La parabole des talents

La parabole des talents nous est rapportée par saint Mathieu au chapitre 25, versets 14 à 30. Saint Luc, de son côté, nous donne une autre parabole, celle des mines1, qui est très proche de la première tout en comportant des différences notables. Dans cette parabole des talents, il nous est rappelé que tout ce que nous avons nous a été donné par Dieu (I) et que les dons de Dieu nous ont été dévolus pour que nous les fassions fructifier (II). Il s’agit d’un devoir essentiel auquel se trouve suspendu la récompense ou le châtiment éternel (III).

 

I – Tout est don de Dieu

On s’est posé la question de savoir si « les talents » de la parabole signifiaient davantage les dons de la nature ou ceux de la grâce. La réponse juste consiste à penser que ce sont vraiment tous les dons divins qui sont figurés par les talents. Mais les dons surnaturels, étant les meilleurs de tous les dons, sont plus directement visés. Les serviteurs ne peuvent se glorifier de rien car c’est de Dieu qu’ils ont tout reçu. Ils ne doivent pas se laisser entraîner par une vanité coupable en se souvenant de la leçon que saint Paul donne aux Corinthiens : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu et, si tu l’as reçu, pourquoi t’en vanter comme si tu ne l’avais pas reçu ?2 » Au lieu donc de commencer à s’enorgueillir des largesses de Dieu à leur égard, les hommes ne doivent cesser de rendre grâce à leur divin bienfaiteur et de s’interroger sur le bon usage qu’ils en doivent faire. Dieu, en effet, qui ne cesse de donner, ne veut pas que les hommes gardent pour eux-mêmes ce qu’Il leur a donné.

 

II – La fructification

Bien que la comparaison nous surprenne, Dieu, figuré dans la parabole des talents par le maître, encourage les pratiques bancaires, voire usuraires !

Il donne, certes, mais Il demande à ceux auxquels Il donne de s’activer afin de faire fructifier l’argent qu’Il leur confie. La comparaison nous surprend parce que le Deutéronome3 condamnait déjà le profit illégitime que l’on retire de l’argent ou de marchandises, même si les Hébreux croyaient l’usure permise avec les étrangers. Dans la parabole de Notre-Seigneur, le maître, après avoir confié ses talents à ses serviteurs pour qu’ils les fassent fructifier, revient longtemps après et leur fait rendre compte, récompensant ceux qui par leur industrie, ont fait profiter les biens qui leur avaient été confiés, et châtiant celui qui n’en a rien tiré. On voit bien qu’il s’agit d’une véritable spéculation à laquelle devaient se prêter les serviteurs, au blâme qu’il adresse à celui des trois serviteurs qui s’est contenté de cacher son talent en terre. Il lui dit en effet : « Vous deviez donc mettre mon argent entre les mains des banquiers ; et à mon retour, j’eusse retiré avec intérêt ce qui est à moi4.» Notre-Seigneur fait donc raisonner ce maître suivant les principes de la banque.

Nous en sommes intrigués. Et c’est bien cet effet de surprise que vise la parabole pour nous donner le goût de creuser sa signification profonde.

Les biens que Dieu nous a donnés et qu’Il nous demande de faire fructifier ne nous ont été donnés qu’en vue de cette fin ultime qu’est sa gloire car Dieu ne peut pas ne pas vouloir en toutes choses sa gloire. S’Il voulait autre chose, Il ne serait pas Dieu. C’est donc toujours pour Lui que nous devons faire tout ce qui nous est demandé. Ajoutons que nous retirons nous-mêmes les véritables « intérêts » de notre fidélité dans l’amour et le service de Dieu car les récompenses dont Dieu désire nous combler vont au-delà de tout ce dont nous pourrions rêver. Le bonheur du Ciel est au-delà de tout bonheur. En réalité, « l’économie divine » est toute tournée à notre profit. Nous ne pouvons rien faire pour augmenter le bonheur de Dieu et Il n’a pas besoin de la gloire extérieure que nous lui procurons car Il se procure à lui-même sa gloire essentielle. S’Il nous prodigue les biens qu’Il nous distribue, c’est pour que nous en fassions un bon usage qui permettra alors de nous combler au-delà de toute mesure.

Selon les canons terrestres, Dieu est un bien piètre banquier qui ne prête pas mais qui donne et qui ne cesse de donner, et qui donne de plus en plus et sans compter, à mesure que ceux à qui Il donne font bon usage de ses dons.

 

III – Bons ou mauvais serviteurs

Qu’est-ce que Dieu attend de ses serviteurs ? Qu’ils mettent à profit le temps dont ils disposent pour bien utiliser leurs talents. Il exige que ses serviteurs consacrent à sa gloire tout ce qu’ils ont reçu de Lui afin de les en récompenser. On remarque que le Maître donne ses talents inégalement. Ce qui amène saint Grégoire à faire cette réflexion : « Ceux qui ont reçu en ce monde des grâces plus abondantes seront l’objet d’un jugement plus sévère car, plus on reçoit, plus grand est le compte que l’on devra rendre. »

Dans la parabole, le mauvais serviteur n’est pas un homme malhonnête. Il a reçu un talent et il le restitue au retour de son maître. Il est châtié pour sa paresse, sa pusillanimité et son insolence. En effet, il n’a rien fait de son talent. Il l’a enfoui et n’a rien produit alors que le maître escomptait une fructification. Son comportement est celui d’un pusillanime qui ne risque rien de peur de ses maladresses. La peur de ne pas pouvoir rendre son talent le paralyse et il ne fait rien. Sa pusillanimité provient de son manque de confiance en Dieu. Il a peur d’agir parce que, au lieu de se fonder sur l’aide divine, il ne compte que sur lui. On voit enfin comment il a bâti une justification détestable de son comportement où apparaît sa méconnaissance dramatique des intentions  si nobles de son maître.

Conclusion

« Il en est beaucoup dans l’Église, dont ce serviteur est la figure, qui craignent d’entrer dans les voies d’une vie plus sainte, et qui ne craignent pas de croupir dans une négligence sensuelle et honteuse.» Voilà un autre commentaire de saint Grégoire sur la parabole des talents. Il est important de noter dans cette parole que saint Grégoire envisage avant tout la fructification intérieure « les voies d’une vie plus sainte ». C’est en effet toujours par là que l’on doit commencer. L’activité -même extraordinaire – n’est rien si elle n’est pas un vrai débordement de cette vie, de cette fructification des dons intérieurs.

R.P. Joseph

 

 

1 Luc 19,12

2 I Cor. 4, 7

3 Deut. 23

4 Mt 25, 27