O joie!

           Le petit garçon est dans son lit. Toute la famille vient de dire la prière du soir devant le crucifix. C’est le moment des bisous avant de dormir. Papa et maman font la tournée des petits, chacun dans son lit, attendant leur bonsoir. C’est le moment des petites confidences, des petits secrets, des questions existentielles pour les petits. Parfois ça dure longtemps. Les enfants sont malins, ils aiment jouer la montre pour retarder le moment où l’on éteint la lumière. Mais ils ont raison ! Car souvent le soir, comme par magie, le Ciel semble s’ouvrir sur les petits cœurs. Point de magie là, simplement la grâce, les dons de Dieu.

  L’aînée veut confier un secret. Elle raconte les petits sacrifices qui ont parsemé sa journée, telles des fleurs sur les marches du Paradis. « Aujourd’hui, j’ai donné mon goûter à une camarade qui l’avait oublié. Comme Jacinthe de Fatima, pour les pauvres pécheurs ». Sa petite sœur ouvre son petit carnet de confidence. Malgré les fautes d’orthographe, on y lit : « Jésus, je vous donne mon petit cœur et toute ma vie. Je veux devenir une sainte pour vous aimer ». Le petit garçon attend son tour. Il trépigne d’impatience. Parfois il appelle. C’est son tour. « Papa, saint Pierre, c’est la première pierre de l’Eglise ». « Oui Pierre, c’est le premier pape ». « Alors, si saint Pierre est la première pierre de l’Eglise, moi je veux être la deuxième pierre de l’Eglise ». La petite dernière veut raconter quelque chose, plus pour imiter les autres. Débout, se dandinant sur ses jambes, accrochée aux barreaux de son lit, elle explique doctement que la sainte Vierge est la plus belle car elle est la maman de Jésus.

  Ô joie !

  Ces petites âmes ne se rendent pas compte des bienfaits de Dieu dans les cœurs. Qui le peut ? Le Saint Esprit souffle sur la terre, comme le Verbe souffla à la Création. Il souffle dans les cœurs. Les âmes se gonflent, déploient les voiles de la sainteté et montent vers le Ciel. Oh oui, cela n’ira pas sans chute, sans faiblesse, sans trahison, sans la confession, sans se purifier dans le sacrifice de la croix. Mais Il souffle ! Comme lorsque saint Pierre enthousiaste s’écria à la question du Christ demandant qui il est : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » Pour tous ces beaux mots, comme à saint Pierre, Jésus dira à ces enfants au soir de leur vie : « Heureux es-tu, Simon fils de Jonas : car ce n’est pas la chair et le sang qui te l’ont révélé, mais mon Père qui est dans les cieux ».

  Ce n’est pas la chair et le sang ! C’est Dieu qui nous sanctifie, c’est Dieu qui fait éclater sa gloire dans le terreau de notre faiblesse, dans l’écrin de notre nature si misérable. Nous, les seules choses que nous faisons seuls ce sont nos péchés. Tout le reste appartient à Dieu. Comme cela est consolant ! Ô joie ! La seule chose que nous avons à faire c’est de nous endormir avec lui dans la barque malgré la tempête, c’est de nous laisser guider par Lui, de Le suivre. De nous vider de nous-mêmes avec tout ce que cela coûte, pour nous remplir de Lui. Ô joie !

Parfois, devenir un saint peut sembler difficile. Nos résolutions durent peu, nos ardeurs s’essoufflent avec la routine, nos forces s’amenuisent avec les obstacles. Et peu à peu, nous nous ramollissons. Cela parce que nous sommes encore trop pleins de nous-mêmes, trop appuyés sur nos petites forces ; Et pourtant… et pourtant si nous nous reposons en Dieu, tout sera plus simple. Croyons-nous que les martyrs étaient des personnes surentraînées, au mental d’acier, infaillibles ? Non ! Ils étaient comme nous. Mais la force qui les habitait et les faisait préférer la mort et la torture au péché n’était pas la leur. C’était celle de Dieu ! Croyons-nous que les apôtres au lendemain de la Pentecôte étaient soudain devenus forts par eux-mêmes, suite à une séance de « team building » ou de « coaching de la confiance en soi » ? Non ! Ils étaient les mêmes, mais simplement, remplis de Dieu, ils déplaçaient les montagnes. Cela ne serait-il plus vrai ? Le Saint Esprit ne soufflerait-il plus ?

N’avez-vous pas remarqué, notamment vous messieurs, comme beaucoup de vos collègues de travail sont tristes ? Et pourtant, nous vivons une époque qui ressasse sans arrêt les mêmes rengaines : être soi pour être heureux, avoir confiance en soi, s’épanouir au travail par la passion, s’accomplir personnellement, penser à soi, prendre du temps pour soi… tout cela est mensonge ! Nous vivons probablement l’époque la plus triste possible. Les gens sont tristes. Vivre pour soi, vivre avec soi au centre de tout, est le meilleur moyen de se rendre malheureux. Beaucoup finissent par jeter l’éponge les conduisant parfois à l’irréparable.

  Ô joie ! Avons-nous oublié la force qui habitait les martyrs ? L’émerveillement de saint François devant la beauté de la nature ? Les danses de sainte Thérèse d’Avila dans le secret du cloître ? Les chants et les poèmes joyeux de saint Jean de la Croix ? Le sourire de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus ? Les belles tranches de rires de saint Jean Bosco et saint Dominique Savio dans la cour de récréation ? La joie de Monseigneur Lefebvre ? Les personnes qui nous ont édifiés dans notre vie par leur sainteté, étaient-elles tristes ? Cherchons bien dans notre mémoire : nous réentendrons leurs rires salvateurs, leurs yeux pétillants de joie, leurs farces et bons mots. Comme cela contraste avec notre époque morose, prête à s’entretuer demain pour des histoires de santé, d’heures gagnées en espérance de vie, d’argent trop donné ou pas assez donné aux autres. Epoque où tout le monde fait la morale, mais quelle morale ! Epoque où tout le monde a raison et s’insulte par internet. Mais jamais ne on parle de l’essentiel. Et Dieu dans tout cela ? Tout le monde s’en moque.

Et pourtant… Lui seul donne la joie. La joie des saints. La joie des petits enfants le soir avant qu’ils ne s’endorment, pour un sacrifice ou une prière fait dans la journée et confié à sa maman. La joie qui pétille dans leurs yeux. Alors oui petit Pierre, tu seras une pierre de l’Eglise. Si tu aimes Dieu, si tu l’aimes de tout ton cœur, si tu l’aimes joyeusement, tout le reste ne sera rien. Tout le reste disparaîtra. Tout le reste s’envolera dans le néant. Mais toi, petit Pierre, tu seras une pierre de l’Eglise triomphante au Paradis pour contempler Dieu joyeusement, dans le ravissement de la musique des anges.

Ô joie ! Hauts les cœurs !

  « Mon Dieu, changez pour moi en amertume toutes les choses de la terre, et en douceurs toutes celles d’en haut : venez à moi pour me tendre la main, me tirer de l’affliction qui me presse et me remplir de joie » – Imitation de Jésus-Christ, III, 11, 4.

Louis d’Henriques

 

Pentecôte 2021

           Les pieds poudreux mais la joie chevillée au cœur.

           Ils ont marché. Les Catholiques ont marché. A travers les champs de blé. En famille. Je les ai vus, ces fous. Tandis que la France déconfinée se ruait dans les supermarchés, les fous ont marché. Sous la pluie, dans le vent et le froid de ce mois de mai. Des fous vous dis-je … De grosses chaussures aux pieds, mal protégés de la pluie par des ponchos froissés, fatigués, tirant ou portant les plus petits. Parce qu’ils ont marché en famille ces fous.

Si vous n’avez pas eu la chance de les voir passer, laissez-moi vous raconter !

 

  Imaginez un troupeau de familles, des pères, des mères, des ados, des enfants de tous âges, beaucoup d’enfants, oh oui, comme vous ne pouvez l’imaginer. Du bruit, de la joie, des sourires, des pleurs, des grimaces, des farces, des larmes, des rires, les voilà qui passent.

Devant, des bannières, portées par des garçons aux bonnes gueules ! Oui, ils ont des bonnes gueules ces garçons, prompts à pousser un fauteuil ou prendre une poussette, à se précipiter au-devant d’une maman pour la décharger d’un sac ou d’un petit, enthousiastes pour remplacer un porteur de bannière ou pour entonner un chant plein d’entrain. A la pause, un ballon surgit d’un sac, et les voilà qui improvisent un foot. Dans la joie et la fougue de l’âge des grandes aventures de quinze ans. Oui ils ont des bonnes gueules ces garçons sans capuche sur le visage, sans écouteurs dans les oreilles, sans pieds qui traînent, sans regard désabusé sur le monde. Ce sont des garçons pleins de vie, turbulents et débordant d’énergie, ils sont la promesse des hommes de demain. Ils portent les bannières comme leurs ancêtres les étendards de Jeanne devant Orléans, comme les drapeaux fleurdelisés sous le feu des Bleus.

Puis il y a les filles ! Elles sont belles ces filles, pas comme le monde moderne le pense. Oh non, elles sont si loin de cela ! Car ces filles-là, regardez-les bien, elles portent la promesse de la vie au fond des yeux. Elles chantent, elles rient, elles sont généreuses et enthousiastes. Leurs rires sonnent dans le vent comme résonnent les chants des alouettes haut dans le ciel, leurs silhouettes gracieuses sont comme un champ de blé sous la brise. Ces filles-là, elles sont pleines de vie, de cette vie qu’elles donneront un jour pour inonder la terre. De cette vie pas seulement naturelle, mais surnaturelle, la vie de Dieu dans les âmes.

Au milieu de la troupe, marchent les mamans, les courageuses mamans. Enceintes, ou tirant un petit par la main, ou même deux, portant un bébé dans les bras ou en bandoulière, s’enquérant sans cesse des uns et des autres, s’oubliant elles-mêmes, elles marchent. Elles portent tout le monde. Elles sont comme des madones, des madones couronnées, elles sont les mères de famille. Gloire à ces femmes qui marchent, qui donnent la vie au milieu de ce monde égoïste qui voit la maternité comme un esclavage, voire la déchéance de la femme. Elles brillent comme des phares dans la nuit, illuminant la génération qui vient des trésors de la génération qui s’en va.

Puis il y a les pères de familles. Ils sont là, ils commandent et entraînent, guident et encouragent, veillent et protègent sur la route, dirigent les méditations, au micro ou devant avec la carte. Ils sont l’étrave pour fendre la mer et ouvrir la voie, le gouvernail pour guider, la corne de brume pour alerter, les mâts et les voiles pour pousser le navire, l’armature de bois pour le faire tenir contre la vague en un tout insubmersible et mener la troupe au port du salut.

  Voilà la troupe des familles catholiques qui chante sur les routes ! Le prêtre est au milieu d’eux, comme le Pasteur au milieu des brebis. Lavant les âmes, célébrant la messe, instrument de Dieu pour donner la grâce sacramentelle. Pendant la messe tous chantent, s’immergent dans des actions de grâce profondes, après la communion, goûtant aux délices de la présence de Dieu. Tous les visages, recueillis, s’inclinent devant le Créateur et l’adorent. Si la grâce divine pouvait être visible, sûrement qu’elle prendrait cette forme-là ! « Venez Esprit Saint, remplissez le cœur de vos fidèles, il se fera une création nouvelle, et vous renouvellerez la face de la terre ». Ô Dieu, vous le faites déjà, et nous le voyons, dans le visage de ces gens qui marchent, pâle reflet de ce que vous accomplissez dans leurs âmes !

Ils sont là, à genoux devant Vous. Dans leurs jambes et leurs pieds, la fatigue de la route. Les pieds poudreux mais le cœur heureux. Le corps fatigué mais le cœur en paix. Ils viennent là avec tous leurs soucis, les tracas de la vie terrestre. Un enfant malade, une croix à porter, une situation financière précaire, un travail difficile. Ils portent sur eux la misère de leurs péchés, de leurs lâchetés, de toutes les trahisons dont par faiblesse ils se sont rendus coupables. Ils jettent tout cela à vos pieds. Ils marchent aussi, submergés par la peur de l’avenir qui semble aux mains des impies. La France malmenée, trahie, livrée à l’étranger. L’Eglise tourmentée, moquée, assaillie de toute part, le Christ Roi tourné en dérision, ses droits bafoués. Cette pauvre Eglise, ils la voient souffrir, elle dont la lumière semble disparaître sous les Ténèbres de l’erreur, de l’hérésie, du loup dans la bergerie. Alors ils portent toutes ces misères et ces peurs sur leurs épaules. Ils se sentent parfois seuls. Faibles. Terrassés. Mais vous, Ô Dieu, vous vous tenez au milieu d’eux. Vous prenez leurs fardeaux. Vous avez porté la croix, jusqu’à la mort, pour détruire tout péché et toute misère. Vous avez déjà détruit leurs fardeaux au Golgotha.

 

  Et Vous donnez votre grâce, en abondance, comme un flot fougueux et impétueux, comme un fleuve puissant qui façonne la terre et irrigue les champs. Vous donnez vos dons pour que la lumière brille. Pour que, comme les flèches de la cathédrale jaillissent soudain au-dessus des blés, des saints jaillissent de ces familles Catholiques. Des prêtres, des religieux, des religieuses ! Des Jeanne, Geneviève, Thérèse, Zélie et Madeleine. Des Louis, François-Xavier, Foucault, Pierre, Dominique et Augustin. Des pierres pour rebâtir la cathédrale. De l’huile pour la consacrer. Du pain pour devenir votre Corps et nourrir les âmes, du vin pour devenir votre Sang et les abreuver. De l’encens pour honorer votre majesté, jusqu’aux hautes voûtes de pierre, et au-delà, jusque devant votre saint trône de gloire. Des cierges, des torches immenses pour éclairer les cœurs perdus, rassembler le troupeau. Ô Dieu, inondez de vos dons ces familles qui Vous aiment et l’ont montré en marchant, suscitez parmi eux des âmes saintes que Vous moissonnerez au temps que Vous voudrez. Et même, que tous ces enfants aux cœurs purs deviennent prêtres ou religieux si Vous le voulez. Vous moissonnerez ces âmes belles et généreuses, forgées par le sacrifice, dans les petites choses, par les petits oublis de soi dans la vie ordinaire. Ces petits riens offerts chaque jour pour votre gloire, qui sont comme les pas du pèlerin patiemment mis l’un devant l’autre sur les routes de Chartres, ces petits riens qui préparent les grands cœurs pour qu’au jour du dernier sacrifice l’armée des saints se lève.

Ils ne sont pas seuls dans ce monde dégénéré, les trompettes de l’Eglise triomphante sonnent avec eux, c’est là qu’ils vont, c’est pour cela qu’ils meurent au péché, qu’ils meurent au confort et aux plaisirs, qu’ils mourront peut-être demain sous le fer des impies.

 

  Peu importe la mort, car au bout de la route se lèvent les flèches de la cathédrale. Car au bout de la route se dressent les portails triomphants de la Cité céleste. Car au bout de la route sont les délices du repos en Dieu après le sacrifice de la marche sur terre. Car au bout de la route la gloire de Dieu illumine dans les siècles des siècles.

 

  Il n’y a plus de roi. Ils l’ont tué. Il n’y a plus de paysans, ils assassinent les derniers. Il n’y a presque plus de prêtres, ils les ont profanés. Mais il y a encore des pèlerins. Beaucoup de pèlerins. Leurs drapeaux et leurs chants claquent depuis la terre à la face du Ciel ! Les assassins, les impies, tous ceux qui haïssent Dieu et ses enfants, ce sont eux les vaincus ! Dieu a détruit le péché et vaincu la mort. « Et il se fera une Création nouvelle ». La voilà cette Création nouvelle, elle marche à la Pentecôte, sur les routes. Elle avance, rachetée par Jésus-Christ, baignée des dons du Saint-Esprit, elle marche vers la Cité céleste pour chanter la gloire du Père. Alors vous autres, Satan et ses esclaves, retirez-vous, les saints Anges combattent avec eux, Marie, forte comme une armée rangée en bataille, les couvre de son manteau, Dieu Lui-même, les prend dans sa main. Retirez-vous, Satan et autres esprits mauvais, laissez les fils de Dieu, les gueux de la terre, entrer dans la gloire !

 

Louis d’Henriques

 

Au cœur de la nuit, la lumière brille !

           Une petite leçon d’espérance. Ah les hommes ! Créature si stupide qui veut tout contrôler, relever les murs de la cathédrale avec ses propres mains, ses propres forces, oubliant la leçon de Babel. Alors on s’excite, on débat, on donne son avis à tout va, sur un réseau social, en commentaire d’un article sur internet, à la sortie de la messe, sur le parking de l’école, pendant un dîner. Parfois, on s’enflamme, on s’énerve, on vitupère, on condamne, on juge, on s’érige en théologien, expert en droit canon, conseiller stratégique. On parle, on parle, on parle encore. Stupide créature ! Nous sommes comme Pilate : « Qu’est-ce que la vérité ? ». Mais nos oreilles ne sont pas ouvertes, notre cœur ne veut pas entendre. Formule rhétorique, jeu de l’esprit, si loin de la vérité. Jésus ne nous répond pas comme il n’a pas répondu à Pilate : à quoi bon si nous ne voulons pas entendre la réponse.

  Aujourd’hui, l’homme se sent surpuissant, alors qu’il n’a jamais été autant dans l’erreur. Conséquence du trop plein de choses que nous lisons sur Internet ? Qui n’a pas déjà donné son avis sur le vaccin à ARNm alors qu’il y a seulement 2 mois, on ne savait pas ce qu’était l’ARNm ? Qui n’a pas affirmé avec force, haussant la voix, que la piqûre contient une puce GPS pour nous traquer ? Qui n’a pas balayé de la main une étude scientifique au prétexte qu’on s’estime meilleur climatologue ? Le réchauffement climatique est un complot pour nous asservir, la preuve, chez-moi, il a neigé en mars ! Bêtise humaine… et cette bêtise prend des proportions dramatiques quand il s’agit de donner son avis sur le sermon de dimanche, sur les supposées accointances libérales de tel prêtre, sur la pédagogie d’une école jugée à la dérive, sur la direction que prend la Fraternité, manquant de prudence ou de fermeté. Voilà que nous jetons des anathèmes, que nous jugeons à tout va, sans avoir jamais ouvert un livre, lu une question de la Somme Théologique, parcouru un article du droit canon. Dieu nous demandera des comptes pour chacun des mots qui sortent de notre bouche ! Alors repensons à toutes les bêtises que nous avons dites. « Qu’est-ce que la vérité ? ».

  Bien sûr, nous devons nous former, nos devons utiliser notre intelligence, et nous préparer à faire les choix que nos parents ont faits en suivant Monseigneur Lefebvre, en restant fidèle à la Tradition de l’Eglise. Mais combien gagnerons-nous à nous taire ! Combien gagnerons-nous à faire confiance, à écouter le prêtre, ses conseils, ses remontrances, ses admonestations ? Combien gagnerons-nous à accepter de ne pas tout comprendre avec nos forces humaines, mais au contraire, se remettre tout entier dans les mains de Dieu ? Combien gagnerons-nous à fortifier notre espérance ! Au milieu de la nuit, la lumière brille !

  Essayons, juste une fois, de nous taire et d’écouter. Essayons, juste une fois, de laisser parler les autres, ceux qui savent, ceux qui ont été glorifiés par Dieu, ceux qui vivent de Dieu. Nous nous verrions bien à la place de l’abbé en chaire, on ferait mieux que lui. Mais lui a donné sa vie entière à Dieu. Quand l’Eglise par la voix de l’évêque l’a appelé, il a répondu adsum. Mais nous, avons-nous commencé à jeûner ? Avons-nous commencer à faire oraison ? Avons-nous commencé à mener un combat acharné contre notre défaut dominant ? Avons-nous commencé à aimer Dieu de tout notre être, à chaque instant, chaque seconde qu’Il nous donne, lui sacrifiant tout, lui donnant tout, nos pensées, nos mots, nos soupirs, nos joies et nos peines ? Avons-nous commencé à faire ne serait-ce que le premier pas vers la Sainteté ? « Qu’est-ce que la vérité ? ». Si nous tendions l’oreille, nous entendrions notre conscience au fond de nous, elle nous murmure « tais-toi, tu ne sais rien, alors tais-toi. Regarde la vacuité de ta foi, regarde la petitesse de tes sacrifices, regarde le peu de persévérance de tes résolutions, regarde ton manque d’ardeur à aimer. Chut, tais-toi, mets-toi à l’école de l’Evangile ».

  Mais le monde est si noir, devrions-nous donc vraiment nous taire ? Ne rien faire ? Que ceux que Dieu a placés dans une situation de crier la vérité le fassent ! Que ceux à qui Dieu demande de témoigner, en versant leur sang s’il le faut, le fassent ! Que ceux à qui Dieu a donné autorité sur d’autres hommes, autorité temporelle ou spirituelle, utilisent cette autorité pour guider les hommes ! Quant aux autres : cessons de regarder le monde avec nos yeux d’hommes, échafaudant mille plans d’hommes, mille calculs d’hommes. Non, cherchons uniquement la sainteté, le sacrifice total, la pénitence, la prière, l’amour, l’imitation de Jésus-Christ, et souvenons-nous que Notre Seigneur a vaincu la mort, anéanti le péché, et qu’Il l’a fait au plus fort de la nuit, quand tout semblait perdu. Le monde court à sa perte ? Le monde sombre dans le péché, les ténèbres ? Oui, c’est vrai ! Mais c’est au cœur de la nuit que surgit la lumière. Ceci est la vérité ! En vivons-nous ? Nous ne sommes que de passage sur cette terre, nous sommes créés pour rendre gloire à Dieu. Pas une seconde à perdre, allons-y, en silence, le cœur plein de Dieu !

Quid est veritas ? Lumen Christi !

On ne devient pas un témoin de la vérité en palabrant ou commentant le sermon de l’abbé, on devient un témoin du Christ en sacrifiant chaque instant de notre vie à la Gloire de Dieu, dans les plus petites choses, avec constance, avec persévérance, avec humilité, là où Dieu nous a placés. Tous les témoins du sang sont passés par-là ! Voilà notre espérance.

 

  Souvenons-nous de saint Pierre qui jura ne jamais trahir mais trahit, trois fois. Alors il pleura, alors il expia, alors il donna tout à Dieu, et un jour, il versa son sang, et par humilité, demanda à être crucifié la tête en bas. Demandons-lui le courage de voir la vérité en face : lumen Christi !

 

Louis d’Henriques

 

La grande leçon de la terre

           Voici ce que Mgr Lefebvre déclara pendant le sermon de son jubilé sacerdotal, à Paris le 23 septembre 1979 : « Et je souhaite que dans ces temps si troublés, dans cette atmosphère si délétère dans laquelle nous vivons dans les villes, vous retourniez à la terre quand c’est possible. La terre est saine, la terre apprend à connaître Dieu, la terre rapproche de Dieu, elle équilibre les tempéraments, les caractères, elle encourage les enfants au travail. »

Quelle belle phrase ! Quelle profonde vérité !

  Il convient de s’y pencher quelques instants. Pourquoi la terre ? Qu’est-elle ? Pourquoi y retourner  ?

  La terre, la nature, est au Ciel ce que le corps est à l’âme. Comme notre corps, elle sort des mains de Dieu. Comme notre corps, Dieu nous commande de la dominer, non pas de la dominer par une puissance destructrice si caractéristique de notre époque moderne où l’homme se fait Dieu. Non ! Il faut dominer la terre par une puissance humble qui, soumise aux lois divines, parfait la création, construit les paysages, laboure et sème les champs, coupe et plante les arbres, draine et canalise l’eau, dans le respect des générations passées et au service des générations qui viennent. Le travail de l’homme qui parfait la création est à l’image du travail de l’esprit sur le corps, il est une métaphore de la pénitence, de l’ascèse, du travail de la grâce qui parfait notre âme.

  La terre est une école, une école de vie, une école de Dieu. Elle ancre dans le réel et élève notre âme aux vérités spirituelles. Plus on s’en éloigne, plus on perd le sens des choses, plus nous sommes déracinés, plus nous devenons comme une feuille morte que les vents du temps emporteront où bon leur semble, plus nous serons comme trop de nos contemporains, influençables, malléables, manipulables et manipulés par les appétits insatiables des « grands » de ce monde. Mais si nous vivons proche de la terre, alors nous nous mettons à l’école du Créateur à travers sa création. En cela, la terre libère !

  Bien sûr, tout le monde ne peut devenir agriculteur ou éleveur. Et pourtant, la France n’a jamais été aussi belle que lorsque son peuple paysan labourait et semait. En revanche, l’on peut se rapprocher de la terre si on ne peut en vivre, « quand c’est possible » comme le dit Mgr Lefebvre. S’éloigner de la ville, déménager à la campagne, y aller dès que possible. Nous pouvons nous mettre à l’école de la terre. Planter, semer, récolter, se faire humble face aux lois de la nature, supporter les caprices de la météo, voilà une école de la confiance, de l’abandon, de la Providence. Observer, se laisser surprendre par une mésange ou un lièvre, apercevoir l’ombre furtive d’un renard, contempler une fleur, voilà une école de la méditation. Travailler dehors, couper du bois, bécher, planter, désherber, tailler, voilà une école de la persévérance, du goût de l’effort. Chasser, débusquer un canard, abattre un chevreuil, voilà une école de la patience et du bon sens, rappelant la place unique de l’homme dans la création.

  Oui, la terre « rapproche de Dieu ». Dieu n’a pas créé les fleurs, les oiseaux, les arbres et toutes les beautés que renferme la nature pour l’unique plaisir des scientifiques qui répertorient tous ces trésors. Non, Dieu a créé tout cela pour que nous nous émerveillions, pour que nous contemplions. Dieu ne fait rien au hasard ! Un rouge-gorge se perche sur un rameau devant vous ? Regardez-le, admirez-le, considérez ses perfections, sa gorge rouge et fière, ses petits yeux noirs pressés, à l’affût du danger. Il ne sème ni ne moissonne, et pourtant notre Père du Ciel le nourrit. Cette petite créature n’a pas croisé votre route par hasard, alors en le voyant, pensez à Dieu, remerciez-le pour sa bonté, pour la beauté de sa création, pour ses dons innombrables qu’il nous donne sans cesse, chaque jour. Et rappelons-nous que toute la beauté de la Création n’est rien comparée à la beauté d’une âme remplie de Dieu, n’est rien comparée à la beauté du sacrifice d’un enfant, d’un acte de vertu d’un homme, du don renouvelé d’une épouse, de la douceur d’une mère.

  Alors, relisons cette exhortation de Monseigneur Lefebvre. Voyons comment nous pouvons nous mettre à l’école de Dieu en retournant à la terre, retourner à Dieu en nous mettant à l’école de la terre.

 

Louis d’Henriques

 

Chef dans les mains de Dieu

           Quel grand mystère ! Dieu a voulu que la grâce du salut passe par ses créatures. L’Eglise d’abord, portée par sa cohorte de papes, d’évêques, de prêtres, de moines et de religieuses : foule d’hommes souvent faillibles et pourtant qui contribuèrent à transmettre la vérité infaillible de la foi. Mais les hommes aussi, les pères, les mères, les frères et les sœurs, tous les Chrétiens, dans la main de Dieu, deviennent comme des ciseaux, des maillets, des chasses, des burins, des pointes qui cisèlent les pierres de l’Eglise, qui construisent cet édifice qui traverse les siècles : l’œuvre du salut. Quel grand mystère !

  Comment des hommes, tous pêcheurs peuvent-il contribuer ainsi à l’édification de la gloire de Dieu ? Comment tout cela ne s’est-il pas déjà écroulé ? Emporté par le tumulte du péché, les ténèbres de l’orgueil et les vagues des impies ? Parce que l’Eglise est divine, parce que la grâce inonde le monde, parce que Dieu sait et voit tout, parce que son plan éternel prend en compte le mal et le péché pour en tirer un bien plus grand encore. Comme sa Passion mène à sa Résurrection. La Passion est marquée par la haine du sanhédrin, la trahison de Juda, le reniement de Pierre, la lâcheté des apôtres, la complicité cruelle des Romains, la couardise de Pilate : le péché a tué Dieu. Tout semblait perdu. Tous ces hommes étaient libres, ils n’étaient pas prédestinés à haïr, salir, cracher et tuer. Non ! Ils l’ont fait librement, là est leur crime. Mais Dieu a tenu compte de leurs péchés pour vaincre le péché, Dieu a tiré des ténèbres un bien plus grand : au milieu de la nuit resplendit la lumière de la Résurrection. Ainsi va l’histoire de l’Eglise et du Salut. Voici son grand miracle, le sceau de son origine divine : elle traverse les siècles et édifie la gloire de Dieu, fondée sur la misère et la faiblesse des hommes.

  Dans le plan de Dieu, après le sacerdoce de l’Eglise, vient le père de famille. Dieu lui donne charge d’âme, Dieu veut que l’œuvre du salut passe entre ses mains, qu’il soit libre d’aimer. Il n’est pas esclave, ni prédestiné, ni perdu dès la naissance, entraînant les siens dans sa perte. Non ! Dieu veut des pères de famille qui soient des chefs de famille. Qu’ils posent des actes, qu’ils agissent en Chrétien, qu’ils se donnent corps et âme à l’œuvre divine : pour leur famille d’abord, pour la cité ensuite. Voilà le rôle du chef de famille : continuer l’église dans le foyer, continuer la chrétienté dans la patrie, continuer la rédemption au milieu des hommes. Fidélité !

Mais, me direz-vous, tout s’effondre aujourd’hui. Les ténèbres envahissent tout. L’Eglise même semble disparaître, s’effacer, perdre sa foi, travestir sa charité. La société sombre. Elle a pu survivre quelque temps, s’accrochant aux restes de la loi naturelle que des siècles de Chrétienté avaient ancrée dans son cœur. L’occident vit sur les dividendes de la chrétienté qu’il a tuée. Mais sans la sève, l’arbre pourrit. Aujourd’hui, même ces restes naturels qui faisaient illusion disparaissent. Le monde s’avachit dans le péché et s’abrutit dans les ténèbres. Dieu ne guiderait-il plus la marche du monde ?

  Dieu nous préserve de nourrir de telles pensées. Oui, Dieu guide la marche du monde ! Grand mystère. Chaque homme est libre, libre de pécher, libre de se sanctifier. Mais pourtant, Dieu guide la marche du monde, Dieu tient nos vies entre ses mains, comme la prunelle de ses yeux. Non pas nos vies naturelles, mais nos vies surnaturelles, notre éternité. Le génie de Dieu est de savoir faire surgir le bien du mal, la lumière de la nuit. Souvenez-vous sa Passion qui mena à Pâques ! Il est en pareil de notre époque si laide. La nuit est là … mais au milieu de la nuit surgit la lumière. Méditez-cela, pères de famille, et alors vous retrouverez l’entrain d’agir. N’oubliez jamais cela, Dieu veut construire l’œuvre de son salut par nos actes. Alors agissons ! Ne cherchons pas à tout contrôler, tout savoir, tout maîtriser. Agissons selon nos moyens, à notre place. Agissons en pensant que le temps est long, que nous semons mais ne récolterons peut-être pas. Agissons en chrétiens, confiants en la Providence. Mais surtout, agissons ! Agissons humblement, laissant la main de Dieu intervenir. Laissons-nous surprendre par Dieu : nos plans sont rarement bons. Laissons-nous surprendre, par les grandes comme par les petites choses du quotidien, ces petits riens que Dieu glisse dans les plis du monde pour nous élever vers lui. Apprendre à se laisser surprendre, c’est apprendre à se laisser guider. Nous serions plus comme saint Pierre, à brandir une épée pour finalement rater notre coup et faillir ensuite. Non, agissons comme saint Jean, sainte Véronique, sainte Marie Madeleine, et plus encore, comme la mère de Dieu qui eurent le courage d’accompagner le Christ au milieu d’une foule qui lui crachait au visage. Quel acte de courage ! Et si nous sommes faibles comme saint Pierre, pleurons aux pieds de Jésus pour nous revêtir de sa force, la force du martyr. Au bout de la nuit, la lumière éclatera.  

 

Louis d’Henriques