Ses vieilles mains

Jadis elles furent jeunes et fermes, dans l’attente de ce que la Providence leur réserverait, ouvertes à ce que la vie leur donnerait, pleines d’espérance joyeuse et de rêves.

 

Puis elles reçurent les promesses d’un engagement définitif, prises dans des mains jeunes aussi, plus fortes et plus fermes qui se faisaient protectrices et guides tout à la fois, leur remettant d’abord une jolie bague, même modeste, choisie avec amour, et plus tard l’anneau d’or, nuptial, scellant le sacrement.

 

Les enfants venant agrandir la famille, elles se firent caressantes, réconfortantes, tant pour l’époux que pour les petits, affairées aux mille tâches du quotidien.

Raccommodant, lavant, frottant, cuisinant, jardinant, plantant, pansant les petites blessures, brodant, écrivant, jouant de la musique, créant si tels étaient ses dons.

Mais aussi posées sur l’épaule pour encourager ou prendre le jeune visage, comme on tient une coupe pour lui transmettre toute son affection dans les moments difficiles.

 

Souvent jointes le matin en offrande de la journée et le soir en action de grâces avec toutes celles des siens, tenant le chapelet.

Bénissant ceux qu’elles mèneront à l’autel, les remettant à une autre femme qui prendra dans ses mains le relais de tendresse.

Mais aussi de façon cachée, suppliantes dans les peines intérieures, jointes pour implorer les grâces nécessaires et la miséricorde divine pour ceux qui s’égarent autour d’elles, égrenant le rosaire silencieusement pour épancher son cœur de maman auprès de Celle qui est son modèle et son guide.

 

Abîmées par le temps, peut-être déformées par trop de travaux, où les veines marquent davantage comme des traces bleutées qui sont autant de chemins suivis et d’épreuves connues ou cachées.

Pour les générations qui viennent, elles sont parfois reconnues dans la toute petite enfance, juste à un détail de bague ou à un geste familier, rassurantes comme un refuge régulier lors des vacances ou des confidences qu’il est difficile de faire aux parents.

 

Au soir de leur vie, elles seront jointes pieusement, avec le chapelet, le crucifix qui auront été tout leur soutien, ou le linge qui aura scellé les mains du fils prêtre lors de leur onction, si telle fut cette grande grâce familiale.

Ouvertes devant le Seigneur, vides de tous les biens de la terre mais pleines de tous les renoncements, les offrandes et les trésors de grâces qu’Il aura bien voulu y mettre et qu’elles n’auront pas gardé pour elles seules, elles recevront la joie sans fin et loueront Celui qui est.

 

                  Jeanne de Thuringe

 

Le ciel et la terre passeront…

           Si vous avez déjà eu la chance par une après-midi d’automne d’apercevoir au loin le clocher d’une abbatiale sur votre route dans la campagne française, si vous avez saisi la grâce qui passait et que pénétrant dans cette abbatiale, vos oreilles ont été frappées par le chant des moines, si, vous échappant un instant du tourbillon du monde, vous avez fermé les yeux et ouvert vos oreilles, si écoutant l’appel de Dieu vous avez laissé votre âme être bercée par les complies alors, une évidence et une allégresse ont dû, peu à peu, s’imposer à votre cœur et à votre esprit : « Le ciel et la terre passeront mais mes paroles ne passeront pas ».

 

  Le chant des moines dans leurs abbayes millénaires, par le contraste qu’il offre avec les saisons qui passent dans notre monde agité et changeant, est la plus forte manifestation sensible de la stabilité et de l’éternité de l’Eglise.

 

Le monde change et les moines demeurent,

Le monde s’agite et les moines prient,

Le monde pleure et les moines chantent,

Le monde crie et les moines louent la grandeur, la beauté, l’immensité de l’amour de Dieu.

 

  Quel contraste frappant entre notre agitation quotidienne pour des choses très importantes à nos yeux et la tranquille activité des moines besogneux qui ont compris que la seule affaire importante est celle de leur salut et qui s’y consacrent jour et nuit.

 

  Quel bonheur de se replonger de temps à autre dans cette « éternité » sur terre ; quel bonheur et quelle grâce de pouvoir ressentir que l’Eglise a la promesse de la vie éternelle malgré toutes les embûches de son pèlerinage terrestre. Cela redonne l’espérance et permet, à l’instar de ces moines, de s’élever hors du temps et de prendre du recul sur notre lot quotidien. Un peu comme lorsque l’on prend l’avion et que soudain vu de haut, le fourmillement que l’on voit sur terre paraît ridicule. Tous ces mouvements que l’on aperçoit de loin de ces voitures qui nous semblaient si rapides, une heure auparavant, semblent si lents. Les déplacements semblent si petits devant l’immensité de la terre et du ciel qui s’offrent à nos yeux, qui est elle-même si petite devant l’immensité de l’univers, de l’espace, du temps et de Dieu.

 

  Méditer dans une abbaye pour s’élever hors du temps, et méditer dans un avion pour s’échapper dans l’espace nous permettent de prendre un peu plus la mesure de notre petitesse et de notre humilité devant Dieu, maître de toutes choses, et pour qui les attaques des petites fourmis humaines sont bien peu de choses face à l’immensité de sa puissance.

 

  Alors haut les cœurs, quelles que soient les tribulations de son navire, Dieu est Dieu et son Eglise est Sainte et Eternelle, les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre Elle, jamais !

 

Antoine

 

La jeune fille

Chère Bertille,

 

           Je te remercie pour ta dernière lettre : tu t’y plains d’entendre souvent que tout va mal, que la Foi se perd de plus en plus, que les gens n’ont plus le sens du sacré, que s’il y a tant de désordres dans le monde (incendies, guerres, persécutions, mauvaises récoltes de fruits et de légumes…) c’est sans doute que le Bon Dieu est fâché, etc… Loin de te désespérer, et je t’en félicite, tu me demandes comment toi, jeune fille dans le monde, tu peux faire quelque chose.

 

  C’est une excellente question, ma chère Bertille ! A une époque où tout le monde semble se détourner de Dieu, la jeune fille a une place de choix pour ramener l’amour du Bon Dieu dans les cœurs. Saint Pie X disait : « Donnez-moi dix femmes chrétiennes et je referai la chrétienté. » Voyons comment cela peut se faire.

 

  Le Bon Dieu a donné à la femme un cœur rempli de sensibilité et de délicatesse pour aimer et rayonner. Ne dit-on pas que la femme est la reine de son foyer ? La source de cet amour se trouve dans la sainte Eucharistie : c’est en s’unissant à l’amour divin que la jeune fille découvre le sens profond de sa vocation et transmet la Charité de Dieu. Par la sainte Communion, l’âme devient la demeure de la Sainte Trinité, le temple du Saint Esprit. La jeune fille est alors dépositaire d’un grand trésor qu’elle peut transmettre par son attitude, sa joie simple et paisible, sa douceur, sa bonté.

 

  Ma chère Bertille, si tu te laisses conquérir par le cœur de Jésus, Il te transformera et faira croître les vertus qui vont petit à petit changer ton comportement extérieur. Tu as déjà remarqué, je suppose, que nous ne connaissons des gens que ce qu’ils veulent bien nous dire et nous montrer d’eux, et que nous avons vite fait de nous faire une opinion d’autrui à partir de sa tenue vestimentaire, de son comportement en société, de son langage. Notre extérieur traduit donc notre intérieur. Plus tu seras unie au Bon Dieu dans ton fort interne et plus tu auras la volonté de faire rayonner son amour, plus cela paraîtra sur ton extérieur. Saint François de Sales nous dit : « La netteté extérieure représente en quelque façon l’honnêteté intérieure1 ? ». Cette réforme intérieure est la base avant toute autre réforme : « Pour moi, nous dit saint François de Sales, je n’ai jamais pu approuver la méthode de ceux qui, pour réformer l’homme, commencent par l’extérieur, par les contenances, par les habits, par les cheveux. Il me semble, au contraire, qu’il faut commencer par l’intérieur, « Convertissez-vous à moi, dit Dieu, de tout votre cœur. Mon enfant, donne-moi ton cœur » ; car aussi, le cœur étant la source des actions, elles sont telles qu’il est… Quiconque a Jésus-Christ en son cœur, il l’a bientôt après en toutes ses actions extérieures2. » Le père Jean Dominique ajoute : « Le vêtement… est une œuvre d’art. Il a pour but, en effet, d’exprimer avec des moyens matériels, les réalités spirituelles, par le visible, les choses invisibles : « per visibilia ad invisibilia3. »

  Peut-être te demandes-tu comment se manifestent ces changements extérieurs une fois le cœur gagné à Dieu ? Tout d’abord, dis-toi que cela se fait progressivement, tout doucement à la manière du Bon Dieu, via la grâce. Ce changement progressif te conduira petit à petit à notre plus grand modèle, la très Sainte Vierge Marie. Cette Maman que Jésus nous a donnée sur la Croix est toujours prête à nous aider et à nous tirer d’un mauvais pas. Si elle reste bien présente dans ton esprit, elle peut t’aider dans des choix pratiques de la vie quotidienne : la sainte Vierge aimerait-elle cette jupe ou robe que je souhaite acheter ? Est-il bon que je m’habille en homme dans telle ou telle situation ? Comment la sainte Vierge se tiendrait-elle assise dans un fauteuil du salon ? Est-ce que la sainte Vierge emploierait le vocabulaire que j’utilise ?

 

  Si tu te mets ainsi à l’écoute de la Sainte Vierge, tu seras une jeune fille rayonnante, je dis rayonnante car l’amour de Dieu qui brûlera alors dans ton cœur rayonnera par ton attitude et ton comportement et tu feras un bien immense autour de toi : « La femme par sa manière de se vêtir, prouve à son entourage qu’elle possède une âme spirituelle et une mission très haute qui lui donne des relations privilégiées avec Dieu. Un vêtement est beau quand il prêche la noble vocation de la femme4. » Tu ne te rendras certes pas compte de ce bien qui est fait autour de toi, Dieu seul sait tout le bien qui est fait par une belle âme simple. Je pense que si nous le savions, nous en aurions le vertige. En effet, l’histoire de l’Eglise et la vie des saints sont remplies de ces témoignages de conversion de personnes touchées par la bonne tenue et la joie de jeunes filles chrétiennes.

 

  Alors, ma chère Bertille, sois fière d’être catholique et alors tu œuvreras pour l’Eglise et pour la France !

  Je t’embrasse bien affectueusement,

Anne

1 Aux sources de la joie avec saint François de Sales, Chanoine F. VIDAL, p.76

2 Aux sources de la joie avec saint François de Sales, Chanoine F. VIDAL, p.74

3 D’Eve à Marie La mère chrétienne, Père Jean-Dominique, O.P., p.56

4 D’Eve à Marie La mère chrétienne, Père Jean-Dominique, O.P., p.56

 

Notre-Dame de tous les jours

Notre Dame, l’Evangile ne relate aucune action d’éclat au cours de votre vie. Vous avez mené la vie des simples femmes de votre époque, sans que rien ne trahisse votre si belle mission : porter, élever et souffrir avec l’Enfant Dieu.

Dès la lumière du matin et jusqu’à la paix du soir, vos journées étaient semblables aux nôtres, avec le soin d’un foyer et ses humbles tâches quotidiennes, aussi êtes-vous

Notre Dame de tous les jours.

 

Dans le devoir d’état, avec sa lassitude qui parfois nous décourage, ou les petites joies que nous semons autour de nous,

Pour nos efforts que personne ne remarque et qui, sans cesse, sont à reprendre, ou la parole blessante un peu moqueuse,

Pour notre nature faible et rebelle, pour nos misères morales, la déception que parfois nous avons de nous-même, l’amour propre qui nous ne quitte pas et va se glisser subtilement partout,

Pour nos péchés et nos lâchetés, et pour savoir demander pardon,

Notre Dame de tous les jours, priez pour nous.

 

Pour les jours, mois et années qui passent si vite, pour tous les âges de la vie,

Pour la décision, petite ou grande, à bien prendre pour faire la volonté du Père, pour l’acte de charité à accomplir avec délicatesse et discrétion,

Pour s’oublier lorsque le cœur est lourd et s’unir, malgré notre faiblesse, à la croix, de toutes nos pauvres forces,

Pour ce qui doit nous guider sans cesse sur le chemin du Royaume, le cœur tourné vers le Seigneur comme une boussole,

Notre Dame de tous les jours, priez pour nous.

 

Dans les grandes peines qui fondent sur nous sans prévenir, quand tout s’écroule autour de nous, que nous pleurons devant le berceau vide ou que les espoirs de maternité sont déçus,

Pour cet enfant qui fait fausse route ou ces amis qui nous abandonnent ou nous trahissent, pour l’incompréhension de nos intentions,

Lorsqu’il faut quitter à regret ceux que nous aimons car l’heure du départ a sonné ou que nos rêves les plus généreux ne se réalisent pas,

Notre Dame de tous les jours, priez pour nous.

 

Pour la beauté de la Création, qui nous émeut et nous transporte le cœur, pour les petites joies quotidiennes ou les grandes grâces, toutes données par la main divine,

Pour rester fidèle à chaque instant et digne dans notre foi, solide dans les difficultés, confiante en vivant pleinement l’instant présent,

Pour ne pas s’inquiéter du lendemain et être heureuse de ce qui nous est retranché puisque Dieu le veut ainsi,

Pour vos statues dans les églises, ou dans un simple oratoire, au détour d’un chemin,

Pour vos vocables si divers mais qui veulent dire toujours « Mère »

Pour arriver à bon port après vous avoir tenu la main comme celle d’une maman,

Notre Dame de tous les jours, priez pour nous.

                  Jeanne de Thuringe

 

Plongée en eaux profondes

           Les vacances ne sont pas encore si éloignées et peut-être avez-vous encore de bons souvenirs dans la tête. En plein mois d’août, vous étiez sur la côte méditerranéenne et un peu désabusé par la platitude de la mer, le surfeur qui sommeillait en vous en était à regretter les vagues froides mais belles de l’Atlantique. Morne et plate, comme assommée par le soleil, la mer vous a paru pour un instant bien insipide. C’est alors que, voyant flotter le long des rochers un petit drapeau et non loin un tuba émergeant de l’eau, l’idée vous est venue d’aller chausser les palmes à l’instar de ce nageur équipé. Bien décidé à ne pas en rester là, vous voilà harnaché dès le lendemain tel le commandant Cousteau !

 

  Dépasser la première appréhension, réguler votre respiration et palmer en douceur, autant de petits efforts sur vous-même qui sont immédiatement oubliés tant la nouveauté du monde qui s’ouvre à vous vous absorbe. A peine votre masque est-il sous la surface que la lumière change, le bleu turquoise vous fascine, plus un bruit, seule votre respiration vient troubler le silence, le calme est immense. Soudain dans les rayons bleus du soleil qui arrivent à percer, un banc de milliers de poissons vient miroiter tranquillement, vous les approchez, leurs couleurs se dévoilent… Plus loin dans les rochers, une autre tâche rouge sombre attire votre œil. Vainquant votre appréhension, vous prenez une grande inspiration et vous voilà en apnée cinq mètres sous la surface. Les oreilles sifflent et la pression se fait ressentir, mais vous pouvez admirer pendant quelques dizaines de secondes l’étoile de mer qui se cache entre deux rochers. Vous aimeriez rester là à l’observer en détails, mais il faut remonter respirer avant de pouvoir redescendre de nouveau observer les merveilles des fonds marins. Cette fois-ci, ce sont des oursins que vous découvrez par dizaines au creux des rochers.

  De proche en proche, de nouvelles merveilles s’offrent à vous et la mer qui vous paraissait si plate et monotone il y a deux jours, vous apparaît sous son vrai regard, comme un monde immense et merveilleux que vous avez pu à peine entrevoir et que vous rêvez de découvrir encore davantage.

  Il en est souvent ainsi dans la vie, de l’étude et des personnes. Si l’on ne se donne pas la peine de rentrer en profondeur et de percer la surface parfois un peu morne et rébarbative de telle matière en cours d’étude ou de telle personne qui nous semble trop effacée, si les quelques efforts nécessaires pour passer au-dessus des apparences nous rebutent, nous pouvons passer à côté de merveilles qui resteront enfouies dans les profondeurs et que nous n’aurons pas pris la peine de découvrir. Cependant, il nous faut tout de même sortir pour respirer, tel le plongeur en apnée qui remonte chercher de l’oxygène avant d’être de nouveau en capacité et en mesure d’apprécier la beauté perçue. Parfois, il nous faut vaincre la peur de plonger plus en profondeur, souvent dans l’inconnu et sans savoir ce que l’on va trouver. Mais les trésors ne sont pas exposés au grand public ou au touriste consommateur qui passe rapidement à la surface sans aller au fond des choses, sans chercher à véritablement connaître les gens et à découvrir le diamant caché en eux.

 

  Quel que soit le sujet ou la personne, prenons garde à nos jugements hâtifs, prenons le temps de « plonger » plutôt que de surfer sur la vague des opinions toutes faites, le jeu en vaut la chandelle et vous découvrirez ainsi les merveilles de la création que le Bon Dieu a répandues dans son univers afin que ceux qui ont des yeux pour voir puissent le contempler. Sur ce, bon cours de maths et n’oubliez pas l’étoile de mer qui s’est cachée derrière l’intégrale triple.

 

Antoine