Mon enfant peut-il travailler dans le domaine de la santé?

Faisant écho à l’article « Mon enfant peut-il faire Sciences-po ? » paru dans un dernier numéro de « foyers ardents »1, l’application au domaine de la santé peut sembler plus simple. « Oui évidemment », « La santé est un domaine de choix pour un catholique », « Il aura toujours le choix de soigner comme il convient », ou encore « N’est-ce pas un excellent moyen de toucher les cœurs que de soigner les corps ? ». 

Ces réponses trop rapides méritent quelques éclaircissements, car ce n’est pas si simple.

Ces lignes ne se veulent pas un exposé des différentes filières de la santé, mais plutôt une réflexion sur des principes qui doivent guider le futur professionnel de santé catholique pour déterminer ce qu’il peut ou ne peut pas faire, depuis le début de ses études jusqu’à son exercice professionnel.

Ce qui a été dit des « grandes écoles »1 s’applique parfaitement aux IFSI et IFAS (Instituts de Formation en Soins Infirmiers ou Aide-Soignants) ou aux facultés de médecine : dispensation d’un enseignement fortement idéologique et politiquement correct, sanitairement correct ; risque de se confronter à des comportements toxiques voir immoraux (les soirées d’intégration en médecine ou les soirées infirmières ont toujours été connus pour leur caractère « carabins », comprenez « portés sous la ceinture », et ceci ne va pas en s’améliorant loin de là). Ajoutons une forme de pression qui pousse à l’excellence (concours de premières années, concours de l’internat) qui requiert une volonté forte pour garder un équilibre naturel (sport, lectures, formation) et surnaturel (prière, sacrements).

Distinguons les formations théoriques et les formations pratiques sous forme de stages, souvent mêlées.

Formation théorique

Cette formation est incontournable et le plus souvent dispensée par des professeurs spécialisés dans leur discipline. Elle est encore aujourd’hui reconnue pour sa qualité.

Mais l’étudiant aura à se garder des erreurs, parfois subtiles, qui lui sont enseignées dans ses cours. On pense évidemment aux sujets comme l’avortement, la contraception, l’euthanasie, pour lesquelles il doit avoir les idées très claires. Il ne doit pas, ne peut pas, jamais, jamais. Il s’agit d’une violation directe de la loi divine. « Non possumus ».

D’autres sujets mélangent plus subtilement le bon grain et l’ivraie, et nécessitent un solide attachement à la loi naturelle et au réalisme. C’est le cas des sciences humaines, de l’histoire de la médecine, de la psychologie, pour ne citer que ces exemples. Il devra garder un regard critique et se former en parallèle avec de bons ouvrages. Il lui faudra l’humilité pour demander conseil sur ces références bibliographiques. Car là encore il faut du discernement.

Par exemple, de nombreuses ouvrages officiellement catholiques tentent de remédier à l’utilitarisme en développant ce qu’ils appellent la « norme personnaliste ». Particulièrement développée après les années 80, ils considèrent la dignité humaine comme une fin absolue. Cette « norme » peut sembler moins mauvaise que l’idéologie qui dispose de l’homme comme d’un bien consommable. Mais elle n’en est pas moins dangereuse car l’action est alors tournée vers l’homme pour l’homme, et non d’abord vers Dieu à travers l’homme. C’est en fait, remplacer la charité (aimer Dieu et son prochain pour l’amour de Dieu) par la solidarité (aimer son prochain). Notre étudiant tirera un grand profit dans la lecture de références catholiques modernes mais antérieures à la crise des années 60. On ne devrait pas faire l’économie de lire, méditer, relire et ruminer les écrits du pape Pie XII sur la santé, avantageusement réédités récemment en un recueil2. L’idéal serait de relire tous les textes de ce pontife aux médecins, infirmière, ou sage-femmes, car tous les principes y sont abordés, les grandes questions « bioéthiques » d’aujourd’hui y ont déjà été traitées.

Les stages

L’autre partie de l’enseignement est distillée sur le terrain sous forme de stages.

Les filières imposent différents stages, et on aura soin de bien les connaître en détail avant de s’y lancer. Privilégier les filières où on peut choisir soi-même les stages. Se renseigner en amont, le plus efficace étant d’appeler directement dans les services et de s’entretenir avec un autre étudiant stagiaire pour connaître tous les détails. Ne pas avoir peur de poser toutes les questions : c’est un usage courant aujourd’hui à une époque où les étudiants donnent des notes de leur terrain de stage. Ne nous privons donc pas de mener notre enquête.

Exemples. Stage de gynécologie-obstétrique : puis-je le valider en ne passant qu’en suivi des grossesses et en salle de naissance ? Bloc obstétrical : puis-je assister uniquement aux accouchements, et pas aux IMG ou aux chirurgies de stérilisation ? Stage de chirurgie : est-ce que les disciplines sont séparées ou bien toute opération y compris de gynécologie se fait dans le même bloc ? Gériatrie : y-a-t-il un secteur de soins palliatifs et quelle est l’approche des équipes médicales sur la fin de vie ? Stage chez le médecin généraliste : serai-je amené à prescrire des contraceptifs ou pourrai-je m’y opposer ?

Pour tout stage obligatoire dans une spécialité, se demander : puis-je le valider dans un service qui me permet de ne pas pratiquer un acte que la morale réprouve ? Si la réponse est non, il faut assurément chercher un autre terrain de stage. S’il n’y en a pas, il faut courageusement remettre en cause cette filière. Le principe est qu’on ne doit jamais faire le mal, y participer directement, même pour qu’en résulte un bien.

Exemple. Je dois faire un stage de gynécologie où l’on me demande de « faire une vacation d’IVG ». C’est obligatoire dans le cursus pour devenir gynécologue. Et on a besoin de gynécologues catholiques.

Si le bien que je vise, devenir gynécologue catholique, passe par la réalisation d’actes intrinsèquement mauvais (ex : l’avortement) : ce n’est pas acceptable pour un catholique. Soit j’arrive à devenir gynécologue par un autre chemin (stages validant sans pratiquer l’avortement), soit je ne dois pas faire d’études pour devenir gynécologue.

Objection. À ce titre, il n’y aura jamais plus de gynécologue catholique.

À ce jour, par la filière classique, c’est très probable.

Mais le prix à payer ne peut pas être le péché mortel commis par l’étudiant. Non possumus. Souvenons-nous que certaines professions était interdites aux premiers chrétiens car incompatibles avec la foi chrétienne. Il faut être de cette trempe, être cohérent.

Objection. Mais je ne participe pas toujours directement à l’acte mauvais. Si je suis exécutant d’un ordre, suis-je responsable ?

Il s’agit là de la coopération à un acte mauvais. Le médecin pratique un acte mauvais, les autres y coopèrent : l’étudiant l’aide, l’infirmière injecte le produit, l’aide soignante fera la toilette du patient, l’agent technique fera le ménage de la chambre. Tous n’ont pas le même degré de coopération à l’acte. Pour l’étudiant ou l’infirmière, la coopération est dite prochaine. Pour les autres elle est dite lointaine. Cette distinction permettra à un bon conseiller de bannir la première et de tolérer dans certains cas la seconde. Nous approfondirons ce point dans un prochain article sur les actes qui ont deux effets, un bon et un mauvais (Principe de l’acte à double effet).

 

Objection. « Maintenant que je suis infirmière ou interne, je ne vais quand même pas revenir à zéro et gâcher toutes ces études ». 

D’où l’importance de bien connaître ce qui peut l’être avant de se lancer dans une filière: mieux vaut prévenir que guérir.

Malgré cela, on peut se rendre compte secondairement qu’on est confronté à des actes mauvais, qu’ils nous sont imposés, ou qu’on ne l’avait pas prévu. Et on ne peut pas tout prévoir. Alors, s’il n’y a pas moyen de faire autrement, oui il faut renoncer, faire autre chose, changer de voie. Car la beauté de cette voie, la grandeur de cette mission, le bien qu’on pourrait y faire, ne justifient pas la pratique d’un seul péché mortel. Jamais. Non possumus.

Souvenons-nous de la parole célèbre de sa mère à Saint-Louis : « je préfère vous voir mort à mes pieds que coupable d’un seul péché mortel ».

 Citons aussi le cas de ce gynécologue non catholique. Sa femme obtient la grâce de sa conversion. Il arrêta alors de prescrire des contraceptifs et de pratiquer les avortements. Il mit fin à son exercice de gynécologue et s’installa en médecine générale dans une autre région, sous les railleries de ses anciens collègues et de ses proches.

Être fier de sa foi et lui soumettre toute sa vie. Toute. Savoir dire non quel qu’en soit le prix et garder confiance en Dieu pour la suite.

Que les parents et les jeunes gens soient donc attentifs au contenu précis de ses formations dans le domaine de la santé. On ne peut pas dresser une liste des filières qu’on peut suivre et de celles qu’on ne peut pas suivre quand on est catholique. Il faut les étudier toutes avec précision.

Ne partons pas du principe que « c’est comme autrefois, j’ai connu ça de mon temps » : les cursus et les obligations pour obtenir le diplôme ont changé et changent.

Et il faudra du courage pour faire comprendre en douceur à nos étudiants que telle ou telle filière n’est pas faite pour eux.

On ne peut pas se lancer dans ces filières les yeux fermés. Il faudra même les déconseiller aux jeunes gens influençables, faibles, peu préparés ou mondains. Ils auront besoin d’une forte liberté intérieure pour résister aux compromissions avec l’esprit du monde. A ceux déjà évoqués, ajoutons une forme sournoise, et croissante au fil du temps, de pression professionnelle. Entraîné vers une obligation de résultats (alors qu’officiellement, le soignant n’a qu’une obligation de moyens), le soignant est poussé à se donner toujours plus, quitte à négliger ses autres devoirs.

Donc même conclusion que pour « Science Pô » : « Des jeunes gens, fermement attachés à leur foi, nourris de lectures fortes, puisant aux sources de la philosophie thomiste, proches d’un prêtre à qui ils pourront exposer leurs doutes, attachés à leur chapelet quotidien, peuvent donc encore risquer (le mot n’est pas trop fort) cette formation »1.

              Dr L.

1 « Foyers ardents » numéro 20, mars avril 2020, pages 26-28

2 Pie XII et la médecine, éditions Clovis.

 

L’amitié

« La pire solitude est de ne pas avoir de véritables amitiés », disait le philosophe anglais Francis Bacon. Animal social, l’homme ne peut se passer de la compagnie de ses semblables dont il a à la fois besoin pour satisfaire ses besoins matériels, mais aussi et surtout pour accomplir le premier et le plus noble de ses désirs : aimer. Trouver l’être avec qui il partagera sa vie, ses pensées, son existence même est pour lui un besoin dont il a plus ou moins conscience et qu’il cherche à combler par tous les moyens. Mais comment découvrir cette personne choisie entre toutes alors qu’internet et les réseaux sociaux répandent partout le culte de l’apparence et de l’hypocrisie en allant jusqu’à donner le nom d’ami à des personnes qui ne se sont jamais vues et ne se connaissent qu’à travers le filtre trompeur de photos et d’autobiographies soigneusement choisies et maquillées à l’excès ? Dans ce monde où le mal est loué et la vertu méprisée, choisir celui qui sera le confident et le soutien d’une vie implique de redécouvrir le sens même de l’amitié. Pour ce faire, interrogeons-nous sur sa nature, sur sa grandeur et sur les dangers des fausses amitiés.

Les trois amitiés

 

Dans les livres VIII et IX de son Ethique à Nicomaque, Aristote parle de l’amitié comme étant ce qu’il y a de plus nécessaire pour vivre, « car sans amis personne ne choisirait de vivre, eût-il tous les autres biens ». Ce qui définit l’amitié, au risque de faire une lapalissade, est « ce qui est aimable, c’est à dire bon, agréable et utile ». De ce goût du même bien va naître l’amitié, mais encore faut-il qu’il soit accompagné de la bienveillance (non au sens moderne de « neutralité bienveillante » ou de « tolérance », mais au sens étymologique de « vouloir le bien », qui pousse à vouloir partager ce bien avec l’autre) et surtout de la réciprocité de cette bienveillance. Il en ressort alors que la nature de l’amitié va dépendre de son objet, qu’il soit de l’ordre de l’utile, de l’agréable ou de la vertu.

– L’amitié utile

L’amitié fondée sur l’utile est la moins noble de toutes. En effet, ceux qui partagent une telle amitié ne s’aiment pas vraiment l’un pour l’autre, mais plutôt de l’avantage qu’ils retirent l’un de l’autre. Il s’ensuit que cette amitié cesse dès que l’un n’est plus utile à l’autre. Aucun des deux ne ressent de plaisir particulier à la présence de l’autre puisque chacun joue dans cette relation le rôle d’un outil pouvant être assez facilement remplacé par un autre pour obtenir le même bien. Cette amitié est typique des relations entre états : tous deux se prodiguent des marques de sympathie tant que chacun tire un avantage de leur amitié, mais dès que cet avantage disparaît les relations deviennent moins chaleureuses et les dissensions apparaissent, et les amis d’hier peuvent du jour au lendemain devenir ennemis.

– L’amitié de plaisir

Après l’amitié utile se trouve l’amitié fondée sur le plaisir que chacun tire de la présence de l’autre. Là encore, ce n’est pas la personne en elle-même que l’on aime mais plutôt le plaisir que l’on tire de sa présence, en fonction des goûts personnels. Comme pour l’amitié utile, le critère de choix est un critère subjectif. Il suffit qu’il évolue (avec l’âge, par exemple), ou que l’ami cesse d’être agréable (qu’il soit moins drôle …) pour que la relation se fade et s’éteigne. Ce type d’amitié est très présente dans la jeunesse puisque selon les mots de Aristote « les jeunes gens vivent sous l’empire de la passion, et ils poursuivent surtout ce qui leur plaît personnellement et le plaisir du moment ». Loin d’être un jugement de valeur gratuit, il s’agit là d’une simple observation du caractère changeant de la jeunesse et de sa recherche instinctive d’amour, ce qui se traduit par une certaine inconstance dans ces amitiés.

– L’amitié de vertu

L’ultime type d’amitié est celui qui a pour base la vertu. Etant un bien excellent en soi, diffusif et stable, la vertu est ce roc sur lequel va pouvoir s’édifier la maison de l’amitié, pour reprendre l’image de l’Evangile. Il va sans dire que les deux autres amitiés sont construites sur le sable, et ne tardent pas à s’effondrer sur elles-mêmes. La vertu rend l’ami aimable en soi, puisqu’elle est souverainement aimable et intrinsèque à la personne. Etant un habitus dans le bien, c’est-à-dire une disposition stable et permanente à faire le bien, la vertu est appelée à durer dans le temps : elle réunit en effet en elle toutes les qualités qui doivent être celles des amis (générosité, bonté, …), ces dernières se traduisant par une volonté constante de s’élever l’un l’autre dans le bien. Des trois différentes formes d’amitié, celle qui a pour objet la vertu est la plus parfaite, car selon les mots de Cicéron « Sans la vertu, il ne peut être d’amitié véritable » ; découvrir sa grandeur nécessite de s’y attarder quelques instants.

L’amitié parfaite

 

Nous disions plus haut avec Aristote que l’amitié est nécessaire pour vivre heureux, et qu’elle a pour objet l’aimable, c’est-à-dire le bon, l’agréable et l’utile. Ces éléments se trouvent tous trois dans l’amitié de vertu, et sont proportionnels au degré de vertu de l’un ou de l’autre des amis. Le bien que l’on va tirer de cette amitié va donc dépendre de la valeur de chacun des amis, mais l’on peut mettre en avant trois constantes qui sont la rareté de cette amitié, le soutien mutuel des amis et leur émulation dans la vertu.

– La rareté de l’amitié

Trouver l’être vertueux qui sera l’ami parfait n’est pas chose aisée, du fait du petit nombre des hommes vertueux d’une part, mais aussi de la nécessité qu’il y a de passer avec lui du temps et d’avoir des habitudes communes. En effet, l’amitié a besoin d’actes pour s’exprimer, pour se maintenir. Un éloignement et un silence prolongé de l’un ou de l’autre des amis ne mettront pas forcément fin à leur relation mais viendront l’affaiblir, comme le traduit si bien le proverbe « loin des yeux, loin du cœur ». Plus que d’une simple fréquentation, c’est de la vie en commun (volontaire) que va naître l’amitié, car celle-ci implique un plaisir causé par la présence de l’autre ainsi qu’une certaine similarité dans les goûts (« qui se ressemble s’assemble »). On reconnaît de ce fait la véritable amitié à ce qu’elle cherche constamment la présence de l’être aimé, ce qui se traduit de la plus belle façon dans le mariage. 

– Le soutien des amis

De cette amitié vont naître des actes réciproques dont le premier est le soutien mutuel. On attend en effet d’un ami qu’il soit toujours disponible à venir à notre secours, et même qu’il prévienne nos besoins. La Fontaine en fait ce beau portrait :

« Qu’un ami véritable est une douce chose !
Il cherche vos besoins au fond de votre cœur ;

Il vous épargne la pudeur de les lui découvrir vous-même.

Un songe, un rien, tout lui fait peur,
Quand il s’agit de ce qu’il aime. »
(Les deux amis).

La sagesse populaire souligne également que « c’est dans le besoin qu’on reconnaît ses vrais amis ». Les peines que chacun rencontre sont en effet le tamis qui laisse passer la poussière des copinages pour ne retenir que la pépite de l’amitié vraie. Ce soutien de l’être aimé est une aide presque indispensable pour avancer dans la vie et surmonter les épreuves, il permet non seulement de sortir de moments difficiles mais aussi de grandir dans le bien grâce à l’exemple de vertu que se donnent les amis entre eux et à la correction aimante qu’ils s’appliquent réciproquement.

– L’intolérance de l’amitié

  « Les vrais amis sont ceux qui nous font remarquer nos fautes, et non ceux qui se taisent. » (Fénelon). La correction entre amis est la plus haute expression de l’amour qu’ils se portent, car elle vise à rendre l’autre parfait, à lui éviter les erreurs. De toutes les œuvres de Miséricorde, elle est la plus grande et la plus délicate à accomplir : son but n’est pas de « jouer au justicier » et de rabaisser ou d’humilier l’autre, mais bien plutôt de le faire grandir dans la vertu par amour pour lui. La correction fraternelle est douce car elle trouve le ton et les mots justes pour remettre dans le droit chemin. Chacun est pour l’autre le tuteur qui permet à la jeune pousse de grandir jusqu’à devenir un arbre majestueux.

« La pire solitude est de ne pas avoir de véritables amitiés », disait le philosophe anglais Francis Bacon. Animal social, l’homme ne peut se passer de la compagnie de ses semblables dont il a à la fois besoin pour satisfaire ses besoins matériels, mais aussi et surtout pour accomplir le premier et le plus noble de ses désirs : aimer. Trouver l’être avec qui il partagera sa vie, ses pensées, son existence même est pour lui un besoin dont il a plus ou moins conscience et qu’il cherche à combler par tous les moyens. Mais comment découvrir cette personne choisie entre toutes alors qu’internet et les réseaux sociaux répandent partout le culte de l’apparence et de l’hypocrisie en allant jusqu’à donner le nom d’ami à des personnes qui ne se sont jamais vues et ne se connaissent qu’à travers le filtre trompeur de photos et d’autobiographies soigneusement choisies et maquillées à l’excès ? Dans ce monde où le mal est loué et la vertu méprisée, choisir celui qui sera le confident et le soutien d’une vie implique de redécouvrir le sens même de l’amitié. Pour ce faire, interrogeons-nous sur sa nature, sur sa grandeur et sur les dangers des fausses amitiés.

Les trois amitiés

 

Dans les livres VIII et IX de son Ethique à Nicomaque, Aristote parle de l’amitié comme étant ce qu’il y a de plus nécessaire pour vivre, « car sans amis personne ne choisirait de vivre, eût-il tous les autres biens ». Ce qui définit l’amitié, au risque de faire une lapalissade, est « ce qui est aimable, c’est à dire bon, agréable et utile ». De ce goût du même bien va naître l’amitié, mais encore faut-il qu’il soit accompagné de la bienveillance (non au sens moderne de « neutralité bienveillante » ou de « tolérance », mais au sens étymologique de « vouloir le bien », qui pousse à vouloir partager ce bien avec l’autre) et surtout de la réciprocité de cette bienveillance. Il en ressort alors que la nature de l’amitié va dépendre de son objet, qu’il soit de l’ordre de l’utile, de l’agréable ou de la vertu.

 

– L’amitié utile

L’amitié fondée sur l’utile est la moins noble de toutes. En effet, ceux qui partagent une telle amitié ne s’aiment pas vraiment l’un pour l’autre, mais plutôt de l’avantage qu’ils retirent l’un de l’autre. Il s’ensuit que cette amitié cesse dès que l’un n’est plus utile à l’autre. Aucun des deux ne ressent de plaisir particulier à la présence de l’autre puisque chacun joue dans cette relation le rôle d’un outil pouvant être assez facilement remplacé par un autre pour obtenir le même bien. Cette amitié est typique des relations entre états : tous deux se prodiguent des marques de sympathie tant que chacun tire un avantage de leur amitié, mais dès que cet avantage disparaît les relations deviennent moins chaleureuses et les dissensions apparaissent, et les amis d’hier peuvent du jour au lendemain devenir ennemis.

– L’amitié de plaisir

Après l’amitié utile se trouve l’amitié fondée sur le plaisir que chacun tire de la présence de l’autre. Là encore, ce n’est pas la personne en elle-même que l’on aime mais plutôt le plaisir que l’on tire de sa présence, en fonction des goûts personnels. Comme pour l’amitié utile, le critère de choix est un critère subjectif. Il suffit qu’il évolue (avec l’âge, par exemple), ou que l’ami cesse d’être agréable (qu’il soit moins drôle …) pour que la relation se fade et s’éteigne. Ce type d’amitié est très présente dans la jeunesse puisque selon les mots de Aristote « les jeunes gens vivent sous l’empire de la passion, et ils poursuivent surtout ce qui leur plaît personnellement et le plaisir du moment ». Loin d’être un jugement de valeur gratuit, il s’agit là d’une simple observation du caractère changeant de la jeunesse et de sa recherche instinctive d’amour, ce qui se traduit par une certaine inconstance dans ces amitiés.

– L’amitié de vertu

L’ultime type d’amitié est celui qui a pour base la vertu. Etant un bien excellent en soi, diffusif et stable, la vertu est ce roc sur lequel va pouvoir s’édifier la maison de l’amitié, pour reprendre l’image de l’Evangile. Il va sans dire que les deux autres amitiés sont construites sur le sable, et ne tardent pas à s’effondrer sur elles-mêmes. La vertu rend l’ami aimable en soi, puisqu’elle est souverainement aimable et intrinsèque à la personne. Etant un habitus dans le bien, c’est-à-dire une disposition stable et permanente à faire le bien, la vertu est appelée à durer dans le temps : elle réunit en effet en elle toutes les qualités qui doivent être celles des amis (générosité, bonté, …), ces dernières se traduisant par une volonté constante de s’élever l’un l’autre dans le bien. Des trois différentes formes d’amitié, celle qui a pour objet la vertu est la plus parfaite, car selon les mots de Cicéron « Sans la vertu, il ne peut être d’amitié véritable » ; découvrir sa grandeur nécessite de s’y attarder quelques instants.

L’amitié parfaite

 

Nous disions plus haut avec Aristote que l’amitié est nécessaire pour vivre heureux, et qu’elle a pour objet l’aimable, c’est-à-dire le bon, l’agréable et l’utile. Ces éléments se trouvent tous trois dans l’amitié de vertu, et sont proportionnels au degré de vertu de l’un ou de l’autre des amis. Le bien que l’on va tirer de cette amitié va donc dépendre de la valeur de chacun des amis, mais l’on peut mettre en avant trois constantes qui sont la rareté de cette amitié, le soutien mutuel des amis et leur émulation dans la vertu.

– La rareté de l’amitié

Trouver l’être vertueux qui sera l’ami parfait n’est pas chose aisée, du fait du petit nombre des hommes vertueux d’une part, mais aussi de la nécessité qu’il y a de passer avec lui du temps et d’avoir des habitudes communes. En effet, l’amitié a besoin d’actes pour s’exprimer, pour se maintenir. Un éloignement et un silence prolongé de l’un ou de l’autre des amis ne mettront pas forcément fin à leur relation mais viendront l’affaiblir, comme le traduit si bien le proverbe « loin des yeux, loin du cœur ». Plus que d’une simple fréquentation, c’est de la vie en commun (volontaire) que va naître l’amitié, car celle-ci implique un plaisir causé par la présence de l’autre ainsi qu’une certaine similarité dans les goûts (« qui se ressemble s’assemble »). On reconnaît de ce fait la véritable amitié à ce qu’elle cherche constamment la présence de l’être aimé, ce qui se traduit de la plus belle façon dans le mariage. 

– Le soutien des amis

De cette amitié vont naître des actes réciproques dont le premier est le soutien mutuel. On attend en effet d’un ami qu’il soit toujours disponible à venir à notre secours, et même qu’il prévienne nos besoins. La Fontaine en fait ce beau portrait :

« Qu’un ami véritable est une douce chose !
Il cherche vos besoins au fond de votre cœur ;

Il vous épargne la pudeur de les lui découvrir vous-même.

Un songe, un rien, tout lui fait peur,
Quand il s’agit de ce qu’il aime. »
(Les deux amis).

La sagesse populaire souligne également que « c’est dans le besoin qu’on reconnaît ses vrais amis ». Les peines que chacun rencontre sont en effet le tamis qui laisse passer la poussière des copinages pour ne retenir que la pépite de l’amitié vraie. Ce soutien de l’être aimé est une aide presque indispensable pour avancer dans la vie et surmonter les épreuves, il permet non seulement de sortir de moments difficiles mais aussi de grandir dans le bien grâce à l’exemple de vertu que se donnent les amis entre eux et à la correction aimante qu’ils s’appliquent réciproquement.

– L’intolérance de l’amitié

  « Les vrais amis sont ceux qui nous font remarquer nos fautes, et non ceux qui se taisent. » (Fénelon). La correction entre amis est la plus haute expression de l’amour qu’ils se portent, car elle vise à rendre l’autre parfait, à lui éviter les erreurs. De toutes les œuvres de Miséricorde, elle est la plus grande et la plus délicate à accomplir : son but n’est pas de « jouer au justicier » et de rabaisser ou d’humilier l’autre, mais bien plutôt de le faire grandir dans la vertu par amour pour lui. La correction fraternelle est douce car elle trouve le ton et les mots justes pour remettre dans le droit chemin. Chacun est pour l’autre le tuteur qui permet à la jeune pousse de grandir jusqu’à devenir un arbre majestueux.

Montalembert écrivait à son ami Cornudet : « J’espère de toi que tu sois inexorable sur tout ce que tu trouveras de répréhensible en moi et que tu m’en avertisses sur le champ : c’est la meilleure preuve d’une amitié véritable et chrétienne ».

Ce soutien mutuel implique une connaissance mutuelle intime, un « mouvement de cœur qui se verse dans un autre pour y déposer son secret », comme le décrit Bossuet. L’ami devient alors un alter ego, un autre soi que l’on chérit plus que tout et pour lequel on est prêt à tout. Le trouver peut prendre beaucoup de temps et de peines, mais chaque être humain a en lui le désir instinctif de faire la découverte de cette « âme sœur ». Cet élan si puissant et si beau, s’il n’est pas réglé et guidé, peut cependant provoquer de véritables désastres dans la vie d’une personne s’il est pris au piège des fausses amitiés.

Le danger des fausses amitiés

 

Nous parlions précédemment des amitiés basées sur l’utile et l’agréable. Leur infériorité à l’amitié de vertu est évidente, mais elles ne présentent pas de vrai danger tant que chacun des « amis » ne se méprend pas sur la nature de leur relation. Nous avons tous des amis de ces différentes sortes, en fonction des différentes étapes de notre vie. Par contre, les conséquences peuvent devenir catastrophiques si l’un des amis est persuadé de vivre une véritable amitié alors qu’il n’est pour l’autre qu’un outil, un moyen d’atteindre le plaisir ou un bien personnel ; aussi est-il capital de ne pas se laisser submerger par ses sentiments et de laisser à la raison sa part d’action dans la recherche et la création de l’amitié.

– L’amitié entre raison et sentiments

Plus vulnérable aux sentiments à cause de son manque d’expérience, de sa croissance dans la raison et de son besoin particulièrement fort d’affection, la jeunesse (nous ne parlons pas ici que des adolescents, mais aussi des « jeunes adultes ») est, plus que tous les autres âges de la vie, susceptible de se leurrer sur les amitiés qu’elle entretient. Elle confond souvent le plaisir qu’elle retire de la présence de l’autre avec une relation privilégiée, unique, éternelle. Cette erreur de jugement ne provoque généralement pas de conséquences graves, car la personne à blâmer n’est autre que nous-même. En revanche, quand c’est l’autre qui s’est présenté à nous sous des dehors bons, aimables, désintéressés, tout en ne recherchant qu’à tirer profit de nous, alors les effets peuvent être dévastateurs le jour où sa duplicité est mise à jour. Quand celui qui a été le confident intime des secrets de notre âme trahit la confiance absolue qui a été mise en lui, quand l’être que nous avons aimé se révèle n’avoir été pendant toutes ces années qu’un manipulateur et un profiteur, les blessures causées peuvent s’avérer aussi douloureuses que l’affection qu’on lui portait. Il est très difficile pour la jeunesse d’identifier les faux amis, surtout à cause de sa naïveté naturelle mais aussi à cause de ce besoin d’affection dont nous avons déjà parlé. Il est donc du devoir des proches (parents et vrais amis) d’aider par leurs conseils ceux qui sont sur le point de succomber aux charmes trompeurs des fausses amitiés, et d’apporter un certain soin aux relations qu’ils entretiennent. Ceci ne se fait bien sûr pas sans bienveillance et douceur, nous en avons déjà parlé plus haut.

– L’amitié : la chasse au trésor

« Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n’existe point de marchands d’amis, les hommes n’ont plus d’amis » (Le Petit Prince, Antoine de Saint Exupéry). Forger une amitié est un processus long et exigeant. Certains y arrivent sans grande difficulté et assez rapidement, tandis que d’autres peuvent mettre des années à trouver l’ami parfait. L’amitié s’apprend et se construit chaque jour. Elle nous aide à devenir meilleur et à atteindre le bonheur, sa forme la plus parfaite étant l’amitié de l’homme avec Dieu, c’est-à-dire la Charité. Elle arrache l’homme à l’esprit d’individualisme qui plane tout autour de lui, dans un monde où l’on fait le commerce des amitiés jetables. Elle lui assure un soutien dans les épreuves de la vie, elle prête une oreille attentive aux douleurs cachées qu’elle est toujours prompte à soigner. Trouver l’amitié vraie est une quête de chaque jour, mais ne porte pas tant sur autrui que sur soi-même, car au bout du compte nous n’avons que les amis que nous méritons.

Un animateur du MJCF

 

Les handicapés dans la famille

           S’il est des personnes qui requièrent nos soins et notre charité, pour lesquelles le Bon Dieu nous demande d’exercer ne serait-ce qu’un pâle reflet de son extrême libéralité, par notre patience et une certaine grandeur d’âme, ce sont bien les personnes diminuées par un handicap physique ou mental.

Mais plutôt que de voir combien elles pèsent sur une vie de famille, nous avons choisi d’observer, avec le recul, les immenses bienfaits que cette situation apporte à chaque famille concernée.

Il n’est pas question de minimiser le poids quotidien que représente l’éducation d’un enfant handicapé, physique ou mental, charge qui est d’ailleurs très variable selon les handicapés et les périodes de leurs vies ; ni non plus d’idéaliser ces familles qui ont su surmonter cette croix, portée chrétiennement. Notre propos est plutôt de mettre en éclairage tous les bénéfices naturels et spirituels que l’entourage a pu recevoir de cette situation « anormale » permise par le Créateur.

Nous nous sommes appuyés, entre autres, sur l’expérience de Dominique Thisse, président de la Fondation Sainte Jeanne de Valois, qui travaille sur un livre témoignage à paraître prochainement. Les citations qui jalonnent ce texte, en sont des extraits qu’il a bien voulu nous transmettre en exclusivité. Qu’il en soit vivement remercié !

Le premier des bienfaits amené par la naissance d’un enfant handicapé, c’est la nécessité d’accepter le fait que le Bon Dieu nous envoie un petit être plus faible que les autres, pour lequel nous devrons exercer encore davantage notre responsabilité de parents, en complète soumission à la volonté divine. Ce que nous ne comprenons pas dans l’instant, nous en verrons les fruits plus tard. Cette acceptation est absolument nécessaire de façon naturelle, afin de voir les choses positivement et de surmonter l’angoisse de cette nouvelle, mais spirituellement, c’est de s’en remettre à la Providence et la laisser tenir les rênes d’une situation que l’on ne maîtrise pas.

On ne peut rien prévoir pour l’avenir, et les médecins qui nous aident au jour le jour, ne savent pas non plus comment chaque handicapé va évoluer, tant les formes de handicaps sont nombreuses, et tant leur évolution diffère selon les ambiances familiales. Il faut se mettre dans l’état d’esprit de prendre les choses comme elles viennent, sans se poser de questions, de régler les problèmes quand ils apparaissent, sans se créer de soucis supplémentaires à vouloir anticiper le futur. Bref, le Bon Dieu nous apprend ainsi à vivre dans le présent, en ayant confiance qu’il enverra les grâces nécessaires en temps voulu, ce qui est réellement bien le cas tout au fil des années ! Ces enfants si confiants en nos capacités, nous donnent l’exemple de la profonde et véritable confiance que nous devons avoir en la sollicitude divine.

« Une chose est absolument certaine, c’est que tout dans cette naissance est fait pour rapprocher les parents, mais aussi leurs autres enfants. Les difficultés resserrent les rangs, l’orgueil est rabaissé, l’égoïsme affaibli. »

Quand toute la famille se prend au jeu de veiller sur cet enfant infirme, cette tâche est une véritable école de patience, de générosité, de renoncement : il faut accepter de répéter plusieurs fois la même chose, de montrer et remontrer comment on fait les gestes les plus simples de la vie quotidienne, en ayant parfois l’impression que cela ne sert à rien. Se dévouer à aider quelqu’un qui n’a pas les mêmes capacités que soi, permet de réfléchir et de remercier la Providence qui nous a octroyé un sort plus enviable. « Aussi, par leur maladresse et leur absence d’autonomie, ils (ces enfants) font littéralement se dissoudre l’égoïsme et accepter comme légère la lenteur des tâches mille fois répétées. Ils nous font ordonner l’emploi du temps. Ils suscitent le don de soi. Enfin, par leur absence d’inclination au mal, par leur pureté et leur innocence, ils sont la source d’une contamination du bien. Ecoles de perfection, ils sont les messagers de la grâce et nous inspirent des pensées et des actions vertueuses. »

En effet, la duplicité est compliquée pour ces enfants qui souffrent, ou qui restent avec un esprit d’enfance et de simplicité tout au long de leur vie. C’est pourquoi ils nécessitent d’autant plus d’être traités avec déférence, une extrême gentillesse, seule capable de les faire progresser. Comme ils ont un 6ème sens qui leur permet de capter les atmosphères, dès qu’il y a un conflit ou une agressivité, cela leur devient insupportable, et ils ressentent cela comme une blessure violente à l’harmonie affective dans laquelle ils se complaisent et qui est nécessaire à leur équilibre.

« Ces enfants ont une vertu réconciliatrice. Nos filles ne supportent pas les disputes, devant lesquelles elles nous sermonnent ou fondent carrément en larmes, nous donnant honte de nous-mêmes et nous faisant aussitôt cesser celles-ci. Quand chacun va séparément se réfugier un moment auprès d’elles, elles rétablissent spontanément les liens temporairement brisés, messagers silencieux qui ramènent les uns vers les autres les membres de la famille peinant à se pardonner spontanément. Ce sont des êtres d’ordre. A leurs yeux, les disputes sont une transgression de la justice. Ce sont aussi des êtres remplis d’un amour profond pour leurs proches, qu’elles ne veulent pas voir souffrir et encore moins se faire souffrir. Leur influence est si puissante qu’elle agit même sur la profondeur et la sincérité de notre pardon. Si nous n’accordons celui-ci que du bout du cœur ou des lèvres, leur seule présence nous rappelle à l’ordre. Leur droiture et leur innocence nous font considérer comme tromperie à leur égard cette demi-acceptation et, pris de confusion, nous révisons aussitôt notre attitude. »

Ces enfants, qui adultes conservent leur cœur d’enfant, sont une leçon d’humilité permanente pour leur entourage proche, ainsi que pour les personnes que la Providence met sur leur passage :

« A ceux qui se demandent pourquoi le Bon Dieu laisse concevoir des enfants infirmes, à ceux qui ont du mal à comprendre et accepter les souffrances qui en découlent, nos trois filles et leurs congénères apportent une réponse éclatante. De tels êtres sont nécessaires pour le progrès des âmes. Leur caractère apparemment inadapté à un monde qui les rejette majoritairement mais où elles avancent avec insouciance, oblige justement leur entourage à remettre en cause ce monde dans ses aspects peccamineux. Si l’infirmité de leur corps, elle-même issue du péché originel, leur fait une pesanteur qui bride leurs capacités physiques ainsi que leur intelligence, nous sommes nous-mêmes beaucoup plus gravement englués dans nos péchés. Les marques visibles de leur infirmité rappellent à ceux qui les croisent leurs propres faiblesses. Elles les incitent à la pénitence. « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis infirme. Guérissez-moi, parce que mes os sont ébranlés » (Ps VI, 3) Et encore : « Pitié, Seigneur, guérissez mon âme ; j’ai péché contre vous. » (Ps XL, 2)

De plus, s’il est un domaine où l’exemple a une force considérable, c’est bien celui-ci. Le calme, le naturel et la gaieté des parents et des frères et sœurs font vraiment se poser des questions à l’entourage. Dans un monde où tout va en sens contraire, le cas impressionne. En particulier, on ne peut imaginer de défense plus puissante du caractère sacré de la vie et des bienfaits apportés par une famille chrétienne maintenue envers et contre tout. C’est dire la responsabilité considérable de la famille dans cet apostolat par l’exemple. S’il possède la mobilité nécessaire, en s’abstenant bien évidemment de toute vanité déplacée et s’assurant de ne mettre personne mal à l’aise, il ne faut pas hésiter à emmener son enfant avec soi chez ses amis, ni à aller avec lui faire ses courses. Outre que ces sorties favorisent son éveil, on multiplie pour l’entourage les occasions d’observer le comportement de cet enfant en compagnie des siens et de lui en faire tirer des pensées salutaires. »

« Ces enfants sont une modeste couronne d’épines par les sacrifices qu’ils imposent. Ils sont aussi comme la litanie des Béatitudes par la reconnaissance de l’œuvre de Dieu et des promesses attachées à l’épreuve, promesses à la fois de consolations terrestres et de récompenses célestes, et bien sûr par la contemplation des supériorités résidant chez les humbles de cœur, les doux, les justes, les cœurs purs, les pacifiques, les affligés et les persécutés. Ils sont un antidote parfaitement adapté à la triple concupiscence : détachement d’une chair meurtrie, frein à une vie facile, abaissement de l’orgueil face à un corps et une intelligence diminuée. Au milieu d’une époque caractérisée par la confusion, l’égarement et l’erreur, ils nous permettent, à la manière de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus demandant à Dieu de réordonner ses préférences, d’étalonner nos perceptions et nos jugements en nous aidant à voir vrai et à hiérarchiser nos priorités. Ils sont un remède extraordinairement puissant contre le monde artificiel que s’est fabriqué l’homme oublieux de son Créateur. »

C’est donc une grande œuvre de charité de leur permettre de s’épanouir à l’âge adulte, dans un milieu entièrement cohérent avec l’esprit familial et leur éducation, catholique dans toute l’acception du terme, tant dans les mœurs, que dans l’emploi du temps de tous les jours, qui facilite l’élévation de leur cœur et les besoins de leur âme, si réceptive aux inspirations divines et à la piété. C’est dans cet esprit que la Fondation Sainte Jeanne de Valois a été créée et veut se développer, afin de protéger ces êtres si faibles pour l’homme moderne, mais si forts dans le cœur de Dieu.

A.-C. de Bussy

Projet Sainte Jeanne de Valois : « Maison Saint Raphaël », dans le Pas-de-Calais.

 

La Fondation Sainte Jeanne de Valois, œuvre catholique de compassion fondée par des pères et des mères de famille confrontés au handicap, vise à offrir en France pour des personnes adultes atteintes de différents handicaps un maillage de lieux de vie à taille humaine, gérés comme des maisons familiales, à proximité géographique des familles en maintenant des liens étroits avec celles-ci. Après une première maison de dix pensionnaires fonctionnant avec un plein succès depuis trois ans dans l’Indre, elle a pour objectif d’ouvrir deux nouvelles maisons similaires dans le Pas-de-Calais et dans les Côtes d’Armor.

BP 50973  75829 PARIS Cedex 17

Téléphone : 01-75-50-84-86     

Site             : http://www.jeanne-de-valois.fr

Courriel      : contact@jeanne-de-valois.fr

 

 

 

 

La paix vaut encore mieux que la vérité

La paix… Qui n’a jamais voulu la posséder entièrement, cette paix que tous recherchent mais que bien peu trouvent ? Que ne serions-nous prêts à sacrifier pour l’obtenir, ne serait-ce que quelques instants ? C’est ce que semble entendre Voltaire lorsqu’il la met au-dessus de la vérité, lui qui a été si dogmatique durant sa vie. La paix… les peuples l’ont chérie, les nations ont même, chose étrange, combattu en son nom, les civilisations ont été par elle grandes. Les parents la veulent pour leurs enfants, les enfants la souhaitent à leur parents, le foyer se construit tout autour et avec elle prospère et grandit. Elle est le plus grand bien que l’on peut avoir, alors pourquoi ne pas sacrifier pour elle les immanquables querelles qu’entraînent les débats stériles sur une vérité que personne ne comprendra jamais et, qui, somme toute, semble bien subjective ? Pourquoi paix et vérité s’opposent-elles systématiquement alors que si chacun acceptait le point de vue de l’autre nous pourrions tous vivre en harmonie ? Combien actuel est ce message que nous entendons à droite et à gauche, mais combien est-il destructeur pour ce monde si pacifique en apparence ! Essayons d’y voir plus clair dans ce labyrinthe édifié par des maîtres sophistes et voyons en quoi consistent la paix et la vérité et quelle est leur relation.

  Pourquoi la paix est-elle si importante pour l’homme ? Tout simplement parce qu’elle signifie que nous nous trouvons dans un état où sont exclues la contrainte, la douleur, l’inquiétude, la difficulté. Mais ce n’est pas tout : la paix est aussi intimement liée au bonheur car elle permet de goûter pleinement ce que l’on aime, sans inquiétude de le perdre. La paix est ce sentiment de plénitude, de contentement qui vient nous remplir une fois que nous avons atteint l’objet que nous cherchions. Nous recherchons à la fois l’objet pour ce qu’il représente (un travail, l’estime de nos pairs, …) mais aussi pour la paix qu’il nous apportera, pour le vide qu’il viendra combler, et c’est pour cela que l’on peut dire que tout acte humain est fait en vue de la paix, que même la guerre est faite en vue de la paix. Encore une fois, tout ce que l’homme fait est dirigé vers ce « quelque chose » qui lui manque, et c’est pourquoi la paix est le motif de chacun de nos actes. Nous cherchons à remettre dans l’ordre ce qui est déréglé, ce qui n’est pas droit, c’est pourquoi saint Augustin dit de la paix qu’elle est « la tranquillité de l’ordre ». Bien sûr, plus grand est l’objet recherché, plus grande sera la paix que nous en tirerons, et l’objet le plus grand que l’homme peut rechercher n’est autre que Dieu, c’est pourquoi il est dit dans l’Evangile « Recherche la paix et poursuis-la ». Mais pourtant nous observons au quotidien des gens qui ne connaissent pas Dieu, qui le haïssent même et qui pourtant semblent goûter la paix chaque jour de leur vie : ils sont respectés, entourés, comblés de biens et de faveurs. Comment expliquer que les méchants soient dans la paix malgré leur injustice ? A cela saint Thomas répond : « la vraie paix n’est compatible qu’avec le désir d’un bien véritable », et il ajoute « car le mal, même s’il a quelque apparence de bien (…), comporte pourtant beaucoup de défauts à cause desquels l’appétit demeure inquiet et troublé », et il termine ainsi : « La vraie paix ne peut donc exister que chez les bons et entre les bons ». La paix des méchants ne peut donc qu’être apparente et pourtant c’est celle que recommande Voltaire, nous allons voir comment.   

          Lorsque Voltaire affirme que « la paix vaut encore mieux que la vérité », il faut entendre deux sens à ce « encore ». Tout d’abord il signifie que si l’on en venait à comparer paix et vérité la première serait d’un prix beaucoup plus élevé que la seconde, et donc à lui préférer. Ensuite il signifie un rejet implicite de cette vérité qui semble si peu importante voire même ennemie de notre paix. Et qui en effet n’a jamais, au moins une fois, mis de côté cette vérité par lassitude, pour éviter d’envenimer une discussion avec un ami ou un proche ? Il ne faut pas parler là de la prudence qui dans certains cas nous commande de nous taire pour qu’un mal plus grand ne soit pas causé, mais bien de cette opposition qui se fait en nous entre notre désir profond de paix et notre volonté de partager la vérité. La vérité est en effet un bien qui se diffuse, qui ne peut pas rester confiné. Naturellement, nous voulons transmettre la vérité aux autres parce qu’elle est le guide de tout l’agir humain, parce qu’elle est la clé du bonheur. Le problème est qu’elle vient bien souvent nous contrarier dans nos habitudes de vie, dans notre confort –nous parlons là bien sûr de la Vérité avec un grand V, celle qui nous éclaire sur ce qui est moral ou non, sur les réalités spirituelles- et alors grande est la tentation de la laisser passer sans réagir, de lui préférer l’instant présent. On aboutit immanquablement au subjectivisme où l’on considère que « à chacun  sa vérité », que « s’il est heureux comme cela, alors c’est bien », etc… Nous créons, sur les pas de Voltaire, une opposition entre paix et vérité alors même qu’elles sont toutes deux complémentaires comme nous l’avons dit plus haut avec saint Augustin : « La paix est la tranquillité de l’ordre », et cet ordre étant bien évidemment soumis à la vérité.

Il suffit pour s’en convaincre de considérer ceux qui se sont adonnés à la recherche de cette vérité, les moines, les grands philosophes chrétiens : la paix les habite parce qu’ils sont en contact permanent avec la Vérité. Ce sont des exemples vers lesquels tout chrétien et même tout homme peut tendre s’il est animé du désir sincère de la vérité. Rien ne peut détacher l’homme de cette paix puisqu’il sait, il sait la grâce, la vie après la mort, le Ciel et l’Enfer, le Jugement, le Bien et le Mal. Il sait quel est le but de son chemin terrestre et quel est le moyen d’y arriver : quel est alors ce qui pourrait le troubler et le détourner de ce chemin ? La vérité est le plus grand et le plus précieux de tous les biens que peut posséder l’homme car de lui découle son bonheur, et c’est pourquoi le plus ignorant des hommes qui sait ne serait-ce que l’existence de Dieu et sa bonté est plus riche en savoir que le savant athée, ennemi de la religion ou même simplement indifférent. Et l’on voudrait cacher ces vérités sous le prétexte qu’elles viendraient troubler notre paix ? C’est aussi grave que de priver un mourant de la visite du prêtre parce que ce dernier risque de le troubler, de lui faire peur. La vérité est d’un prix tellement élevé que des royaumes chrétiens ont fait la guerre contre l’hérésie, parce que la paix éternelle de millions d’âmes était en jeu. Accepter de sacrifier la vérité pour conserver la paix est un contresens qui mène de manière absolument sûre à la mort de l’âme et à la nécrose spirituelle.

  Certes, la paix est extrêmement importante pour l’homme : sans paix, rien de ce que nous ne pouvons faire n’est appelé à durer et notre bonheur en serait grandement compliqué. Mais cette paix ne peut être réelle, durable, que si elle est s’accompagne d’une recherche, d’une soumission à la vérité. Voltaire commet l’erreur de confondre la paix purement naturelle de l’homme du monde avec celle plus spirituelle de l’homme de l’Eglise. Pour le premier elle est un absolu pour lequel il est prêt à sacrifier la vérité sans sourciller. Pour le second, elle n’est qu’une conséquence de la vérité, de la découverte de ce qui surpasse l’homme.

« Point de paix dans l’homme dont les pensées, les affections, les volontés ne sont pas en tout conformes à l’ordre et à la vérité et à la volonté de Dieu ». (Imitation de Jésus-Christ, II, 3)

Un animateur de MJCF

 

Le chant liturgique

Un soir à la maison, Grégoire, qui a juste 12 ans et qui chante au chœur d’adolescents du Conservatoire de la ville toute proche, lance la discussion au sujet de la musique et plus spécifiquement du contenu des programmes de chants des chorales.

– J’aime bien les chansons que l’on chante au Conservatoire. Les mélodies sont agréables et puis les rythmes sont très entraînants alors que les cantiques que l’on chante lors de la messe du dimanche semblent plus monotones et plus lourds. Pourquoi ne chante-t-on pas des chants qui bougent un peu ? Les cantiques sont tristes parfois.

Son frère Augustin, de 18 ans, qui a suivi une première retraite de Saint Ignace lui rétorque que tout cela est normal. A la chorale du conservatoire, le chef de chœur recherche souvent en premier lieu à intéresser ses élèves. Il choisit donc des chants agréables et dynamiques qui peuvent plaire à un maximum d’élèves et aussi au public des concerts. Tous recherchent un plaisir immédiat. A la messe, nous sommes là pour louer, honorer et servir Dieu, attitude que nous devrions avoir dans toutes les activités de notre vie d’ailleurs. Donc le but n’est pas le même ici qu’au Conservatoire.

Papa, qui a suivi l’échange intervient alors pour préciser quelques points. L’assistance à la messe est le plus important des actes de religion. C’est le renouvellement du Sacrifice de la Croix et les fidèles y participent par leurs prières et par leurs chants à la louange divine. Il ne s’agit plus de savoir si le chant nous plaît ou non, mais si ce chant est digne de Dieu, le loue et l’honore. Ainsi nous nous unissons aux anges et aux saints qui chantent éternellement la gloire de Dieu dans le Ciel. Pendant le Sanctus, pensons particulièrement à la cour céleste qui nous accompagne.

– Mais ce n’est pas un peu compliqué de choisir des chants adaptés ? reprend Grégoire.

– C’est pourquoi, répond Augustin, les chefs de chœurs passent du temps pour élaborer le programme des cantiques convenant aux différentes circonstances.

– En effet, précise Papa, qui dirige la chorale paroissiale de la chapelle desservie par de bons prêtres traditionnels où il emmène chaque semaine sa nombreuse famille, les cantiques sont choisis en fonction de la fête et surtout au regard des pièces grégoriennes qui ne sont pas facultatives et qui donnent la couleur propre de chaque messe. Les introïts du jour de Noël (Puer natus) et du jour de Pâques (Resurexit) n’ont pas la même couleur ni le même entrain. Autant le premier est joyeux et enlevé autant le deuxième est posé et recueilli. On ne pourrait pas chanter n’importe quel cantique avant l’un ou l’autre de ces introïts comme il ne nous viendrait pas à l’idée de mettre de la moutarde dans un dessert. Dans les deux cas il est nécessaire de faire preuve de bon sens. Si on fait des mauvais choix, on ne met pas l’objectif au bon niveau.

Quelle est la fin que nous recherchons ? Quel est le meilleur moyen à prendre pour l’atteindre ? Telles sont les questions que l’on doit se poser en permanence, sinon c’est comme si l’on marchait dans une grande forêt sans carte ni boussole.

Tout à coup Madeleine, 13 ans, prend part au débat pour ajouter qu’à son avis on ne chante bien que si on éprouve du plaisir, et que certains cantiques que l’on chante à la chapelle sont vraiment trop tristes.

– La musique passe d’abord par les sens, ajoute Papa, et c’est pourquoi nous avons plus ou moins de plaisir à l’écouter et à la mémoriser suivant notre sensibilité. Mais il n’en reste pas moins vrai qu’elle doit atteindre l’âme et nous faire remonter à Dieu auteur de tout bien. Sinon c’est du vol ou du caprice si nous gardons égoïstement ses bienfaits. J’insiste sur ce que nous avons dit tout à l’heure. Notre chant, à la messe tout particulièrement, est une louange pour Dieu. Il ne faut donc pas en rester à une première impression de tristesse ou de joie. Il faut analyser le contenu des chants et la fin recherchée. Certaines pièces seront plus méditatives et d’autres moins, selon ce que le compositeur a voulu exprimer, et le choix sera effectué en fonction de ces critères, selon la période liturgique et pour aider les fidèles à mieux prier.

Tout fier, Augustin reprend,

– Mon saint patron a dit : « Chanter, c’est prier deux fois. »

– Effectivement, le chant nous aide à porter notre prière vers Dieu, précise Papa. Il n’est pas besoin d’être un grand chanteur pour louer Dieu avec sa voix.

– L’autre jour j’ai entendu une messe avec des solistes, continue Grégoire, et cela avait de l’allure, rien à voir avec les chants à la paroisse !

– Attention, Grégoire, ajoute Papa, ces chanteurs ont-ils la foi, chantent-ils pour rendre gloire à Dieu, ou sont-ils venus comme à un concert pour une prestation qui leur sera rémunérée ? En toute chose il faut considérer l’esprit, l’intention qui motive cette action. Le Bon Dieu sera plus honoré par un chant simple d’une paroisse qui y met tout son cœur avec une pureté d’intention que par des pièces interprétées par des professionnels qui ne pensent pas à Lui.

Maman intervient pour étayer les propos de Papa en donnant l’exemple du « Je vous salue Marie » de l’Isle-Bouchard. A l’occasion de ses apparitions dans l’église du village, la Très Sainte Vierge a demandé à plusieurs reprises à Jacqueline Aubry, l’ainée des voyantes, de chanter avec la foule le « Je vous salue Marie qu’elle aimait bien ». C’est sans doute plus la foi avec laquelle tous chantaient que la qualité vocale de l’exécution que la Très Sainte Vierge attendait.

Le chant liturgique fait partie intégrante du culte rendu à Dieu conclut Papa. En effet, l’homme est fait pour vivre en société et doit rendre un culte public à Dieu. D’où il en découle l’obligation d’assister à la messe tous les dimanches et fêtes, et d’y chanter de tout son cœur les pièces les plus accessibles. C’est-à-dire non seulement les cantiques mais aussi les différentes parties des Kyriale et Credo. Le Père Emmanuel du Mesnil Saint loup avait réussi à entraîner ses paroissiens à chanter mêmes les pièces grégoriennes après les avoir répétées dans la semaine sous sa direction. Nous sommes bien loin des cantiques faciles entendus parfois dans les messes de mariage des cousins qui ne vont pas à la messe traditionnelle. Mais nous pourrons continuer cette discussion un autre jour avec des exemples et des arguments pour donner les éléments pour choisir les meilleurs chants.

            François