La parabole des talents

La parabole des talents nous est rapportée par saint Mathieu au chapitre 25, versets 14 à 30. Saint Luc, de son côté, nous donne une autre parabole, celle des mines1, qui est très proche de la première tout en comportant des différences notables. Dans cette parabole des talents, il nous est rappelé que tout ce que nous avons nous a été donné par Dieu (I) et que les dons de Dieu nous ont été dévolus pour que nous les fassions fructifier (II). Il s’agit d’un devoir essentiel auquel se trouve suspendu la récompense ou le châtiment éternel (III).

 

I – Tout est don de Dieu

On s’est posé la question de savoir si « les talents » de la parabole signifiaient davantage les dons de la nature ou ceux de la grâce. La réponse juste consiste à penser que ce sont vraiment tous les dons divins qui sont figurés par les talents. Mais les dons surnaturels, étant les meilleurs de tous les dons, sont plus directement visés. Les serviteurs ne peuvent se glorifier de rien car c’est de Dieu qu’ils ont tout reçu. Ils ne doivent pas se laisser entraîner par une vanité coupable en se souvenant de la leçon que saint Paul donne aux Corinthiens : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu et, si tu l’as reçu, pourquoi t’en vanter comme si tu ne l’avais pas reçu ?2 » Au lieu donc de commencer à s’enorgueillir des largesses de Dieu à leur égard, les hommes ne doivent cesser de rendre grâce à leur divin bienfaiteur et de s’interroger sur le bon usage qu’ils en doivent faire. Dieu, en effet, qui ne cesse de donner, ne veut pas que les hommes gardent pour eux-mêmes ce qu’Il leur a donné.

 

II – La fructification

Bien que la comparaison nous surprenne, Dieu, figuré dans la parabole des talents par le maître, encourage les pratiques bancaires, voire usuraires !

Il donne, certes, mais Il demande à ceux auxquels Il donne de s’activer afin de faire fructifier l’argent qu’Il leur confie. La comparaison nous surprend parce que le Deutéronome3 condamnait déjà le profit illégitime que l’on retire de l’argent ou de marchandises, même si les Hébreux croyaient l’usure permise avec les étrangers. Dans la parabole de Notre-Seigneur, le maître, après avoir confié ses talents à ses serviteurs pour qu’ils les fassent fructifier, revient longtemps après et leur fait rendre compte, récompensant ceux qui par leur industrie, ont fait profiter les biens qui leur avaient été confiés, et châtiant celui qui n’en a rien tiré. On voit bien qu’il s’agit d’une véritable spéculation à laquelle devaient se prêter les serviteurs, au blâme qu’il adresse à celui des trois serviteurs qui s’est contenté de cacher son talent en terre. Il lui dit en effet : « Vous deviez donc mettre mon argent entre les mains des banquiers ; et à mon retour, j’eusse retiré avec intérêt ce qui est à moi4.» Notre-Seigneur fait donc raisonner ce maître suivant les principes de la banque.

Nous en sommes intrigués. Et c’est bien cet effet de surprise que vise la parabole pour nous donner le goût de creuser sa signification profonde.

Les biens que Dieu nous a donnés et qu’Il nous demande de faire fructifier ne nous ont été donnés qu’en vue de cette fin ultime qu’est sa gloire car Dieu ne peut pas ne pas vouloir en toutes choses sa gloire. S’Il voulait autre chose, Il ne serait pas Dieu. C’est donc toujours pour Lui que nous devons faire tout ce qui nous est demandé. Ajoutons que nous retirons nous-mêmes les véritables « intérêts » de notre fidélité dans l’amour et le service de Dieu car les récompenses dont Dieu désire nous combler vont au-delà de tout ce dont nous pourrions rêver. Le bonheur du Ciel est au-delà de tout bonheur. En réalité, « l’économie divine » est toute tournée à notre profit. Nous ne pouvons rien faire pour augmenter le bonheur de Dieu et Il n’a pas besoin de la gloire extérieure que nous lui procurons car Il se procure à lui-même sa gloire essentielle. S’Il nous prodigue les biens qu’Il nous distribue, c’est pour que nous en fassions un bon usage qui permettra alors de nous combler au-delà de toute mesure.

Selon les canons terrestres, Dieu est un bien piètre banquier qui ne prête pas mais qui donne et qui ne cesse de donner, et qui donne de plus en plus et sans compter, à mesure que ceux à qui Il donne font bon usage de ses dons.

 

III – Bons ou mauvais serviteurs

Qu’est-ce que Dieu attend de ses serviteurs ? Qu’ils mettent à profit le temps dont ils disposent pour bien utiliser leurs talents. Il exige que ses serviteurs consacrent à sa gloire tout ce qu’ils ont reçu de Lui afin de les en récompenser. On remarque que le Maître donne ses talents inégalement. Ce qui amène saint Grégoire à faire cette réflexion : « Ceux qui ont reçu en ce monde des grâces plus abondantes seront l’objet d’un jugement plus sévère car, plus on reçoit, plus grand est le compte que l’on devra rendre. »

Dans la parabole, le mauvais serviteur n’est pas un homme malhonnête. Il a reçu un talent et il le restitue au retour de son maître. Il est châtié pour sa paresse, sa pusillanimité et son insolence. En effet, il n’a rien fait de son talent. Il l’a enfoui et n’a rien produit alors que le maître escomptait une fructification. Son comportement est celui d’un pusillanime qui ne risque rien de peur de ses maladresses. La peur de ne pas pouvoir rendre son talent le paralyse et il ne fait rien. Sa pusillanimité provient de son manque de confiance en Dieu. Il a peur d’agir parce que, au lieu de se fonder sur l’aide divine, il ne compte que sur lui. On voit enfin comment il a bâti une justification détestable de son comportement où apparaît sa méconnaissance dramatique des intentions  si nobles de son maître.

Conclusion

« Il en est beaucoup dans l’Église, dont ce serviteur est la figure, qui craignent d’entrer dans les voies d’une vie plus sainte, et qui ne craignent pas de croupir dans une négligence sensuelle et honteuse.» Voilà un autre commentaire de saint Grégoire sur la parabole des talents. Il est important de noter dans cette parole que saint Grégoire envisage avant tout la fructification intérieure « les voies d’une vie plus sainte ». C’est en effet toujours par là que l’on doit commencer. L’activité -même extraordinaire – n’est rien si elle n’est pas un vrai débordement de cette vie, de cette fructification des dons intérieurs.

R.P. Joseph

 

 

1 Luc 19,12

2 I Cor. 4, 7

3 Deut. 23

4 Mt 25, 27

 

 

Le mot de l’aumônier

L’esprit de famille

Bien sûr, lorsqu’on lit les ouvrages de la Comtesse de Ségur, « Les vacances », « Les petites filles modèles » par exemple, on peut se dire avec nostalgie que, à d’autres  époques et dans certains milieux, il était tout de même plus aisé de former et de transmettre l’esprit de famille.

Qui pourrait le nier ? Une jolie propriété ancienne où la même famille vit depuis des siècles ; un passé familial dont les pages, parfois glorieuses et édifiantes, sont connues et servent de référence ; des meubles, des bibelots, des tableaux, des portraits auxquels sont attachés tant d’anecdotes pittoresques, amusantes ou dramatiques ; un parc dont les cachettes et les secrets avaient déjà fait le bonheur des arrière-grands-pères ou des arrière-grands-mères ! Et cette chapelle sous laquelle sont enterrés les ancêtres et dans laquelle tant de messes ont été célébrées et tant de prières se sont élevées à l’occasion de ces événements qui jalonnent l’histoire d’une famille : baptêmes, mariages, enterrements. Une telle propriété était comme l’incarnation d’une famille et restait pour tous le point de ralliement et la robuste racine qui ancrait ses membres sur tel arpent de la terre de France.

Il n’est guère besoin d’épiloguer longtemps sur la prolétarisation des Français. Comprenons bien qu’elle est idéologique, recherchée pour elle-même au nom des idéaux révolutionnaires. Il s’agit de protéger tout individu venant en ce monde des influences néfastes qui viennent de la société. Pour qu’il soit libre, il faut le défendre de l’Église, de sa famille, des traditions et de tout enracinement. Tout est donc conçu, savamment pensé, traduit dans le Code Civil, pour anéantir la société d’autrefois qui était si forte de ses corps intermédiaires. Le bonheur surviendra quand chacun, arraché par l’Etat à la mamelle, sera éduqué par lui et vivra dans le refus de tout engagement profond, dans une existence de relations éphémères, sans jamais rien construire. La famille doit donc, en particulier, disparaître.

Dans ces conditions révolutionnaires, reconnaissons qu’il est bien plus difficile de transmettre l’esprit d’une famille. Toutefois, il ne faut jamais baisser les bras, et il faut affirmer que, même dans ces conditions si défavorables de la modernité, l’esprit de famille peut étonnamment subsister.

Il est fondé, dans les milieux catholiques fidèles à la Tradition, sur un ensemble de considérations dont voici quelques-unes :

– Conscience de la grâce d’avoir gardé ou retrouvé la Foi en ces temps d’apostasie ;

– Volonté de fonder sa famille dans la Foi et de faire tous les sacrifices nécessaires pour la transmettre aux enfants ;

– Acceptation courageuse de vivre à contre-courant de ce monde corrompu ;

– Fierté de maintenir et de transmettre l’héritage catholique et français, coûte que coûte ;

– Foi en ce que Dieu n’a pas dit son dernier mot, que nous devons être ses soldats chaque jour de notre vie et que nous devons rayonner autour de nous pour faire connaître nos trésors ;

– Possibilité, pour ceux qui le peuvent, de retourner à la terre, ainsi que le conseillait Monseigneur Lefebvre, il y a déjà presque cinquante ans ;

– Amour de la France, terre catholique et terre de nos aïeux.

Il est évident que la détermination à vivre dans cette orientation résolument catholique et française ne manquera pas de susciter, dans les familles, là où elle existera, un esprit excellent qui marquera tous ses membres à vie.

S’il est vrai que l’époque de la Comtesse de Ségur est révolue, et que l’on veut nous faire entrer dans celle de la dissolution de la famille, enracinons-nous dans la Foi pour garder nos familles fortes, fierté de l’Église, pépinière de vocations et espérance de résurrection.

 

Je bénis vos familles et les confie au Cœur Douloureux et Immaculé de Marie.

 

R.P. Joseph

 

Le naturalisme

Le naturalisme est cette philosophie qui prétend expliquer le monde et le cours des événements sans qu’il soit nécessaire de recourir au surnaturel. Il s’agit d’un a priori : même si Dieu existe, Il n’intervient pas dans l’existence des hommes.

L’historien naturaliste en sera, par exemple, amené à chercher à expliquer l’épopée de sainte Jeanne d’Arc à l’aide de considérations seulement humaines. Inutile de dire que ses efforts sont particulièrement vains. La disproportion qui existe entre les raisons qu’il donne et l’extraordinaire au quotidien de notre héroïne nationale saute aux yeux de tous ceux qui ne sont pas prisonniers de cet a priori naturaliste.

Il est tout à fait possible de trouver des penseurs atteints par le naturalisme qui sont cependant lucides sur de nombreuses questions que pose le monde contemporain. Nous en trouvons à nos côtés pour dénoncer la démence de la théorie du gender et de la sexualisation non fondée sur la biologie. Certains sont très actifs pour s’exprimer contre la tyrannie mondialiste, les fantasmes du réchauffement climatique ou du transhumanisme. Nous pouvons nous en réjouir, utiliser avec avantage leur réflexion et mener des combats avec eux.

Cependant, leur faiblesse essentielle dans ces batailles, consécutive à leur erreur naturaliste, sera leur rejet ou leur méconnaissance de la dimension surnaturelle des combats. Ils ne croient pas, comme l’a écrit saint Paul, que « ce n’est pas contre la chair et le sang que nous avons à lutter, mais contre les Principautés, contre les Dominations, contre les Souverains de ce monde des ténèbres, contre les Esprits du mal qui sont dans les régions célestes1

Une telle méconnaissance de l’ennemi et de sa puissance est fatale dans un combat. Elle entraîne l’inadaptation des armes qu’on emploie. En effet, après avoir désigné les démons comme étant nos adversaires les plus redoutables, saint Paul n’a pas de mal à nous convaincre de nous munir de « la panoplie de Dieu, afin qu’au jour mauvais vous puissiez résister, mettre tout en œuvre et demeurer debout. Debout donc ! Avec aux reins la vérité pour ceinture, avec la justice pour cuirasse, et pour chaussures aux pieds l’empressement à propager l’Evangile de la paix. Avec tout cela, prenez le bouclier de la Foi, grâce auquel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du Mauvais. Recevez aussi le casque du Salut et le glaive de l’Esprit, c’est-à-dire la Parole de Dieu2. » Mais, nos malheureuses victimes des erreurs naturalistes ignorent autant les ennemis que les armes appropriées que Dieu nous a fabriquées pour combattre dans son armée.

Ajoutons que, trop souvent, ces erreurs ont contaminé et contaminent encore des catholiques plus ou moins profondément. Certains d’entre eux admettent en théorie l’existence des anges déchus mais vivent comme s’ils n’existaient pas. D’autres ont le souci de s’en protéger dans leur vie privée ou familiale mais semblent ne plus s’en souvenir dans les combats politiques. Ce qui les a amenés dans le passé ou les amène encore présentement à mener leurs luttes dans une atmosphère naturaliste, sans se confier à Dieu, sans s’appuyer sur la grâce, sur la prière, sur les sacrements. Et il y a certainement là l’explication de l’insuccès de beaucoup d’entreprises aux buts naturellement sains mais qui furent oublieuses de la dimension religieuse du combat.

Voilà pourquoi il est salutaire de nous replacer sous la protection de saint Michel à qui nous pouvons adresser cette belle prière :

« Archange Saint Michel, priez pour nous.

Prince de la milice céleste,

Recevez-nous parmi vos soldats.

Vengeur des droits de Dieu, armez-nous

chevaliers de sa cause sainte.

Porte-étendard des armées du Christ, gardez-nous de rougir de sa croix.

Vainqueur de Satan, faites que nous ne reculions jamais devant lui.

Ange des batailles, assistez-nous dans les combats de la vie.

Ange de la paix, restaurez en nous l’ordre divin.

Prévôt du paradis, introduisez-nous dans la lumière éternelle.

Ange gardien du peuple des Francs, venez à son aide,

bénissez son épée, sauvez-le de toute « grande pitié »

et que, guidé par vous, il reste à jamais le fils aîné de l’Église

 et le bras de Dieu dans le monde.

Ainsi soit-il. »

 

R.P. Joseph

 

Notre-Seigneur et Notre-Dame

« Lorsque l’Esprit de Dieu agit dans certaines âmes élues pour accomplir une même œuvre, il les pousse, les unes vers les autres, et les rapproche par un mouvement irrésistible1

Pour donner de la lumière sur la question de la complémentarité de l’homme et de la femme, nous nous proposons de considérer, dans la perfection du plan divin de notre Rédemption, les rôles que tiennent Jésus et sa Mère. Leur divine association en vue d’assurer notre salut constitue à jamais le modèle de toutes les œuvres accomplies de concert par un homme et par une femme. Nous avons l’assurance que la part respective que chacun d’entre eux y prend est exactement celle qu’il doit y tenir puisqu’elle a été déterminée par Dieu. Cette pensée est d’une très grande importance à nos yeux puisque nous savons ainsi ce que la Sagesse divine a décidé de confier au nouvel Adam et à la nouvelle Eve. Toutes les plus secrètes harmonies étant connues et respectées de Dieu, ne nous suffit-il pas de remonter, à partir de la répartition de leurs attributions respectives, vers les caractères propres de la masculinité et de la féminité, et de mieux comprendre leur admirable complémentarité ? Nous ne serons pas exhaustifs, loin s’en faut ! Nous nous bornerons à remarquer trois aspects de cette complémentarité entre le Christ et sa Mère. Le premier sera celui de l’extériorité et de l’intériorité ; le deuxième de la paternité et de la maternité et le troisième de la parole et de l’exemple.

A) Extériorité et Intériorité

Celui dont nous parlent les Evangiles, dont les paroles et les actes nous sont rapportés, c’est le Verbe qui s’est incarné, c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ. C’est de sa passion que la narration nous est donnée. Nous y lisons tous les supplices que son corps endura et nous comprenons un petit quelque chose du martyre intérieur dans lequel vécut son âme. Nous savons qu’en toutes choses, Il réalise à la perfection le plan que son Père lui avait fixé pour l’accomplissement de notre Rédemption. C’est l’exécution par l’obéissance du Christ du grand sacrifice salvateur, qui se trouve au cœur du Mystère, que nous découvre la Révélation.

Pour comprendre la place qu’y prend Marie, il nous faut considérer qu’elle vit en elle-même, avec toute la force de son amour, tout ce que Jésus entreprend sous ses yeux. La plus parfaite harmonie unit leurs deux cœurs au point que ce qui affecte l’un retentit au même instant dans l’autre. Pour comprendre donc la compassion de Marie, il suffit de s’arrêter sur chaque information que nous donnent les Evangiles à propos de Notre-Seigneur, pour en méditer la répercussion dans son âme. C’est au-dedans d’elle-même qu’elle vit l’agonie de Gethsémani, la flagellation ou la crucifixion. C’est elle qui recueille dans toute leur plénitude les sept paroles tombées de la Croix. Rien de ce qui émane de Jésus n’est perdu par sa divine associée. Saint Luc l’a excellemment noté et sa parole est l’une des plus éclairantes qui soit sur la très Sainte Vierge Marie : « Elle gardait fidèlement toutes choses en son cœur2

Ce que nous avons dit là du rôle extérieur et du rôle intérieur de Jésus et de Marie ne leur a pas été dévolu par Dieu sans la prise en considération de ce que le premier est homme et que la seconde est femme. Au premier revient l’œuvre visible, qui apparaît extérieurement, dont le caractère est public. A la seconde, l’appropriation intérieure de cette réalisation masculine. Au génie et à l’amour qui se dévoilent se trouvent associés le génie et l’amour qui demeurent sous le voile.

Est-ce à dire que nous refusons à la femme la capacité d’initiative et d’œuvre personnelle ? Ne le penseront que des esprits univoques. Ce n’est pas en effet parce que nous admirons la merveilleuse capacité féminine à s’ouvrir par l’intelligence et par le cœur aux œuvres masculines que nous leur déniions pour autant l’intuition de l’entreprise adéquate. Nous avons simplement voulu dire bienheureux l’homme à qui Dieu a associé cette créature féminine qui devine son cœur et l’épouse avant même qu’il ait formulé un mot.

B) Les réalisations de l’homme et l’homme à réaliser :

Ce qu’aurait pu faire la très sainte Vierge Marie si elle avait été évangéliste, apôtre ou premier pape dépasse, et de très loin, tout ce qu’ont fait de meilleur tous les évangélistes, tous les apôtres et tous les papes réunis. Bien mieux que tous, elle eût écrit la vie de son Fils, évangélisé les Juifs et les Gentils, gouverné l’Église naissante ! Allons-nous donc soupirer en regrettant que ces missions éminentes ne lui aient pas été confiées ? Que ce soit saint Pierre, et non pas elle, qui ait pris la parole le jour de la Pentecôte ? Qu’il n’existe pas un Evangile selon sainte Marie ? Nous sommes portés à considérer les œuvres extérieures, qui se voient et qui s’apprécient. Nous estimons ce qu’elles ont pu coûter d’énergie, supposer de vertu et de persévérance. Nous en saluons les héros avec enthousiasme et reconnaissance ! Mais il y a une pensée qu’on trouve dans l’Evangile, exprimée par une femme du peuple, mais qui vient malaisément dans nos esprits d’hommes. Saint Luc nous raconte qu’un jour, une voix s’éleva au milieu de la foule et s’adressant à Jésus, fit l’éloge de Marie : « Heureuse le sein qui t’a porté et les mamelles que tu as sucées3.» Et cette voix était celle d’une femme qui sait bien ce qu’un homme accompli doit à sa mère.

Infiniment mieux que de raconter la vie de Jésus, Notre-Dame L’a mis au monde, que d’évangéliser les foules, elle a appris à Jésus tout ce qu’Il devait apprendre de science humaine, que de gouverner l’Église, elle L’a enfanté. C’est ici qu’il s’agit d’établir la comparaison décisive entre la mission de l’homme et celle de la femme et de se demander ce qu’il y a de plus grand entre le gouvernement du monde et le façonnement du cœur de celui qui gouverne le monde. Marie est incomparablement plus grande que tous les anges et tous les saints pour Celui qu’elle a conçu, porté dans ses entrailles, tenu sur son sein et élevé, lui qui était le Fils de Dieu.

Chez les hommes comme chez les femmes, il n’est pire signe de superficialité que celui d’avoir oublié ou méconnu l’incomparable grandeur naturelle de la maternité.

C) La parole et l’exemple :

Notre dernière association est celui de la parole et de l’exemple. Celle des trois Personnes Trinitaires qui s’incarne est le Verbe, la Parole. Les Mystères de notre Foi nous ont été dévoilés par l’Homme-Dieu. Il nous a transmis toutes ces vérités inestimables qui forment ce dépôt révélé de la Foi. S’Il a aimé le silence et s’Il nous a donné l’exemple admirable de ses vertus, Il savait que son devoir était de nous instruire de sa Parole de vie qui transformerait les âmes et le monde. Et Il a voulu que ses apôtres et que ses disciples, sur lesquels des langues de feu s’étaient déposées au jour de la Pentecôte, parcourent après lui le monde pour évangéliser, pour annoncer la Bonne Nouvelle. Il faut bien le reconnaître : c’est ici la parole qui est d’or tandis que le silence n’est alors que d’argent.

Mais l’exemple ? Que vaut la parole et que reste-t il d’elle, si elle n’est accompagnée de l’exemple ? Ce qui demeure dans notre esprit est bien davantage l’image de nos parents agenouillés chaque soir pour la prière familiale que des bonnes raisons qu’ils nous fournirent de nous mettre à genou !

Nous comptons les paroles de Marie. La plus longue est le Magnificat et, toutes mises bout à bout, elles tiennent sur une page. Voilà donc tout ce qu’avait à nous dire la Mère de Dieu ? Elle est en réalité le premier et le meilleur disciple de son Fils, et sa fille chérie. Elle illustre par sa vie les paroles qu’Il prononce. Et cela tient encore à la complémentarité de l’homme et de la femme qu’on apprend à vivre en écoutant le premier et en regardant la seconde.

Là encore, ne conclura que la femme est perdante dans cette comparaison que celui qui ne pénètre pas dans les profondeurs de l’être et qui n’entend pas que le bon exemple qu’on reçoit exprime bien plus certainement la qualité d’un être que la bonne parole qu’on reçoit de lui.

Nous aurions une longue et édifiante litanie de comparaisons à égrener. Rien que d’y penser, elle nous ravit. Chacune d’entre elles chanterait à son tour que Dieu a fait une belle chose en créant l’homme et une non moins belle en créant la femme, mais que leur union et leur complémentarité ajoutent encore incomparablement à la beauté de l’un et de l’autre.

R.P. Joseph

1 Père Didon, Jésus-Christ, p. 110

2 Lc 2, 51

3 Lc 11, 27

 

 

Fondements religieux de l’écologie actuelle

 Parce que nous sommes reconnaissants à Dieu de cette magnifique nature qu’Il a créée, ne devrions-nous pas emboîter le pas au mouvement écologique et considérer que le « respect de la nature forme un socle intellectuel et émotionnel sur lequel tous peuvent s’accorder : autant le croyant, respectueux de l’œuvre divine, que l’incroyant, saisi par la majesté et la beauté de la nature » ? N’est-ce pas d’ailleurs la caution que lui accorde le pape François à travers son encyclique « Laudato Si » ou son synode sur l’Amazonie ?

Derrière le rideau de verdure attirant de l’écologie, il nous faut en réalité manifester que se dissimule une idéologie hostile au dessein de Dieu sur la place qu’Il a réservée à l’homme dans sa création et à Dieu Lui-même. Elle s’en prend d’abord aux deux commandements faits à l’homme de se multiplier et de dominer la nature et elle s’insurge plus profondément encore en refusant la conception de l’homme comme image de Dieu et en militant pour son option panthéistique. C’est ce que nous souhaitons brièvement exposer en montrant, à chaque fois, l’appui qu’elle reçoit de François.

I – Le rejet des injonctions divines de se multiplier et de dominer la nature

A) Ecologie et malthusianisme

Les mises en garde se sont multipliées : « Dans le monde entier, nombre des ressources indispensables à la survie et au bien-être des générations futures s’amenuisent et la dégradation de l’environnement s’intensifie, sous l’effet des modes de production et de consommation non viables, d’une croissance démographique sans précédent et d’une pauvreté généralisée et persistante et de l’inégalité sociale et économique1 » En présence de cette situation, l’écologie affirme son malthusianisme et tire toutes ses ficelles de mort à l’échelle planétaire : contraception, avortement, euthanasie, stérilisation, planification des naissances, etc.

Le surpeuplement de la planète doit être conjuré par une fermeture drastique à la vie qui s’oppose frontalement à la grande invitation divine que Dieu fait à Adam et Eve d’être féconds et de se multiplier : « Soyez féconds, multipliez-vous et remplissez la terre2. »

Une telle incitation à la procréation est jugée avec une extrême sévérité par le sanhédrin verdâtre qui y voit l’origine de l’irresponsabilité avec laquelle les générations qui se sont succédé sur la terre ont augmenté le nombre des rejetons de la race humaine sans se préoccuper des ressources de la planète. Le Dieu de la Genèse se trouve explicitement mis en accusation par plusieurs conférences internationales des grands organismes mondialistes.

Comme on l’a vu dès le synode sur la famille, le pape François est entré lui-même dans cette sérénade. En particulier, il a compromis l’enseignement de l’Église à propos du contrôle artificiel des naissances dans l’« Instrumentum Laboris3 » et a proposé une approche erronée de la relation entre la conscience et la loi morale.

B) Ecologie et domination de la terre par l’homme 

La vindicte des écologistes ne rend pas seulement la Genèse responsable de la surpopulation mais également de la mise à sac de la nature par l’homme. Le parterre des verts stigmatise cette fois-ci le deuxième grand commandement de Dieu à nos premiers parents : « Soumettez la terre et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tous les animaux qui rampent sur la terre4. » L’inconscience de Dieu n’a pas su prévoir les conséquences déplorables de cette autorité qu’Il conférait aux hommes. Cette rhétorique trouve également place depuis des décennies dans les textes les plus officiels et les plus solennels.                                                   Voilà, par exemple, ce que l’on peut lire dans la conférence sur l’environnement de Stockholm organisée par l’ONU, en 1972 : « La science et ses applications techniques qui feraient de l’homme le maître de l’univers, usant et abusant à sa guise des ressources naturelles, deviennent souvent valeur en elles-mêmes. (…) Ces conceptions puisent leur meilleure justification dans les convictions religieuses judéo-chrétiennes, selon lesquelles Dieu aurait créé l’homme à son image et lui aurait donné la terre pour qu’il la soumette à sa loi5. » Dans cette citation, la critique va au-delà de l’imprudence avec laquelle Dieu aurait concédé à l’homme ce gouvernement sur la Création. Elle s’en prend, plus profondément, à la conception de l’homme qui aurait été créé à l’image de Dieu.

Notons que, de nouveau, François fait chorus dans son encyclique « Laudato Si ». Les chrétiens auraient tiré de la Genèse la pensée qu’ils peuvent tout se permettre avec les créatures : « S’il est vrai que, parfois, nous les chrétiens, avons mal interprété les Ecritures, nous devons rejeter aujourd’hui avec force que, du fait d’avoir été créés à l’image de Dieu et de la mission de dominer la terre, découle pour nous une domination absolue sur les autres créatures6. »

II – Le rejet d’un Dieu spéciste et l’option panthéistique

A) Ecologie et spécisme 

Le terme « spécisme » est péjoratif. Il a été élaboré pour dénoncer la valorisation et la précellence d’une espèce sur les autres. Il sert à condamner tous ceux qui ont jusqu’ici pensé que l’espèce humaine se trouverait au sommet de la hiérarchie de toutes les espèces animales et à intimider ceux qui conserveraient encore une telle conception de l’univers. La transformation des mentalités est très largement due à l’imposition de la théorie de Darwin car « l’existence de l’âme ne saurait être compatible avec la théorie de l’évolution. L’évolution est synonyme de changement et ne saurait produire des entités éternelles7». Rien ne distingue donc essentiellement l’être humain de tout organisme vivant et ne saurait lui conférer des droits qui ne seraient pas ceux de tous.

Mais, à qui la faute si l’homme s’est estimé non point partie intégrante de l’écosystème mais supérieur à lui ? Au Dieu de la Genèse évidemment comme le rapporte l’UNESCO : « Les écologistes critiquant la Genèse ont soutenu que, puisque selon ce livre, l’homme est créé à l’image de Dieu, qui lui a donné de dominer sur la nature et lui a ordonné d’assujettir la terre, la Genèse confère manifestement à l’Homme un droit venant de Dieu d’exploiter la Terre sans restriction morale (sauf quand l’exploitation de l’environnement peut affecter l’homme lui-même). L’essence de l’homme, unique parmi les créatures, et faite à l’image de Dieu, confère à l’homme des droits uniques et des privilèges parmi les créatures8. »

On le voit, ce qui est en cause, c’est bien l’homme, image de Dieu, l’homme, distingué parmi les autres vivants, l’homme qui devient ainsi le dieu de la Création. Le haro est prononcé contre cette théologie monothéiste qui a placé l’homme sur un piédestal, piédestal du haut duquel, il a piétiné les espèces qu’il estimait inférieures à la sienne.

La théologie de François ne dénie pas à l’homme d’être « image de Dieu » mais accorde à tous les êtres d’être habités par le Christ : « Le Christ a assumé en Lui-même ce monde matériel et à présent, ressuscité, Il habite au fond de chaque être, en l’entourant de son affection comme en le pénétrant de sa lumière9. »  En cette grave confusion entre le monde naturel et le monde surnaturel, François hisse les créatures non-humaines au niveau des créatures humaines en état de grâce :elles seraient habitées par le Christ et se trouveraient ainsi sur pied d’égalité avec elles.

B) Ecologie et panthéisme

On ne s’en étonnera pas : ce Dieu est rejeté comme criminel et les écologistes couvrent au contraire de louanges le panthéisme.

Voilà par exemple, la comparaison esquissée par Harari – considéré comme premier intellectuel de la planète – entre le « cosmos animiste » et le « cosmos théiste  » : « Dans le cosmos animiste, tout le monde dialoguait avec tout le monde. Si l’on avait besoin de quelque chose de la part du caribou, des figuiers, des nuages ou des rochers, on s’adressait directement à eux. Dans le cosmos théiste, toutes les entités non humaines ont été réduites au silence10. » Pour quel motif ont-elles été réduites au silence ? Parce que Dieu ou les dieux en ont fait « le héros central autour duquel tourne tout l’univers11 ». Et c’est à cause de cette conception véhiculée par le « cosmos théiste » que l’homme s’est cru tout permis et a saccagé la terre.

Aussi le changement de paradigme des Verts exige-t-il l’éradication de cette vision religieuse qui passe de l’Ancien au Nouveau Testament et fait de l’homme le roi de la création sur terre. L’antispécisme des Verts, très largement tributaire de la thèse darwinienne, considère l’espèce humaine comme une parmi les autres, n’ayant que le droit de s’intégrer dans la nature sans avoir la prétention de la dominer. Il s’accommode parfaitement avec le panthéisme qui attribue à chaque être vivant une part de divinité.

Parce que tout est sacré autour de lui, l’homme doit changer son regard sur son environnement : « Il y a une correspondance entre la vision du monde écologique et la vision du monde de la pensée hindoue. L’écologie se représente également le monde comme une unité, c’est-à-dire holistiquement – considérant l’unité existant entre un individu et son environnement. Ainsi deux éléments majeurs de l’hindouisme contribuent au développement d’une éthique universelle de l’environnement : l’empathie et la compassion envers toutes les formes de vie et un sentiment d’harmonie avec l’environnement conduisant à le protéger et à l’améliorer12. »

Là encore, François n’est pas en reste avec son « éco-théologie ». Il instrumentalise le vocabulaire chrétien au service de l’écologie en invitant les hommes à une « conversion écologique13 » et favorise le panthéisme par son mélange de l’ordre surnaturel avec l’ordre naturel : « L’Eucharistie unit le ciel et la terre, elle embrasse et pénètre toute la Création. Le monde qui est issu des mains de Dieu, retourne à Lui dans une joyeuse et pleine adoration dans le pain eucharistique, la Création est tendue vers la divinisation, vers les saintes noces, vers l’unification avec le Créateur Lui-même14. »

Entre l’amour de saint François d’Assise pour la nature et celui des écologistes et du Pape François, il y a un monde. Au lieu de considérer les êtres qui nous entourent avec respect parce qu’ils ont été créés par Dieu et qu’ils nous parlent de Lui, on supprime l’existence du Dieu Créateur pour diviniser et absolutiser la nature.

R.P. Joseph

1 « ONU, conférence internationale sur la population et le développement, Le Caire » cité par Pascal Bernardin dans « L’Empire écologique » Ed. ND des Grâces 1998, p. 548

2 Gen. I, 28

3 Instrumentum Laboris, n° 137

4 Gen I, 28

5 Conférence de Stockholm (1972) organisée par l’ONU, citée par Pascal Bernardin dans « L’empire écologique » Ed. ND des grâces 1998, p. 417

6 « Laudato Si » N° 67

7 Huval Noah Harari dans « Homo Deus, une brève histoire de l’avenir » Albin Michel 2017, p. 122

8 UNESCO, Unep « Changing minds – Earthwise, Paris, 1991, p. 19, cité par Bernardin, op. Cité p. 419

9 Laudato Si n°221

10 Harari, opus cité p.107

11 Ibidem p. 106

12 Unep cité par Bernardin, opuscule cité p 424

13 Laudato Si n°217

14 Laudato Si n°236