Former son coeur

Chère Bertille,

 Lors de notre dernière rencontre, tu m’as dit combien tu souffrais d’entendre chaque jour, de la part de tes camarades comme de tes professeurs, des attaques perpétuelles sur « l’homme, ennemi de la nature ».

Tu trouveras dans ce numéro de quoi étayer et renforcer tes convictions. Mais ces réflexions, très actuelles, m’ont menée vers des principes fondamentaux que je souhaite éclaircir avec toi aujourd’hui, car contre toutes ces sirènes – plus ou moins attirantes, d’ailleurs – il est important d’avoir les idées bien en place !

Tu sais, car je te l’ai souvent dit, combien il est important de former son cœur ! « Si ton cœur est médiocre, rends-le bon, s’il est bon, rends-le meilleur ! »

Aujourd’hui, on développe surtout l’intelligence, parfois la volonté, mais on oublie qu’un cœur se forme, se déforme et se transforme ! Or parmi les mauvais guides du cœur, on trouve l’atmosphère ambiante et une vision superficielle de la vie. Un cœur non formé cessera bientôt d’être sensible aux appels du bien pour écouter les voix de l’égoïsme, de la jouissance et des passions mauvaises. Former son cœur est le moyen d’empêcher qu’un jour ou l’autre, un grain de sable ne cale le moteur sur la route de l’héroïsme ! Que de vies gâchées, non pas parce que le cœur était mauvais, mais parce qu’on l’a livré à toutes ces impulsions du monde, qu’on n’a pas su donner le coup de frein nécessaire ou qu’on l’a donné trop tard ! Apprends donc à ton cœur ce qu’il doit faire pour trouver la vraie joie des enfants de Dieu et éviter la tristesse ; apprends-lui à dissiper les mirages trompeurs, à ne pas se laisser influencer, et à découvrir les splendeurs réelles au-delà des facilités apparentes !

 Avant tout, connaître l’ennemi : les faux prophètes s’érigent en maîtres ; ils ont trouvé une façon d’émouvoir les âmes les plus sensibles pour détourner les esprits des réalités surnaturelles. Revues, livres, affiches, conversations, publicités, photos et informations – destinées à faire pleurer même les âmes les plus dures – finissent par avoir raison de nos certitudes. Ils sont, ces mauvais guides, d’autant plus dangereux que, nous croyant au-dessus de tout cela et intouchables, nous ne les voyons pas et nous ne nous en méfions plus! Force terrible de l’accoutumance ! Cette atmosphère imprègne notre intelligence ; lentement les idées pénètrent en nous, à notre insu, pour devenir la substance de notre pensée et de nos sentiments. Petit à petit, des idées insidieuses s’infiltrent en nous : celui-ci a dit de très belles choses, celui-là a découvert des réalités psychologiques dont personne ne s’était soucié jusque-là… Et puis au fond de nous, n’avons-nous pas un peu envie de découvrir des idées qui semblent plus riantes ou plus brillantes et de lâcher un peu nos guides qui nous semblent devenus carcans ? Quand l’eau est mauvaise – et même seulement un peu trouble – on la rejette, quand l’atmosphère du monde est contaminée, on ne baisse jamais la garde et on cultive l’antidote !

 Continue donc à te former afin de ne pas te laisser influencer. Un ami me disait qu’il faut avoir « le nez catholique » ; réalité exacte mais pas suffisante ! >>>  >>> En effet, avec un minimum de formation, on doute facilement que telle assertion soit juste mais la méfiance ne donnera pas les arguments ! Parfois, quand le danger est là et que l’on ne se sent pas assez fort ou formé, il peut être très judicieux de fuir ! Par exemple quand, dans une conversation publique, un opposant se montre plein de verve et a vite fait de mettre les rieurs de son côté. Mais il ne faut pas s’arrêter là ! Il faut ensuite nourrir son intelligence afin de s’entraîner à réagir pour ne pas laisser son cœur s’emballer trop vite, emporté par l’enthousiasme féminin…

 Cultive la force d’âme sans peur du respect humain afin de te garder des influences ! La réalité est là : sauvegarder les principes sans varier d’un iota est un art difficile qui relève même de la vertu ! Cependant n’est-ce pas là une façon assurée de faire son salut et de soutenir ceux qui nous entourent ? « La civilisation chrétienne dépend beaucoup de la femme, de son attitude, de sa fidélité, je dirais même de son héroïsme.1»

 Enfin, apprends à te recueillir ! Pour savoir ce qui, dans les évènements et les circonstances, n’est pas pour toi et où tu dois diriger tes pas, il faut, avant tout, ne vouloir que ce que Dieu veut et Lui demander son secours. C’est en ouvrant ton âme à Dieu que tu trouveras le soutien nécessaire pour rester fidèle, sans crainte de te dissiper.

 Voilà, ma chère Bertille, ces premiers mots sur la formation du cœur ! C’est avec joie que je continuerai cette discussion quand nous nous reverrons !

Je t’embrasse,

Anne

 

 

Calvaires de nos campagnes

Petits oratoires au coin des chemins devenus routes, placés là par une main pieuse en souvenir de quelque vœu, ou après une mission locale, pour ranimer la ferveur après la fureur des temps, vous ponctuez nos campagnes, toujours pleins de fraîcheur.

Statuette de la Sainte Vierge à l’abri d’une vieille niche de pierre battue par les vents, tout usée de soleil et de pluie mais qui, de longue mémoire, a toujours été là et reste entretenue malgré tout, avec parfois un soin jaloux…

Notre Dame des champs qui veillait sur les récoltes, et les rudes travaux,

Notre Dame de la mer qui regardait au loin partir et revenir ses fils marins, protégeant parfois mystérieusement les équipages, l’implorant dans la tempête. De retour au port, ceux-ci la saluaient et lui déposaient un ex-voto en reconnaissance.

Notre Dame du Chêne, parce que, sans savoir comment, la statue s’était retrouvée dans un tronc, auprès de laquelle, on venait en procession confier les intentions des cœurs lourds.

Notre Dame des Marais, dans ces étendues plates, un peu désolées où terre et mer fusionnent pour se rejoindre sans que la distinction soit bien nette.

Et tant d’autres vocables pour d’humbles statues.

Simples calvaires de pierre aux si jolies proportions, sculptés dans le matériau local avec un petit air de noblesse afin d’honorer le Sauveur,

Nichés dans un bosquet de verdure, ornés l’été de fleurs sauvages poussant à leur pied, ou au contraire se dressant dans la plaine, comme un témoignage de la route à suivre.

Modestes croix de bois croisées dans les montagnes comme au milieu de nulle part, parfois peintes gaiement, permettant aux bergers lors de l’alpage de prier sur fond de cliquetis des cloches de leurs troupeaux.

Grands calvaires de bois ou de pierre érigés en souvenir d’une mission, dont la date est bien visible pour, après les ravages du protestantisme et de la Révolution, faire revenir les âmes à la vraie foi des aïeux.

Vous êtes si présents dans notre vieux pays de France, restes touchants de la piété des gens simples dont la vie était rude et qui savaient qu’elle n’avait qu’un temps et qu’une valeur, celle qu’ils lui donnaient pour leur éternité.

Que nous sachions toujours vous saluer dignement, en chrétiens, vous défendre au besoin, vous reconstruire avec générosité car vous êtes toute une armée de veilleurs, qui nous rappelez, humbles poteaux indicateurs, la route du Ciel.

                       

                Jeanne de Thuringe

 

L’Eucharistie

Chère Bertille,

Aujourd’hui je voudrais te parler de l’apostolat. En effet, l’apostolat tient une place importante dans la vie de tout chrétien et tout particulièrement chez la jeune fille qui doit rayonner. Pour ce faire, je souhaite te livrer un texte qui explique comment l’apostolat peut être fécond.

« Le but de l’Incarnation et dès lors de tout apostolat est de diviniser l’humanité. […] Or, c’est dans l’Eucharistie, ce n’est pas assez dire, c’est dans la Vie Eucharistique, c’est-à-dire dans la vie intérieure solide, alimentée au banquet divin, que l’apôtre s’assimile la vie divine. […] La vie eucharistique, c’est la vie de Notre-Seigneur en nous, non seulement par l’indispensable état de grâce, mais par une surabondance de son action. Veni ut vitam habeant et abundantius habeant (Je suis venu pour qu’ils aient la vie et qu’ils l’aient en abondance). Si l’apôtre doit surabonder de vie divine pour la répandre dans les fidèles, et s’il n’en trouve la source que dans l’Eucharistie, comment dès lors supposer l’efficacité des œuvres sans l’action de l’Eucharistie sur ceux qui directement ou indirectement doivent être les dispensateurs de cette vie par ces œuvres ?

Impossible de méditer sur les conséquences du dogme de la présence réelle, du sacrifice de l’autel, de la communion, sans être amené à conclure que Notre-Seigneur a voulu instituer ce Sacrement pour en faire le foyer de toute activité, de tout dévouement, de tout apostolat vraiment utile à l’Eglise. Si toute la Rédemption gravite autour du Calvaire, toutes les grâces de ce mystère découlent de l’autel. Et l’ouvrier de la parole évangélique qui ne vit pas de l’autel n’a qu’une parole morte, une parole qui ne sauve pas, parce qu’elle émane d’un cœur qui n’est pas assez imprégné du sang du rédempteur. […]

Qu’il s’agisse du démon habile à retenir les âmes dans l’ignorance, ou de l’esprit superbe et impur qui cherche à les griser d’orgueil ou à les noyer dans la boue, l’Eucharistie, vie du véritable apôtre, fait sentir son action à nul autre semblable contre l’ennemi du salut. […]

Au degré de vie eucharistique acquis par une âme, correspond presque invariablement la fécondité de son apostolat. La marque, en effet, d’un apostolat efficace, c’est d’arriver à donner aux âmes la soif de participer fréquemment et pratiquement au banquet divin. Et pareil résultat n’est obtenu que dans la mesure où l’apôtre lui-même vit véritablement de Jésus-Hostie. […]

Ne rejetons pas la faute sur l’état de démoralisation profonde de la société, puisque nous voyons par exemple ce que, sur des paroisses déjà déchristianisées, a pu opérer la présence de prêtres judicieux, actifs, dévoués, capables, mais par-dessus tout, amants de l’Eucharistie. En dépit de tous les efforts des ministres de Satan, facti diabolo terribiles, puisant la force au foyer de la force, dans le brasier du tabernacle, ces prêtres, malheureusement rares, ont su tremper des armes invincibles que les démons conjurés ont été impuissants à briser. »

Voici ma chère Bertille, comment tu pourras avoir un apostolat fécond, c’est ce que je te souhaite en ce temps de Carême !       

Anne 

1 Dom J. B. Chautard, L’âme de tout apostolat, Emmanuel Vitté, XVIème édition, 1941, p. 186 à 194.

 

 

Apostolat et humilité

Comment vivre en Chrétien dans un monde qui ne l’est plus ? Comment témoigner de notre Foi et comment rendre de nouveau chrétien ce monde apostat ? L’ampleur de la tâche a de quoi nous décourager et souvent la question de notre contribution à l’apostolat s’impose à notre esprit. Tantôt pleins de fougue et d’énergie, nous échafaudons de grands projets de mouvements politiques ou catholiques. Tantôt les bras ballants, nous ne savons par quel bout commencer !

Faire du porte à porte, faire des prêches sur les places des villages, ou prier dans notre chambre ? Où est notre devoir ?

L’exemple des saints nous est utile. Tous ont pratiqué l’apostolat. Chacun à leur manière ! Quoi de commun entre un saint François-Xavier parti évangéliser la Chine et sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus cloîtrée dans son carmel et pourtant patronne des missions ? Quoi de commun entre les pères du désert, et saint Philippe Néri ? Quoi de commun entre saint Tarcisius et saint Ignace de Loyola ?

Un point commun, dénominateur de tous les saints : c’est leur amour de Dieu. Le départ et l’aboutissement de tout apostolat. Tous ont accompli leur devoir d’état avec un maximum d’amour, et cela les a conduits à rayonner l’amour de Dieu et ainsi à évangéliser leur entourage.

Là est leur secret ! Le Bon Dieu ne nous demande pas d’imaginer la meilleure méthode pour convertir le monde. Il nous demande de L’aimer toujours plus que tout, et cela « suffit » pour évangéliser le monde.

En effet, nourri de cet amour de Dieu, c’est tout notre être qui se transforme et qui naturellement rayonne d’amour des autres. C’est notre essence même d’enfants de Dieu qui peut déjà interpeller un observateur attentif. Notre joie, notre sérénité malgré les vicissitudes de cette vie, pourrait interroger notre entourage païen. Ils nous observeront donc plus attentivement et passeront au crible nos actions, ce que nous faisons. Il y a notamment une vertu plus particulièrement chrétienne et peu naturelle qui, si nous la pratiquons, continuera à interloquer notre entourage, que ce soit dans le cadre des études ou de notre travail : c’est l’humilité ! En effet, qui mieux qu’un bon chrétien accepte de reconnaître ses torts et de ne pas avoir raison ? Accepte surtout de pardonner aux insultes et aux mépris ? Car au nom de qui ou de quoi pardonner si ce n’est au nom du Christ qui a pardonné à ses bourreaux, comme beaucoup de saints à sa suite ? Les questions suscitées par notre comportement qui paraîtra irrationnel à certains, viendront inévitablement, et ce sera alors le moment de dire la Foi qui nous anime. Et si cette âme n’est pas touchée instantanément, au moins, la petite graine est semée, et le Bon Dieu se chargera de la faire grandir à sa guise, avec ou sans nous !

Vivre l’amour de Dieu en cohérence entre ce que nous sommes, ce que nous faisons et ce que nous disons est naturellement le premier des apostolats que le Bon Dieu attend de nous, c’est celui de l’exemple !

Pour le reste, faisons confiance à la Providence, elle mettra sur notre route de multiples occasions de témoigner de notre foi. Si nous cherchons toujours à grandir dans l’amour de Dieu et à correspondre à cet amour, alors nous saurons les saisir avec audace et sans respect humain, et nous serons assurés d’évangéliser selon le plan de Dieu.

Antoine

 

Laisser transparaître Dieu

Afin que les hommes puissent connaître Dieu à travers toi, pour trouver le chemin du Ciel, veux-tu bien le laisser transparaître ?

Point n’est besoin de grands discours, il suffit d’être…

Ton âme bien unie à celle de ton Seigneur, Sa Face toujours présente en toi, pour, presque malgré toi, imprimer Sa Bonté par ta charité sur ceux qui te rencontrent.

Ton sourire qui ne juge pas, ne condamne pas mais soutient et réchauffe surtout ceux qui sont isolés ou oubliés, encourage, comme celui du Divin Maître qui devait être si doux, si entraînant.

Ton regard qui voit plus loin, ne s’arrête pas à des vues trop humaines de vains enthousiasmes ou de craintes stériles et paralysantes, pour refléter Celui du Crucifié qui ne cessait de contempler la face de Son Père.

Ton oreille attentive qui sait prendre le temps d’écouter, même si le discours est lassant, et qui devine derrière lui la peine ou ce qu’il convient de doucement aplanir et orienter vers le Bien.

Ton oreille qui sait recevoir les conseils donnés, sans amour-propre, pour grandir.

Ta parole rassurante, ferme s’il le faut, sans faux-semblants, qui dit oui quand c’est oui, qui dit non quand c’est non, pour amener vers le Verbe de Dieu.

Ta parole qui évite toute condamnation tranchée, reste mesurée pour faire comprendre la Miséricorde du Seigneur, mesure ce qu’elle dit, parfois se retient pour ne pas blesser, tait le bien que tu fais, et ne se met jamais en avant.

Tes mains donnant sans compter et se joignant souvent pour la prière implorante, quand il n’y a plus que cela pour l’âme éloignée de Dieu.

Tes actions empreintes de calme, de silence, de grandeur cachée, surtout dans le devoir d’état, sans agitation stérile afin de faire deviner Celui que tu portes, qui donne la paix et ouvre à des horizons infinis.

Tes services spontanés devinant le besoin du prochain, offerts, surtout ceux qui coûtent un peu plus de temps ou de fatigue, sans s’offusquer s’ils ne sont pas vus ou remerciés.

Tes services rendus avec le sourire, sans maugréer malgré la peine ou la lassitude, surtout pour les plus humbles ou rebutants, à l’image de celui qui s’est fait Serviteur.

Enfin ta prière constante pour être droite, d’humeur égale, phare dans la tempête du monde, solide quand tout s’écroule, instrument divin et transparence de Dieu.

                         

                Jeanne de Thuringe