Le mot du Père Joseph

Nous ne nous sommes donnés à nous-mêmes ni notre être ni notre condition humaine. C’est du néant que nous avons été tirés et notre existence ne s’explique que par la Toute-Puissance divine qui nous a créés et nous maintient ensuite dans l’être, instant après instant. Nous nous trouvons donc dans une dépendance essentielle à Dieu qui s’étend d’ailleurs à l’universalité de tous les biens dont nous disposons ou dont nous avons besoin.

            Et, parce que Dieu, pour nous procurer ses innombrables bienfaits, fait souvent appel à de nombreux médiateurs célestes ou terrestres, nous devenons également tributaires et débiteurs, quoique dans une moindre mesure, de tous ceux, anges ou saints, parents ou maîtres, par qui nous arrivent les dons divins, tant dans l’ordre naturel que dans l’ordre surnaturel.

            Il faut remarquer ici que l’homme, parmi toutes les créatures, se distingue même en ce qu’il est la plus indigente de toutes, celle qui exige le plus de soins et d’attention pour vivre et se développer. Tandis que les anges ont tout de suite été créés dans leur perfection naturelle ou que les petits poussins, sitôt cassée leur coquille, sont déjà presque autonomes, ce sont de longues années qui seront nécessaires pour qu’arrivent à maturité les enfants des hommes. Et le Fils de Dieu lui-même prenant notre nature humaine, langé par sa mère et lui prenant le sein, n’a pas échappé à cette loi fondamentale de dépendance.

            Est-il nécessaire que l’homme ait conscience de sa condition ? Certes, les adultes acceptent volontiers d’un tout petit enfant qu’il ne sache pas manifester sa gratitude. Mais, bien avant qu’il n’ait atteint l’âge de raison, l’œil maternel lui-même sait se faire sévère si l’enfant qui balbutie à peine quelques mots, ne dit pas « merci » quant il le faut. Et chacun considérera avec sévérité et inquiétude l’enfant qui grandit sans élan de reconnaissance à l’égard de ceux dont il reçoit tant de choses au quotidien. Son ingratitude provoque une juste indignation et resserre souvent le cœur de ceux qui auraient eu envie de lui donner davantage.

            Mais ces adultes, qui ont mille fois raison d’exiger de leurs enfants la reconnaissance, joignent-ils eux-mêmes tous les jours les mains pour remercier Dieu de la profusion des biens qu’Il ne cesse de leur dispenser ? Pensent-ils encore que la douce chaleur du soleil et que la pluie qui régénère la terre sont des dons du Ciel qui suffisent déjà à requérir notre gratitude ? Ne demandent-ils pas à leurs enfants ces remerciements qu’ils refusent à Dieu ? Et s’ils ne l’obtiennent que si mal de leur progéniture, n’est-ce d’ailleurs pas en raison de leur propre méconnaissance des dons de Dieu ?

            Avant que les enfants ne se campent devant leurs parents, les adultes orgueilleux se sont les premiers campés devant leur Dieu. A la racine de notre ingratitude se trouve notre péché d’orgueil. Nous ne voulons pas accepter de reconnaître cette situation de totale indigence où nous nous trouvons. C’est Saint Paul qui a admirablement su exprimer cette relation entre l’oubli des bienfaits divins et notre orgueil : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi t’en vanter comme si tu ne l’avais pas reçu ?[1] »

            André Gide ne s’est pas trompé, pour une fois, en disant que la fatuité est toujours accompagnée de sottise. Et, en réalité, quel spectacle triste et ridicule que celui de l’infatuation humaine, de cet extrême aveuglement où se perd l’homme enivré de lui-même. Saint Paul continue à ironiser : « Déjà vous êtes rassasiés ! Déjà vous vous êtes enrichis ! Sans nous, vous êtes devenus rois ! Eh, que ne l’êtes-vous donc rois, pour que nous partagions, nous aussi, votre royauté ![2] »

            Cette dénonciation du rassasiement, si proche de l’hébétude, n’est-elle pas également prononcée par la douce Vierge Marie dans son « Magnificat » ? Elle exprimera le terrible châtiment des « riches », c’est-à-dire de ceux qui sont satisfaits d’eux-mêmes, qui n’ont plus conscience d’être misère et poussière : « Il a comblé de biens les affamés, et renvoyé les riches les mains vides.[3] » Comprenons-nous que ce renvoi est le plus terrible des malheurs ? Ce n’est point que Dieu prenne plaisir à nous renvoyer mais nos âmes, comme des outres toutes gonflées d’elles-mêmes, sont devenues comme inaptes à recevoir l’eau vive que Dieu avait réservée pour elles. Qu’est-ce que Notre-Seigneur pouvait apporter aux pharisiens tout pénétrés de leur importance, tout persuadés de leur perfection ? Il se heurte tristement à leurs portes closes et distribue alors ses trésors aux publicains et aux âmes qui ont pris conscience de leur indigence.

            Faut-il écrire les lignes qui suivent pour vous, chers parents, ou pour vos enfants ? Je crois qu’il faut les écrire pour vous. Si vous comprenez l’importance de ce message et que vous cherchez à en vivre, vos enfants se feront tout naturellement vos imitateurs et seront les grands bénéficiaires du travail de la grâce dans vos âmes. Comprenez ce que Notre-Seigneur vous dit à vous en s’adressant à la Samaritaine : « Si tu savais le don de Dieu.[4]»  « Si tu le  connaissais, comme c’est toi qui me le demanderais ! Comme ton âme serait altérée, impatiemment désireuse de se le procurer ! Comme tout te semblerait fade et morne hors l’espérance de cette eau vive qui est ma vie, ma vie divine que je veux te donner ! Comme tu comprendrais qu’il n’est qu’un seul désir qui doive habiter le cœur de l’homme, celui de moi-même, ton Sauveur ! Et tous les autres désirs, qui sont autres que moi seul, ne sont que des vipères qui divisent et désolent ton âme ! Le comprends-tu ? »

            Chers parents, soyez des âmes de désir et des âmes d’un seul désir. Soyez des âmes uniquement désireuses de ce Dieu qui est votre Tout. Que pourrait-il donc vous manquer si vous possédez Dieu ? Que pourriez-vous rechercher d’autre si vous l’avez trouvé ? Jamais vous ne le rechercherez, jamais vous ne le désirerez suffisamment. Il n’est aucun excès possible dans la volonté de s’unir à Lui. L’amour est sortie de soi-même. L’amour est comme une flamme, comme elle, il ne doit jamais se fatiguer de s’élancer de tout lui-même vers le Ciel.

            Parce que nous sommes les héritiers d’un Père qui est le Bon Dieu lui-même, la vue des splendeurs que nous avons reçues de lui doit nous remplir d’admiration et de joie. Notre reconnaissance et notre amour doivent s’élever vers Lui. Nos âmes doivent être toutes remuées de tant de bonté. Et nos cœurs doivent se dire cependant que ce ne sont encore que les prémices du don parfait que Dieu veut nous faire et qui est le don de lui-même, pour l’éternité. Si nous devons attacher la plus grande importance à développer nos aptitudes d’âme à recevoir par la conscience de notre indigence, par la culture de l’humilité et de la reconnaissance, c’est en vue de notre admirable destinée surnaturelle. Dieu est amour[5]. Et parce que Dieu est amour, Il ne se contente pas de donner mais Il se donne Lui-même à ceux qui s’ouvrent pour le recevoir. Alors, rappelons-nous qu’Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu.[6]»

Pardonnez-nous, ô mon Dieu, de ne pas vous avoir reçu ! Faites que désormais, nous vous recevions, de tout notre cœur embrasé, de tout l’élan de notre âme, de tout notre amour afin de réellement « devenir enfants de Dieu.[7] »

Père Joseph


[1] I Cor. 4-7

[2] I Cor. 4-8

[3] Luc I, 53

[4] Jn. 4, 10

[5] 1 JN 4,16

[6] JN I,11

[7] JN, 1

« Gâter nos enfants »

Il arrive que nous souhaitions ne pas avoir à utiliser tel ou tel mot pour exprimer notre pensée. Mais la recherche des synonymes s’étant révélée infructueuse, nous nous apercevons que nous n’avons en réalité pas le choix. N’incriminons pas la pauvreté du vocabulaire mais cherchons plutôt à comprendre pour quelle raison nous nous serions bien passés de ce terme.
Ainsi chers parents, n’êtes vous désireux de « gâter » vos enfants à Noël ? Ne pensez-vous pas déjà à la joie de les voir ouvrir les cadeaux que vous leur aurez préparés ?
Oui… Mais n’y-a-t-il vraiment pas un autre mot que ce verbe « gâter » ? Son autre sens si négatif finirait presque par gâter notre plaisir !
Et savez-vous que cet autre sens est en réalité le sens propre de ce mot qui nous vient du latin « vastare » qui signifie « ravager » ?
Pourquoi donc ce mot a-t-il deux sens qui paraissent si différents et
qui se chevauchent en grinçant dans notre esprit quand nous l’utilisons ?
Est-ce une simple malice du langage dépourvue de signification ?
Mais nous savons bien que le sens des mots n’est pas l’effet du hasard, et que
les mots ne sont pas arbitrairement choisis par les conventions humaines.
Si donc le verbe « gâter » a deux sens, ce n’est pas sans quelque mystérieuse raison et nous nous en doutions confusément…
Nous ne serions pas mal à l’aise si nous ne pressentions les liens entre les deux sens de « gâter ».
Car nous comprenons très bien que trop de cadeaux ou que certains cadeaux peuvent être néfastes.
Nous ne voudrions pas, à Noël surtout, matérialiser l’âme de nos enfants
et les rendre très riches en présence de l’Enfant-Jésus très pauvre.
Voilà donc, chers parents, un tout petit conseil en vue de Noël.
Vous allez vous donner bien du mal pour choisir les cadeaux de vos enfants.
Et vous vous promettez d’être plus avisés encore que l’an dernier.
Mais outre leur nombre et leur choix, laissez-moi vous parler aussi
de l’esprit avec lequel on fait un cadeau et de l’esprit avec lequel on le reçoit,
car toujours l’esprit est plus important que la matière.
Ne perdez pas de vue que vous devez en tout chercher à rendre vos enfants meilleurs,
et que ce serait bien triste que la fête de Noël n’eût pas chez eux ce retentissement.
Qu’ils jouent, qu’ils s’amusent, qu’ils chahutent pourvu que leurs âmes ne s’abaissent pas !
Priez donc pour choisir les cadeaux et qui rendent heureux et qui favorisent l’élévation de vos petits !
Ne choisissez pas ceux qui flatteront peut-être leurs goûts mais ne hisseront pas leur âme, leur intelligence, leur volonté vers ce qui est vrai, bon et beau.
Mais il me semble ne pas avoir encore dit le plus important.
Avez-vous déjà vu comme votre petit garçon serre sur son cœur ses nouveaux trésors ?
Et file prestement dans sa chambre pour les mettre à l’abri ?
Comme on devient vite propriétaire et nanti, à six ans accomplis !
Comme on a l’instinct de remplir ses coffres et d’accumuler ses biens !
Le « c’est à moi » a retenti menaçant contre l’envahisseur potentiel.
Prêter est un acte difficile et donner un acte encore plus héroïque.
Ne vous réjouissez pas trop si vos enfants sont plus « fourmi » que « cigale »
Certes ordonnés, soigneux de leurs affaires bien rangées dans leurs chambres
Mais déjà un tantinet soupçonneux et regardants.
                        « La fourmi n’est pas prêteuse
                        C’est là son moindre défaut »
Vos enfants sont nés pour être et devenir des imitateurs de l’Enfant de la Crèche,
qui n’est pas seulement né dans la pauvreté mais dans le dénuement,
qui n’eut pas même une pierre pour reposer sa tête
et qui fut dépouillé jusque de ses vêtements sur l’autel du Calvaire.
Ne donnez pas à vos enfants l’esprit du jeune homme riche
qui ne réussit pas à suivre Jésus car il était attaché à ses biens.
Ne rendez pas vos enfants tristes comme le jeune homme riche
qui n’eut pas le courage de suivre le Divin Maître.
Ne rejetez pas la pensée des cadeaux destinés à toute la famille au motif qu’ils feront l’objet de moins de soin que les autres. Outre qu’ils peuvent être plus beaux, voilà une bonne manière de responsabiliser l’un ou l’autre !
N’est-ce pas aussi une bien meilleure fête de Noël que celle où chacun n’est pas seulement receveur mais se fait également donneur ?
Comme il est bon que chacun se casse la tête et s’ingénie avec son cœur
à donner à tous les autres un petit signe de son amour.
Si chacun pense à gâter chacun, gageons que nul ne sera « gâté » et que tous vivront un Noël bien catholique !

Père Joseph

Les 50 ans d’Humanae Vitae

            Le 25 mars 1347 naquit le vingt-troisième enfant de Jacques et Lapa Benincasa. Ils l’appelèrent Catherine. Elle devait devenir sainte Catherine de Sienne. Deux autres enfants devaient porter à vingt-cinq le nombre total des enfants de l’humble teinturier de Sienne. Aujourd’hui, dans ce que l’on a pris l’habitude de nommer « La Tradition » pour désigner la population catholique qui se reconnaît dans le combat mené par Monseigneur Lefebvre, il existe une famille de 19 enfants qui, à ce que je sache, est la plus nombreuse de notre bassin de population. L’évocation de ces nombres suscite en général plus facilement la critique que l’admiration. Les raisons paraissent péremptoires pour blâmer des parents dont la fécondité paraît irréfléchie. En tous les cas, pense-t-on, si les conditions de vie du XIVe siècle italien permettaient peut-être l’existence de telles fratries, la vie moderne les exclut radicalement. En rappelant que des familles avec autant d’enfants ont existé ou existent encore, mon intention n’est nullement que les parents se fixent comme objectif d’avoir le plus grand nombre d’enfants possible ! Une telle recherche serait absurde et nullement conforme à l’esprit de l’Eglise. Il s’agit plutôt de montrer que la question du nombre d’enfants est d’autant plus délicate que l’éventail de ce nombre peut être plus largement ouvert que nous l’estimons souvent. Si tous s’accordent sur la pensée qu’ils doivent avoir le nombre d’enfants que Dieu veut qu’ils aient, comment connaître ce nombre ? Plutôt que de risquer des jugements téméraires sur les uns ou sur les autres, ne faudrait-il pas plutôt postuler que des circonstances extrêmement diverses, d’une famille à l’autre, peuvent, d’une façon parfaitement légitime, expliquer la grande variabilité du nombre d’enfants ? Il me semble utile d’exposer dans notre petite revue à quels principes se référer pour que la fécondité des époux catholiques soit bien ce qu’elle doit être : généreuse et raisonnable.

Commençons par exclure les théories et les pratiques immorales de régulation du nombre d’enfants avant de rappeler la doctrine traditionnelle de l’Eglise qui magnifie la famille nombreuse mais reconnaît l’existence de motifs qui permettent en toute conscience aux époux d’espacer les naissances, voire de décider de ne plus avoir de nouvel enfant.

I  Théories et pratiques immorales

            Dans le précédent numéro de « Foyers Ardents[1] », j’ai montré comment, du Concile Vatican II au Code de Droit Canonique de 1983, s’est imposée une perversion dans la doctrine des fins du mariage. L’escamotage de la traditionnelle distinction entre la fin première et les fins secondaires du mariage a été décidé pour réussir en douceur cette révolution qui consiste à les mettre sur pied d’égalité et en réalité à inverser les fins du mariage. Le sacrement de mariage ne serait désormais plus d’abord en vue de la procréation et de l’éducation des enfants mais au profit d’un « épanouissement des époux ». Mais quel est cet épanouissement qui a curieusement conduit à la relégation de la transmission de la vie ? C’est le plus souvent un égoïsme qui ne dit pas son nom, le refus des astreintes et des sacrifices, évidemment nombreux, qui sont exigés par une fécondité généreuse. Voilà pourquoi il n’est nullement surprenant que la promotion de cet épanouissement du couple ait été accompagnée d’abord dans l’aula conciliaire, puis, d’une façon très violente, à l’occasion de la parution de la célèbre encyclique « Humanae Vitae » du 25 juillet 1968, par la revendication de la modification de la morale de l’Eglise sur l’usage des moyens anti conceptionnels. Des centaines de théologiens, des conférences épiscopales entières ont publiquement contesté le rappel des conclusions morales traditionnelles que le Pape Paul VI donnait dans son encyclique. Le pape du Concile fut censuré, désavoué, conspué et perdit son prestige et sa popularité dans le camp progressiste pour avoir en particulier réaffirmé l’exclusion de « toute action qui, soit en prévision de l’acte conjugal, soit dans son déroulement, soit dans les développements de ses conséquences naturelles, se proposerait comme but ou comme moyen de rendre impossible la procréation[2] .»

Il n’entre pas dans l’objet du présent article de discuter de la pertinence de l’argumentation philosophique utilisée par Paul VI dans son encyclique. Il faut malheureusement admettre que la netteté de ses conclusions se trouve fragilisée par des justifications personnalistes. Cependant s’il y avait un anniversaire du pontificat de Paul VI à signaler, c’était bien celui du cinquantenaire de cette encyclique.

« Humanae Vitae » ne s’est d’ailleurs pas seulement contentée de condamner « comme toujours illicite l’usage des moyens directement contraires à la fécondation, même inspiré par des raisons qui peuvent paraître honnêtes et sérieuses[3] » mais a par ailleurs réaffirmé que, pour « de sérieux motifs », « il est alors permis de tenir compte des rythmes naturels, internes aux fonctions de la génération, pour user du mariage dans les seules périodes infécondes[4] ». En cela, l’encyclique de Paul VI s’inscrivait également dans la perspective traditionnelle qui admet l’existence des motifs graves pour que les époux, provisoirement ou même définitivement, limitent leurs rapports aux périodes agénésiques. En agissant de la sorte, « ils usent légitimement d’une disposition naturelle » alors qu’en recourant aux moyens directement contraires à la fécondation « ils empêchent le déroulement des processus naturels[5].» Mais il faut cependant ces motifs sérieux pour que les époux limitent provisoirement ou définitivement leurs rapports à la seule période d’infécondité du cycle. Et il est nécessaire d’insister sur la nécessité de l’un de ces motifs précisément énumérés par Pie XII pour que les époux agissent ainsi. Si aucun de ces motifs n’existe, cette pratique des époux deviendrait alors illégitime et peccamineuse. D’où l’importance de rappeler maintenant quels sont les motifs que l’Eglise reconnaît comme valables.

II  Les motifs qui fondent la légitimité d’une certaine régulation des naissances.

             Rapportons-nous aux enseignements de Pie XII, notamment dans son « Discours aux participants du Congrès de l’Union Catholique italienne des sages-femmes » du 29 octobre 1959. En voilà deux extraits dont l’importance est capitale. Dans le premier, Pie XII démontre pourquoi les époux ne pourraient  licitement restreindre l’usage du mariage aux périodes stériles sans motifs graves : « Le contrat matrimonial qui accorde aux époux le droit de satisfaire l’inclination de la nature, les établit en un état de vie, l’état conjugal. Or, aux époux qui en font usage, avec l’acte spécifique de leur état, la nature et le Créateur imposent la fonction de pourvoir à la conservation du genre humain. Telle est la prestation caractéristique qui fait la valeur propre de leur état, le bonum prolis. L’individu et la société, le peuple et l’Etat, l’Eglise elle-même, dépendent pour leur existence, dans l’ordre établi par Dieu, du mariage fécond. Par suite, embrasser l’état du mariage, user constamment de la faculté qui lui est propre et qui n’est licite que dans ses limites et, d’autre part, se soustraire toujours et délibérément, sans un motif grave, à son devoir principal, sera un péché contre le sens même de la vie conjugale[6]. »

Quels sont donc les motifs sérieux ? C’est ce qu’exprime maintenant le pape : « On peut être dispensé de cette prestation positive obligatoire même pour longtemps, pour la durée entière du mariage, par des motifs sérieux, comme ceux qu’il n’est pas rare de trouver dans ce qu’on appelle l’«indication» médicale, eugénique, économique et sociale. D’où il suit que l’observance des époques infécondes peut être licite sous l’aspect moral et, dans les conditions indiquées, l’est réellement. Cependant, s’il n’y a pas d’après un jugement raisonnable et juste, de semblables raisons, soit personnelles, soit découlant des circonstances extérieures, la volonté d’éviter habituellement la fécondité de leur union, tout en continuant à satisfaire pleinement leur sensualité, ne peut venir que d’une fausse appréciation de la vie et de motifs étrangers aux règles de la saine morale[7]. »

Il importe maintenant de donner quelques précisions sur les quatre catégories de motifs cités par Pie XII qui peuvent donc être d’ordre médical, d’ordre eugénique, d’ordre économique et d’ordre social.

– Les sérieuses raisons d’ordre médical sont : « certaines déficiences de santé qui pourraient entraîner, en cas de maternité, de graves inconvénients soit pour la mère, soit pour l’enfant à naître[8]. » Il est inenvisageable, dans un simple article, de rendre compte de toutes les considérations et nuances, d’ordre essentiellement médical, qui interviennent ici. Que l’on n’hésite pas à consulter ici de bons ouvrages comme ceux qui sont proposés dans la petite bibliographie qui se trouve à la fin de l’article. Je me contente d’indiquer ici que « du côté de la mère, les raisons de santé peuvent signifier soit d’exceptionnelles et périlleuses difficultés d’accouchement, soit le risque d’aggravation de maladies pré existantes à la grossesse et compliquant gravement celle-ci, soit encore un état de grave fatigue ou d’épuisement provenant d’une précédente maternité ou d’un accouchement particulièrement difficile.[9] »

Du côté de l’enfant à naître, si « une nouvelle maternité risquait d’avoir de graves répercussions sur la santé de l’enfant, ce serait encore là, de légitimes motifs de régulation des naissances[10] » et il faut ajouter « qu’une sérieuse maladie ou une grave dépression du côté paternel peuvent être également considérées comme des motifs valables.[11] » A ces raisons il faut encore ajouter celui de « la présence de tares graves et probablement héréditaires chez l’un et surtout chez l’un et l’autre des conjoints[12]. » Il est évidemment très précieux de pouvoir consulter un médecin qualifié, consciencieux, parfaitement au fait de la morale catholique. Précisons enfin que ce que Pie XII nomme l’indication eugénique correspond en réalité aux motifs médicaux précisément considérés du côté de l’enfant à naître.

– Les raisons d’ordre économique sont « les difficultés matérielles si douloureuses parfois, si tragiques, où se débattent de si nombreux foyers[13]. » Elles existent bien et il serait ici nécessaire d’entrer dans des développements importants sur une situation qui devient de plus en plus difficile pour des familles nombreuses désavantagées par la législation et la fiscalité. Comment favoriser au maximum le fait que les mamans puissent rester au foyer pour accomplir sereinement leur mission essentielle auprès de leurs enfants ? L’appréhension de ne pouvoir assurer le paiement des scolarités dans des écoles hors contrat justifie-t-elle la recherche d’un deuxième salaire ? Mais une maman qui travaille hors de son domicile est-elle alors à même d’assurer convenablement son rôle, notamment auprès des plus petits ? Bien d’autres questions se posent, difficiles, enchevêtrées les unes les autres et les réponses que l’on tente doivent être ensuite personnalisées à chaque cas.

Où est la prudence ? Il ne s’agit ni de verser dans la pusillanimité ni de confondre la confiance en Dieu avec un providentialisme aveugle. Il faut demeurer persuadé que les hommes ne sont jamais livrés à eux-mêmes et confrontés à des situations sans réponse. Mais, pour rester sur les bons chemins ils doivent sans cesse « faire preuve d’une confiance inébranlable en Dieu tout en faisant appel aux lumières de la sagesse chrétienne [14]». Prendre conseil auprès d’un ménage plus ancien et d’un prêtre se révèle souvent bien utile.

– Les motifs d’ordre social, d’après l’abbé Dantec, seraient extrêmement rares. Il s’agirait d’un engagement tout à fait exceptionnel par lequel des époux se placeraient au service « de la communauté temporelle ou religieuse. [15] » Il ne semble pas nécessaire d’insister car des époux ne pourraient avancer sur une telle voie avec leurs seules lumières mais seraient forcément amenés à s’entretenir de leur projet avec des prêtres.

            Comme on le voit, des motifs pour limiter les rapports conjugaux aux périodes agénésiques existent donc bien. L’Eglise les reconnaît et les époux concernés par l’un de ces motifs peuvent donc en toute sûreté de conscience, n’user du mariage pour un temps ou même définitivement que pendant ces périodes. Une remarque du chanoine Leclercq pourra cependant être utile pour manifester dans quel état d’esprit les époux doivent être pour que leur jugement soit clair : « Un jugement pondéré en cette matière dépend des dispositions générales. Celui qui est imprégné de la terreur de l’enfant trouvera toujours des prétextes pour en limiter le nombre de façon excessive.[16] » Il n’appartient ni aux prêtres ni aux époux de fonder leur jugement sur d’autres critères que ceux qui ont été donnés par la Sainte Eglise. Il nous faut enfin souligner avec Pie XII que lorsque l’observance des périodes agénésiques ou bien ne procure pas de sécurité suffisante ou doit être écartée pour d’autres motifs, l’abstention absolue est alors la seule réponse et Pie XII insiste pour que l’on ne répute pas cette solution héroïque impossible car Dieu ne demande jamais l’impossible.

Laissons à Pie XII le mot de la fin :

« Dieu visite les familles nombreuses avec les gestes de sa Providence, à laquelle les parents, spécialement ceux qui sont pauvres, rendent un témoignage évident, du fait qu’ils mettent en Elle toute leur confiance, au cas où les possibilités humaines ne suffiraient pas. Confiance bien fondée et nullement vaine ! La Providence –pour Nous exprimer avec des concepts et des paroles humaines- n’est pas proprement l’ensemble d’actes exceptionnels de la clémence divine, mais les résultats ordinaires de l’harmonieuse action de la sagesse du créateur, de sa bonté et de sa toute puissance infinie.

Dieu ne refuse pas les moyens de vivre à celui qu’Il appelle à la vie. Le Divin Maître a explicitement enseigné que « la vie vaut plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement.[17]« » [18]

Père Joseph

 

Bibliographie :

– « Le mariage » in « Les Enseignements Pontificaux » par les Moines de Solesmes – Desclée – 1956

– « Humanae Vitae » encyclique de Paul VI du 25/07/1968

– « Catéchèse catholique du Mariage » – Père Barbara – Editions Forts dans la Foi – 1951

– « Guide moral de l’Amour chrétien » Abbé François Dantec  (certains points de vue de ce livre nous paraissent cependant discutables.)

[1] Foyers Ardents n°10 de Juillet-Août 2018 – P. 4 et 5

[2] Paul VI in « Humanae vitae » du 25 juillet 1968, N° 14

[3] Ibidem N° 16

[4] Ibidem N° 16

[5] Ibidem N° 16

[6] Documents Pontificaux de Sa Sainteté Pie XII. Ed. Labergerie. 1951 ; p. 485

[7] Ibidem – p. 486

[8] Abbé François Dantec « Guide moral de l’Amour chrétien »

[9] Ibidem p. 53

[10] Ibidem p. 54

[11] Ibidem p. 54

[12] Ibidem p. 54

[13] Ibidem p. 55

[14] Ibidem p. 50

[15] Ibidem p. 56

[16] Le prêtre et la famille – mai juin 1954 – p.28

[17] Matthieu 6,25

[18] Pie XII – Allocution au Congrès des familles nombreuses, 20 janvier 1958

Les fins du mariage

Pour accéder à la demande de certains de nos lecteurs qui aimeraient trouver dans Foyers Ardents des réponses claires à leurs questions, nous commençons aujourd’hui une série d’articles concernant les lois de l’Eglise sur le mariage.

 Nous vous proposons de lire attentivement les deux canons sur la question des fins du mariage que voici.

Le premier est celui que l’on trouvait dans le Code de Droit Canonique de 1917, et le  second est celui qui l’a remplacé dans le Code de 1983.

La comparaison de ces deux canons nous permettra de noter trois des changements importants qui se sont produits. Il nous restera alors à rechercher les motifs qui expliquent une telle mutation.

  • – Deux codes et deux pensées.

Le Code de 1917 disait : « la fin première du mariage est la procréation et l’éducation des enfants ; la fin secondaire est le soutien mutuel et le remède à la concupiscence 1

Le canon correspondant du Code de 1983 englobe sa pensée sur le même sujet dans une définition du mariage : « l’alliance matrimoniale, par laquelle un homme et une femme constituent entre eux une communauté de toute la vie ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération des enfants a été élevée entre baptisés par le Christ Seigneur à la dignité du sacrement 2

  • – L’inversion des fins du mariage

Relevons trois des principales modifications que l’on peut tirer de ce rapprochement des deux canons :

  • Le Code de 1917 nommait, distinguait et hiérarchisait deux fins, la fin première et la fin secondaire. Le Code de 1983 ne recourt plus à cette terminologie
  • Le Code de 1917 donnait « la procréation et l’éducation des enfants » comme la fin première du mariage alors que celui de 1983 cite d’abord « le bien des conjoints » comme étant ce à quoi se trouve ordonnée « l’alliance matrimoniale ».
  • Enfin le code de 1983 a purement et simplement éliminé « le remède à la concupiscence » comme étant une fin du
  • – Une nouvelle conception hédoniste du mariage

Il nous reste maintenant à bien saisir le sens de ces changements.

La nette distinction entre fin primaire et fin secondaire permettait de connaître aisément la doctrine de l’Église sur les fins du mariage. Le rejet de cette dénomination par le Code de 1983 est générateur de flou non point sur l’existence elle-même de ces deux fins qui sont toujours évoquées mais sur leur hiérarchisation. Il accrédite les thèses fermement combattues par Pie XII : ou que les deux fins seraient à mettre sur un même pied d’égalité ou même qu’elles doivent être inversées.

Et l’inversion des fins du mariage paraît bien être l’idée retenue par le Code de 1983 qui  fait passer dans son canon « le bien des conjoints » avant « la procréation et l’éducation des enfants ».

On comprend que le Code nouveau ait abandonné la terminologie de « fin première «  et  de « fin secondaire » qui aurait manifesté d’une manière frontale son opposition au Code précédent. Il n’en demeure pas moins que la citation en premier lieu du « bien des conjoints » a été justement comprise par les canonistes, soit pour s’en satisfaire, soit pour le déplorer, comme le ralliement à cette nouvelle doctrine.

C’est ainsi que Roger Paralieu, dans son très autorisé « Guide pratique du Code de Droit Canonique » » préfacé par le Cardinal Etchegaray, n’hésite pas à écrire :

« Ceci suppose un changement radical avec la doctrine enseignée jusqu’à Vatican II, où l’on établissait une hiérarchie des fins du mariage (cf. décret du Saint-Office « De finibus matrimonii » du 1er avril 1944 ; discours de Pie XII aux sages-femmes du 29 octobre 1959). Le Concile s’est refusé à établir cette hiérarchie ; le texte du Code est la conséquence de cette proposition conciliaire 3 ».

Le Chanoine Paralieu ne paraît visiblement pas alarmé du « changement radical » qu’il observe.

En revanche, Monsieur l’abbé Coache ne s’y trompe pas :

« … la fin première du mariage, qui a toujours été doctrinalement la génération et l’éducation des enfants, se trouve supplantée par le bien des conjoints, c’est-à-dire l’aide mutuelle qui avait toujours été placée au deuxième plan. C’est très grave et bien significatif de la tendance actuelle  (l’amour avant tout) dont le Concile s’est fait l’écho malheureux.  Ce canon s’oppose donc de front au canon 1013 du Code précédent 4 ».

Enfin, la suppression de la pensée que le mariage constituait « un remède à la concupiscence » n’est pas très étonnante. Il s’agit en réalité d’exalter d’abord en lui-même l’amour des époux comme une valeur autonome. En cette perspective, l’évocation de la concupiscence, et donc de la nature blessée par le pêché originel, ne trouve plus sa place.

Cette bataille de mots n’est pas une querelle de théologiens et de canonistes qui  importerait peu aux catholiques. Ce sont deux perspectives opposées qui s’affrontent.

La seconde, personnaliste, révolutionnaire, âprement repoussée jusqu’à Vatican II, malheureusement l’emporte. La nouvelle définition du mariage donnée par le Code Canonique de 1983 ouvre la porte à un égoïsme qui se drape hypocritement des livrées de l’amour.

Au nom de leur bien propre, de leur épanouissement, les époux disposent d’un nouveau motif pour décider d’espacer, voire de refuser les naissances.

Laissons pour conclure la parole à Pie XII :

« La vérité est que le mariage, comme institution naturelle, en vertu de la volonté du Créateur, a pour fin première et intime, non le perfectionnement personnel des époux, mais la procréation et l’éducation de la nouvelle vie. Les autres fins, tout en étant également voulues par la nature, ne se trouvent pas au même degré que la première, et encore moins, lui sont-elles supérieures, mais elles lui sont essentiellement  subordonnées 5. »

Père Joseph

1 Canon 1013 ; § 1 du code de 1917

2 Canon 1055, § 1 du Code de 1983

3 Roger Paralieu : « Guide pratique du Code de Droit Canonique » Editions Tardy – 1985, p. 316

4 Abbé Louis Coache : « le droit canonique est-il aimable ? » Bondot 1986, p. 283

5 Pie XII, Discours aux sages-femmes du 29 août 1951

Vive flamme

Seigneur Jésus-Christ, nous venons vous demander pardon

Parce que encore une fois, nous nous sommes laissés distraire de Vous.

Soyez béni de nous ramener de toutes nos griseries

Et de l’inconsistance de ces heures passées hors de Vous.

Nous avons beau connaître ces tentations : toujours nous retombons.

A peine commencé, ce travail nous engloutit et vous disparaissez

Au lieu d’être votre reflet, notre prochain nous est un écran.

Et un seul instant suffit pour que nos pensées vous détrônent.

Sans cesse nous nous éloignons et sans cesse vous nous rattrapez.

Notre existence ne sera-t-elle faite que de ce va-et-vient ?

L’humaine faiblesse et l’obscurité de la Foi les rendent-ils fatales ?

Rester en votre présence, n’est-ce là qu’une pieuse chimère ?

Oui, Seigneur, nous sommes faibles et infirmes, légers et inquiets.

Mais n’êtes-vous pas plus fort que toutes nos faiblesses ?

C’est votre amour que vous donnez à nos cœurs

Et votre amour doit l’emporter sur nos résistances.

Seigneur, nous croyons en une dévotion plus forte que nos distractions

En une charité qui s’embrase et ne peut plus s’éteindre.

Nous croyons que vous seul pourrez captiver nos cœurs

Et les tenir immobiles en cette admiration.

Mais Seigneur, qui veut la flamme vive cherche le combustible.

Tout ce que nous avons, tout ce que nous faisons ; tout ce que nous voulons et tout ce que nous sommes…

Seigneur, faites feu de tout bois ; que tout en nous vous soit livré

Afin que nos âtres intérieurs incendient tous nos instants.

Père Joseph