Recevoir et transmettre

Chère Bertille,

            Aujourd’hui je vais te faire une petite confidence, quand j’avais ton âge, vers 17-18 ans, j’avais hâte d’être grand-mère, on pourrait dire hâte d’être à la retraite.

            Cette idée peut te paraître étonnante… Comment peut-on espérer être à la fin de la vie quand on est dans la fleur de l’âge avec une tête remplie de beaux projets et un cœur plein d’espoir et de flamme. Ce qui me donnait envie d’atteindre cet âge, c’était la sagesse des personnes âgées, leur calme par rapport aux différents évènements, leur prudence dans leur prise de décision. Toutes ces qualités que j’admirais en elles étaient liées à leurs expériences, aux épreuves et aux joies qu’elles avaient traversées dans leur vie. Ces qualités sont aussi, sans aucun doute, liées au travail qu’elles ont fait année après année pour mieux se connaître et se corriger. J’avais aussi hâte d’atteindre cet âge pour transmettre à mes petits-enfants ce que j’avais appris, le fruit de mes lectures, de mes réflexions.

   Vois-tu, ma chère Bertille, vivre la période de la retraite dans ces conditions est merveilleux ! Je suis convaincue que c’est dès maintenant qu’il te faut travailler pour préparer la retraite. Tout d’abord, garde cette flamme, cette joie de vivre qui est le propre de la jeunesse. Cette attitude te permettra de tirer profit de tous les évènements de ta vie, que ce soit des moments de joie ou d’épreuves, et ainsi, petit à petit, la sagesse de la vie s’installera. Apprends aussi à bien te connaître, profite des résolutions de ce début d’année pour faire le point et voir si réellement tu sais vraiment qui tu es ! Enfin, ma chère Bertille, prends le temps de lire pour former ton cœur, ton âme, ton esprit. Il faut nourrir ton intelligence pour être en mesure de prendre les bonnes décisions. Je suis actuellement en train de lire les Sept colonnes de l’héroïsme de Jacques d’Arnoux, et te recommande cette lecture qui t’enthousiasmera et te donnera sans doute des modèles à imiter.

   Il y a un autre secret que je voudrais te dire : n’oublie pas de rendre visite ou de prendre contact très régulièrement avec les personnes âgées qui vivent « de près ou de loin » autour de toi : tes grands-parents mais aussi les oncles et tantes et peut-être des voisins ou des amis de la famille. Bien sûr, nous avons tous un devoir de piété filiale envers nos grands-parents, mais que cela dépasse l’accomplissement de ton devoir d’état. Je t’assure que tu t’enrichiras énormément en entretenant une relation privilégiée avec ces personnes d’expérience qui ont tellement à transmettre : l’histoire de ta famille, de notre pays qu’ils ont vu évoluer si rapidement, mais aussi les traditions familiales, et surtout leur regard sur les évènements : ils en ont déjà vus tellement ! Une petite visite régulière, un coup de téléphone et pourquoi pas des relations épistolaires ? Fais mentir le dicton : « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait… » Puise dans leur sagesse ! Tu donneras ton sourire et un peu de ton temps, et tu recevras tellement !

   Voilà, ma chère Bertille, bien que cela puisse te paraître étrange, tu peux préparer dès maintenant l’âge de la retraite où tu continueras à rayonner, forte de la sagesse et de la pondération qu’apporte l’expérience de la vie.

  Je t’embrasse, et te dis à très bientôt,

  Anne

 

Ses vieilles mains

Jadis elles furent jeunes et fermes, dans l’attente de ce que la Providence leur réserverait, ouvertes à ce que la vie leur donnerait, pleines d’espérance joyeuse et de rêves.

 

Puis elles reçurent les promesses d’un engagement définitif, prises dans des mains jeunes aussi, plus fortes et plus fermes qui se faisaient protectrices et guides tout à la fois, leur remettant d’abord une jolie bague, même modeste, choisie avec amour, et plus tard l’anneau d’or, nuptial, scellant le sacrement.

 

Les enfants venant agrandir la famille, elles se firent caressantes, réconfortantes, tant pour l’époux que pour les petits, affairées aux mille tâches du quotidien.

Raccommodant, lavant, frottant, cuisinant, jardinant, plantant, pansant les petites blessures, brodant, écrivant, jouant de la musique, créant si tels étaient ses dons.

Mais aussi posées sur l’épaule pour encourager ou prendre le jeune visage, comme on tient une coupe pour lui transmettre toute son affection dans les moments difficiles.

 

Souvent jointes le matin en offrande de la journée et le soir en action de grâces avec toutes celles des siens, tenant le chapelet.

Bénissant ceux qu’elles mèneront à l’autel, les remettant à une autre femme qui prendra dans ses mains le relais de tendresse.

Mais aussi de façon cachée, suppliantes dans les peines intérieures, jointes pour implorer les grâces nécessaires et la miséricorde divine pour ceux qui s’égarent autour d’elles, égrenant le rosaire silencieusement pour épancher son cœur de maman auprès de Celle qui est son modèle et son guide.

 

Abîmées par le temps, peut-être déformées par trop de travaux, où les veines marquent davantage comme des traces bleutées qui sont autant de chemins suivis et d’épreuves connues ou cachées.

Pour les générations qui viennent, elles sont parfois reconnues dans la toute petite enfance, juste à un détail de bague ou à un geste familier, rassurantes comme un refuge régulier lors des vacances ou des confidences qu’il est difficile de faire aux parents.

 

Au soir de leur vie, elles seront jointes pieusement, avec le chapelet, le crucifix qui auront été tout leur soutien, ou le linge qui aura scellé les mains du fils prêtre lors de leur onction, si telle fut cette grande grâce familiale.

Ouvertes devant le Seigneur, vides de tous les biens de la terre mais pleines de tous les renoncements, les offrandes et les trésors de grâces qu’Il aura bien voulu y mettre et qu’elles n’auront pas gardé pour elles seules, elles recevront la joie sans fin et loueront Celui qui est.

 

                  Jeanne de Thuringe

 

Le ciel et la terre passeront…

           Si vous avez déjà eu la chance par une après-midi d’automne d’apercevoir au loin le clocher d’une abbatiale sur votre route dans la campagne française, si vous avez saisi la grâce qui passait et que pénétrant dans cette abbatiale, vos oreilles ont été frappées par le chant des moines, si, vous échappant un instant du tourbillon du monde, vous avez fermé les yeux et ouvert vos oreilles, si écoutant l’appel de Dieu vous avez laissé votre âme être bercée par les complies alors, une évidence et une allégresse ont dû, peu à peu, s’imposer à votre cœur et à votre esprit : « Le ciel et la terre passeront mais mes paroles ne passeront pas ».

 

  Le chant des moines dans leurs abbayes millénaires, par le contraste qu’il offre avec les saisons qui passent dans notre monde agité et changeant, est la plus forte manifestation sensible de la stabilité et de l’éternité de l’Eglise.

 

Le monde change et les moines demeurent,

Le monde s’agite et les moines prient,

Le monde pleure et les moines chantent,

Le monde crie et les moines louent la grandeur, la beauté, l’immensité de l’amour de Dieu.

 

  Quel contraste frappant entre notre agitation quotidienne pour des choses très importantes à nos yeux et la tranquille activité des moines besogneux qui ont compris que la seule affaire importante est celle de leur salut et qui s’y consacrent jour et nuit.

 

  Quel bonheur de se replonger de temps à autre dans cette « éternité » sur terre ; quel bonheur et quelle grâce de pouvoir ressentir que l’Eglise a la promesse de la vie éternelle malgré toutes les embûches de son pèlerinage terrestre. Cela redonne l’espérance et permet, à l’instar de ces moines, de s’élever hors du temps et de prendre du recul sur notre lot quotidien. Un peu comme lorsque l’on prend l’avion et que soudain vu de haut, le fourmillement que l’on voit sur terre paraît ridicule. Tous ces mouvements que l’on aperçoit de loin de ces voitures qui nous semblaient si rapides, une heure auparavant, semblent si lents. Les déplacements semblent si petits devant l’immensité de la terre et du ciel qui s’offrent à nos yeux, qui est elle-même si petite devant l’immensité de l’univers, de l’espace, du temps et de Dieu.

 

  Méditer dans une abbaye pour s’élever hors du temps, et méditer dans un avion pour s’échapper dans l’espace nous permettent de prendre un peu plus la mesure de notre petitesse et de notre humilité devant Dieu, maître de toutes choses, et pour qui les attaques des petites fourmis humaines sont bien peu de choses face à l’immensité de sa puissance.

 

  Alors haut les cœurs, quelles que soient les tribulations de son navire, Dieu est Dieu et son Eglise est Sainte et Eternelle, les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre Elle, jamais !

 

Antoine

 

La retraite, enfin !

Oups ! la retraite !

           Il y a mille et une manières d’aborder la retraite… Pour certains ce « retrait » de la vie professionnelle constituera une libération leur permettant de se consacrer – enfin ! – à leur passion, pour d’autres, ce sera le grand saut dans le vide, la crainte de l’ennui, la vie en permanence à deux, la déprime, pour d’autres enfin, la possibilité de bénéficier d’un repos « bien mérité ! ».

 

Qu’en penser ?

  Nous ne donnerons pas de recettes ! Chacun a son tempérament, sa santé, sa vie familiale, ses conditions de vie et les situations sont difficilement comparables. Nous nous bornerons donc à énoncer quelques principes de bon sens qu’il nous paraît utile de rappeler. La retraite ne constitue pas la fin de la vie active mais le début d’une nouvelle vie de dévouement, d’engagement et de vie intérieure.

La retraite n’a plus la même signification qu’hier. Autrefois, elle arrivait tard, à un moment où la santé du retraité déclinant, il lui était bien souvent nécessaire de se reposer… Aujourd’hui, à 65 ans, on est encore jeune et on a encore un rôle à jouer dans sa famille et dans son milieu social.

 

  De fait, dans leur famille, les jeunes ou moins jeunes retraités sont souvent, jusqu’à ce que la mort les sépare, le point de stabilité sur lequel les générations suivantes peuvent s’appuyer. Nos jeunes ménages vivent dans un monde « déconstruit », galopent, manquent de recul pour comprendre ce qui se passe et comment ils doivent vivre… Ayons le souci de leur montrer ce qu’est un ménage, un vieux ménage. « L’exemple n’est pas la meilleure des pédagogies, c’est la seule » disait le général de Maud’huy1. Nos « vieux » ménages doivent pouvoir leur montrer un modèle leur donnant envie de continuer à bâtir leur famille.

 

Alors comment faire ?

  D’abord, considérer que, à 65 ans2, le temps n’est pas encore venu de se retirer. Il nous reste encore une bonne décennie d’énergie pendant laquelle nous pourrons agir de manière active sur notre famille et notre environnement. Pas d’égoïsme à deux, l’heure du repos n’est pas encore venue !

 

  Dans la famille, donnons toujours l’exemple d’un ménage uni, pieux, actif, tourné vers les autres, prêt à rendre service à l’un ou l’autre pour une naissance, une conduite scolaire, un travail de couture, un coup de fil, une lettre, un déjeuner du dimanche, l’accueil des familles pour les vacances… Nous avons plus de temps, utilisons-le ! Il est même probable que cette résolution nous aidera à trouver ce nouvel équilibre que nécessite la retraite ! Nous connaissons quelques ménages – peu nombreux heureusement – pour lesquels la retraite a constitué une étape douloureuse, dans laquelle il a fallu se réhabituer l’un à l’autre. Quel dommage ! Il s’agissait peut-être de personnes ayant cru trop tôt que le temps du repos et du confort à deux était arrivé !

 

  Il en va de même pour la vie sociale. Nos paroisses, nos conseils municipaux (si nous habitons à la campagne), nos associations, manquent de volontaires dévoués. Nous avons moyen d’y agir pour le bien commun, de mener une action politique au sens propre, de nature à élever notre société. Prenons des responsabilités ! Nous avons certainement une expérience utile à faire fructifier ! Faisons notre devoir et donnons aux générations suivantes l’exemple de l’engagement. Nous y trouverons certainement des ennuis… mais aussi la joie du devoir accompli et, par l’exemple donné, nous continuerons à conduire nos enfants et petits-enfants vers le bien.

 

  Même s’il n’est pas encore temps de se retirer complètement, profitons bien entendu du temps libre supplémentaire dont nous bénéficions pour approfondir notre vie spirituelle. La fin du travail professionnel nous donne certainement le temps de commencer la journée par une méditation, de faire une retraite ! Si nous avons la chance d’habiter près d’une paroisse, nous aurons peut-être le loisir d’aller à la messe en semaine ! Le choix du lieu de repli doit, si possible, tenir compte de ces facteurs. Nous-mêmes et toute notre famille en bénéficieront…

 

Des grands-parents

1 Général commandant une armée pendant la guerre de 1914, 1er commissaire national des scouts de France.

2 Nous avons pris l’âge moyen de départ à la retraite.

 

 

Comment cultiver la considération pour nos aînés ?

           Le « jeunisme » ambiant, qui fait que les grands-parents n’ont plus l’air d’être vieux (oui, « vieux » est un terme honorable !), ne s’habillent plus en papis, ne parlent et ne se comportent plus en mamies, et cherchent à faire disparaître systématiquement tout signe extérieur de vétusté naturelle, transforme radicalement la notion que les jeunes ont de la vieillesse.

  C’est une des raisons, non la seule, pour laquelle le respect envers nos anciens se perd : ils n’ont plus la tête d’illustres vieillards dont la sagesse surpasse toutes les modes et les aléas de l’actualité. Ils ne représentent plus la stabilité ni la force de l’expérience.

  Pourquoi laisser sa place assise dans le métro à une retraitée qui s’en offusque, car cela lui rappelle qu’elle vieillit ?

  Comment demander un conseil avisé à un grand-père hyper branché, qui perd son temps devant ses multiples écrans ?  

  Comment avoir de l’estime pour un vieillard toujours jeune, qui cherche davantage à être un copain de ses petits-enfants, plutôt qu’un guide ?

  Alors oui, le respect envers nos anciens se perd, mais peut-être est-ce parce que certains ne sont quelquefois pas « respectables ». Il n’y a pas de honte à paraître vieux : c’est l’aboutissement d’une vie de labeur, d’activité, de générosité, et l’acceptation de notre condition humaine, telle que le Bon Dieu l’a voulue, pour notre Bien et celui de notre entourage.