Il est habituel d’aborder le sujet de la drogue, quelle qu’elle soit : cannabis, cocaïne, héroïne ou amphétamines, sous l’aspect des conséquences naturelles impactant les capacités physiques et psychologiques[1].
Il est un peu plus rare d’aborder le sujet sur l’aspect purement moral.
Il est encore plus anecdotique de s’interroger sur l’aspect économique.
Pour autant c’est sur ce dernier aspect, trop méconnu, que de nombreuses personnes s’approchent et tombent dans le monde des stupéfiants.
Entendons-nous bien, il ne s’agit pas d’explorer le poids du trafic de stupéfiants dans l’économie nationale, voire mondiale. Tous, nous avons connaissance et conscience que certains empires financiers sont bâtis sur la fabrication et la vente de produits stupéfiants. L’existence des cartels n’est pas anecdotique.
Non, il s’agit de se pencher sur la facilité financière qu’apporte la drogue, même au plus petit niveau, au cœur même de nos foyers. Voilà un danger bien méconnu. Les stupéfiants, c’est avant tout de l’économie ! Il y a de l’offre et de la demande ; c’est un commerce où l’argent, beaucoup d’argent, circule.
Or cette facilité s’inscrit parfaitement dans les rouages de notre société de consommation et du paraître :
La drogue, en consommer, c’est fuir la réalité de la vie et de ses peines.
En faire commerce, c’est fuir également la rigueur et la peine du travail…. c’est « gagner sa vie » sans effort.
Quoi qu’il en soit, consommer ou vendre des produits stupéfiants demeure pénalement et moralement répréhensible !
Pour comprendre l’origine de ce commerce facile, rappelons très succinctement ce qui se cache dans les stupéfiants ou plus exactement dans les substances psychotropes.
Il faut avoir conscience que le produit acheté dans la rue n’est jamais pur à 100 %. D’ailleurs, il ne se consomme pas tel quel. Deux raisons essentielles :
La première raison repose sur le fait que la quasi-totalité des produits ne sont pas des produits 100 % naturels. Peu de drogues peuvent se consommer « pures ». Si l’on veut être un peu ironique, le « label bio » ne pourrait être attribué qu’à la « beuh », c’est-à-dire l’herbe de cannabis (qui est de la famille du chanvre). En effet, des procédés chimiques sont nécessaires pour isoler, valoriser l’aspect psychotrope. De fait, l’organisme humain ne peut pas supporter un produit trop riche, trop « pur » en teneur. Une des conséquences pourrait être l’issue fatale par overdose.
- La deuxième raison vient de l’aspect commercial. Les vendeurs augmentent le poids et baissent la qualité du produit afin de faire plus de bénéfices. Pour reprendre notre herbe de cannabis « bio », il a été retrouvé dans certains sachets d’herbes de marijuana des billes de verres microscopiques ! Fumer un pétard, ce n’est pas qu’inhaler du THC[2]!
Aujourd’hui la teneur en substance active des drogues a tendance à augmenter ; la cocaïne consommée à ce jour oscille entre 20 et 30 % de pureté et 10 et 15 % pour l’héroïne. En effet, le stupéfiant vendu au détail (« dans la rue ») est un produit qui a été « coupé », c’est-à-dire qu’à la substance psycho active ont été ajoutés des produits plus ou moins « neutres », dans le meilleur des cas. La toxicité des stupéfiants provient donc du produit en lui-même, mais également du produit de coupe.
Examinons les compositions de votre produit vendu dans la rue.
De la recette … culinaire
Rassembler les ingrédients :
Prenez des feuilles de coca[3]. Faites-les sécher plusieurs jours. Puis mélangez-les à un produit alcalin comme du carbonate de sodium ou de calcium. Ensuite, effectuez un nouveau mélange avec un solvant organique de type kérosène[4]. L’objectif est d’extraire de la plante, les alcaloïdes. Puis, il est nécessaire de faire une adjonction de soude afin d’obtenir une pâte : la pâte de coca. Faites-la reposer et mettez là à sécher.
- Vous aurez à effectuer plusieurs opérations de nettoyage, de filtrage et de séchage avec à chaque fois l’incorporation d’ingrédients tels que du permanganate de sodium, de l’acétone et de l’acide chlorhydrique.
- Vous aurez ainsi obtenu le chlorhydrate de cocaïne sous la forme d’une poudre blanche.
Personnaliser votre recette :
- Concernant le produit de coupe. Il représente les trois quarts généralement du produit consommé. Là, les analyses montrent que l’imaginaire des « vendeurs » et « revendeurs » n’a quasiment pas de limite.
- Pour la cocaïne, les principaux produits de coupe sont la lidocaïne (anesthésique local), le lévamisole (vermifuge pour animaux) et la phénacétine (analgésique retiré du marché en 1983 car probablement cancérigène).
- Mais on peut également trouver du talc, du paracétamol, de la caféine, et/ou de la farine, du lactose (ou lait pour bébé) notamment pour l’héroïne.
- Dans la résine de cannabis, (ces savonnettes brunes, ou ces barrettes qui permettent de faire des « joints ») il est d’usage de trouver du henné, de la cire, de la paraffine, des colles, de l’huile de vidange, des déjections animales, des hydrocarbures aromatiques, du pneu …
Il faut donc avoir conscience que lorsqu’une personne achète un produit stupéfiant, elle ne connaît ni la qualité du produit (quelle est sa teneur réelle en produit psychoactif ?) ni sa composition (type des produits de coupe ?).
Ces produits :
- se fument (se faire un joint, un pétard …)[5],
- s’inhalent (se faire un alu, chasser le dragon, un rail, une ligne, une trace, une seute, une poutre, un sentier, un poteau …),
- s’injectent (se faire un fix, un shoot, un taquet, un tanker),
- s’ingèrent.
La réaction avec l’organisme n’est jamais totalement prévisible.
L’usager recherche dans un premier temps :
- le flash d’excitation (pour la cocaïne, et les amphétamines)
- le bien-être ou un état d’apaisement (pour l’héroïne ou le cannabis).
- Puis dans un second temps, il s’agit de faire durer la période d’effet maximal (appelée la planète ou le plateau), qui s’obtient généralement par la polyconsommation[6].
L’usager subit ensuite le troisième temps : la descente … qui génère une véritable angoisse.
Il n’est pas rare de ressentir des effets néfastes dits de bad trip, suite à une allergie ou à une intoxication.
Très rapidement s’installe le besoin de consommer plus et plus souvent pour éviter cette descente et retrouver les premières sensations. L’accoutumance est déjà là ! Et cela parfois dès la première prise selon le produit utilisé, l’organisme et le psychisme du sujet.
Il y en a pour tous les goûts … et il n’y a pas de règles dans ce marché !
A la recette … budgétaire
Il existe toute une hiérarchie dans le monde du trafic de stupéfiants. Nous y retrouvons les règles habituelles de l’économie. Il y a des étapes de fabrications (laboratoire clandestin de chimie), de transports (go fast [7] par exemple, caissons maritimes, « mules » humaines [8], etc.), et puis celles de la vente. Il y a donc les importateurs qui se chargent de l’introduction de produits sur le continent. Puis les grossistes et les semi-grossistes qui assurent la distribution plus locale. Enfin il y a le détaillant. Tous ne sont pas consommateurs … mais tous ont un objectif : augmenter les bénéfices. Donc tous coupent le produit.
Pour illustrer ce point particulier, prenons deux exemples malheureusement communément rencontrés.
Premier exemple
Trois, quatre amis mettent en commun quelques économies et rassemblent la somme de 35 000€. Ils décident pour une fois de ne pas passer par leurs habituels vendeurs. Avec cette somme ils partent directement acheter un kilogramme de cocaïne pure dans le nord de l’Europe. Dans les faits le produit n’est jamais pur à 100 % … nous sommes plus près de 70 ou 80 %.
À ce moment-là, leur gramme de cocaïne vaut 35 € (mais ne peut être consommé étant trop pur).
Pour la rendre consommable, notre équipe investit alors 4000 € dans l’achat de 3 kilos de lidocaïne comme produit de coupe.
Ainsi pour 39000€ investis, l’équipe possède 4 kilogrammes de cocaïne à 20 % de pureté.
Le gramme dans la rue se vend 60€[9]. Ainsi en vendant 4000 doses, l’équipe obtient 240 000 € (4000 x 60). Une fois l’investissement déduit, ils se sont fait un bénéfice de 201 000€.
Notons que dans notre exemple, nos jeunes gens ont utilisé un des produits de coupe les plus chers (lidocaïne) et ont vendu un produit à 20 % ; la marge de bénéfice est donc la plus minime. Le bénéfice serait facilement plus important en utilisant du lait de bébé en produit de coupe et en vendant des doses à 10 % de pureté !
L’exemple peut vous apparaître trop gros : lequel de nos enfants, ou nous-mêmes, pourrait investir des sommes pareilles ? C’est exact … travaillons donc au « chrome ».
Deuxième exemple
Celui-ci vous permettra alors d’imaginer que dans une famille, un fils, une fille peut très rapidement, par appât de l’argent facile, se mettre à vendre.
Notre adolescent investit 400 € pour 10 grammes à 40 % de pureté chez un semi-grossiste.
De retour à la maison, il coupe ces 10 grammes pour moitié avec de la farine, du lactose et du sucre issus des placards de la cuisine. Il possède désormais 20 grammes à 20 % de pureté.
En vendant ses 20 grammes à 60 € le gramme, il obtient 1600 € et donc un bénéfice de 1200€ (1600-400).Certains diront qu’engager 400€ peut être encore difficile pour un adolescent dans une famille modeste. Certes, mais le milieu des stupéfiants, comme celui du commerce, utilise toute l’ingénierie de l’économie moderne. Les 10 grammes que votre adolescent rapporte à la maison, lui ont peut-être été donnés « en chrome », c’est-à-dire à crédit. Sur sa première vente et son premier bénéfice, il remboursera alors son fournisseur. Dans notre cas, le bénéfice s’élèvera quand même à 800 €. 800 € pour flamber, 800 € pour s’acheter, pourquoi pas, sa propre consommation … sans qu’un euro ne disparaisse de la maison ou de sa tirelire !
Nous avons connu un adolescent de 14 ans, qui au collège, dans une petite ville de province en Bretagne, avait récupéré un kilo de résine de cannabis en chrome.
Recettes à partager ?
Une bonne recette, généralement, rassemble les familles et les amis pour partager un moment de cohésion, de joie. Mais les recettes ici données n’apportent rien de bon ; y goûter c’est mordre à pleines dents dans la discorde, la tristesse, l’isolement, la maladie et les sanctions pénales. Quatre principales conséquences découlent de l’usage des produits stupéfiants :
- la déchéance physique : elle est le résultat direct de la consommation de substances impropres à la consommation et néfastes pour l’organisme. Cancers, maladies respiratoires, cardiovasculaires, contamination par salives ou sang (herpes, SIDA ) apparaissent chez les consommateurs. Sans aucun doute, consommer des produits stupéfiants, c’est s’empoisonner !
- les dommages psychiques : les substances psychoactives engendrent un état de manque[10] qui se traduit par des symptômes physiques, comme la douleur (opiacés), des tremblements, voire des convulsions, souvent accompagnés de troubles du comportement tels que l’anxiété, l’irritabilité, l’angoisse. Le besoin de consommer devient une idée fixe irrépressible, monopolisant toutes les énergies et les pensées. La vie quotidienne tourne largement ou exclusivement autour de la recherche et la prise du produit, entraînant une tension interne et une anxiété exacerbée. Cette sensation de malaise et d’angoisse peut conduire jusqu’à la dépression, bouleverse les habitudes, éloigne de toute vie sociale et affective. C’est un paradoxe de l’usage des stupéfiants : souvent les premières consommations se font entre « amis » mais rapidement, l’ami ne devient que le fournisseur. Il en est de même de l’illusion de l’aisance financière.
- la dépendance vis-à-vis des fournisseurs et la crainte des règlements de comptes qui représentent des dangers physiques pour soi-même et pour sa famille car le milieu est impitoyable et n’aime pas ceux qui voudraient abandonner…
- les condamnations, amendes et prisons : il faut savoir que la loi ne prévoit aucune différence entre les drogues (malgré le terme faussement utilisé de « douces ou dures ») et entre les usages (publics ou privés). De même contrairement à ce que pensent les consommateurs : vendre ou offrir des produits stupéfiants, même à des « amis » en petite quantité est assimilé à du trafic. Selon les codes, l’usage de stupéfiant comme le trafic sont des délits punis d’amendes et de peines de prison[11]. Pour autant, les juges tiennent toujours compte du danger de la substance et des circonstances lorsqu’ils déterminent la peine applicable à l’usager. Ainsi, la loi permet aux procureurs de la République de ne pas « poursuivre » l’usager et de choisir de mettre en œuvre des « mesures alternatives aux poursuites ». Ces mesures peuvent être le rappel à la loi, l’orientation vers une structure sanitaire ou sociale, l’obligation de suivre un stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de stupéfiants, l’injonction thérapeutique, le retrait provisoire du permis de conduire ..
Trop souvent nous avons en tête une « image d’Épinal » qui illustre ce que l’on croit connaître du monde des stupéfiants. Elle est rarement éloignée de celle du jeune paumé qui commence par fumer des joints et finit par s’injecter des drogues plus fortes. Même après une cure de désintoxication, il se drogue de nouveau. C’est un jeune faible, irrécupérable, qui mourra d’overdose.
Malheureusement la réalité est beaucoup plus banale et commune. Nul milieu n’est épargné. Dans l’éventail des utilisateurs de drogues, tout l’univers social se trouve représenté. L’on y trouve aussi bien des filles que des garçons, des personnes âgées, des adultes, des jeunes, des adolescents, des enfants, des riches et des pauvres.
Alors mieux vaut un an trop tôt qu’une heure trop tard ! Les drogues, les stupéfiants ne doivent pas être un sujet tabou en famille. En parler, ce n’est pas en faire l’apologie, c’est parler de la réalité, c’est sensibiliser, c’est prévenir… c’est former et éduquer.
Aussi avec l’intelligence de situation nécessaire et la psychologie qui s’imposent, les parents aujourd’hui ont un devoir d’aborder ces questions avec leurs enfants. Sans forcement devenir un spécialiste, un certain nombre de documents permettent rapidement d’acquérir la connaissance (académique !) des produits, de leurs effets et des symptômes. À ce titre l’observatoire français des drogues et des toxicomanies apporte une base assez riche, abordant les sujets uniquement sur le plan naturel et les risques. Elle est consultable sur https://www.ofdt.fr[12]. Également les sites de prévention comme www.drogues-info-service.fr ou de la mission interministérielle de luttes contre les drogues et les conduites addictives (« MILD&CA »)[13] apportent beaucoup d’éléments et de réponses précises à diverses questions pratiques.
Soyez convaincu que l’usage des stupéfiants s’est largement banalisé, socialisé. Il suffit de se promener dans la rue et de sentir. Au-delà de la pollution habituelle, il vous arrive de constater que l’odeur de la cigarette de votre voisin est lourde, entêtante, légèrement douce-amère. C’est un usage de résine de cannabis, presque banalisé (les bureaux de tabac vendent même des feuilles à rouler spécifiques !) et pourtant il s’agit de la consommation d’une substance psychotrope interdite. Ce produit, pour l’instant illégal, déconnecte l’être humain de la réalité et fait prendre des risques, physiques et psychologiques, économiques et sociologiques importants, non seulement au consommateur, mais également à ses proches, à nos familles et à toute notre société. Fermer les yeux ne fera pas disparaître ce fléau.
Donc aucune excuse ; pas besoin d’être médecin, ni chimiste ni expert comptable pour en parler !
Griffon S.
[1] Article Foyers Ardents 3, du 14 juin 2017 : « La drogue ».
[2] THC : tétrahydrocannabinol, plus communément appelé THC, est le cannabinoïde le plus présent dans la plante de cannabis.
[3] Cocaïer : arbuste sud-américain, retrouvé essentiellement en Bolivie, en Colombie et au Pérou, pousse entre 700 et 1800 mètres.
[4] C’est peut-être pour cela que l’on plane !
[5] Le jargon du milieu stupéfiant est très riche, mais aussi très variable et changeant. Les termes donnés ici sont les plus courants.
[6] Optimisation des effets par adjonction d’alcool, ou la combinaison de plusieurs produits (speedball : cocaïne + héroïne).
[7] « aller vite ». Il s’agit d’une technique utilisée par les trafiquants pour transporter de grosses quantités de produits en utilisant des véhicules (voitures ou bateaux) puissants et rapides.
[8] Il s’agit d’une personne qui, à son insu ou non, transporte ou stocke des stupéfiants (dans ses bagages, sa maison, ou in corpo, etc.).
[9] Actuellement le gramme de cocaïne dans la rue est à 60€, celui d’héroïne se négocie à 40€, le gramme de cannabis est à 10€ comme celui d’un cachet d’ecstasy.
[10] La dépendance peut s’installer de façon brutale ou progressive, en fonction de l’individu et du produit consommé. Le passage de l’usage simple à la dépendance n’est souvent pas perçu par la personne qui pense maîtriser sa consommation. Cette impression « d’auto-contrôle » n’est qu’une illusion : on devient dépendant d’un produit sans s’en rendre compte.
[11] « L’usage illicite de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants est puni d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende » (article L.3421-1 du Code de la santé publique). La plupart des actes de trafic de stupéfiants, de nature délictuelle sont punissables de 10 ans de prison et de 7 500 000 euros d’amende (articles 222-36 et 222-37 du code pénal). La cession ou l’offre illicite de stupéfiants à une personne en vue de sa consommation personnelle est moins sévèrement punie de 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende (article 222-36 du code pénal). Certains actes sont punis de peines criminelles.
[12] Notamment dans l’onglet « produits et addictions ».
Également la consultation du site ASUD (www.asud.org), de l’INPES (https://www.santepubliquefrance.fr/) peuvent apporter des éléments complémentaires.
[13] https://www.drogues.gouv.fr/