Honneur et fidélité

La famille passe à table chez les grands-parents. La conversation s’alimente avec des taquineries de plus en plus acides sur les occupations des uns ou les tics des autres, les tempéraments des convives, l’influence de la belle famille ou des amis… Paul aime bien prendre des positions provocatrices – c’est, soi-disant, pour montrer son indépendance d’esprit – à moins que Marine, son épouse, n’arrive à faire diversion en parlant de la pluie et du beau temps…

Ressortirez-vous heureux d’un tel repas manquant non seulement à l’harmonie et à la paix familiale, mais aussi au respect dû aux parents présents ?

Il est vrai que les dissensions ne sont souvent que le fruit de l’inadvertance, mais à force d’en répéter les actes, on en prend la mauvaise habitude, qui conduit au vice et on perd celle de la vertu.

Honorer son père et sa mère, vaste programme !

Le dictionnaire donne plusieurs sens au verbe « honorer ». Tous sont applicables pour nos parents.

Marquer son respect et célébrer : c’est parler en bien des parents, les respecter visiblement et vivre en paix avec eux autant qu’il est en notre pouvoir. Nous préférons mettre en valeur les qualités des parents plutôt que leurs inévitables défauts.

Tenir en estime : il s’agit de les écouter, les faire parler sur leur histoire et celle de la famille, s’adapter à leurs centres d’intérêts, tant que la Foi et la morale sont respectées.

Accorder de l’attention : donnons des égards de politesse, soignons notre vocabulaire et rendons service. 

S’acquitter d’une dette : nous devons aux parents le don de la vie et la satisfaction des besoins matériels dans notre jeunesse, sans oublier souvent une bonne éducation spirituelle et morale. Que donnerons-nous en échange de ces bienfaits ? Prenons donc soin de nos parents.

Saint Paul nous avertit1 : « Si quelqu’un n’a pas soin des siens, surtout de ceux de sa famille, il a renié la foi, et il est pire qu’un infidèle. » Le sujet est donc grave !

Le père de famille donne le ton

Le père de famille commencera par honorer son épouse, la mère de ses enfants, devant ses enfants et en public. Lorsqu’un père et une mère se critiquent ou se disputent devant les enfants, comment peuvent-ils ensuite prêcher l’honneur de celui dont ils viennent de montrer des défauts, réels ou supposés ? Comment seront-ils eux-mêmes respectés ?

L’autorité de la mère, s’usant naturellement lorsqu’elle est fatiguée ou lorsque les enfants arrivent à l’adolescence, a besoin du soutien du père pour être respectée. Concrètement, le père de famille devra surveiller et si besoin reprendre la manière dont les enfants parlent à leur mère, s’assurer de leur obéissance et même, dès l’âge de raison, leur apprendre à rendre service spontanément : lorsque maman est à la cuisine, on ne la laisse pas seule !

L’exemple du père de famille devra aller au-delà de ces deux points élémentaires. Le père favorisera la paix dans la famille et autour d’elle, montrera des vertus de force, de prudence et de piété de manière à être lui-même respectable.

Le père exercera en outre une influence très bénéfique s’il s’intéresse à transmettre l’histoire de la famille, les racines du pays et de sa région, les traditions familiales ou locales, et bien sûr la foi et la culture chrétienne : honorer ses père et mère, c’est aussi honorer ses ancêtres et tous ceux dont nous sommes les héritiers par le sang, par la foi ou par adoption.

Que faire si les relations avec les parents sont compliquées ?

En cas de désaccord visible et important sur la Foi ou la morale, la priorité sera la protection des enfants et de leur éducation, et celle de notre propre ménage. Il faudra expliquer calmement aux grands-parents que ces sujets de Foi ou de morale sont essentiels pour nous et que nous souhaitons la cohérence dans l’éducation de nos enfants. Si les grands-parents jouent le jeu, la situation sera plus facile que dans le cas contraire où il faudra prendre quelques distances.

S’il s’agit de désaccords de tempérament ou d’habitudes de vie, des gâteries excessives envers les enfants par exemple, une communication paisible et positive sera importante. En reconnaissant l’intention positive des parents mais en rappelant nos souhaits d’éducation, nous chercherons à trouver un compromis acceptable pour les moments où nous côtoierons les grands-parents. 

Dans tous les cas, la règle d’or est que chacun des conjoints règle ces sujets en direct et en privé avec sa propre famille. Se mêler de sujets sensibles avec sa belle-famille est le meilleur moyen de compliquer les situations !

Quelles que soient nos relations et même dans les situations compliquées, il est toujours possible d’honorer ses parents de multiples manières :

1 : Pardonner leurs erreurs du fond du cœur. Même si les parents sont morts, pardonner réduira la peine de Purgatoire qu’ils auront à souffrir.

2 : Remarquer et apprécier ce qu’ils ont fait de bien.

3 : Garder le contact : donner des nouvelles de notre famille, envoyer quelques photos même si nous n’avons pas de retour, écrire ou téléphoner, les écouter ou poser des questions, nous manifester pour un anniversaire ou une fête…

4 : Accomplir des actes de bonté, sans chercher de retour : ménage, bricolage ou petites courses, assistance dans leurs besoins. Si la santé physique ou psychologique des parents décline, s’ils sont en grande difficulté financière, nous ne pourrons pas toujours assurer le soutien nous-mêmes, mais au moins, nous pouvons trouver des aides, solliciter l’assistante sociale ou la commune, la conférence Saint-Vincent de Paul…

5 : Prier pour eux, vivants ou morts. Ce n’est jamais du temps perdu !

6 : Se soucier de leur santé spirituelle avec délicatesse : parler de la Foi, de la prière à la Sainte Vierge, de la vie éternelle, des sacrements lorsque l’occasion se présente. A l’approche de la mort, la dévotion au scapulaire vert peut aider dans les cas difficiles.

7 : Apprendre aux enfants à honorer leurs grands-parents : leur faire envoyer des dessins ou des lettres, témoigner leur affection et leur politesse lorsqu’ils les voient….

Saint Thomas d’Aquin nous enseigne que « la prudence veut que nous ayons pour règle ordinaire de diriger nos bienfaits non vers les hommes qui sont plus vertueux, mais vers nos proches ». Nos amis tiennent la première place, mais après nos parents !

Hervé Lepère

1 Timothée 5,8

 

Incarner le devoir filial envers l’Eglise

Ma première visite à Rome m’a laissé un souvenir marquant : au milieu du brouhaha du trafic désordonné des scooters et des voitures, de leurs dérapages sur les pavés, des touristes dégustant des gelati, on ne peut faire dix mètres sans croiser plusieurs soutanes et tenues religieuses, des églises souvent attirantes, des basiliques où des éléments du IVe au XVIIIe siècle se mélangent harmonieusement. Je n’ai jamais rencontré dans mes nombreux voyages aucun endroit où le catholicisme est aussi présent avec ses 2000 ans de tradition visibles de tous.

Je me suis senti « chez moi », fils de l’Église une, sainte, catholique, apostolique et romaine.

 Nous sommes catholiques Romains !

Nous devons cultiver et transmettre à nos enfants cette filiation et cet attachement essentiel. L’oublier, c’est risquer de tomber dans le gallicanisme ou l’esprit protestant. L’amour de l’Église est inséparable de l’amour de Rome, ce qui explique ce mot de Monseigneur Lefebvre : « Une de mes premières préoccupations (après la fondation de la Fraternité saint Pie X en 1970) était d’avoir une maison à Rome, ce qui a été concrétisé par l’achat de la propriété d’Albano » dès 1974. Sa déclaration célèbre du 21 novembre 1974 rappelle l’importance de Rome : « Nous adhérons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catholique, gardienne de la foi catholique et des traditions nécessaires au maintien de cette foi, à la Rome éternelle, maîtresse de sagesse et de vérité.» Il illustrera plus tard une des manières de vivre cet attachement à la Rome éternelle : « La Rome éternelle est présente à Rome par les tombeaux des papes qui nous rattachent aux Apôtres, et notamment à Pierre qui est vraiment la pierre fondamentale de l’Église. La Rome éternelle est encore présente par tous les autres martyrs qui y ont versé leur sang pour prouver leur foi en Notre-Seigneur Jésus-Christ. (…) Tous ces magnifiques exemples sont encourageants pour nous et nous attachent à cette Rome qui est vraiment le cœur de l’Église. Voilà pourquoi nous aimons prier sur les tombeaux de saint Pierre, de saint Paul, des autres Apôtres et des martyrs qui sont enterrés là1. »  

Aller à Rome, pour former nos enfants

Spirituel et temporel sont indissolublement liés, les actes temporels que nous posons avec nos enfants influencent leur vie intérieure et leur conception de la religion. Si nous en avons l’occasion, n’hésitons donc pas à les emmener à Rome dès l’âge de raison, et avant qu’ils n’entament leur vie de jeunes adultes, ou à leur donner l’occasion d’y aller avec leur école et de bons prêtres. Aller à Rome, c’est à coup sûr développer trois qualités :

Le sens de l’Église. A Rome, nous le sentons, le voyons, le savons : nous sommes fils de l’Église, héritiers d’une Tradition de 2000 ans. « A Rome, j’ai senti palpiter le cœur de l’Église ; ce que je savais de l’Église, je l’ai pour ainsi dire touché ; j’ai confiance que je vivrai encore plus de l’Église et pour elle », disait le père Calmel en 1953.

La gratitude pour la grâce de la foi : « Tout nous parle de siècles de fidélité. Le parfum de Rome, c’est surtout le parfum de la foi que chaque pierre polie par des siècles de christianisme nous fait respirer2. » Nous ne pouvons que nous émerveiller et nous recueillir.

L’engagement au service de l’Église : « A Rome, le pèlerin dépose le vieil homme, il rajeunit, retrempe son âme au contact des apôtres, des vierges et des martyrs. Sa foi s’affermit sur le roc de Pierre ; la Ville Sainte lui dilate le cœur à la mesure de l’universalité de l’Église, sa prière prend alors un élan de ferveur inouï3. »

Un devoir filial important

Foyers Ardents a plusieurs fois insisté sur l’importance de l’esprit de famille et de l’enracinement pour l’équilibre de nos familles et  l’épanouissement de nos enfants. Nous apprenons à nos enfants à honorer leurs parents et grands-parents (4e commandement) et à prier pour eux. Même si grand-père ne va pas à la messe, et tant qu’il respecte notre éducation, nos enfants lui témoigneront de l’affection, écouteront ses histoires ou bricoleront avec lui, ils s’enracineront ainsi dans une tradition familiale qui les dépasse et comprendront qu’ils sont un maillon d’une chaîne. Bien sûr, nous les ferons prier pour lui afin qu’il se convertisse.

Avec nos enfants, nous devons de même incarner ce devoir filial envers le pape, vicaire du Christ, successeur de Pierre. L’élection du nouveau pape Léon XIV est une occasion de concrétiser ce devoir avec davantage de motivation. S’il fait du bien, nous devons l’aider en priant pour sa persévérance dans les difficultés et face aux ennemis. S’il commet des erreurs, nous devons prier avec ferveur pour qu’il soit éclairé et progresse dans la manière de guider le troupeau que le Seigneur lui a confié. Rien n’est jamais perdu ! Souvenons-nous que le pape Pie IX, élu en 1846 à la grande joie des libéraux, sera celui qui publiera le « Syllabus » associé à l’encyclique Quanta Cura (1864) et condamnant le naturalisme, le laïcisme, l’anticléricalisme, le socialisme, le communisme et les sociétés secrètes…

Le catéchisme nous appelle par ailleurs à une juste compréhension de l’infaillibilité pontificale et à la possibilité d’erreurs sur les sujets ou les modes de communication qui n’en relèvent pas.

Pie XII lui-même insiste sur la conduite à tenir face aux faiblesses ou erreurs visibles dans les hommes d’Église : « Son divin fondateur souffre jusque dans les membres les plus élevés de son corps mystique, dans le but d’éprouver la vertu des ouailles et des pasteurs (…) ce n’est pas une raison de diminuer notre amour envers l’Église, mais plutôt d’augmenter notre piété envers ses membres4. » 

Lorsque nous allons à Rome, nous voyons cette minuscule silhouette de l’homme en blanc sur un balcon perdu au milieu de la façade de la basilique Saint-Pierre. Quelle faiblesse qui nécessite nos prières !

Rome et l’Année Sainte

Comme à chaque Année Sainte, l’Église met à notre disposition un trésor de grâces spéciales accumulées par les mérites de Notre-Seigneur et la collaboration des innombrables saints. Profitons-en avec nos enfants, nous en avons tant besoin. Parce que nous sommes catholiques romains, fils de l’Église, nous irons à Rome avec nos enfants si nous le pouvons. « Nous venons à Rome pour faire grandir notre foi que respirent toutes ces pierres, pour nous enflammer de l’amour de Notre Seigneur Jésus-Christ et en vivre toujours davantage5. »

« Rome est un besoin pour toute âme qui a goûté Rome. Vous reviendrez à Rome », disait Pie XI aux membres du séminaire français de Rome. 

Si nous ne pouvons faire ce pèlerinage d’ici le 6 janvier 2026, emmenons au moins notre famille dans une basilique proche de notre lieu de vacances pour y prier et gagner les indulgences spéciales de cette année sainte.

 

Hervé Lepère

1 Conférence spirituelle, Ecône, 5 décembre 1983

2 Cahiers Ad Lucem – Pâques 2025

3 Idem

4 Mystici Corporis, 29 juin 1943

5 Cahiers Ad Lucem – Pâques 2025

 

Enthousiasme et magnanimité

A Annecy, en juin 2023, un terroriste blesse 6 personnes dont 4 jeunes enfants avec un couteau. Henri, 24 ans, n’hésite pas : il pourchasse l’assaillant, un sac de randonnée sur le dos et un autre sac devant lui en guise de protection. C’est lui qui a permis d’éloigner le suspect, avant qu’il ne soit neutralisé par les forces de l’ordre. Il n’a pas hésité à mettre sa vie en jeu pour sauver des vies.

Si une telle situation se reproduisait devant nos fils du même âge dans quelques années, seraient-ils capables du même engagement, ou seraient-ils des spectateurs paralysés ?

Comment notre éducation aidera-t-elle nos enfants à bien réagir lorsque des occasions moins dramatiques, ou des opportunités de faire du bien, se produiront de manière imprévue devant eux ? Sauront-ils prendre des initiatives ou auront-ils peur de l’échec ou de la difficulté ?

 

Henri, « le héros au sac à dos », a expliqué que son éducation a été déterminante ce jour-là. Il cite les trois axes qui l’ont façonné :

1/ l’Amour du Beau (nature, art…) qui conduit au Vrai et au Bien ;

2/ la Magnanimité, la grandeur d’âme inséparable de la vraie humilité ;

3/ la Tradition reçue : tradition catholique et idéal du Ciel, tradition familiale et de la patrie.

Parlons donc aujourd’hui de la magnanimité, l’enthousiasme pour les grandes actions. Selon Aristote, c’est la grandeur d’âme de celui qui se croit capable de réaliser de grandes choses, qui a confiance en lui et s’apprécie pour ce qu’il vaut, objectivement et sans orgueil. Cette vertu s’oppose à la pusillanimité (étymologiquement, la petitesse d’âme) et à la vanité impertinente. Le magnanime recherche en tout l’idéal du bien et non son propre avantage. Pour cela, il allie son cœur enthousiaste et aimant, son intelligence pour analyser les situations, choisir les bons objectifs et prendre les bons moyens, et sa volonté pour agir et persévérer.

 

La magnanimité est une vertu nécessaire !

Elle est dans la nature de la jeunesse, et de tous ceux qui gardent un cœur d’enfant. C’est une vertu nécessaire pour que nous fassions fructifier nos talents. Dieu a fait nos cœurs pour qu’ils se dilatent comme les fleurs s’épanouissent au soleil, pour que nous sortions du cercle étroit de notre petitesse afin de contribuer au règne de Dieu dans nos cœurs, nos familles, nos cités.

C’est un moteur de progrès, une puissance sur l’orientation de notre vie. Constatons-le en observant, avec nos enfants, les héros, les saints et même certains membres de notre histoire familiale ou de notre entourage !

« Quand on a l’âme jeune, chevaleresque, vaillante, il faut rêver à un idéal grand, sublime. Il faut se dégager, comme à grands coups d’ailes, des fanges d’ici-bas, pour s’élever bien haut dans l’azur du ciel. (…) Sans doute, il ne faut pas vous laisser prendre au mirage trompeur d’une ambition trop au-dessus de vos forces et de vos aptitudes ; mais avant de douter de vous-mêmes, faites au moins l’essai loyal de ce que vous pouvez accomplir. (…) Si ceux qui sont devenus de grands savants et de grands saints, et ont rendu tant de services à l’humanité et à la société chrétienne, s’étaient faits le même raisonnement que vous, où en serions-nous ?1 » Sans enthousiasme, nous risquons de devenir passifs, glacés comme le marbre froid du tombeau, indifférents aux grands intérêts de l’Église et de la patrie.

L’ambition ardente pour le Bien est également un moyen d’éviter les passions désordonnées, l’impureté, la faiblesse, le péché, « parce qu’il y a dans le cœur un autre attrait, un autre amour, plus fort, qui entraîne toute l’activité intellectuelle et physique vers un but supérieur ». Associée à la prière, c’est un dérivatif très efficace contre les tentations.

Le monde change, ces derniers mois le montrent. Les mouvements conservateurs, les réseaux, les initiatives, les œuvres de tradition ne cessent de se développer. Notre époque est propice pour les entrepreneurs, les écoles, les associations culturelles ou d’entraide, les apôtres auprès de nos contemporains qui ont soif d’idéal et de racines, que la société laïcisée et matérialiste ne leur donne plus. Préparons donc nos enfants à être de ceux qui reconstruiront la chrétienté !

L’éducation de la magnanimité

Il s’agit de former le cœur, l’intelligence et la volonté. Dès le plus jeune âge, l’histoire des héros et des saints ouvrira les cœurs et rendra désirable l’engagement pour des idéaux qui en valent la peine.

L’idéal servira d’étoile polaire et gonflera les voiles de son énergie. Il sera complété par le travail de l’intelligence qui doit montrer à la volonté ce qu’elle doit accomplir : « Plus la lumière projetée par l’intelligence sera intense, plus l’objet apparaîtra avec toutes ses qualités et ses défauts et plus la volonté se portera vers lui ou s’en éloignera.» C’est l’apprentissage de la connaissance du Bien et du Mal, de la Foi, des valeurs désirables à l’opposé du consumérisme, de la vanité, du confort ou de la faiblesse.

 

N’oublions pas qu’un idéal qui ne serait que velléité, rêverie, excitation ou émotion se dégonflerait aussi vite qu’il est apparu, mourant au seuil de la vie pratique, comme la vague meurt sur le sable de la plage. « Pour qu’une chose se réalise, il ne suffit pas d’en caresser le projet, de la désirer, il faut se mettre résolument à l’œuvre. De la décision il faut passer à l’action.» Il faudra savoir ignorer les moqueries, menaces, flatteries, séductions, paresses ou autres passions, en un mot être persévérant.

C’est au quotidien, jour après jour, année après année, que cette vertu se développera, nous fortifiera et nous réjouira par les résultats obtenus.

L’amiral McRaven, 37 ans dans les forces spéciales américaines (Navy Seals) a séduit les 8000 étudiants de l’université du Texas par son discours de remise des diplômes en 2014 : « Si vous voulez changer le monde, commencez par faire votre lit tous les matins ! » Il a raison !

Bien faire son lit et sa prière chaque matin, c’est avoir fait quelque chose d’utile et de satisfaisant chaque jour même si le reste de la journée est raté !

 

Enfin l’esprit d’initiative et de générosité sera essentiel. Malgré nous, nous sommes influencés par la centralisation croissante depuis Napoléon, renforcée par l’étatisme, l’esprit socialiste qui se méfie des initiatives privées, et l’individualisme ambiant cultivant les droits de chacun et oubliant le Bien Commun. Ne confondons-nous pas, même chez nous, le « principe de précaution » qui fait renoncer aux initiatives, et la prudence qui au contraire encourage à agir en prenant les bons moyens ?

Ne sommes-nous pas tentés d’établir des règlements pointilleux à la maison (par exemple pour les tours de service de table), plutôt que de faire appel à la générosité ? Lorsque maman est à la cuisine, ou papa au jardin, c’est normal de venir proposer son aide ! (Évidemment, on peut s’assurer que chacun fasse un minimum).

C’est en effet par les petites choses, faites avec persévérance, initiative et générosité que l’on se prépare aux grandes, si Dieu le veut.

 

Éduquons donc nos enfants à la magnanimité et à l’enthousiasme, et donnons leur l’exemple !

 

Hervé Lepère

1 Toutes les citations proviennent de « Soyez des hommes », F-A. Vuillermet, OP

 

Père comme saint Joseph

Marc rentre du travail après une longue journée, il se précipite au salon pour regarder les nouvelles sur internet, faire quelques jeux : il faut bien se détendre quand on a bien travaillé !

– Papa, papa… j’ai besoin d’aide pour ma leçon et mon exercice… Je n’y arrive pas bien.

– Mon fils, débrouille-toi, tu es plus doué que moi ! C’est comme cela qu’on apprend…

– Et après, est-ce qu’on pourra me raconter une histoire ?

– Pas ce soir, demain peut-être…

L’air sérieux ne quitte pas Marc de la soirée ni du week-end d’ailleurs. C’est qu’à 40 ans, il a des responsabilités au bureau et à la maison. Quand le travail est fini, il faut s’occuper des comptes familiaux, bricoler… Et puis, comment être joyeux alors que le pays va si mal ? Heureusement que son épouse s’occupe de tout à la maison : les écoles, les activités des enfants, l’administration, les prochaines vacances !

Depuis quand Marc n’a-t-il pas souri ? Depuis quand n’a-t-il pas joué et ri en famille ou avec les enfants ? Plus personne ne s’en souvient…

Imaginez-vous saint Joseph avoir eu ce comportement ?

Pourtant, son travail était fatigant, son Fils et son épouse plus doués que lui, et les soucis ne manquaient pas pour qu’il soit à la hauteur de sa mission, une mission surhumaine et si importante qui aurait pu beaucoup le perturber !

Tirons donc quelques leçons pour nous !

Bon père parce que bon époux

Joseph n’était pas un vieillard à barbe blanche lorsqu’il a épousé Marie. Il avait certainement l’âge habituel pour être assorti à sa jeune épouse, avec les aspirations de la jeunesse à une belle vie sous le regard de Dieu, et à l’héroïsme de la sainteté, sainteté personnelle et sainteté dans son état de vie. Nous pensons souvent à son exemplarité dans le travail, contemplons aussi sa sainteté d’époux. Imaginons-nous des dissensions ou des froideurs avec son épouse ? Au contraire, nous pouvons deviner la complicité des cœurs et des âmes de Joseph et Marie. Nous voyons l’union de leurs volontés et de leurs cœurs pour faire le Bien et suivre les volontés de Dieu, l’acceptation des incompréhensions réciproques (cette conception mystérieuse, ce message d’un ange ordonnant une fuite immédiate), la fidélité, l’admiration mutuelle, le dévouement, le respect de l’autorité qui s’exerce avec douceur mais fermeté (il faut partir cette nuit !), les bons moments qu’ils ont passés ensemble au calme et avec Jésus… Qui sur terre a davantage aimé son épouse que saint Joseph ?

Époux admirables pour que la famille soit une sainte famille ! Voilà le point de départ.

Vrai père, celui qui prépare l’avenir

Évidemment, si saint Joseph n’est pas père selon la génétique, il possède tous les autres attributs et qualités d’un vrai père. Ne le dévalorisons pas en le limitant au rôle de « nourricier ». Notre langage est bien pauvre devant le mystère. D’ailleurs, le rôle nourricier est largement partagé avec la mère : c’est elle qui nourrit les enfants et fait tant pour eux jusqu’à l’âge adulte !

Le rôle du père n’est pas d’abord d’être nourricier (c’est-à-dire de s’occuper du lendemain, même s’il y contribue), mais d’orienter et préparer les enfants à accomplir leur destinée, leur mission dans le monde pour l’améliorer. Le père rend les enfants capables de fonder une famille, ou de se donner dans la vocation, de travailler, de sortir du confort, d’apprendre le combat (de la Foi notamment), de jouer un rôle social.

C’est ce que fait saint Joseph avec Jésus à travers leur vie de famille, l’apprentissage d’un métier, du travail bien fait, la connaissance de la nature, les pèlerinages et la transmission de la Foi et de la science religieuse, l’insertion dans la société (tous connaissent le fils du charpentier).

Comme saint Joseph, le père oriente et prépare son enfant. Il développe la force et le courage pour franchir les obstacles mais il accompagne aussi. Les psychologues prennent l’image d’une rivière pour illustrer ce point : le fils devient adulte en traversant la rivière dangereuse de la vie, au-delà du foyer familial protecteur et confortable, en laissant la mère sur la rive. Il est >>> >>> guidé et accompagné par son père dans les étapes difficiles. Devenu adulte et père à son tour, le fils retraverse pour aller chercher son enfant et l’aider à son tour à traverser la rivière.

Le père ne peut pas se contenter de dire « débrouille-toi tout seul, mon fils, moi j’y suis bien arrivé ! ». Dire cela serait évidemment écrasant et déstabilisant pour la personnalité de l’enfant.

Père contemplatif inséré dans l’action

N’opposons pas contemplation et action : il faut les deux pour être un bon père ! Homme de silence tellement ébloui par la lumière de Dieu qu’il accepte facilement le mystère de l’Incarnation. Pourtant, il lui arrive de ne pas voir ce qui nous paraît évident : lorsque Marie et Joseph retrouvent Jésus au temple et entendent « je dois être aux affaires de mon Père, ils ne comprirent pas ce qu’Il leur disait ». C’est parce que Joseph est intérieur, que Dieu peut lui parler par des songes, des inspirations ou la voix des anges. Pour nous aussi, nous savons bien que la volonté de Dieu se discerne habituellement dans le silence, la prière, le secours des sacrements, mais que nous ne comprenons pas tout immédiatement. Accepter les imprévus, découvrir les bienfaits de circonstances providentielles, heureuses ou difficiles, et se mettre en mouvement pour les saisir ne se fait pas sans esprit intérieur.

A l’approche du Carême de cette année Sainte 2025

Retenons que saint Joseph a été un bon père parce qu’il était bon époux, parce qu’il a orienté, enraciné et intégré son Fils dans la société, parce qu’il était à l’écoute de Dieu.

Le Carême est une bonne occasion d’imiter Joseph, avec des résolutions concrètes, par exemple :

– Je passerai davantage de temps avec mon épouse qu’avec Internet et mon téléphone…

– Même dans les soucis, je décide de sourire et parfois de jouer avec les enfants…

– Chaque jour, je prends le temps du chapelet. Je vais à la messe en semaine…

A chacun de voir et de faire le bilan à la fin de ce mois de mars puis à Pâques, le 20 avril ! Saint Joseph ne vous laissera pas tomber !   

Hervé Lepère1

 

1 Inspiré par une conférence spirituelle

 

Devoir de servir

Martial et Paul se retrouvent dans le bus après une journée de travail fatigante.

– Ce week-end, ce sera repos total, sans contrainte comme d’habitude ! J’espère que mon épouse aura fait travailler les enfants et que je pourrai regarder le match.

– Tu ne viens pas à la réunion mensuelle du cercle des familles ?

– J’ai déjà ma famille et mon travail, cela suffit.

– J’aimerais bien que tu m’aides pour le chapitre enfants du prochain pèlerinage, c’est à peine quelques heures de préparation, et trois jours ensemble, une fois par an.

– Tu n’y penses pas, je n’ai pas de temps. D’ailleurs c’est fatigant, d’autres seront meilleurs que moi pour cela…

La tentation de l’égoïsme nous guette et nous fait oublier que nous avons trois devoirs d’état principaux : devoir professionnel, devoir familial, devoir social.

Aucun ne peut être négligé sous prétexte qu’il faut réaliser les deux autres, bien que les proportions de temps et d’effort que nous allouons à l’un ou l’autre puissent varier en fonction des circonstances et des périodes de la vie.

« Il y a des familles en grand nombre où l’on est dévoués les uns à l’égard des autres, mais où l’on ne songe qu’au bien du petit groupe ainsi formé comme si les portes de la maison n’ouvraient pas sur des espaces plus larges, ainsi que ses fenêtres sur le ciel. On entend dire d’un homme « c’est un bon père de famille ». C’est bien, et il y a de la chance qu’il soit de ce fait même un bon citoyen, mais cela n’est pas certain. (…) Il y a un égoïsme à plusieurs, un égoïsme de groupe, et c’est un égoïsme quand même. On se croit généreux parce qu’on dépasse le bien de la personne ; mais en dressant l’intérêt de quelques-uns contre l’intérêt de tous, on peut nuire à la communauté plus que l’égoïsme individuel lui-même1. »

Parfois, nous nous plaignons, à juste titre, des maux de notre temps et attendons un temps meilleur. « Attendre ! Avez-vous remarqué qu’une foule de gens sont dans cette position et cet état d’esprit ? Et ils attendent quoi ? Que les évènements les délivrent ? Mais les évènements n’ont jamais délivré personne. Ce sont les gens de cœur qui délivrent les évènements et les inclinent dans le sens de leur volonté2. »

C’est aussi ce que rappelait Mgr Lefebvre en préfaçant le livre « Pour qu’Il règne3 » en 1959 : « Notre-Seigneur règnera dans la Cité, lorsque quelques milliers de disciples assidus de Notre-Seigneur et de l’Eglise seront convaincus par la grâce et par leur effort intellectuel de la Vérité qui leur est transmise, et que cette Vérité est une force divine capable de tout transformer. » Ne sommes-nous pas parmi ces quelques milliers ?

Ce devoir social est impératif d’une part parce que nous ne pouvons pas nous sauver seuls, d’autre part pour le salut des âmes, en particulier pour que nos enfants et petits-enfants bénéficient d’un monde meilleur que le nôtre. Plusieurs papes nous en rappellent le besoin, par exemple Pie XII : « De la forme donnée à la Société (je préciserais : et à toutes les associations humaines), conforme ou non aux lois divines, dépend et découle le bien ou le mal des âmes, c’est-à-dire le fait que les hommes, appelés tous à être vivifiés par la grâce du Christ, respirent, dans les contingences terrestres du cours de la vie, l’air sain et vivifiant de la vérité et des vertus morales ou, au contraire le microbe morbide et souvent mortel de l’erreur et de la dépravation4.» Pie XII dit aussi : « En conséquence, coopérer au rétablissement de l’ordre social, n’est-ce pas là, un DEVOIR SACRE pour TOUT chrétien ? » Alors que faire ?

Il nous indique les domaines où nous pouvons exercer notre action :                          « Le mot d’ordre doit être : pour la foi, pour le Christ, dans toute la mesure du possible, présence partout où sont en cause les intérêts vitaux, où sont en délibération les lois qui regardent le culte de Dieu, le mariage, la famille, l’école, l’ordre social, partout où se forge l’éducation, l’âme d’un peuple5. »

Alors à chacun de contribuer dans le domaine qu’il choisit, selon ses compétences et les circonstances.

Il est souvent bon de commencer dans le domaine du soutien aux familles par la formation et l’action6, par l’aide aux écoles catholiques libres, aux pèlerinages et processions pour aider nos prêtres.

De nombreuses opportunités supplémentaires s’ouvrent de plus en plus dans nos villes et villages, et dans les œuvres sociales des entreprises, car « la Révolution tend à réduire à néant, à atomiser les communautés naturelles. Elle dissocie, elle désagrège, elle fait éclater les liens familiaux, culturels, nationaux. Elle dépersonnalise pour n’avoir plus affaire qu’à des individus (…) divisés, séparés, opposés7. » Mais les hommes de bonne volonté ont soif d’autre chose : le catholique social aura donc à cœur de « renouer les liens sociaux, au lieu de les briser et exercer une action coordinatrice en sens inverse de l’action révolutionnaire8 » : formation des esprits, reconstitution des liens sociaux, adaptation des institutions (et associations) à l’ordre social chrétien. Ainsi la contribution à une bibliothèque d’entreprise ou de village, ou à l’organisation d’expositions ou de fêtes historiques locales contribuera à former et enraciner les esprits, à leur faire redécouvrir les racines chrétiennes de la France. L’implication dans une conférence Saint Vincent de Paul ou de visite des malades ou dans les commissions départementales de santé, permettra de réconforter les malades ou de les protéger des dérives sociétales actuelles. La participation aux associations de village ou de quartier (sport, histoire, jeunesse, patrimoine…) permettra d’exercer une bonne influence sur les adhérents, en les aidant à développer le sens de l’effort, de l’entraide, du Beau, du Vrai et du Bien.  Des élus locaux se plaignent souvent du manque de bénévoles et souhaitent recréer du lien social, face aux ravages de l’individualisme et du consumérisme : des places sont à prendre.

Que les paroles de Pie XII aux jeunes français résonnent dans nos cœurs : « Soyez fidèles à votre traditionnelle vocation. Jamais l’heure n’a été plus grave pour vous en imposer les devoirs. Jamais l’heure n’a été plus belle pour y répondre. Ne laissez pas passer l’heure, ne laissez pas s’étioler les dons que Dieu a adaptés à la mission qu’il vous confie ; ne les gaspillez pas, ne les profanez pas au service d’un autre idéal trompeur, inconsistant ou moins noble et moins digne de vous9 ! »

 

Hervé Lepère

1 La vie française, Père Sertillanges, O.P.

2 Idem.

3 Jean Ousset, fondateur de la Cité Catholique. Livre vivement recommandé.

4 50e anniversaire de Rerum Novarum, 1/6/1941.

5 Discours à l’Union Internationale des Ligues Féminines Catholiques, Pie XII, 1947.

6 Par exemple, le Mouvement Catholique des Familles-MCF avec 80 cercles de familles en France.

7 Doctrine d’Action Contre-Révolutionnaire ; P. Chateau-Jobert.

8 Joseph de Maistre

9 06/01/1945