Revêtu de la croix

           Fermez les yeux et imaginez. Noël 1247. La grande nef de la cathédrale de Notre-Dame de Paris. On devine les piliers dans l’obscurité qui portent la grande voûte de pierres, invisible, mais on la sent envelopper l’édifice de sa lourde chape jetée dans les hauteurs. Elle caresse le ciel. Au-dessus, les grandes tours qui transpercent le ciel comme la lance transperça la Victime parfaite sur la Croix pour répandre son précieux sang sur le monde. Les chevaliers et barons se présentent à l’appel du roi saint Louis. Des chanoines leur donnent un grand manteau, comme le veut la tradition : le roi offre une lourde cape de fourrure de vair à tous ses barons et officiers de cour. Les hommes d’épée la revêtent en silence, puis s’avancent dans la nef. Le roi porte la même cape, comme ses hommes, serviteur parmi ses serviteurs. Les psaumes des matines enveloppent l’assemblée, chant éternel, c’est la prière de l’Eglise qui honore Dieu et lui fait pencher la tête sur la misère de l’humanité. Le temps semble suspendu. Avec les laudes, le soleil levant pénètre dans le grand vaisseau de pierres, teinté des couleurs des immenses vitraux qui chantent le saint peuple de Dieu. La lumière découvre les piliers, les chapiteaux, les voûtes, les arceaux… et dévoile la croix cousue de fils d’or sur les capes des chevaliers. Le roi l’a faite coudre sur l’épaule droite des manteaux qu’il a donnés. Personne n’ose l’enlever, personne n’ose se dédire. La croix fait le croisé. Le soleil de la vigile s’était couché sur une armée de chevaliers, le soleil de la Nativité se lève sur une armée de croisés.

 

  Ainsi sont les hommes : il faut des signes extérieurs pour exprimer les grandes choses et l’œuvre de la grâce. Là est toute la sagesse de Dieu. Les sacrements sont des signes sensibles qui donnent la grâce. Sans ces signes, nous ne croirions pas. Nous avons besoin de toucher et de voir pour sonder l’insondable, pour nous attacher un idéal de vie. Un croisé sans la Croix portée sur sa tunique ? Un moine sans robe et scapulaire ? Une religieuse sans voile et rosaire pendu à sa ceinture ? Une église sans cloche ? Impensable ! Tout doit être incarné, sans quoi tout reste trop abstrait, intouchable, inatteignable. Dieu Lui-même s’est fait homme pour que nous puissions Le voir et Le toucher, et même Le manger. Mais les laïcs seraient-ils exclus de cette règle ? Non, bien sûr que non. Un catholique doit porter la grâce dans toute sa tenue : ses paroles, ses attitudes et ses vêtements, il doit refléter modestie, politesse, charité, douceur, humilité et beauté de Dieu.

 

  Nous vivons une époque fascinante : un catholique qui reste profondément catholique en 2021 est un croisé dans son âme. Certes, nous ne portons pas d’épée ni n’avons de puissants destriers lancés sur les sables du Levant, mais nous portons notre foi comme un étendard dans le vent, à la face des hommes, pour la gloire de Dieu. Sans âme de combattant, nous serions emportés par les flots de notre société déchristianisée. Comme le croisé porte la croix, le catholique en 2021 porte sa Foi, non pas sous le boisseau, mais comme une torche crevant les ténèbres. S’il est plus difficile de rester fidèle à notre époque, il est d’autant plus facile de devenir un saint. Maintenir est déjà héroïque. Comme cela est enthousiasmant ! Nous sommes des croisés, les derniers Justes qui empêchent les foudres de Dieu de faire pleuvoir le feu et la cendre sur la France. C’est comme cela qu’il faut vivre notre Foi aujourd’hui : comme une croisade, la quête de la sainteté dans un monde livré à Satan. Cette croisade passe par le vêtement, reflet de notre âme régénérée par la grâce sanctifiante.

 

  Dans cette croisade, le père de famille a une place particulière. Comme le roi revêtit ses barons de la Croix, le père de famille a une responsabilité pour que ses enfants aiment et revêtent l’attitude du chrétien. Dieu jugera les chefs plus lourdement que tous les autres. Ainsi, si le père démissionne et ferme les yeux sur les attitudes et tenues de ses garçons et filles, Dieu lui demandera des comptes. Messieurs, un peu de courage ! Ne battez pas en retraite ! Votre fille descend un matin avec une tenue scandaleuse ? Renvoyez-la se rhabiller. Vos filles ne sont pas des tas de chair à vendre au marché, même si elles sont jolies. Elles sont des enfants de Dieu avec une âme qui a coûté le prix du sang de Notre Seigneur Jésus-Christ, des âmes destinées à contempler Dieu dans l’éternité. Votre fils se présente pour la messe du dimanche mal rasé et en tee-shirt ? Renvoyez-le se raser et passer au moins une chemise, mieux, une cravate ! Il n’est pas une de ces idoles masculines actuelles, féminisées et pleurnichardes. Non, il est un fils de Dieu, destiné au courage et au sacrifice, au commandement et au don de soi pour devenir un saint, un réceptacle vivant de la gloire de Dieu pour la faire briller sur les hommes et la cité. Va-t-on en croisade sans la Croix ? Pouvons-nous être profondément chrétien si nous nous accommodons avec l’immodestie et la vulgarité ? Non !

 

  Pères de famille, endossez votre rôle de chef. N’attendez pas l’adolescence, veillez dès l’enfance à la bonne tenue de la famille : les bonnes habitudes, comme les mauvaises, se prennent tôt. Faites-le avec amour et douceur. Interdire ne suffit pas. Il ne fera que susciter incompréhension et révolte à l’adolescence. Il faut d’abord encourager et complimenter. Quand votre femme et vos filles sont joliment et décemment habillées, dites-leur qu’elles sont belles ! Car c’est tout simplement vrai. Veillez à ce qu’elles aient de jolies choses à mettre. Nous n’empaquetons pas nos filles dans des sacs de jute pour pommes de terre, et nous n’étalons pas leur chair à la vue de tous, au milieu se trouve une ligne de crête sur laquelle marchent toutes les filles et les femmes qui rayonnent de la beauté des grandes âmes. Sortez votre carte bleue s’il le faut ! Il existe beaucoup de possibilités aujourd’hui de trouver des vêtements, même à petit budget : couture, seconde main, braderies, ou sur internet, etc. Enfin, le plus important, quand votre femme et vos filles sont jolies, dites-le leur !

 

  Pères de famille, rappelez-vous : Dieu est notre père à tous, et vos enfants se feront une idée de l’amour de Dieu, leur père du Ciel, à travers vous qui êtes leur père de la terre. Soyez patients, fermes et doux, encouragez et complimentez, reprenez s’il le faut, mais surtout, aimez vos filles et votre femme ! Elles valent mieux que toutes celles qui malheureusement errent dans les ténèbres de la luxure.

 

  Enfin, une dernière chose : l’habit est le reflet de l’âme. Une belle âme mettra de beaux vêtements, une âme sèche et sans profondeur ira plus facilement se réfugier dans les artifices du monde, et cela se verra dans le vêtement. Alors nourrissez les âmes de vos enfants, garçons et filles. Nourrissez-les de grands idéaux, de belles histoires, d’activités saines, de passions incarnées et réelles, de moments familiaux riches et simples, promenades, veillées, chants, pêche, potager, randonnées en montagne. Nourrissez les âmes de vos enfants ! Alors, ils auront faim et soif de beauté, et ils iront se désaltérer à la source de toute beauté : Dieu. Ils seront les saints et les croisés de notre temps. Et qui sait ? Peut-être Dieu les appellera-t-Il à son service pour sa plus grande gloire. Prêtre, moine, religieuse : la plus grande et la plus belle des aventures. Sursum corda !

 

Louis d’Henriques