Pays réel ou pays virtuel ?  

« Vous avez béni, Seigneur votre pays,

Vous avez ramené les captifs de Jacob. » (Ps. 84)

 

Une forteresse assiégée ?

Pays réel : Étonnante formule ! À quelle autre s’oppose-t-elle ? Le pays bientôt virtuel ? Le pays partout communautarisé ? Le pays vendu par bribes à des intérêts étrangers ? Le pays médiatique, ses quelques experts de plateaux et ses gourous universitaires ?… Ou à tout cela, tout cela à la fois… Le pays réel serait ainsi le dernier pays capable de résister simultanément aux assauts :

  • du modernisme dans la religion,
  • du wokisme et de l’écologisme dans l’éducation,
  • du transhumanisme, du métissage et du communautarisme dans la société,
  • de la déconstruction dans l’art, la morale et la philosophie,
  • de la corruption idéologique dans la politique,
  • de Davos et consorts dans la géopolitique internationale.

 

Ce serait le territoire des irréductibles complotistes, toujours annoncés en voie d’extinction, et protestant sans cesse et sans relâche. Ce pays dont on dit qu’il est perdu, alors qu’il est partout majoritaire. Il est sûr, beau et nourricier comme une église, ce pays, scintillant de la réalité intérieure qui habite ses membres lorsqu’ils prient, lorsqu’ils rient, lorsqu’ils communient, lorsqu’ils se rencontrent, lorsqu’ils combattent ou se reposent. On croit la cité en feu, l’économie en ruine, la société en décadence : mais voici qu’à l’écart des écrans, ce pays demeure là, malgré tout, et se dresse, et rayonne. Et se rit des programmes et des agendas, des directives et des quotas de ceux qui, dans la méconnaissance du Dieu trinitaire vivant, ne parient plus que sur la victoire finale de leur pays fantasmé. Contre ce dernier, le pays réel ne pourra en réalité qu’avoir le dernier mot.

 

Pays réel et pays surnaturel :

« Comment, écrivit Barrès, ne pas aimer les personnages qui entreprennent de rétablir une magistrature suprême et de raviver le surnaturel sur les cimes de leur pays ? »1 Il serait fastidieux d’entreprendre le compte des hosties déposées, depuis le radieux commencement de la France, sur les langues de tous ses enfants agenouillés. Le catholicisme n’a pas seulement nourri les générations de ce pays, il en a fondé la réalité légitime, immuable et surnaturelle. Or, dit l’Ecriture, si quelqu’un ne demeure pas en Jésus-Christ, il est, comme le sarment, jeté dehors, et il se dessèche : « Les sarments secs, on les ramasse, on les jette au feu, et ils brûlent »2. C’est inévitablement ce qui arrivera aux adeptes du pays virtuel, du pays communautarisé, du pays vendu à des intérêts étrangers, dont il est question plus haut. Les habitants de ce « no man’s land fou », écartelés par leurs contradictions, parvenus au bout de leur violence et au terme de leur ignorance, paieront inévitablement un jour le prix de leur indifférence à Dieu ou de leur détestation de la Tradition.

Un troublant privilège nous revient, en attendant, à nous, membres de ce pays réel, c’est-à-dire de la Cité catholique. C’est celui de jouer pleinement le rôle que le Seigneur veut nous y voir jouer. Placés en une situation de survivalisme au milieu de l’instabilité des temps, il nous faut trouver les paroles justes ; provoquer les situations adéquates ; susciter les questions opportunes, afin de faire comprendre à tous ceux que l’évolution des temps inquiète, que rien, de la Tradition, n’est évidemment perdu ; à nous d’occuper avec persévérance l’espace/temps culturel et politique, tout en étant gentils dans la fermeté, efficaces dans la gratuité, inébranlables dans la charité. À nous d’aider à la conversion du plus grand  nombre d’âmes. >>> 

 

>>> Hommage à l’abbé Louis Coache :

Car ce pays réel est depuis toujours greffé à la vraie vigne, celle du Père. Je suis tombé par hasard l’autre jour sur l’enregistrement d’une Radioscopie de Jacques Chancel datée de mai 1975, dont l’invité était l’abbé Louis Coache. Évoquant au terme de l’entretien le drame des temps modernes, ce dernier posait ce diagnostic : « Dieu donne à l’homme la vie surnaturelle qui lui permet de s’approcher de lui, et le drame de cette époque, c’est qu’on n’y parle plus du surnaturel ».

Quand le pays virtuel se bornera à n’être plus, comme les mondialistes y travaillent, qu’un métavers ridiculement clos sur les chimères de ses concepteurs, le pays réel apparaîtra aux yeux de tous pour ce qu’il est : celui de la réalité réellement augmentée, parce que surnaturellement vivante, face à la mort et à la désolation que les transhumanistes auront partout semées. Déjà perce chez beaucoup de nos compatriotes la nostalgie de ce surnaturel chrétien qu’ils croient perdu et recherchent dans de mauvais endroits. C’est lui qui a toujours vivifié les âmes, guidé les espoirs, ordonné aux fins dernières les actes individuels et collectifs voulus par le Seigneur. À nous, plus que jamais, d’en témoigner, avec courage, ferveur et fierté.

 

G. Guindon

1 Barrès, La Colline inspirée, I,4

2 Saint-Jean (15, 6)

 

 

Quitter l’empire du laid  

« Venez voir la beauté, la clarté du Sauveur,

Et admirez en lui les beautés immortelles. »1

 

           L’empire du laid a si détestablement envahi les rues de nos cités qu’on peut le considérer comme l’une des manifestations les plus significatives et les plus déplorables de l’apostasie qui y règne, en lieu et place de la loi de Jésus-Christ. Le citoyen, en effet, a besoin du Beau au même titre qu’il a besoin du Juste ou du Vrai, qu’il a besoin de Dieu. Les forces maçonniques à la manœuvre dans les institutions culturelles et universitaires le savent bien qui, au nom du subjectivisme, ont sans discontinuité contesté l’objectivité du Beau et fait de la revendication du « moche » un droit pour tous. Jean Ousset dénonça en son temps cette manipulation idéologique. Il expliqua que, si la plénitude du Beau peut parfois être difficile à percevoir, « cela ne diminue en rien son caractère objectif, tout comme le caractère objectif d’une découverte scientifique ne saurait être contesté, sous prétexte que ladite découverte fut particulièrement compliquée.»2 Contester le caractère objectif du Beau, autour duquel s’était construite une forme de lien social pérenne et de décence esthétique commune, revient donc non seulement à précipiter la déconstruction de ce lien et l’abandon de cette décence, mais surtout à ériger le laid comme mode d’expression privilégié de tout individu en quête d’une reconnaissance au sein de son empire médiatique. Cela revient à déspiritualiser le champ de l’apparence du monde.

Il fut un temps où les peintres de la Contre-Réforme s’adonnaient aux Exercices Spirituels d’Ignace de Loyola. Dans la pratique de leur art, ils respectaient ainsi au mieux la « composition du lieu » que le saint hidalgo y préconise. D’abord conçue en une intelligence contemplative, l’image ne prenait qu’ensuite forme dans la matière, lors de la réalisation effective de leur toile. Pierre Gibert a consacré un ouvrage édifiant à cette pratique de la peinture, qu’on pourrait qualifier de théologique, à travers l’observation d’œuvres de Poussin, Morales, Rubens, Lotto, Vermeer…3

Il a démontré que l’agencement de leurs sujets reproduit souvent les suggestions des préambules données dans les Exercices spirituels : « Me rappeler l’histoire de ce que j’ai à contempler… Voir le lieu… Voir les personnages les uns après les autres… Entendre ce que disent les personnages… Ensuite, regarder ce qu’ils font, etc. » On pénètre par exemple dans cette Adoration des bergers (Rubens, 1608, cathédrale de Soissons) selon les indications très précises consignées au n°114 : « Dans le premier point, je verrai les personnes : Notre-Dame, Joseph, la servante, et l’Enfant Jésus lorsqu’il sera né. Je me tiendrai en >>>  >>> leur présence comme un petit mendiant et un petit esclave indigne de paraître devant eux. Je les considérerai, je les contemplerai, je les servirai dans leurs besoins avec tout l’empressement et tout le respect dont je suis capable, comme si je me trouvais présent. » Il est frappant de constater que le regard de « ce petit mendiant » est à la fois celui du personnage, du peintre et du spectateur de la scène. Par sa technique, certes, mais avant tout par sa spiritualité et son intelligence contemplative, l’artiste s’est hissé à la hauteur de cette plénitude objective de l’œuvre, si nécessaire au partage du Beau.

L’architecte Soufflot énonça de même quatre règles à respecter dans la conception d’un bâtiment, règles nécessaires « dont le respect assure le succès à tout architecte de bon sens »4 : l’utilité, qui détermine le rapport du bâtiment à l’usage qui lui est imparti, la sûreté, seule garante de la sécurité des gens appelés à le fréquenter, la convenance, qui insère l’ouvrage dans le paysage, la symétrie, qui confère à l’édifice son unité et sa beauté. Or tout ce qui, de nos jours, se prétend artistique revendique partout l’éphémère (graffitis, clips, tags), l’incongru (piercings, tatouages), l’abstraction (art contemporain), le virtuel (« œuvres » numériques) et, toujours, une certaine et spectaculaire prouesse technologique… Aussi, avant même l’apprentissage des règles esthétiques et techniques, dont l’expérience a prouvé qu’elles peuvent être dévoyées, seule une pratique spirituelle authentiquement catholique sera à même de susciter de nouveau, chez nos artistes, un goût accordé non à l’idéologie du moment, mais à l’Esprit Saint, et de les rendre capables de pratiquer leur art à bon escient. Ils pourront alors injecter de nouveau la plénitude de ce « Beau », dont la cité catholique a tant besoin pour rayonner de tous les éclats du Christ parmi nous. Pour cela, il est évidemment nécessaire que de plus en plus de gens reconnaissent collectivement le besoin vital d’un renouveau esthétique allant durablement dans ce sens.

 

G. Guindon

 

La science, de l’intégrité à la corruption  

L’homme cartésien aime croire à l’intégrité des hommes de science. Concevoir qu’à l’image des autres hommes, les scientifiques puissent faire preuve de corruption lui répugne. L’histoire de la science occidentale s’inscrit pourtant dans une longue, méthodique et persévérante révolte contre Dieu, que le mythe faustien (parmi d’autres) incarne. Mais ce qui devrait l’alarmer, au contraire, le rassure : les ennemis de Dieu ne peuvent que désirer son confort ! Et travailler à son bien !

Une corruption théologique : La perte de l’intégrité

Selon Mgr Gaume, « Le don de science n’est pas la science, il en est le moyen nécessaire, qui communique à l’entendement une impulsion, une vigueur, une étendue. De là, un discernement pour distinguer le vrai du faux, le solide de l’imaginaire, le réel de ce qui n’est qu’apparent.»1

Ce moyen nécessaire offert par l’Esprit-Saint, trouve-t-il encore asile dans l’esprit de nos scientifiques ? Qu’en est-il, dans leurs universités et leurs laboratoires, de cette exigence de fidélité au vrai, au solide, au Réel ? « Le but véritable et légitime des sciences n’est autre que de doter la vie humaine d’inventions et de ressources nouvelles »2 écrivait déjà Francis Bacon en 1620, dans son Novum Organum. Sa méthode expérimentale reposait sur « une sorte d’homologie entre le vrai et l’explicable »3 qui a considérablement restreint le domaine de la science au champ de la seule nature, tel que l’homme s’est mis à la penser dans son rejet viscéral de la scolastique médiévale et de sa philosophie : Bacon, Kepler, Leibniz, Copernic ou Newton, autant de savants humanistes dont les liens avec la kabbale, la gnose ou l’illuminisme sont aujourd’hui avérés. Leur laboratoire prolongeait l’antre de l’alchimiste, dans la vénération d’un même totem. L’abstraction de la machine humaine et celle du cosmos païen qu’on y célébrait préfigurait la fureur sans limite du transhumanisme contemporain. La première forme de corruption de la science fut ainsi une transgression d’ordre ésotérique.

Une corruption politique et financière : La soumission au politique

Lorsque la Convention révolutionnaire comprit que le télégraphe optique de Claude Chappe (1763-1805), qui dormait depuis quatre ans dans ses cartons, constituait un moyen d’inscrire la mosaïque de pays qu’était la France de l’Ancien Régime dans la cohérence spatiale et idéologique de l’État centralisé, elle finança son implantation sur tout le territoire. Le franc-maçon Lakanal, dans un rapport sur le télégraphe de la fin de l’année 1794 s’exalte : « Il rapproche les distances. Rapide messager de la pensée, il semble rivaliser de vitesse avec elle ». La propagande millénariste pour Internet évoquant  « le monde comme un village global » et « les autoroutes de la pensée » prétend-elle autre chose ? L’instrumentalisation de la science par la tyrannie politique est une vieille histoire…

Six millions de chercheurs nourris par la peur du déclassement social sont aujourd’hui en concurrence, au sein d’une communauté internationale massifiée et soumise au projet libéral globalisé : Ultra compétition et spécialisation à outrance sont leurs maîtres mots. L’incessante quête de financement transforme en universitaires du spectacle des biologistes, économistes, informaticiens, climatologues, chimistes, astrophysiciens, géologues, psychologues, pédagogues, virologues, statisticiens et consorts… Censées servir le Bien Commun, leurs recherches se trouvent assujetties au service des vérités transitoires et des fables utopiques que les États leur commandent.4

Une corruption intellectuelle : Gouffre ou périlleux défilé ?

Au lieu d’éclairer le vulgum pecus, la science se rend ainsi complice des narratifs tantôt effrayants, tantôt rassurants, destinés à abuser de sa crédulité. Pandémies à répétition, réchauffement climatique endémique, villes intelligentes, homme augmenté, procréation assistée et médecine transhumaniste sont autant d’escroqueries intellectuelles montées en bandes organisées pour piller les états et asservir les populations. Ce phénomène va croissant depuis l’avènement du scientisme, lorsque le prestige du savant usurpa celui du prêtre, et le statut de la découverte scientifique celui du sacrement : la religiosité qui adouba la vaccination de Pasteur entoure aujourd’hui la promotion de l’intelligence artificielle : pour dénoncer cette fraude langagière, Gérard Berry5 dans sa leçon inaugurale du Collège de France, oppose l’intelligence humaine et l’intelligence artificielle : « intuition, rigueur, lenteur, d’un côté, rapidité, exactitude, stupidité de l’autre », lâche-t-il. Entre les deux, un gouffre ! Ce qui pose évidemment un problème de maîtrise. Car l’intelligence artificielle, c’est de l’information ; et l’information, ce n’est ni de la matière ni de l’énergie.

Afin de ne pas succomber à la fascination devant l’intelligence artificielle, on ne peut que méditer la prière de saint Bonaventure, dont le De reductione artium ad theologiam, classe l’habileté technique, « inventée par l’homme pour suppléer aux déficiences de son corps » au plus bas dans la  « hiérarchie des lumières », et la science de l’oraison au plus haut : « Dangereux, enseigne-t-il, est le passage de la science à la sagesse, si l’on ne place au milieu la sainteté ! Aidez-nous à franchir le périlleux défilé ; faites que toute science ne soit jamais pour nous qu’un moyen de la sainteté pour parvenir à plus d’amour.» Mais, la science contemporaine, dans un degré plus périlleux encore que l’art contemporain, s’est éloignée du souci du véritable Bien Commun, dans la fidélité aux lois de la Création. Comme les catholiques prient pour recevoir de Dieu de saints prêtres, il leur faut pareillement prier, aujourd’hui, pour des scientifiques qui soient des saints…

G. Guindon

 

1 Mgr Gaume, Traité du Saint Esprit, ch. 29, p 596

2 Bacon, «Aphorisme 81», Novum Organum sive indiciade interpretatione naturae.-, (1620) p. 141.

3 Nissim Amzallag, La Réforme du Vrai

4 Voir à ce sujet l’instructif Mythes et réalités de la science du physicien Jérôme Halzan.

5 Les cours de Gérard Berry sont disponibles en ligne sur le site Internet du Collège de France

 

La guerre, aux portes de la Cité ?  

           « La guerre a pour elle l’Antiquité », écrivit La Bruyère, ne lui opposant qu’une forme de fatalisme moral stérile. Ce fatalisme est aujourd’hui d’autant plus répandu parmi les peuples que le maintien de la paix leur semble n’être plus qu’un job de chefs d’Etat lointains, et la guerre un jeu d’armées de métier. Mais comment peut-on raisonnablement penser que les nations puissent durablement vivre en paix sans renoncement au péché ? Que les populations puissent même oser y prétendre en  souscrivant aux lois contre-nature qu’elles laissent leurs assemblées voter en leur nom ? Et que dire de la duplicité de tous les dirigeants, au service exclusif des  financiers privés qui les placent ou les maintiennent au pouvoir ?

 

L’arme du feu

Ces derniers possèdent une arme terrible : l’arme du feu ! Ils savent comment nourrir un besoin d’utopie, modeler un comportement, susciter un désir, initier un consentement, se jouer d’une peur. Les découvertes de la psychanalyse, de la sociologie, de l’ingénierie sociale leur ont donné les secrets de fabrication de « l’homme sans Dieu » ainsi que les moyens de le produire en séries sur le marché planétaire. Ils sont enivrés de psychologie des foules, de Com’, de reprogrammation, de transhumanisme, d’intelligence artificielle… Or si la haine des hommes est aveugle, celle de Satan est clairvoyante : ne nous y trompons pas, c’est bien lui qui est derrière la fermentation propice au surgissement des grands conflits mondiaux. Aussi, dans le contexte actuel où la propagande belliqueuse bat son plein dans la cité, peut-être est-il salutaire de relire le message que le pape Pie XII donna le 24 décembre 1941, dans lequel il encourageait les catholiques du monde à « rester fermes dans leur foi ».

 

 

Un constat lucide :

    S’il salue « l’admirable courage indomptable employé à la défense des droits naturels et du sol natal, le Saint-Père s’avoue « profondément remué » devant « le sort effroyable des blessés et des prisonniers, les souffrances mentales et physiques, la mort et la destruction que la guerre aérienne inflige aux cités, aux populations, aux centres industriels », devant également « les richesses gaspillées des nations, les millions d’hommes que la guerre et la force brutale ont poussés au désespoir. »

Réfutant ensuite l’idée que la cause de la guerre proviendrait de la faillite du christianisme, il rappelle au contraire tous les germes de paix et de civilisation qu’il porte en lui et vante la prospérité dont bénéficierait une organisation de la société fondée sur lui, tant pour la santé des corps que pour le salut des âmes. C’est au contraire, >>>  >>> dit-il, à la révolte des hommes contre le christianisme et ses doctrines qu’on doit ce « lourd cauchemar qui déchire l’humanité ».

Lourd cauchemar qui affecte la faculté de travail et la joie de vivre, rend les hommes silencieux et soupçonneux, perturbe leur équilibre mental et les plonge dans le fatalisme et la misère ! Le pape dénonce sans ménagement l’effondrement moral résultant de la guerre : prépondérance de la force sur le droit, menaces sur la propriété ou la vie des autres, création d’«  une atmosphère mentale dans laquelle les notions de bien et de mal, de droit et de tort,  deviennent confuses et sont en danger de disparaître complètement », au fil de la contamination d’une « anémie religieuse » qui frappe l’Europe entière.

 

Des responsables désignés

Pour le Saint-Père, la responsabilité de la guerre incombe, dans la vie économique, à la prédominance des entreprises gigantesques et des trusts. Dans la sphère sociale, à des concentrations urbaines disproportionnées, où vivent des masses qui ont perdu leurs normes de vie, leur sentiment du foyer, du travail, leur juste appréciation de l’amour et de la haine. Dans la sphère intellectuelle, il pointe du doigt les dérives du progrès technique, lequel, s’il est un bien en soi, « a commis de tels abus qu’il détruit à présent les ouvrages qu’il érigeait fièrement », comme si la science devait expier ses propres erreurs. Dans la sphère politique, enfin, il accuse ceux qui firent reposer « le droit sur la force, et non plus sur la charité et ses fondations naturelles et surnaturelles fixées par Dieu » ; ceux qui organisèrent la propriété privée en en faisant non plus un possible instrument de concorde entre les hommes, mais le prétexte « d’une lutte d’intérêts menée sans restriction. »

 

Les solutions ?

Limiter la guerre à une affaire simplement morale ou géopolitique relève évidemment  d’un aveuglement spirituel condamnable. D’abord, souligne le pape, il faut revenir aux autels comme d’innombrables générations de fidèles l’ont fait avant nous. En Dieu, écrit-il, individu et  communauté trouvent « leur force et la mesure appropriée du droit et du devoir ». Ensuite, il prescrit la réhabilitation d’un ordre social dans les affaires nationales et internationales, ordre, dont il détaille les fondements :

 

  1) Le respect des nations : « il  n’y a pas de place, dit-il, pour la violation de la liberté, de l’intégrité et de la sécurité des autres États, quelles que puissent être leur étendue territoriale et leur capacité de défense.

  2) Le respect des cultures : « il  n’y a pas de place pour l’oppression, ouverte ou secrète, des caractéristiques culturelles et linguistiques des minorités nationales »

  3) Le respect des économies : il n’y a pas de place pour cet égoïsme froid et calculateur qui tend à  l’entassement  des ressources économiques et  matérielles destinées à l’usage de tous, dans une mesure telle que les nations moins favorisées par la  nature ne  sont  pas autorisées à y accéder ».

  4) Le désarmement : rien ne justifie une guerre  totale ou une course insensée aux armements.

  5) L’arrêt des persécutions religieuses : dans les limites d’un retour à l’ordre fondé sur les principes de la morale, il n’y a pas de place pour la persécution religieuse : la vile incroyance qui se dresse contre Dieu, maître de l’univers, est une ennemie extrêmement dangereuse d’un ordre nouveau et  juste. »

 

  Le retour du tragique, la guerre aux portes de l’Europe…, geignent stupidement les bonnes âmes sur nos écrans. Quoi de surprenant ? Elles seraient mieux avisées de considérer l’apostasie désastreuse de nos sociétés occidentales, et de se demander si les politiques de leurs gouvernements prétendument pacifistes battent à l’unisson de toutes ces sages préconisations, respectent l’intelligence de tous ces fondements.

G. Guindon

 

L’information dans la cité Une œuvre positive et constructrice ?

« Si le Seigneur ne bâtit la maison,

 En vain travaillent ceux qui la bâtissent »

(Ps. 126)
L’information dans la cité

           Historiquement, la presse apparût pour apporter aux lecteurs les nouvelles du monde. Elle ne fut jamais impartiale, et ne peut pas l’être ne serait-ce que par le choix du rédacteur de sélectionner certains faits plutôt que d’autres. Elle fut néanmoins très vite perçue comme un moyen de servir le Bien Commun et sa parole acquit ainsi un certain crédit dans la cité.

   Naquit la radio. Puis la télévision. L’utilisation de la voix humaine et de l’image, la pratique du « direct », la multiplication des chaînes et des réseaux, le souci de l’audimat, les compromissions électoralistes et la course au profit ont égratigné la façade de cette noble réputation d’objectivité : le public, de plus en plus averti, et donc de plus en plus méfiant, doute de plus en plus de sa prétendue neutralité. Dans son encyclique Miranda Prorsus du 8 septembre 1957, le pape Pie XII invitait déjà les journalistes à ne pas négliger l’aspect moral liée à toute information, si objective fût-elle, « car le rapport le plus objectif implique des jugements de valeur et suggère des décisions. L’informateur digne de ce nom doit n’accabler personne, mais chercher à comprendre et à faire comprendre les échecs, même les fautes commises. Expliquer n’est pas nécessairement excuser, mais c’est déjà suggérer le remède, et faire par conséquent une œuvre positive et constructrice1. »

Une théorie mathématique de l’information

  À la même époque, se répandaient parmi les chercheurs américains les premières « théories de l’information » qui devaient en quelques décennies bouleverser l’Occident, puis le monde. Claude Shannon (1916-2001), ingénieur chez Bell et Norbert Wiener (1894-1964), père de la cybernétique, élaboraient une vision logico-mathématique de l’information qu’ils définissaient comme « la part non prédictible d’un message ». Ils en montraient la présence et le rôle au sein de tout organisme, et proposaient de la mesurer sur une échelle chiffrée conduisant du plus banal au plus surprenant.

  La valeur émotionnelle de l’information pouvant dorénavant se calculer au regard de sa probabilité d’advenir, on commença à la monnayer comme tout autre produit, sélectionnant la plus attractive, la plus influente, la plus scandaleuse. La nature objective et la signification morale du fait relaté s’estompèrent devant le primat de la sensation.

Dans le processus de l’information

  Dès lors, le discours des médias se mit à évoluer dans une sphère indépendante du réel, une sphère qu’on peut nommer processus… Et dans ce processus, l’adéquation de l’information avec le vrai ou le faux avait cessé d’être le critère déterminant. Ce processus, pourtant, devint une autorité de référence pour le citoyen-consommateur, invité chaque jour à passer par les rouages de sa mécanique audiovisuelle pour se faire, de lui-même et de son environnement, une représentation idéologiquement correcte.

  Durant un temps X, l’existence statistique d’une information s’étend donc du point de sidération de l’opinion qu’elle est capable de produire à celui où plus personne ne se soucie d’elle. Du scoop, donc, à l’oubli. Pour qualifier ce temps X, les professionnels de la communication parlent de « séquence ». Plusieurs s’enchaînent pour rythmer une année, un quinquennat, une décennie, et forment une ponctuation de séquences : La France a récemment traversé la séquence Gilets Jaunes, puis la séquence Covid, nous vivons dorénavant entre une séquence Ukraine et une séquence Élections… Qui goûte encore la force émotionnelle des séquences Timisoara, passage à l’an 2000, ou même 11 septembre 2001 ? Qui questionne encore leur poids idéologique à leur juste mesure ?

  La mise sur le marché de chaînes d’infos, conçues sur un même format et pourvues de cahiers des charges analogues, découvrit au monde entier la puissance de ce processus. C.N.N., Al Jazeera ou B.F.M. habituèrent des milliards de téléspectateurs à confondre infospectacles et télé-réalité, en compagnie de souriants animateurs entourés d’intarissables commentateurs, sur fond de « jingles » dynamiques, le tout entre deux pages de publicité.

La direction uniforme du temps

  Ainsi conçue, l’information devint bel et bien un organisme autonome, chargé de maintenir les gens dans un stimulus constant, comme Norbert Wiener l’avait prédit : le temps qu’elle étonne, fascine, émeut, une info parcourt l’opinion ainsi qu’une vivante torpille, existe et réordonne une forme de consensus idéologique autour de son contenu. Ce faisant, elle remplit les poches de ses commanditaires tout en servant leur cause politique. Lorsque meurt son pouvoir d’attraction, une autre survient, qui la remplace : l’information maintient ainsi à l’écart de leur vie réelle les nombreux adeptes de la « marche du monde », isolés du goût du Beau, du souci du Juste, de la recherche du Vrai, et surtout détachés de la Foi, loin de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de son Évangile.

  Dès lors qu’ils sont soumis à un tel processus, comment croire encore que les médias informent ? Peut-on dire pour autant qu’ils manipulent ? En réalité, la plupart des médias conditionnent l’esprit des gens à n’exister plus que dans le processus que fabriquent leurs récits, sphère d’influence mentale dont Wiener a dit : « Dans chaque monde avec lequel nous pouvons communiquer, la direction du temps est uniforme2. »

  Quel sens peut avoir ce processus parallèle au réel ? Et pourquoi cette direction uniforme du temps ? Le flux de l’actualité doit apparaître en perpétuelle gestation et, de séquences en séquences, les citoyens demeurer en hypnose constante : la marche du siècle trouve ainsi une cohérence acceptable à leurs yeux, dans un « sens de l’Histoire » malgré tout rassurant, celui que les puissances mondiales prétendent, en le fabriquant, lui donner.

Mais l’Histoire a-t-elle un sens ?

  Shakespeare le soulignait pourtant en son temps, la vie des hommes ainsi livrés à leurs passions « n’est qu’une histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien3. » Le colonel Bastien Thiry lança lors de son procès : « Il n’y a pas de sens à l’Histoire, il n’y a pas de vent à l’Histoire. Ce qui fait l’Histoire, dans notre conception occidentale et chrétienne du monde, c’est la volonté des hommes, c’est l’intelligence des hommes, ce sont leurs passions, bonnes ou mauvaises4.» Et Monseigneur Lefebvre le rappela un jour : « L’Histoire n’a aucun sens, aucune direction immanente. Il n’y a pas de sens à l’Histoire. Il y a un but de l’histoire, un but transcendant, c’est la récupération de toute chose en Jésus-Christ5 ».

  Mais cela, la population soumise à l’idéologie de l’information doit l’oublier, à tout prix…

   « Deux esprits opposés se disputent l’empire du monde », affirmait naguère Monseigneur Gaume dans son Traité du Saint Esprit6. Croire que l’histoire n’a de cours qu’immanent, puis, imperceptiblement porté par son flux, trouver son compte dans l’établissement de la Jérusalem terrestre qu’espère le gouvernement mondial, telles sont les suggestions obséquieuses du prince de l’enfer. Vivre du soin transcendant que l’Église délivre à ses fidèles, se tenir à l’écart du péché et travailler à ce que toute chose soit récupérée en Jésus-Christ, tel est le conseil que prodigue le Prince du Ciel, telle est l’inspiration que donnent ses armées d’anges.

Roland Thévenet

 

1 Miranda Prorsus du 8 septembre 1857

2 Norbert Wiener, God & Golem, sur quelques points de collision entre la cybernétique et la religion, 1964

3 Shakespeare, Macbeth, V-5

4 Déclaration du colonel Bastien Thiry, 2 février 1963

5 Mgr Lefebvre, Ils l’ont découronné, p 148

6 Mgr Gaume, Traité du Saint-Esprit, Introduction.