Nous avons laissé la construction européenne à la signature du traité de Maastricht en février 1992. Celui-ci n’est entré en vigueur qu’en décembre 1993. Un traité doit, pour entrer en vigueur, être signé, bien sûr, puis ratifié par chacun des Etats Membres. L’absence de ratification par l’un d’entre eux rend le traité inopérant. La ratification du traité a été longue car, dans plusieurs pays, la ratification doit non seulement être autorisée par le Parlement ou par un référendum, mais être précédée par une révision de la Constitution dans la mesure où le traité entraîne des transferts de souveraineté. Ce qui était en jeu dans le traité de Maastricht était la création de la monnaie unique dont la gestion était confiée à une banque indépendante et le droit de vote aux élections municipales reconnu à des personnes autres que des citoyens français. La Constitution française a été modifiée pour permettre un tel transfert par la loi constitutionnelle du 25 juin 1992, précédant un référendum qui a conclu de justesse à la ratification du traité le 20 septembre suivant. Le Danemark avait, quelques mois auparavant, organisé un référendum qui a conclu au rejet de cette ratification. Le processus de ratification aurait alors dû être interrompu mais le gouvernement français l’a poursuivi. Le gouvernement danois a fait l’objet de pressions pour faire revoter ses ressortissants sur le même traité mais cette fois assorti d’une déclaration des autres Etats qui donnait au Danemark le droit de ne pas appliquer certaines stipulations du traité. Le peuple danois, à nouveau consulté, a alors approuvé la ratification. Comme devait le dire quelques années plus tard Jean-Claude Juncker alors président de la Commission, « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ».
En 2004 a été signé à Rome un nouveau traité plus ambitieux intitulé « traité établissant une Constitution pour l’Europe » qui allait plus loin dans le sens du fédéralisme et donnait à l’Union européenne les attributs d’un Etat avec une Constitution. Ce traité a été soumis à un référendum en France et aux Pays-Bas qui l’ont respectivement rejeté en mai et en juin 2005. Le processus de ratification a alors été immédiatement interrompu et le traité n’est jamais entré en vigueur.
C’est Nicolas Sarkozy qui a débloqué la situation d’une façon peu respectueuse du suffrage universel après son élection en 2007. Le nouveau président a négocié avec ses homologues européens ce qu’il a appelé un mini traité signé à Lisbonne en décembre 2007 et reprenant l’essentiel des stipulations du traité rejeté. Le traité sera ratifié très discrètement par le Parlement français au début de l’année 2018 à une forte majorité. L’Irlande sera le seul pays qui soumettra la ratification du traité à un référendum qui sera négatif mais les Irlandais seront priés de revoter et l’adopteront au second essai. Le traité entra en vigueur le 1er décembre 2019. En France, la ratification a été précédée par une révision de la Constitution en raison des transferts de souveraineté que prévoit le traité dans le domaine de la libre circulation des personnes, la lutte contre le terrorisme, la création d’un parquet européen, la coopération en matière pénale et l’extension de la règle de l’unanimité à celle de la majorité au conseil des ministres.
Le sujet marquant de la décennie écoulée fut le départ de la Grande-Bretagne de l’Union, à la suite d’un référendum, qui sera effectif en février 2020. Ce fut le premier départ d’un Etat >>> >>> membre, et non des moindres, depuis la création du Marché commun, dont la langue était devenue la langue de travail et dont la qualité du personnel diplomatique a contribué à étendre l’influence dans les institutions et lui a permis d’y relayer les positions défendues par les États-Unis.
L’Europe pour quoi faire ?
Le premier objectif affiché par les pères fondateurs de la CECA, puis du marché commun fut la paix. La création d’une situation d’interdépendance entre les Etats devait rendre tout conflit armé impossible. Cet objectif fut atteint mais on peut se demander si ce n’est pas plutôt la paix qui a permis la création et le développement de l’Union.
Le second objectif fut la prospérité économique que devait permettre la protection de l’agriculture et de l’industrie européennes grâce à un tarif extérieur commun. La création d’un marché entre Etats ayant atteint un développement économique homogène a favorisé la croissance économique dans les années 1960 et 1970. Le moteur a déraillé après l’arrivée de la Grande-Bretagne et des pays du nord de l’Europe. Ces pays ont, en effet, promu la transformation du marché commun en une zone de libre-échange ouverte aux flux de marchandises, de capitaux non seulement en provenance des Etats membres mais aussi des pays tiers. L’Union européenne est devenue la zone la plus ouverte au monde sans s’occuper de savoir s’il y a ou non réciprocité. L’ouverture concerne aussi les personnes et l’Union est une terre d’immigration, avec le soutien du patronat : pami les cinq priorités de Business Europe (le Medef européen), il y a l’augmentation du nombre d’immigrés. L’Union apparaît comme une étape régionale dans la construction d’un ensemble plus vaste, plus ouvert au reste du monde, d’un gouvernement mondial sous influence américaine.
L’Europe a adopté tous les codes mondialistes : le droit de la concurrence appliqué de façon dogmatique, la responsabilité sociétale et environnementale des entreprises imprégnée de l’idéologie woke, la lutte contre le réchauffement climatique où elle veut être première de classe alors qu’elle ne représente que 7 % des émissions mondiales de CO2, la protection des minorités et la promotion de comportements déviants.
L’Union Européenne traverse incontestablement une crise d’identité. Son poids économique relatif diminue par rapport aux Etats-Unis et à la Chine. La médiocrité de son personnel politique, l’isolement de la sphère bruxelloise, la mauvaise gestion des crises (financière, migratoire, sanitaire) la font rejeter par les peuples. Elle a longtemps cru pouvoir compenser son absence de vision par un élargissement mal maîtrisé et une activité législative intensive. Les dernières élections européennes ont montré qu’il était difficile de faire bouger les institutions. Les Etats membres sont trop divisés pour imposer leurs vues. La France dont l’influence a fortement décru est à la remorque de cette embarcation. Les difficultés ne font sans doute que commencer.
Thierry de la Rollandière