A la découverte de métiers d’art :

Le chantier archéologique de Notre-Dame de Paris

Le 15 avril 2019, chacun vivait avec émotion le terrible incendie qui ravageait Notre-Dame, assistant impuissant à la chute de sa flèche s’écroulant au fond du brasier ardent. Les réactions des autorités politiques et religieuses ne se firent pas attendre et, comme souvent, il y eut polémique, précisément à propos de sa reconstruction. Pourtant, avant de reconstruire, il faut évaluer l’ampleur des dégâts et nettoyer les lieux. Et c’est là qu’interviennent l’INRAP (Institut National d’Archéologie Préventive), le LRMH (Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques), épaulés par de nombreux spécialistes archéologues, historiens ou historiens de l’art de l’Université ou du CNRS. Les ruines fumantes de Notre-Dame devinrent alors un chantier archéologique à ciel ouvert dont l’étude des gravats, devenus vestiges archéologiques, nous dévoile aujourd’hui une part des secrets de cette cathédrale de plus de 800 ans.

 

Une hauteur sous voûte record à l’époque :

Paradoxalement, Notre-Dame, qui attire foule de visiteurs et de fidèles chaque année, a rarement été étudiée, au point que des zones d’ombres demeurent, notamment autour de la prouesse architecturale qu’elle représente. La hauteur des voûtes atteignant les 33,50 m dans la nef, et réputée la plus haute de son temps, demeurait, jusqu’à l’incendie, une énigme. Les portions de voûtes tombées au sol ou partiellement effondrées livrèrent quelques explications en la matière. Véritable manteau de pierre, ces voûtes d’ogive sexpartites de 12 à 15 cm d’épaisseur sont étonnamment fines. Par comparaison, celles de la cathédrale Saint-Étienne de Sens, première cathédrale où la voûte d’ogive sexpartite est utilisée, avoisinent les 30 cm d’épaisseur, soit le double. Plus lourde, la voûte ne peut donc s’élever aussi haut et se contente d’atteindre les 30 m de hauteur. L’architecte anonyme de Notre-Dame de Paris a donc réussi la prouesse d’amincir les voûtes pour dépasser de peu le record de hauteur de l’époque, record qui sera battu ensuite par les cathédrales de Bourges, Amiens et Beauvais.

 

Le puzzle du grand arc doubleau :

Les blocs de pierre tombés au sol, notamment les claveaux composant les arcs doubleaux de la nef, révèlent également les gestes des tailleurs de pierre, les outils utilisés ainsi que l’organisation générale du chantier de construction. Ainsi, afin de limiter les erreurs d’assemblage, chaque face des claveaux était gravée d’une croix ou d’un autre signe qui permettait de reconnaître facilement la face de pose de la face d’attente, visible jusqu’à la pose de la pierre suivante. Les tailleurs de pierre produisaient les blocs en série, mais prenaient soin de préciser leur ordre d’installation aux ouvriers. De même, la taille des pierres impliquait la réalisation d’encoches, utiles pour maintenir avec des perches en bois les arcs une fois montés durant le temps de séchage. Grâce à ces indices minimes, les archéologues sollicités pour le chantier de reconstruction réalisèrent un puzzle géant du grand arc doubleau écroulé de la nef et surent, après maints rebondissements et aidés des nouvelles technologies, redonner sa place à chaque claveau en vue d’une réutilisation pour la reconstruction de l’édifice.

 

Une charpente du XIIIe siècle, témoin de la sylviculture médiévale :

Principale victime de l’incendie, la charpente médiévale, rare survivante du XIIIe siècle, a maintenant volé en fumée. En chêne, elle tenait sa résistance et sa structure aux connaissances médiévales en matière de sylviculture. Contrairement à une idée répandue, les bâtisseurs médiévaux n’ont pas déforesté l’Europe entière pour les besoins de leurs constructions. Bien au contraire, les forêts étaient cultivées en fonction des besoins. Il s’agissait alors de produire des chênes jeunes et fins, adaptés aux besoins des charpentes médiévales. Ceux-ci étaient cultivés en taillis comme la forêt de Gabor (Tarn) en présente encore. Un gros chêne initial était d’abord coupé au ras du sol, puis de cette souche renaissaient 3 à 5 rejets, qui poussaient ainsi ensemble, en compétition et sans lumière latérale. Ils poussaient donc très vite très haut pour avoir de la lumière et ne pouvaient développer de branches latérales en raison de la densité du peuplement de la forêt. En 50-60 ans, il était ainsi possible d’obtenir des arbres jeunes et droits, à partir desquels pouvaient être débitées des poutres solides, longues et de 10 m sans nœuds. Une forêt de 3 à 4 hectares suffisait donc pour approvisionner un chantier.

Puis les arbres, une fois abattus, étaient taillés a minima à la hache en suivant le fil du bois, c’est-à-dire que le cœur du chêne était préservé et que ses sinuosités étaient respectées de manière à conserver la solidité de l’ensemble. Les poutres obtenues étaient ainsi parfois courbes, mais demeuraient robustes et surtout, en raison de la jeunesse de l’arbre abattu, étaient flexibles et résistantes au vent, qualité nécessaire pour une charpente particulièrement pentue comme celle de Notre-Dame. Une véritable osmose existait donc entre les techniques de production, l’ouvrage final et la nature elle-même.

 

Et sous le sol ? 

Le nettoyage entrepris après l’incendie fut évidemment l’occasion d’observer de plus près les vitraux, notamment la superbe rose occidentale qui après nettoyage a retrouvé un éclat oublié. Mais après s’être intéressé au plafond et à tous ses ornements, le chantier archéologique fut l’occasion de fouiller le sol sous le dallage de la croisée du transept, et d’y découvrir non seulement le sarcophage en plomb d’un chanoine du XVIIIe siècle, mais aussi les vestiges de l’ancien jubé médiéval. Celui-ci, probablement érigé vers 1230, représentait la Passion du Christ. Finement sculpté et peint, il clôturait le chœur. Détruit au XVIIIe siècle, ses différentes composantes furent alors précieusement déposées, comme ensevelies au pied du chœur par respect pour leur caractère sacré. Les 500 blocs retrouvés permettront sans doute dans l’avenir de reconstituer au moins en partie ce jubé médiéval qui, jusque-là, ne nous était connu que grâce à des témoignages postérieurs.

La catastrophe de l’incendie hante encore les esprits, et, en attendant la phase finale de sa reconstruction, chacun se demande si Notre-Dame sera toujours la même. À son chevet depuis 2019, toute une équipe de spécialistes a scruté son corps meurtri par les flammes et c’est ainsi que Notre-Dame, avant de renaître tel un phénix, nous livre en brûlant une partie de ses secrets. Son histoire n’est pas encore terminée.

 

                Une médiéviste

 

A la découverte de métiers d’art : Peindre à la période romane

Souvent, pour parler des peintures murales ornant les édifices construits aux Xième et XIIème siècles, à la période dite romane, l’on entend dire qu’il s’agit de fresques. Mais qu’en est-il exactement ?

Tout d’abord qu’est-ce qu’une fresque ?

Le terme fresque, hérité de l’expression italienne a buon fresco, désigne une technique picturale bien précise suivant laquelle un pigment est posé directement sur un enduit frais, qui vient tout juste d’être appliqué sur le mur. Comme pour toute peinture murale, le mur est d’abord préparé, lissé ou piqueté pour faciliter l’adhérence de l’enduit.

Puis l’enduit, principalement composé de sable et de chaux, est appliqué en différentes couches successives allant d’un mélange plus rugueux à un ensemble plus lisse et homogène. Une fois l’enduit préparé, la peinture peut commencer. Et c’est là qu’une véritable fresque se distingue d’une peinture murale dite a secco.

Pour qu’il s’agisse d’une fresque, l’enduit doit être encore frais lorsque le pigment, dilué dans de l’eau de chaux, est posé dessus. Il est alors emprisonné dans l’enduit par un phénomène physique de carbonatation le rendant quasi-ineffaçable. En séchant, la chaux qui se trouve dans l’enduit entre en contact avec le dioxyde de carbone présent dans l’air et forme une couche de carbonate de calcium appelée calcin qui emprisonne le pigment dans l’enduit.

Au contraire, lorsque le pigment est posé sur un enduit sec, la technique est dite a secco. Le phénomène de carbonatation n’intervient pas et il faut recourir à un liant, c’est-à-dire une colle telle que le jaune d’œuf ou la gomme arabique, pour permettre au pigment d’adhérer sur l’enduit.

C’est cette spécificité technique qui est à l’origine de l’étonnante longévité d’une fresque. Exposée jours et nuits aux intempéries, elle ne risque pas de s’effacer. Tant que l’enduit adhère sur le mur ou que le mur tient, elle se conserve. Ses couleurs peuvent passer, s’estomper, s’affadir, mais la fresque en elle-même est toujours là.

Cette longévité liée au phénomène de carbonatation implique toutefois une grande rapidité d’exécution puisque le temps de séchage de l’enduit est d’une journée. La surface enduite le matin doit donc être entièrement peinte jusqu’aux moindres finitions avant la fin de la journée. Enfin, une fois un pigment posé, il ne peut plus être effacé car il n’est pas soluble à l’eau. Il est donc impossible de revenir en arrière.

 

Qu’en est-il aux Xième et XIIème siècles ?

Les véritables fresques sont particulièrement rares dans les édifices médiévaux avant tout pour une raison pratique. Sur un chantier tel qu’une église où l’espace mural à peindre est considérable, la technique a fresco requiert d’anticiper la surface peignable en une journée puisque la préparation de l’enduit se fait quotidiennement. Cette surface à peindre en une journée est appelée giornata.

Le décompte des giornata dans un édifice permet en grande partie d’évaluer le temps nécessaire à la réalisation d’un ensemble peint. Du fait de ces contraintes techniques, rares sont les véritables fresques.

La plupart du temps, on constate que c’est la technique mixte, intermédiaire entre la fresque et la technique a secco, qui est utilisée. L’essentiel de la peinture est réalisé sur enduit frais mais les finitions sont à sec, ce qui explique que certains pigments, appliqués à sec, tombent plus rapidement que ceux à frais. Parfois, les peintres réhumidifient l’enduit lorsqu’il a partiellement ou totalement séché mais utilisent tout de même un liant pour poser leurs pigments. De manière générale, la technique picturale la plus répandue au Moyen-Age est la détrempe dite également a tempera : les pigments sont dilués et mélangés à un liant partiellement ou totalement soluble à l’eau. En dépit de ces différences techniques, les pigments ne changent pas, ni leur ordre d’application.

L’ordre d’application des pigments :

Comme le stipule le traité de peinture rédigé par le moine Théophile au XIIème siècle, Le traité des divers arts, les pigments ne sont jamais mélangés entre eux avant la pose sur l’enduit. Aucun mélange de couleur n’est effectué en amont.

Une couleur différente peut être obtenue par superposition de pigments sur l’enduit. Ainsi, en Touraine, on constate que le bleu identifié sur les peintures de l’église de Rochecorbon (Indre et Loire, XI-XIIème siècles) est un faux bleu obtenu par superposition de différents pigments non bleus. La teinte grisâtre obtenue, par contraste avec les couleurs rouges et blanches avoisinantes, paraît effectivement bleue et pallie l’absence de pigment de cette couleur à disposition du peintre.

Effet d’optique particulièrement ingénieux et caractéristique de nos peintres du XIème siècle qui, quoiqu’il arrive, s’adaptent aux matériaux mis à leur disposition. Chacun fait au mieux avec ses propres moyens.

La première étape, après préparation des pigments, est le dessin préparatoire. Souvent à l’ocre rouge, le peintre dessine les contours principaux des personnages ou de la scène qu’il souhaite représenter. Puis, il peint les fonds colorés et aplats principaux des vêtements avant d’ajouter les rehauts dessinant les plis des vêtements ou les détails du visage. Les finitions interviennent enfin. Par exemple, pour réaliser le visage d’un personnage, le peintre dessine d’abord les contours du visage, puis il applique les carnations roses, ajoute les ombres vertes, appelées pseudo-verdaccio, les aplats des joues, des lèvres ou du nez, et éclaire le tout avec des rehauts blancs qui viennent reproduire les lumières naturelles du visage.

Réalisé à frais, le dessin préparatoire est particulièrement tenace. Sa conservation sur le long terme permet souvent de constater les revirements du projet du peintre, ce que l’on appelle les repentirs. Un personnage ou une scène initialement prévue en tel endroit est finalement déplacé.

Les aplats colorés qui constituent les fonds cachent un temps cette erreur de calcul, mais au fil des siècles les fonds, qui ne sont pas toujours réalisés à frais, tombent et laissent apparaître l’ombre du personnage initial.

Vous l’aurez compris, les peintures murales qui ornent nos édifices médiévaux romans sont rarement de véritables fresques. A l’époque gothique, le savoir pictural se diversifie mais peu d’ensembles s’avèrent a fresco. Mais au fond, la pureté technique importe peu puisque c’est le message qui prime.

Au Moyen-Age, une peinture murale vise à faire connaître Dieu en parlant à nos sens, à le révéler ainsi et non à exalter la dextérité d’un artiste dont la gloire rejaillirait davantage sur lui-même ou son commanditaire que sur son Créateur. Le résultat moins technique n’enlève rien à la beauté du message, les programmes peints n’étant pas moins ambitieux lorsqu’ils sont a fresco ou non. Seule la longévité change, requérant donc de notre part un plus grand soin.

                  Une médiéviste

 

A la découverte de métiers d’art : L’ébéniste

L’ébéniste, comme nous l’avons vu dans l’article précédent relatant la dynastie des Jacob, a vu son nom apparaître au XVIIIème siècle, en 1732, plus précisément, s’étant séparé, par spécialité de celui de menuisier.

En effet, travaillant le bois d’ébène (importé par la Compagnie des Indes), essence précieuse, il utilise aussi d’autres bois rares et des matières animales : ivoire, corne, écaille de tortue.

Ainsi, tout meuble recouvert ou incrusté de ces matières rares, plaqué (souvent en acajou) ou marqueté avec des essences de bois créant un décor soigné, est un meuble d’ébéniste.

La valeur peut en être très importante quand l’ébéniste y  a apposé son estampille, témoignant d’un savoir-faire reconnu à l’issue de l’obtention d’une maîtrise d’art.

Celle de Riesener reçu maître en 1768 se trouve ainsi sur de somptueux bureaux, notamment celui à cylindre de Louis XV à Versailles.

Ici nous pouvons voir tout le travail de marqueterie en bois clair représentant des personnages, et des entrelacs de fleurs.

De tels meubles ne sont bien sûr plus commandés, le coût en serait bien trop élevé, et l’ébéniste se tourne actuellement vers la restauration de meubles anciens, que ce soit démontage et recollage, réparation de pièces cassées, ou leur totale reconstruction quand les manques sont trop grands, reprise de teinte de cire ou de vernis au tampon.

Il peut aussi avoir des commandes d’objets pour réassortir du mobilier, ou créer à la demande d’un client une pièce copie d’ancien, sur dessin, quand c’est nécessaire.

Mais actuellement la plupart des fabrications sont industrielles.

La restauration du mobilier ancien (ou plus récent) participe à l’idée de sauvegarde du patrimoine, en respectant la conception du meuble.

Ainsi l’ébéniste restaurateur doit veiller à conserver le plus possible d’éléments anciens et ne changer les pièces que lorsqu’elles sont réellement irréparables.

Il veille également à n’utiliser que des colles « réversibles », c’est à dire que les bois pourront être décollés sans que les fibres en soient arrachées.

Ainsi on utilise de la colle de poisson, qui peut se décoller au sèche-cheveux sans abîmer le bois, et pour autant colle très fortement.  

Diverses techniques existent pour tuer les insectes xylophages qui attaquent le bois afin de les neutraliser avant restauration (xylophène, meubles mis en poche sous vide d’air…)

Pour travailler le placage souvent décollé sous l’effet de l’humidité, ou au contraire de la trop grande sécheresse des appartements modernes, l’ébéniste doit disposer de réserves de bois de récupération pour ajuster les essences et les teintes.

Au XVIIIème siècle, le placage était scié à la main, et donc plus épais que celui actuellement débité en usine très finement, qui perd hélas en couleur et en solidité.

L’ébéniste possède aussi la maîtrise des finitions sur le bois, qu’il soit ciré ou verni au tampon, le vernis ayant pour but de mettre en valeur les bois précieux.

Moins le bois est poreux, moins il aura à être rebouché avant vernis. Celui-ci devant s’appliquer sur une surface parfaitement pleine nécessite donc que tous les pores du bois soient bouchés auparavant, c’est l’étape de remplissage.

Ainsi le chêne sera plutôt ciré car possédant de gros pores, le noyer sera ciré ou verni, alors que le merisier ou l’acajou seront vernis. Le vernis se passe au moyen d’un tampon de laine (ou mèche coton) imbibé de vernis (dilué avec de l’alcool), enserré dans un lin fin non pelucheux, par passes circulaires et légères, à plusieurs reprises pour uniformiser la finition.

La restauration d’un meuble verni peut nécessiter une reprise complète en enlevant totalement l’ancien vernis, ou faire simplement l’objet de légères reprises en égrenant l’ancien vernis, comblant les petites griffures avec de la cire dure, ou une pâte de blanc de Meudon, avant d’être reteinté et verni.

Chaque ébéniste a son savoir-faire et ses habitudes, fruits de l’expérience, et doit à chaque fois s’adapter au meuble. Comme tous les métiers d’art, c’est une progression permanente et passionnante.

Nous vous invitons, lors des journées des métiers d’art, (dates variables selon les régions) à aller visiter des ateliers proches de chez vous. Ils sont alors ouverts (liste disponible dans la presse ou sur internet) et l’ébéniste qui vous recevra sera très heureux de vous faire partager son métier.

Jeanne de Thuringe

 

A la découverte de métiers d’art : Une dynastie d’ébénistes : les Jacob

Nous choisissons pour cet article de vous présenter une dynastie d’ébénistes issue de l’Ancien Régime, ayant œuvré de 1765 jusqu’en 1847, soit du règne de Louis XV à la monarchie de Juillet avec talents et innovations : la famille Jacob, qui a donné son nom à un style. C’est donc à travers cette famille que nous vous faisons découvrir une tranche d’histoire de l’ébénisterie, avant d’aborder dans les prochains numéros, le métier d’ébéniste d’une manière plus pratique.

Sous le règne de Louis XV, le menuisier est aussi ébéniste et fabrique donc les meubles. Mais, avec le développement de l’importation des bois d’ébène pour le placage des meubles, les métiers se différencient avec l’apparition d’une corporation de menuisiers en ébène, pratiquant la technique du placage, qui prendront ensuite le nom d’ébénistes lors de la disparation des corporations avec la loi Le Chapelier de 1791.

Cette spécialisation d’ébénisterie arrive tardivement en France alors qu’à l’étranger, elle était plus fréquente, surtout chez les allemands, notamment avec l’ébéniste Riesener qui a fabriqué de somptueux bureaux pour la cour de Louis XV.

Georges Jacob, né en 1739 à Cheny dans l’Yonne actuelle, et mort à Paris en 1814, est reçu maître menuisier en 1765. Il aura deux fils : Georges II Jacob et François Honoré Jacob-Desmalter et un petit-fils : Georges Alphonse Jacob Desmalter, qui continueront sur ses traces.

Son fils « Georges II », reprendra l’atelier en 1796, aidé de son père, mais à la mort de Georges II, Georges Jacob refondera une autre société avec son fils François Honoré : la société Jacob Desmalter et Cie qui continuera avec son petit-fils jusqu’en 1847. C’est une famille qui traversera donc la Révolution en travaillant pendant cette période pour le nouveau régime puis pour l’Empire.

Le fondateur Georges Jacob est le plus innovant et le plus entreprenant de sa génération ayant la clientèle riche et très exigeante des grands seigneurs qui donnait le ton et lançait la mode. Dans son atelier, œuvraient les ornemanistes qui dessinaient les modèles, les architectes qui les fabriquaient et les tapissiers pour la garniture des sièges. Il pouvait y avoir jusqu’à 300 employés, chiffre très important pour l’époque. Il a très peu travaillé pour la Couronne (le Garde Meuble) mais plutôt pour les membres de la famille royale, la reine Marie-Antoinette, les frères de Louis XVI à travers leurs garde-meubles privés, et aussi pour des clients étrangers, produisant plusieurs milliers de meubles, mais nous n’avons pas de connaissance précise de son atelier, sachant qu’il sous-traitait parfois la fabrication de ses meubles à d’autres menuisiers.

 

Georges Jacob a créé des meubles très simples ou au contraire très sophistiqués et compliqués, ayant innové avec des  pieds fuselés, sculptés de cannelures rudentées, qui se raccordent à la ceinture par un dé orné d’une rosace. Si cela deviendra courant dans la majorité des sièges Louis XVI, il est avec Louis Delanois, autre menuisier, le premier à l’utiliser.

     

 

 

Il est l’inventeur du dossier lyre et à gerbe avec forme violonnée à la fin du règne de Louis XVI et du dossier grille pendant la Révolution.

En 1796, il fait faillite, conséquence du fait de la disparition de la Monarchie et donc de commandes non réglées mais reprend sous le Directoire où il travaille l’acajou en créant de très beaux meubles dans un style anglo-chinois ou à l’étrusque, qu’il réussit à exporter à la Cour d’Angleterre.                                             

 

 

Parmi ses innovations, se trouve le pied à console où le bois est choisi sans nœud pour assurer un parfait prolongement, déjà sous Louis XVI, mais continué au XIXème siècle par ses fils et petits-fils.

 

                          

De même, il va travailler le bois en élégie, pour arrondir l’intérieur de la ceinture du bois du siège, c’est-à-dire en évidant la face interne de la ceinture des sièges, technique destinée à en diminuer le poids. Lors de la livraison, il joint une explication du démontage en vue de réparations ultérieures. C’est un souci du détail et de sérieux peu commun, pensant aux ébénistes qui travailleraient après lui à une restauration du siège ! Travaillant pour le nouveau régime, Georges Jacob va fabriquer l’estrade de la Convention, le mobilier de la première chambre des députés (le conseil). Également sous le Premier Empire, le mobilier des châteaux de la Malmaison, Saint Cloud, Compiègne, Rambouillet, Fontainebleau, le Palais des Tuileries, le salon d’argent à l’Elysée, le berceau du roi de Rome. Mais trop dépendant de ces commandes impériales, lorsque les finances de l’Empire ne pourront plus en assumer le paiement, l’atelier fera faillite en 1813, parvenant quand même à ressusciter et poursuivre son activité sous la Restauration, avec Georges Alphonse qui reprendra le flambeau en 1825 puis clôturera cette dynastie.

 

Jeanne de Thuringe

 

A la découverte de métiers d’art : le tapissier (partie 2)

Voyons, avec cette deuxième partie sur le métier de tapissier les différentes étapes de restauration qu’il effectue.

Tout d’abord, il convient que le bois soit en bon état et préparé à recevoir la garniture. Qu’il sorte d’une restauration chez l’ébéniste ou non, le tapissier peut avoir encore à boucher les trous laissés par les anciennes semences, consolider les taquets, et faire « la carre » c’est-à-dire biseauter à la râpe à bois les angles de la feuillure pour poser la toile d’embourrure (voir plus loin).

 

Sanglage :

Une fois ce travail effectué, il est procédé au sanglage. Celui-ci se fait avec une sangle de jute très serrée, parfois avec une demi-largeur de sangle, à l’aide d’un tire-sangle et d’un marteau aimanté qui permet d’avoir « trois mains » pour fixer et tendre la sangle, tenir le marteau et fixer la semence.

Fait d’abord d’arrière vers l’avant, puis sur les côtés en entrelaçant le premier passage, sur un siège classique, il peut être, à l’inverse commencé par la grande longueur avec double sangle au centre, pour les canapés. Pour une garniture classique, le sanglage se fait sur le dessus de la feuillure, et en dessous si l’on pose des ressorts. C’est une étape importante : la sangle doit être très tendue, sans pour autant déformer le bois, car tout le reste du travail repose dessus.

 

Mise en crin :

Ensuite est posée la toile forte (jute très serrée) permettant d’isoler le crin des sangles afin que celui-ci ne s’échappe pas.

Si la garniture ancienne existe, elle sera réutilisée et complétée en crin. Des lacets seront passés pour fixer celui-ci. La quantité de crin dépend de la forme et du style du siège.

Cette étape de mise en crin est très importante car d’elle dépend toute l’allure du siège et sa solidité dans le temps. Il faudra longtemps le travailler à la main pour lui donner beaucoup de régularité.

Puis par-dessus, le tapissier pose la toile d’embourrure (toile de jute moins serrée), qu’il fixe avec des semences sur la partie biseautée de la feuillure. A travers cette toile, il retravaille le crin avec le tire-crin pour éviter trous et bosses.

 

Coutures :

Puis viennent les diverses coutures faites avec de la ficelle de lin très solide qui vont donner à la garniture sa forme et sa solidité pour éviter toute déformation dans le temps.

Points de fond pour fixer le crin et les toiles aux sangles, points de garniture pour « sculpter » la garniture et points de bourrelet qui donnent la ligne finale.

 

Crin animal et toile blanche :

Une épaisseur de crin animal (cheval ou vache) est ensuite fixée avec des lacets ou à gros points pour masquer les irrégularités des coutures et éviter que l’on sente la ficelle. Ensuite vient la pose d’une ouate de coton épaisse, sous ou dessus la toile blanche, pour encore affiner le tout et conférer un accueil >>>       >>> moelleux au siège. La toile blanche permet d’éviter l’usure prématurée du tissu définitif qui sinon, serait en contact avec les matières précédentes et frotterait à chaque usage du siège. C’est une toile de coton très solide et un peu raide.

 

Tissu définitif et finition :

Enfin vient la pose du tissu définitif (qualité siège impérativement), choisi avec le client et si possible dans le respect du style du siège. Il n’est pas toujours facile de se rendre compte de ce que donnera un tissu quand il est vu sur un échantillon. Le tapissier devra alors aider son client à se projeter.

La mesure anglaise des tours « Martindale », tend à s’imposer de plus en plus. Elle permet de mesurer la résistance du tissu en faisant passer dessus, en usine, des disques avec une vitesse de rotation très élevée afin de voir à partir de quand l’usure intervient.

Pour un usage quotidien, il ne faut pas moins de 20.000 tours Martindale. Evidemment plus le nombre de tours est élevé plus le tissu résistera dans le temps.

Il existe encore de très belles fabrications françaises, à des prix convenables qui donnent toute satisfaction, certaines reproduisent des tissus anciens d’après les « cartons » d’époque mais là, le coût s’en ressent.

Parfois une tapisserie de laine faite au petit point sera réutilisée, sur un vieux siège, voir le tissu ancien s’il est encore en bon état et que ce siège fait partie d’un salon entier.

Enfin ce tissu sera terminé par un galon collé ou des gros clous en laiton. Le tout dépend du style et de la nature du revêtement. Sur une tapisserie de laine ou un cuir, le galon n’est pas possible.

 

Particularités :

Tout doit être très tendu. La toile blanche et le tissu doivent travailler avant d’être fixés définitivement et seront donc tendus en plusieurs passes. C’est pourquoi, il est préférable de travailler à la semence en « appointant » ces toiles et non à l’agrafeuse, certes plus rapide mais qui ne permet pas ce travail de « détente » et tension, afin que le tissu ne poche trop vite.

Plus le siège est utilisé, plus le tissu se détend, mais il faut réduire ce phénomène autant que possible en amont.

 

Dossiers :

Selon le type de dossiers, le temps passé ne sera pas le même.

Les fauteuils Louis XIV ont des hauts dossiers qui nécessitent un léger sanglage de support, tandis que les fauteuils Louis XV ou Louis XVI ont des dossiers en « tableau » ou en fuite. Les cabriolets de même époque sont le plus souvent en médaillon où le crin est enfermé dans une sorte de couronne. Les fauteuils Restauration sont quant à eux, juste garnis de crin sans couture.

En réalité, c’est la partie la plus fragile du fauteuil car la feuillure pour y fixer les toiles étant étroite, il est hélas facile de fendre le bois (ce qui se voit à l’arrière du dossier). Aussi pour éviter de trop toucher au dossier, les anciens posaient une toile à carreaux ou toile neutre à l’arrière, pour n’avoir à changer que le tissu du devant si un malheur arrivait ou si l’on se lassait de la toile, sans tout démonter. Ce qui n’est pas le cas malheureusement si le tissu de couverture est mis à l’arrière du siège.

Nous vous souhaitons une belle restauration de vos vieux sièges.

Jeanne de Thuringe