait si tendrement quelques heures auparavant ?

Et ce sont les heures d’attente, les mystérieuses, les solennelles heures d’attente de toutes les agonies quand on épie autour d’un être qui s’en va, les derniers mots, les derniers regards, les dernières pensées… Oh ! Agonie de Jésus… Mère immobile, pauvre Mère ! Il ne vous reste que l’échange suprême de vos pensées. « Femme, voici votre fils ; Fils voici votre mère… » C’est le seul héritage que Marie reçoit de son Bien-Aimé : la pauvre humanité à aimer avec tout son cœur de mère. A cette heure solennelle, c’est l’adoption suprême. Elle ne répond rien. Elle reçoit cette mission. Et dans le grand silence de la terre et des cieux, dans ce grand silence de l’âme, Jésus put dire : « Tout est consommé ».

O Marie, apprenez-moi le sens profond de ce mystère. Je ne médite pas mon rosaire aujourd’hui pour apprendre à mourir mais pour apprendre à vivre.

« Donne-toi, comme mon Fils s’est donné… »

La vie chrétienne est amour, et l’amour est un don. Tout ce qui nous fait nous retourner sur nous-mêmes est misérable et infécond. Il faut franchir les étroites limites de notre « moi », briser ce tenace égoïsme qui sans cesse, comme un enfant mal élevé, crie : « Et moi ? » Ma joie c’est le don que je fais de moi-même ; je ne suis riche que de ce que je donne !

Et à qui me donnerais-je, mon Dieu, si ce n’est à vous ? Oh, Notre-Dame, aidez-moi à bien comprendre ce sens profond de toute vie chrétienne. Que pour moi les rapports avec Dieu ne soient pas un accord soigneusement passé : « Je donne ceci pour que vous me donniez cela. Votre part, la voilà Seigneur : cette Messe du dimanche, ces prières, moyennant quoi je suis tranquille et vous n’avez plus rien à me demander. J’équilibre mon budget spirituel… » Non ce n’est pas cela ! Ah ! je peux bien multiplier les prières, les aumônes et mêmes les sacrifices, si je ne me donne pas moi-même, je ne donne rien… Mon Dieu, faites que je regarde au fond de moi-même. N’aurais-je pas enterré moi aussi au fond du jardin ce « talent » que je n’ai pas envie que vous me demandiez… ?

Otez de moi cet esprit d’avarice spirituelle qui toujours calcule et suppute ses chances de gains et de perte. Si je vous donne tout, que me restera-t-il pour moi ?… Si je commence à vous donner généreusement tout ce que j’ai, n’allez-vous pas Seigneur, vous autoriser à en prendre plus ?… Est-ce-que je ne la sens pas au fond de moi-même cette peur lorsque j’entends votre demande… ? « Mon Dieu, jusque là, je veux bien, mais pas plus loin… Cela est à vous mais le reste est à moi !… »

O Notre-Dame, vous qui avez tout donné, aidez-moi à tout donner à mon tour. Chaque élan vers vous, mon Dieu est une richesse.

A qui me donnerais-je, mon Dieu, à travers vous ?… Mais à tous. Les autres sont là autour de moi : mon mari, mes enfants, cette amie, ce voisin, tous ceux que j’appelle mon prochain. Si je veux les aimer vraiment, non des lèvres mais du cœur, il faut que je me donne sans compter, en m’oubliant moi-même. Dans les grandes choses comme dans les petites ! Le monde souffre d’une pénurie d’amour parce que nous retenons pour nous ce qui devrait aller aux autres, parce que nous mesurons parcimonieusement notre cœur… Nous sommes des avares de notre tendresse, de notre compassion, de notre temps. Ce sourire qui mettrait une lumière dans la maison de cette pauvre femme, cette visite toujours remise, cette lettre attendue, ce désir personnel que je fais passer en priorité…

Mon Dieu ! Jamais sans doute vous me demanderez le suprême témoignage de « donner ma vie pour ceux que j’aime » car cela reste exceptionnel mais aidez-moi à ne pas oublier que ce soir en rentrant, mon mari attendra un sourire même si je suis épuisée, mes enfants auront besoin de moi même si j’ai un livre passionnant à terminer, et je pourrais énumérer toutes ces joies personnelles à sacrifier avec le sourire parce que quelqu’un est là qui frappe à la porte de mon cœur. Vais-je dire : Non ! Je n’ai pas le temps » à tous ceux qui ont besoin de moi ?…

« J’aurais commis peut-être bien des fautes, mais au moins je ne me serais pas épargné » écrivait Jacques Rivière. Il y en a tant qui s’épargnent ! Ils ont beau dire « qu’ils se dépensent sans compter », ce n’est vrai qu’en apparence. Ils s’agitent, ils se fatiguent, ils donnent ce qu’on ne demande pas, ils essaient de compenser… mais ils retiennent toujours ce qu’on aimerait tant recevoir : ce don profond qui est un renoncement à soi-même.

Vierge Marie, notre « moi » est si tenace qu’il n’est pas facile de s’en dépouiller. Faites que je comprenne la leçon de l’amour suprême de Jésus en Croix. Que je sache la retrouver chaque fois que j’assiste à la Messe, sans me laisser happer par mes soucis. Que cette goutte d’eau mise dans le calice me rappelle que la Messe est aussi mon offertoire et que le Christ veut que nous y associions notre offrande. Faites que je donne humblement ma vie quotidienne avec ses banalités pour qu’à travers toutes ces petites choses ce soit vraiment le meilleur de moi-même qui se donne.

Vierge Marie, vous qui étiez au pied de la croix, témoin de cette grande offrande, prenez avec cette dizaine mon grand désir pour qu’il devienne une réalité.

D’après Paula Hoesl

Le portement de la Croix – Fruit de ce mystère : porter sa Croix avec Notre-Seigneur

La cause est entendue. Il ne reste plus qu’à exécuter la sentence arrachée à la lâcheté du gouverneur. Il n’y a plus qu’à apporter l’instrument du supplice et à se mettre en marche vers le lieu de l’exécution. Il n’est pas loin – cinq ou six cents mètres à vol d’oiseau -, mais combien loin pour Celui qui porte cette lourde croix sur des épaules déjà déchirées par les coups de fouets. Oh ! Comme nous les connaissons bien ces « stations » douloureuses que chaque carême et chaque chemin de Croix nous rappellent.

Et derrière, la foule marche. Les ennemis qui se repaissent du spectacle, les curieux ; ceux-là même qui l’acclamaient au jour si proche des Rameaux… Oh mon peuple que t’ai-je fait ? Comme ils sont peu nombreux les amis ! Quelle douleur que la solitude du cœur ! Mais Jésus, silencieux, doux et soumis, adhère de tout son cœur à la volonté de son Père. Il n’est pas la victime qu’on traîne mais la victime qui consent. O Mère, cachée dans la foule, dans le petit groupe des femmes fidèles, Mère étroitement voilée dans votre douleur et votre silence, vous seule avez su ce qui se passait dans l’âme de votre Fils sur ce chemin de la croix. Car seul l’amour devine, et pour lui il n’est pas besoin de paroles. Dans ce long regard échangé tout à l’heure, votre âme a pénétré la sienne. Pour lui, comme pour vous, l’heure sublime de la rédemption est venue. Vous seule savez avec quel amour Jésus a porté cette croix, instrument infamant du supplice, glorieux autel du sacrifice où la victime va monter pour sauver la pauvre humanité. Ah ! Cette croix lourde, coupante, est-elle autre chose que l’humanité, sa misère, son péché… lourde de ce que chaque génération accumule de péchés devant la face du Père ?

Porter sa Croix avec Notre-Seigneur.

La tête entre les mains, je me recueille car j’entends retentir la parole de Jésus : « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive !… » O Vierge Marie, tandis que je prie près de vous, aidez-moi à comprendre. Vous savez bien comme j’ai peur de cette ombre de la croix sur ma vie et comme ce seul mot de souffrance m’épouvante.

Ce sont les hommes et leurs péchés et les conséquences de leurs péchés qui ont taillé, dans un même bois dur, toutes les croix. Une pour le Christ, une aussi pour chacun de nous… Mère, je me serre contre vous. Aidez-moi à comprendre que, moi aussi, je dois porter ma croix comme Jésus a porté la sienne. Peut-on s’y dérober ? Quand la vie la met elle-même sur vos épaules, elle s’y incruste ; et le mieux n’est-il pas simplement de chercher le secret de porter cette croix pour qu’elle soit moins pesante ?… Je vous entends, ô Mère, tout le secret est de porter sa croix avec Jésus, comme Jésus.

C’est vrai je ne suis pas seule ! Tout à l’heure, j’étais accablée et je pensais à toutes les croix que les autres n’ont pas…

Mais en vous voyant, ô Jésus,  sur le chemin du Calvaire, j’ai compris. Vous ne demandez pas de ne pas souffrir, et ces larmes de tout à l’heure, vous ne me les reprochez pas. Mais vous voulez que je porte courageusement mon fardeau à votre exemple. Car vous êtes là et vous marchez devant moi. Parfois je me sens si seule mais je me trompe. O mon âme, ouvre les yeux, tout près de toi, il y a Jésus, et ta croix repose sur son épaule. C’est Lui notre bon cyrénéen. Comment pourrai-je désormais me sentir seule puisque nous montons à deux cette rude montée ? Il n’y a pas une douleur humaine que vous n’ayez partagée avec nous, et si je trébuche dans la montée douloureuse, vous êtes là pour me soutenir et me dire : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués, et je vous soulagerai… »

J’aimerai ma croix, ô mon Jésus, parce que vous avez aimé la vôtre. Quand vous êtes venu sur la terre vous n’avez choisi ni la richesse, ni le succès, ni le bonheur. Vous avez choisi la souffrance. Puis-je regarder chaque jour mon crucifix et ne désirer qu’une vie pleine de jouissances et de satisfactions ? Comme le grain qui ne peut germer sans mourir en terre, moi aussi je sais bien que je ne puis valoir quelque chose que si je traverse l’épreuve. Ce sont les mains qui ont eu mal qui sont les plus douces pour panser. Ce sont les yeux qui ont pleuré qui savent voir plus clair. Ce sont les cœurs qui ont broyé en eux leur égoïsme qui peuvent le mieux s’ouvrir aux autres.

Mais il ne suffit pas de souffrir, il faut bien souffrir. Le bon larron a regardé Jésus, il a imité sa douceur, son acceptation, son abandon.

Vierge Marie, faites que je ne gaspille jamais cette grâce précieuse de la souffrance, « cette grâce que nous n’avons pas méritée », comme dit Léon Bloy. Faites que j’ai le courage de ne pas murmurer, de m’offrir filialement à l’épreuve et de tendre avec amour mes épaules pour recevoir le poids dur de la croix quand il plaira à Dieu de me l’envoyer.

Vierge Marie, faites-moi comprendre que la joie chrétienne est le fruit savoureux de l’arbre de la croix. Oui, la vie est parfois rude et terrible. Nos cœurs saignent et notre chair souffre. Mais si je comprends l’amour, je découvrirai la joie. Dieu ne permet la souffrance et l’épreuve que parce qu’Il veut rendre ma vie féconde et belle. Il nous « taille » dans le vif comme le bon jardinier… Mais Il nous aime. Sans cesse Il nous serre dans les bras de son amour, et c’est peut-être parce qu’Il nous serre si fort à certaines heures que nous sommes tout meurtris par cette étreinte. Mais quelle joie ineffable d’aimer et de se sentir ainsi aimé !

Sainte Marie, Mère de Dieu, aidez-moi à comprendre que si je presse « ma croix » avec amour sur mon cœur, elle fleurira entre mes bras un jour, comme un buisson de roses.

D’après Paula Hoesl

Troisième Mystère Douloureux

Le couronnement d’épines

Fruit de ce mystère : Le désir de l’humilité

« Il le leur livra pour être crucifié. » C’est ainsi que commence cette scène, la plus odieuse de la Passion. Les soldats se sont emparés de Jésus. Il faut bien s’amuser un peu ! Il a dit qu’il était roi, qu’il était Dieu ? Alors voilà un lambeau d’écarlate pour jeter sur ses épaules déchirées, cela figurera l’image de César. Il faut une couronne ? Il y a dans les chemins des épines à foison ; il est facile d’en tordre une poignée et de l’enfoncer à grands coups sur sa tête. Et maintenant amusons-nous, puisqu’on l’a livré à nos caprices…

Scène de dérision, soufflets, crachats… Le sang coule sur ce visage, le sang suinte de chaque trou d’épine et lentement descend, emplissant les yeux, entraînant cette sueur glacée….Rires grossiers, larges soufflets : « Tu es roi, tiens ; voilà pour toi !… » Comme c’est drôle de souffleter à son aise le visage d’un rival de César ! La haine est peu inventive. C’est la troisième fois depuis la nuit que la scène se répète : chez Caïphe et chez Hérode aussi, on a craché au visage de Jésus, on l’a souffleté…

Voici ton Dieu Ô mon âme, regarde-le bien… celui dont le visage ravit les anges et devant lequel ils se couvrent de leurs ailes, ne pouvant en supporter l’éclat ! Qu’il est difficile de reconnaître le Dieu derrière cette face avilie, tuméfiée et salie. Il est des supplices où la majesté des martyrs se révèle ; des condamnés qui devant la mort peuvent porter très haut le prestige de l’homme.

O Marie ! Où étiez-vous dans cette matinée tragique ? Tout à l’heure vous allez rencontrer votre fils, à ce coin de rue où notre piété s’arrête pour vénérer la quatrième station. Vous le verrez avec son visage couvert de poussière, la sueur de l’agonie, la souillure immonde des crachats, le sang collé comme par plaque, ce visage que Véronique n’a pas encore, le cœur battant follement d’amour, essuyé pour l’éternité dans les plis de son voile ! Vous seule, parce que vous êtes sa Mère, devant ce visage avili, pouvez retrouver sa beauté première. O Marie ! Visage qu’un seul regard de votre amour va laver de toutes souillures avant que Véronique n’emporte pour nous, pour toujours, l’empreinte sacrée de cette face mystérieusement humiliée.

Mais il ne faut pas que seule Véronique l’emporte avec elle ! Il faut que je l’aie devant les yeux pendant que je récite cette dizaine et que je comprenne le sens de ces mystérieux abaissements. Jésus ne s’est livré aux outrages que pour nous mieux montrer les ravages de l’orgueil. Entre tous les péchés du monde, c’est l’orgueil qui, en ces heures tragiques, bafoue le Christ et lui crache au visage. Les autres péchés ont pu déchirer ses épaules avec les fouets mais ils n’ont pas osé toucher à la noblesse du visage.

Est-ce que je sais ce que c’est que l’orgueil ? Est-ce que je ne me refuse pas d’appeler par son vrai nom ce que je nomme : dignité, respect de soi, que sais-je ? Et l’humilité ne me semble-t-elle pas comme la plus étroite des vertus du christianisme ? Et ma dignité humaine ? Et mon épanouissement personnel ? Je veux grandir, je veux m’élever, qu’on ne me demande pas de me ratatiner en compagnie de cette humilité aux yeux baissés !

Humilité, vertu de grandeur et non de petitesse ! Je n’ai rien compris si je pense que l’humilité rapetisse. C’est l’orgueilleux qui n’est qu’un nain grimpé ridiculeusement sur un pauvre escabeau et qui se contorsionne pour faire croire à la grandeur de sa taille. Les plus grands sont ceux qui le sont en Dieu, et les plus fiers, et les plus nobles. Oh ! Humilité des saints qui permet à Jeanne d’Arc de regarder ses juges avec un si fier sourire et une si crâne audace…

L’humilité, c’est simplement la vérité, celle qui d’un coup d’épingle dégonfle toutes les illusions derrière lesquelles nous dissimulons notre vraie nature. C’est ce regard tranquille et audacieux que nous jetons dans notre miroir intérieur. Je suis cela et pas autre chose. Voici en moi ce qui est de moi-même et ce qui est de Dieu. De Dieu, je tiens toutes mes qualités. Le bien, je ne le fais qu’avec Lui. Le mal seul m’appartient en propre.

Que de fois ai-je dit en regardant un de mes frères : « Seigneur, je vous remercie de n’être pas cet homme là ! » Mais qu’est-ce que je suis au fond ? Avoir été préservée de la tentation, voilà peut-être tout mon secret à moi qui me pavane dans ma grandeur factice… Et ceux que je juge m’auraient devancée à la course s’ils avaient reçu les mêmes grâces ! L’orgueil est si souvent à la racine de mes actes ; c’est lui qui dresse tant de barrières entre les autres et moi, suscite mes impatiences, mes susceptibilités, ces petits mots aigres et vifs qui me montent aux lèvres, ces lourdes rancunes que je rumine longtemps derrière un front en apparence oublieux, ou bien ces impatients besoins de me justifier à tout prix et d’avoir le dernier mot : c’est moi qui ai raison n’est-ce pas ?… C’est lui qui arrête sur mes lèvres les mots d’excuses qui aplaniraient bien des difficultés. C’est lui qui m’empêche de pardonner… Voyons, il en va de ma dignité… Est-ce à moi de faire le premier pas ?

Vierge Marie je veux réciter mon chapelet en votre compagnie. Mère chérie apprenez-moi à prendre, non pas de ces belles résolutions qu’on inscrit avec fierté, mais suggérez-moi les résolutions pratiques qui feront lentement dissoudre en moi la carapace de mon orgueil secret. Aidez-moi pour qu’à la fin de cette dizaine je sache sourire désormais avec un cœur pacifié et que quand les mots amers me monteront devant un reproche, une humiliation, une injustice, faites que je revoie le divin visage que Véronique me tend dans les plis de son voile.

Celui dont l’humilité s’appuie sur la force de Dieu n’a jamais eu peur de rien ni de personne, ni de lui-même ! Il est à l’abri de tous ces découragements qui prennent leur source dans un orgueil subtil. Je ne peux rien mais Dieu peut tout. On ne bâtit rien de durable sur l’orgueil. Je veux construire sur Dieu seul ma petite vie d’amour, être avec Lui un cœur lumineux et compatissant qui comprend et ouvre le cœur des autres, et sait créer de la joie et de l’amour.

D’après Paula Hoesl

Deuxième Mystère Douloureux : La Flagellation – Fruit de ce mystère : La mortification de nos sens

Le Rosaire des Mamans

Toute la nuit on a promené Jésus à travers Jérusalem, d’Anne à Caïphe, de Pilate à Hérode. Et maintenant, dans le jour clair de cette veille de sabbat, à bout d’arguments en face des pharisiens déchaînés, Pilate fait apporter de l’eau et se lave solennellement les mains : « Je suis innocent du sang de ce juste »

O Lâcheté humaine ! Ce juste dont il proclame l’innocence et qu’il n’a pas le courage de sauver, le voici maintenant par son ordre, attaché à la colonne de flagellation, et les soldats armés de fouets commencent à frapper. La souffrance physique, vous l’avez déjà connue dans votre vie. Mais cette fois, c’est la souffrance aiguë qui s’abat comme un ouragan sur la chair suppliciée, la déchirant sous le couperet des lanières de cuir ou la morsure des balles de plomb.

Mère du ciel, ô Marie, pendant ces quelques minutes où les dix grains vont passer entre mes doigts faites que je sache voir cette scène avec les yeux du cœur et qu’elle fasse éclater cette carapace d’accoutumance qui me vient de savoir depuis trop longtemps «  que le Christ a souffert sous Ponce-Pilate »… Voici les fouets, les lanières rougies et ce dos déchiré. Il me faut entendre le sifflement des fouets comme une poignée de vipères, voir ce sang qui ruisselle, cette chair qui éclate sous les coups répétés, cette mare de sang qui s’élargit aux pieds de la victime tirée par les poignets à un pilier bas, pour que les coups portent mieux.

« J’ai versé telle goutte de sang pour toi… » Mais oui, vous pensiez à moi, ce n’est pas une imagination pieuse, il fallait bien que vous y pensiez, pour je ne sois pas oubliée dans la Rédemption. Vous pensiez à moi comme à tous les autres, et chaque créature humaine vous était présente avec ses grands crimes ou ses moindres fautes.

 « Il a été frappé à cause de nos péchés, il a été transpercé par nos péchés, broyé par nos iniquités » dit l’Ecriture. C’est par ses plaies que nous avons été guéris.

Est-ce suffisant de pleurer devant cette scène ?… Est-ce suffisant de sentir cette émotion de surface qui nous remue si facilement au spectacle de la souffrance physique ?… Les péchés dont vous assumez la responsabilité devant votre Père, c’est pourtant bien moi qui les ai commis. Vous qui me pardonnez, mon Dieu, puis-je consentir à ce que vous le fassiez gratuitement ? Non ! Je veux vous prouver que je désire ce pardon en réparant un peu moi-même les offenses qui vous viennent de mes péchés. Cette pénitence sacramentelle, cette pénitence de rien du tout que le prêtre m’impose avant de me donner l’absolution, n’est-elle pas seulement le rappel de la nécessité absolue de participer moi-même à mon propre rachat ?

Ma chair a péché, mon amour-propre a péché, ma sensualité a recherché toutes ces satisfactions. Ce corps, ces sens, ces yeux, que vous m’avez donnés pour vous servir, j’en ai fait, bien souvent, des instruments de jouissances coupables, j’en ai profité pour vous oublier, je les ai préférés à Vous. N’est-il pas juste que je « mortifie » ces sens qui me poussent si souvent à me préférer à Dieu ? Ne dois-je pas, en les mettant parfois sous le joug volontaire de la mortification, en leur refusant ici et là telle satisfaction légitime, leur faire sentir qu’ils ne sont pas des maîtres, mais des serviteurs.

Et après avoir fait pénitence pour moi ne me resterait-il pas à penser à tous les autres ? Ne vivons-nous pas dans ce grand et réconfortant mystère de la communion des saints où les efforts des uns servent aux autres ?

Suspendue à ma vie, il y a toutes mes tendresses humaines. Moi aussi, comme Jésus, en imitant son grand exemple, je veux essayer de réparer les défaillances des miens aux heures où la générosité leur manque. Ce petit homme né de moi et qui, dans l’ivresse de la découverte du monde, mord avec volupté dans tous les fruits défendus, je veux réparer pour lui. Mes petits ou mes grands renoncements travailleront à le purifier. Cet homme, mon compagnon, par mes humiliations je réparerai ses fautes. Ce frère, cette sœur, ces amis… et ceux qui ont passé avant moi la porte obscure de l’éternité et dont le visage me reste présent… Et au-delà de mes bien-aimés, les autres, tous les autres hommes, mes frères, qui vont sous le fardeau du péché… Comme à la messe quand le prêtre met dans le calice la petite goutte d’eau qui nous représente, il faut que nous soyons participants au rachat du monde.

« Pénitence ! Pénitence ! » Chaque fois que vous avez posé le pied sur la terre des hommes en ces dernières années, ô Marie, c’est pour redire ces mots avec une insistance impressionnante. O Vierge, ma Mère, ces larmes pures et brûlantes que vous cachiez dans vos mains, quand vous étiez assise sur les hauteurs de La Salette, et cet accent bouleversant de Fatima, n’est-ce pas pour nous rappeler cette terrible injonction de Jésus aux Juifs de son temps : «  Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous ! » O Mère, le monde en ce moment n’est-il pas déjà sur les bords de l’abîme? Et pourtant, le grand torrent de jouissances continue d’emporter le monde affolé de sensualité et d’orgueil. Donnez-moi la grâce de ne pas me laisser entraîner par les remous de la contagion. Donnez-moi de résister grâce à la pénitence, de ne pas m’effrayer de ce mot de « mortification ».

Pénitence ! Pénitence ! C’est vrai, nous savons bien que dans les temps actuels la justice de Dieu demande des réparations.

Il ne s’agit pas pour moi de me retirer dans le désert comme saint Jérôme, de vivre de pommes de terre moisies comme le curé d’Ars, de porter un cilice et de me donner la discipline !… mais n’ai-je pas les mortifications et les pénitences à la mesure de cette vie si « quotidienne » qui se déroule dans le cadre de mon foyer ? Ma vie quotidienne ne surabonde-t-elle pas d’occasions de petites pénitences ?

Vais-je, comme tant d’autres, m’ingénier à esquiver toutes ces mortifications à ma portée, comme si l’essentiel était de vivre à l’aise ? Non ! Je veux les accepter généreusement, en souvenir de la flagellation douloureuse. Cette migraine qui me serre les tempes au soir d’une journée trop chargée, ce refus de chercher mes aises, ce souci de laisser aux autres la meilleure part, ce sera ma manière, ô mon Dieu de vous prouver que j’ai compris la grande leçon de la flagellation et que mon cœur ne veut pas vous laisser souffrir tout seul. Moi aussi je voudrais avoir le courage de dire avec sainte Thérèse :

« O mon Seigneur, quand je considère combien vous avez souffert sans l’avoir mérité en rien, je ne comprends plus, je ne sais plus où j’avais la tête quand je désirais ne pas souffrir… »

D’après Paula Hoesl