Il peut être un peu optimiste, voire présomptueux, d’annoncer une éclaircie dans le ciel toujours sombre de l’interdiction de l’école à la maison. Cette mesure phare de la loi contre le « séparatisme » est toujours en vigueur et aucun projet de modification pouvant effectivement la remettre en cause n’apparaît à l’horizon. Pourtant, l’instruction en famille était sortie indemne de la réforme de Jules Ferry créant l’instruction laïque, gratuite et obligatoire en 1882 et en 2017, le Conseil d’Etat l’avait même érigée comme une composante de la liberté d’enseignement constitutionnellement protégée. L’école à la maison n’a pas été remise en cause dans les régimes totalitaires. La France se singularise dans le monde en appliquant un régime d’interdiction.
La loi du 24 août 2021, confortant le respect des principes de la République, soumet l’instruction à la maison à une autorisation préalable de l’Etat qui est accordée si la famille peut invoquer l’un des quatre cas de dérogation : i) l’état de santé de l’enfant ou son handicap, (ii) la pratique d’activités sportives ou artistiques intensives, (iii) l’itinérance de la famille ou l’éloignement de tout établissement scolaire public, et (iv) « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif sous réserve que les personnes responsables de l’enfant justifient de la capacité de la personne chargée d’instruire l’enfant à assurer l’instruction en famille dans l’intérêt supérieur de l’enfant ». Les trois premiers cas n’ont pas soulevé de difficultés majeures. Il n’en est pas de même pour le quatrième car l’obscurité de la loi laisse à l’administration une grande latitude pour l’interpréter. Le Conseil constitutionnel a dû se livrer à des contorsions juridiques pour valider la loi en tentant d’encadrer la pratique de l’administration. Ainsi, les rectorats ne devaient fonder leurs décisions sur les dérogations à l’interdiction de l’instruction en famille que sur les seuls critères que sont (i) la capacité des parents à permettre aux enfants d’acquérir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture prévu par la règlementation, et (ii) la présentation d’un projet pédagogique comprenant les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de l’enfant.
L’administration ne s’est pas satisfaite de la limitation ainsi apportée à ses pouvoirs et a estimé qu’il lui revenait d’apprécier quel était l’intérêt supérieur de l’enfant au terme d’une d’analyse mettant en balance les avantages et les inconvénients résultant pour l’enfant de l’école à la maison par rapport à l’école à l’école. Elle substitue son appréciation à celle des parents qui sont les premiers éducateurs de leurs enfants et à qui devrait revenir le choix de leur mode d’instruction. Cette position tout à fait abusive a été soutenue par le Conseil d’Etat. Les dérogations pour ce motif n’ont été accordées qu’au compte-goutte pour les années scolaires 2022-2023 et 2023-2024, et de façon très variable d’une académie à l’autre.
Une timide éclaircie est venue de façon inattendue avec l’intervention du Comité des droits économiques, sociaux et culturels du Conseil économique et social de l’Organisation des Nations-Unies. En octobre 2023, le Comité s’est dit « préoccupé par les informations sur les dispositions introduites par la loi du 24 août 2021 qui limiteraient la possibilité d’accéder à l’instruction en famille ». Dans sa réponse embarrassée, le gouvernement français a assuré le Comité du caractère effectif de l’instruction en famille en fournissant des statistiques biaisées mélangeant les chiffres afférents aux quatre motifs de dérogation et en y incluant celles accordées de plein droit à titre transitoire pour les frères et sœurs des enfants scolarisés à la maison avant l’entrée en vigueur de la loi. Ce comité n’a pas de pouvoir coercitif mais son intervention confirme le caractère liberticide de la législation française dans ce domaine.
Lors d’une audition organisée le 18 septembre 2024 par la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, Mme Caroline Pascal, directrice générale de l’enseignement scolaire, a été interrogée sur l’instruction en famille. Elle a donné quelques chiffres : 35 000 enfants bénéficiaient de ce régime pendant l’année 2018-2019, chiffre porté à 72 000 à la sortie du Covid – en 2021-2022 avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi – et 35 000 en 2023-2024. L’administration a reçu 52 000 demandes pour l’année 2023-2024 dont 88,4 % ont reçu une réponse positive, tous motifs confondus. Elle n’a pas donné de chiffre pour le quatrième motif tout en admettant qu’il concentrait le plus de refus. Elle a aussi reconnu que le taux de refus variait d’un département à l’autre. Elle a insisté sur la baisse du nombre des demandes de dérogation en y voyant un signe de confiance dans l’institution scolaire alors que le fort taux de refus des années précédentes a découragé de nombreuses familles de tenter leur chance. Lors d’un débat à l’Assemblée nationale tenu le 16 janvier 2025 sur l’évaluation de la loi de 2021, M. Xavier Breton, député de l’Ain, a soulevé la question du bien-fondé du régime actuel qui fait de l’interdiction de l’instruction en famille le principe et la liberté l’exception, le risque de voir l’école à la maison renforcer le communautarisme invoqué n’ayant pas été selon lui établi. Le ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur qui représentait le gouvernement s’est contenté d’indiquer que le nombre d’enfants scolarisés en famille était en baisse et s’élevait à 30 644 pour l’année scolaire 2024-2025. Il est très vraisemblable que ce chiffre soit bien inférieur à la réalité, beaucoup de parents pour des raisons diverses préfèrent, en effet, ne pas demander une autorisation qu’ils ont toutes les chances de se voir refuser.
Une proposition de loi a été déposée à l’Assemblée nationale le 17 septembre 2024 par les députés du Rassemblement National afin de rétablir le régime précédent de la déclaration préalable qui remplacerait celui de l’autorisation préalable actuellement en vigueur. Cette proposition se fonde sur le Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que la France a ratifié le 3 mai 1974 selon lequel « nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. » Même si cette proposition n’a malheureusement que peu de chances d’aboutir, le débat n’est pas clos sur le sujet et il nous appartient de l’entretenir en attendant des jours meilleurs.
Thierry de la Rollandière