Enthousiasme et magnanimité

A Annecy, en juin 2023, un terroriste blesse 6 personnes dont 4 jeunes enfants avec un couteau. Henri, 24 ans, n’hésite pas : il pourchasse l’assaillant, un sac de randonnée sur le dos et un autre sac devant lui en guise de protection. C’est lui qui a permis d’éloigner le suspect, avant qu’il ne soit neutralisé par les forces de l’ordre. Il n’a pas hésité à mettre sa vie en jeu pour sauver des vies.

Si une telle situation se reproduisait devant nos fils du même âge dans quelques années, seraient-ils capables du même engagement, ou seraient-ils des spectateurs paralysés ?

Comment notre éducation aidera-t-elle nos enfants à bien réagir lorsque des occasions moins dramatiques, ou des opportunités de faire du bien, se produiront de manière imprévue devant eux ? Sauront-ils prendre des initiatives ou auront-ils peur de l’échec ou de la difficulté ?

 

Henri, « le héros au sac à dos », a expliqué que son éducation a été déterminante ce jour-là. Il cite les trois axes qui l’ont façonné :

1/ l’Amour du Beau (nature, art…) qui conduit au Vrai et au Bien ;

2/ la Magnanimité, la grandeur d’âme inséparable de la vraie humilité ;

3/ la Tradition reçue : tradition catholique et idéal du Ciel, tradition familiale et de la patrie.

Parlons donc aujourd’hui de la magnanimité, l’enthousiasme pour les grandes actions. Selon Aristote, c’est la grandeur d’âme de celui qui se croit capable de réaliser de grandes choses, qui a confiance en lui et s’apprécie pour ce qu’il vaut, objectivement et sans orgueil. Cette vertu s’oppose à la pusillanimité (étymologiquement, la petitesse d’âme) et à la vanité impertinente. Le magnanime recherche en tout l’idéal du bien et non son propre avantage. Pour cela, il allie son cœur enthousiaste et aimant, son intelligence pour analyser les situations, choisir les bons objectifs et prendre les bons moyens, et sa volonté pour agir et persévérer.

 

La magnanimité est une vertu nécessaire !

Elle est dans la nature de la jeunesse, et de tous ceux qui gardent un cœur d’enfant. C’est une vertu nécessaire pour que nous fassions fructifier nos talents. Dieu a fait nos cœurs pour qu’ils se dilatent comme les fleurs s’épanouissent au soleil, pour que nous sortions du cercle étroit de notre petitesse afin de contribuer au règne de Dieu dans nos cœurs, nos familles, nos cités.

C’est un moteur de progrès, une puissance sur l’orientation de notre vie. Constatons-le en observant, avec nos enfants, les héros, les saints et même certains membres de notre histoire familiale ou de notre entourage !

« Quand on a l’âme jeune, chevaleresque, vaillante, il faut rêver à un idéal grand, sublime. Il faut se dégager, comme à grands coups d’ailes, des fanges d’ici-bas, pour s’élever bien haut dans l’azur du ciel. (…) Sans doute, il ne faut pas vous laisser prendre au mirage trompeur d’une ambition trop au-dessus de vos forces et de vos aptitudes ; mais avant de douter de vous-mêmes, faites au moins l’essai loyal de ce que vous pouvez accomplir. (…) Si ceux qui sont devenus de grands savants et de grands saints, et ont rendu tant de services à l’humanité et à la société chrétienne, s’étaient faits le même raisonnement que vous, où en serions-nous ?1 » Sans enthousiasme, nous risquons de devenir passifs, glacés comme le marbre froid du tombeau, indifférents aux grands intérêts de l’Église et de la patrie.

L’ambition ardente pour le Bien est également un moyen d’éviter les passions désordonnées, l’impureté, la faiblesse, le péché, « parce qu’il y a dans le cœur un autre attrait, un autre amour, plus fort, qui entraîne toute l’activité intellectuelle et physique vers un but supérieur ». Associée à la prière, c’est un dérivatif très efficace contre les tentations.

Le monde change, ces derniers mois le montrent. Les mouvements conservateurs, les réseaux, les initiatives, les œuvres de tradition ne cessent de se développer. Notre époque est propice pour les entrepreneurs, les écoles, les associations culturelles ou d’entraide, les apôtres auprès de nos contemporains qui ont soif d’idéal et de racines, que la société laïcisée et matérialiste ne leur donne plus. Préparons donc nos enfants à être de ceux qui reconstruiront la chrétienté !

L’éducation de la magnanimité

Il s’agit de former le cœur, l’intelligence et la volonté. Dès le plus jeune âge, l’histoire des héros et des saints ouvrira les cœurs et rendra désirable l’engagement pour des idéaux qui en valent la peine.

L’idéal servira d’étoile polaire et gonflera les voiles de son énergie. Il sera complété par le travail de l’intelligence qui doit montrer à la volonté ce qu’elle doit accomplir : « Plus la lumière projetée par l’intelligence sera intense, plus l’objet apparaîtra avec toutes ses qualités et ses défauts et plus la volonté se portera vers lui ou s’en éloignera.» C’est l’apprentissage de la connaissance du Bien et du Mal, de la Foi, des valeurs désirables à l’opposé du consumérisme, de la vanité, du confort ou de la faiblesse.

 

N’oublions pas qu’un idéal qui ne serait que velléité, rêverie, excitation ou émotion se dégonflerait aussi vite qu’il est apparu, mourant au seuil de la vie pratique, comme la vague meurt sur le sable de la plage. « Pour qu’une chose se réalise, il ne suffit pas d’en caresser le projet, de la désirer, il faut se mettre résolument à l’œuvre. De la décision il faut passer à l’action.» Il faudra savoir ignorer les moqueries, menaces, flatteries, séductions, paresses ou autres passions, en un mot être persévérant.

C’est au quotidien, jour après jour, année après année, que cette vertu se développera, nous fortifiera et nous réjouira par les résultats obtenus.

L’amiral McRaven, 37 ans dans les forces spéciales américaines (Navy Seals) a séduit les 8000 étudiants de l’université du Texas par son discours de remise des diplômes en 2014 : « Si vous voulez changer le monde, commencez par faire votre lit tous les matins ! » Il a raison !

Bien faire son lit et sa prière chaque matin, c’est avoir fait quelque chose d’utile et de satisfaisant chaque jour même si le reste de la journée est raté !

 

Enfin l’esprit d’initiative et de générosité sera essentiel. Malgré nous, nous sommes influencés par la centralisation croissante depuis Napoléon, renforcée par l’étatisme, l’esprit socialiste qui se méfie des initiatives privées, et l’individualisme ambiant cultivant les droits de chacun et oubliant le Bien Commun. Ne confondons-nous pas, même chez nous, le « principe de précaution » qui fait renoncer aux initiatives, et la prudence qui au contraire encourage à agir en prenant les bons moyens ?

Ne sommes-nous pas tentés d’établir des règlements pointilleux à la maison (par exemple pour les tours de service de table), plutôt que de faire appel à la générosité ? Lorsque maman est à la cuisine, ou papa au jardin, c’est normal de venir proposer son aide ! (Évidemment, on peut s’assurer que chacun fasse un minimum).

C’est en effet par les petites choses, faites avec persévérance, initiative et générosité que l’on se prépare aux grandes, si Dieu le veut.

 

Éduquons donc nos enfants à la magnanimité et à l’enthousiasme, et donnons leur l’exemple !

 

Hervé Lepère

1 Toutes les citations proviennent de « Soyez des hommes », F-A. Vuillermet, OP

 

Père comme saint Joseph

Marc rentre du travail après une longue journée, il se précipite au salon pour regarder les nouvelles sur internet, faire quelques jeux : il faut bien se détendre quand on a bien travaillé !

– Papa, papa… j’ai besoin d’aide pour ma leçon et mon exercice… Je n’y arrive pas bien.

– Mon fils, débrouille-toi, tu es plus doué que moi ! C’est comme cela qu’on apprend…

– Et après, est-ce qu’on pourra me raconter une histoire ?

– Pas ce soir, demain peut-être…

L’air sérieux ne quitte pas Marc de la soirée ni du week-end d’ailleurs. C’est qu’à 40 ans, il a des responsabilités au bureau et à la maison. Quand le travail est fini, il faut s’occuper des comptes familiaux, bricoler… Et puis, comment être joyeux alors que le pays va si mal ? Heureusement que son épouse s’occupe de tout à la maison : les écoles, les activités des enfants, l’administration, les prochaines vacances !

Depuis quand Marc n’a-t-il pas souri ? Depuis quand n’a-t-il pas joué et ri en famille ou avec les enfants ? Plus personne ne s’en souvient…

Imaginez-vous saint Joseph avoir eu ce comportement ?

Pourtant, son travail était fatigant, son Fils et son épouse plus doués que lui, et les soucis ne manquaient pas pour qu’il soit à la hauteur de sa mission, une mission surhumaine et si importante qui aurait pu beaucoup le perturber !

Tirons donc quelques leçons pour nous !

Bon père parce que bon époux

Joseph n’était pas un vieillard à barbe blanche lorsqu’il a épousé Marie. Il avait certainement l’âge habituel pour être assorti à sa jeune épouse, avec les aspirations de la jeunesse à une belle vie sous le regard de Dieu, et à l’héroïsme de la sainteté, sainteté personnelle et sainteté dans son état de vie. Nous pensons souvent à son exemplarité dans le travail, contemplons aussi sa sainteté d’époux. Imaginons-nous des dissensions ou des froideurs avec son épouse ? Au contraire, nous pouvons deviner la complicité des cœurs et des âmes de Joseph et Marie. Nous voyons l’union de leurs volontés et de leurs cœurs pour faire le Bien et suivre les volontés de Dieu, l’acceptation des incompréhensions réciproques (cette conception mystérieuse, ce message d’un ange ordonnant une fuite immédiate), la fidélité, l’admiration mutuelle, le dévouement, le respect de l’autorité qui s’exerce avec douceur mais fermeté (il faut partir cette nuit !), les bons moments qu’ils ont passés ensemble au calme et avec Jésus… Qui sur terre a davantage aimé son épouse que saint Joseph ?

Époux admirables pour que la famille soit une sainte famille ! Voilà le point de départ.

Vrai père, celui qui prépare l’avenir

Évidemment, si saint Joseph n’est pas père selon la génétique, il possède tous les autres attributs et qualités d’un vrai père. Ne le dévalorisons pas en le limitant au rôle de « nourricier ». Notre langage est bien pauvre devant le mystère. D’ailleurs, le rôle nourricier est largement partagé avec la mère : c’est elle qui nourrit les enfants et fait tant pour eux jusqu’à l’âge adulte !

Le rôle du père n’est pas d’abord d’être nourricier (c’est-à-dire de s’occuper du lendemain, même s’il y contribue), mais d’orienter et préparer les enfants à accomplir leur destinée, leur mission dans le monde pour l’améliorer. Le père rend les enfants capables de fonder une famille, ou de se donner dans la vocation, de travailler, de sortir du confort, d’apprendre le combat (de la Foi notamment), de jouer un rôle social.

C’est ce que fait saint Joseph avec Jésus à travers leur vie de famille, l’apprentissage d’un métier, du travail bien fait, la connaissance de la nature, les pèlerinages et la transmission de la Foi et de la science religieuse, l’insertion dans la société (tous connaissent le fils du charpentier).

Comme saint Joseph, le père oriente et prépare son enfant. Il développe la force et le courage pour franchir les obstacles mais il accompagne aussi. Les psychologues prennent l’image d’une rivière pour illustrer ce point : le fils devient adulte en traversant la rivière dangereuse de la vie, au-delà du foyer familial protecteur et confortable, en laissant la mère sur la rive. Il est >>> >>> guidé et accompagné par son père dans les étapes difficiles. Devenu adulte et père à son tour, le fils retraverse pour aller chercher son enfant et l’aider à son tour à traverser la rivière.

Le père ne peut pas se contenter de dire « débrouille-toi tout seul, mon fils, moi j’y suis bien arrivé ! ». Dire cela serait évidemment écrasant et déstabilisant pour la personnalité de l’enfant.

Père contemplatif inséré dans l’action

N’opposons pas contemplation et action : il faut les deux pour être un bon père ! Homme de silence tellement ébloui par la lumière de Dieu qu’il accepte facilement le mystère de l’Incarnation. Pourtant, il lui arrive de ne pas voir ce qui nous paraît évident : lorsque Marie et Joseph retrouvent Jésus au temple et entendent « je dois être aux affaires de mon Père, ils ne comprirent pas ce qu’Il leur disait ». C’est parce que Joseph est intérieur, que Dieu peut lui parler par des songes, des inspirations ou la voix des anges. Pour nous aussi, nous savons bien que la volonté de Dieu se discerne habituellement dans le silence, la prière, le secours des sacrements, mais que nous ne comprenons pas tout immédiatement. Accepter les imprévus, découvrir les bienfaits de circonstances providentielles, heureuses ou difficiles, et se mettre en mouvement pour les saisir ne se fait pas sans esprit intérieur.

A l’approche du Carême de cette année Sainte 2025

Retenons que saint Joseph a été un bon père parce qu’il était bon époux, parce qu’il a orienté, enraciné et intégré son Fils dans la société, parce qu’il était à l’écoute de Dieu.

Le Carême est une bonne occasion d’imiter Joseph, avec des résolutions concrètes, par exemple :

– Je passerai davantage de temps avec mon épouse qu’avec Internet et mon téléphone…

– Même dans les soucis, je décide de sourire et parfois de jouer avec les enfants…

– Chaque jour, je prends le temps du chapelet. Je vais à la messe en semaine…

A chacun de voir et de faire le bilan à la fin de ce mois de mars puis à Pâques, le 20 avril ! Saint Joseph ne vous laissera pas tomber !   

Hervé Lepère1

 

1 Inspiré par une conférence spirituelle

 

Devoir de servir

Martial et Paul se retrouvent dans le bus après une journée de travail fatigante.

– Ce week-end, ce sera repos total, sans contrainte comme d’habitude ! J’espère que mon épouse aura fait travailler les enfants et que je pourrai regarder le match.

– Tu ne viens pas à la réunion mensuelle du cercle des familles ?

– J’ai déjà ma famille et mon travail, cela suffit.

– J’aimerais bien que tu m’aides pour le chapitre enfants du prochain pèlerinage, c’est à peine quelques heures de préparation, et trois jours ensemble, une fois par an.

– Tu n’y penses pas, je n’ai pas de temps. D’ailleurs c’est fatigant, d’autres seront meilleurs que moi pour cela…

La tentation de l’égoïsme nous guette et nous fait oublier que nous avons trois devoirs d’état principaux : devoir professionnel, devoir familial, devoir social.

Aucun ne peut être négligé sous prétexte qu’il faut réaliser les deux autres, bien que les proportions de temps et d’effort que nous allouons à l’un ou l’autre puissent varier en fonction des circonstances et des périodes de la vie.

« Il y a des familles en grand nombre où l’on est dévoués les uns à l’égard des autres, mais où l’on ne songe qu’au bien du petit groupe ainsi formé comme si les portes de la maison n’ouvraient pas sur des espaces plus larges, ainsi que ses fenêtres sur le ciel. On entend dire d’un homme « c’est un bon père de famille ». C’est bien, et il y a de la chance qu’il soit de ce fait même un bon citoyen, mais cela n’est pas certain. (…) Il y a un égoïsme à plusieurs, un égoïsme de groupe, et c’est un égoïsme quand même. On se croit généreux parce qu’on dépasse le bien de la personne ; mais en dressant l’intérêt de quelques-uns contre l’intérêt de tous, on peut nuire à la communauté plus que l’égoïsme individuel lui-même1. »

Parfois, nous nous plaignons, à juste titre, des maux de notre temps et attendons un temps meilleur. « Attendre ! Avez-vous remarqué qu’une foule de gens sont dans cette position et cet état d’esprit ? Et ils attendent quoi ? Que les évènements les délivrent ? Mais les évènements n’ont jamais délivré personne. Ce sont les gens de cœur qui délivrent les évènements et les inclinent dans le sens de leur volonté2. »

C’est aussi ce que rappelait Mgr Lefebvre en préfaçant le livre « Pour qu’Il règne3 » en 1959 : « Notre-Seigneur règnera dans la Cité, lorsque quelques milliers de disciples assidus de Notre-Seigneur et de l’Eglise seront convaincus par la grâce et par leur effort intellectuel de la Vérité qui leur est transmise, et que cette Vérité est une force divine capable de tout transformer. » Ne sommes-nous pas parmi ces quelques milliers ?

Ce devoir social est impératif d’une part parce que nous ne pouvons pas nous sauver seuls, d’autre part pour le salut des âmes, en particulier pour que nos enfants et petits-enfants bénéficient d’un monde meilleur que le nôtre. Plusieurs papes nous en rappellent le besoin, par exemple Pie XII : « De la forme donnée à la Société (je préciserais : et à toutes les associations humaines), conforme ou non aux lois divines, dépend et découle le bien ou le mal des âmes, c’est-à-dire le fait que les hommes, appelés tous à être vivifiés par la grâce du Christ, respirent, dans les contingences terrestres du cours de la vie, l’air sain et vivifiant de la vérité et des vertus morales ou, au contraire le microbe morbide et souvent mortel de l’erreur et de la dépravation4.» Pie XII dit aussi : « En conséquence, coopérer au rétablissement de l’ordre social, n’est-ce pas là, un DEVOIR SACRE pour TOUT chrétien ? » Alors que faire ?

Il nous indique les domaines où nous pouvons exercer notre action :                          « Le mot d’ordre doit être : pour la foi, pour le Christ, dans toute la mesure du possible, présence partout où sont en cause les intérêts vitaux, où sont en délibération les lois qui regardent le culte de Dieu, le mariage, la famille, l’école, l’ordre social, partout où se forge l’éducation, l’âme d’un peuple5. »

Alors à chacun de contribuer dans le domaine qu’il choisit, selon ses compétences et les circonstances.

Il est souvent bon de commencer dans le domaine du soutien aux familles par la formation et l’action6, par l’aide aux écoles catholiques libres, aux pèlerinages et processions pour aider nos prêtres.

De nombreuses opportunités supplémentaires s’ouvrent de plus en plus dans nos villes et villages, et dans les œuvres sociales des entreprises, car « la Révolution tend à réduire à néant, à atomiser les communautés naturelles. Elle dissocie, elle désagrège, elle fait éclater les liens familiaux, culturels, nationaux. Elle dépersonnalise pour n’avoir plus affaire qu’à des individus (…) divisés, séparés, opposés7. » Mais les hommes de bonne volonté ont soif d’autre chose : le catholique social aura donc à cœur de « renouer les liens sociaux, au lieu de les briser et exercer une action coordinatrice en sens inverse de l’action révolutionnaire8 » : formation des esprits, reconstitution des liens sociaux, adaptation des institutions (et associations) à l’ordre social chrétien. Ainsi la contribution à une bibliothèque d’entreprise ou de village, ou à l’organisation d’expositions ou de fêtes historiques locales contribuera à former et enraciner les esprits, à leur faire redécouvrir les racines chrétiennes de la France. L’implication dans une conférence Saint Vincent de Paul ou de visite des malades ou dans les commissions départementales de santé, permettra de réconforter les malades ou de les protéger des dérives sociétales actuelles. La participation aux associations de village ou de quartier (sport, histoire, jeunesse, patrimoine…) permettra d’exercer une bonne influence sur les adhérents, en les aidant à développer le sens de l’effort, de l’entraide, du Beau, du Vrai et du Bien.  Des élus locaux se plaignent souvent du manque de bénévoles et souhaitent recréer du lien social, face aux ravages de l’individualisme et du consumérisme : des places sont à prendre.

Que les paroles de Pie XII aux jeunes français résonnent dans nos cœurs : « Soyez fidèles à votre traditionnelle vocation. Jamais l’heure n’a été plus grave pour vous en imposer les devoirs. Jamais l’heure n’a été plus belle pour y répondre. Ne laissez pas passer l’heure, ne laissez pas s’étioler les dons que Dieu a adaptés à la mission qu’il vous confie ; ne les gaspillez pas, ne les profanez pas au service d’un autre idéal trompeur, inconsistant ou moins noble et moins digne de vous9 ! »

 

Hervé Lepère

1 La vie française, Père Sertillanges, O.P.

2 Idem.

3 Jean Ousset, fondateur de la Cité Catholique. Livre vivement recommandé.

4 50e anniversaire de Rerum Novarum, 1/6/1941.

5 Discours à l’Union Internationale des Ligues Féminines Catholiques, Pie XII, 1947.

6 Par exemple, le Mouvement Catholique des Familles-MCF avec 80 cercles de familles en France.

7 Doctrine d’Action Contre-Révolutionnaire ; P. Chateau-Jobert.

8 Joseph de Maistre

9 06/01/1945

 

 

 

Un sacrifice, c’est dur quand on l’avale

Un dimanche soir, après 20 km au pèlerinage de Pentecôte, les enfants âgés de 7 à 12 ans traînent la patte sous le soleil…Vont-ils tenir pour l’heure de marche restante ?

« Les enfants, dit le chef de chapitre, vous êtes fatigués, c’est normal ! C’est l’occasion de gagner encore plus de mérites : chacun va offrir ses difficultés, sa fatigue, ses ampoules s’il en a, de tout son cœur, par amour de Jésus et de Notre-Dame, comme un sacrifice pour une intention personnelle : ses parents ou grands-parents s’ils sont malades ou en difficulté ; la famille, un camarade ou des voisins à convertir ; les vocations qu’il connaît… Vous êtes d’accord pour essayer ? Alors prions et chantons de tout notre cœur maintenant.»

Instantanément, et comme chaque année, les enfants répondent présent, le chant est plus fort, le groupe se resserre et reprend un rythme de marche régulier. Parfois on chante « un sacrifice, c’est dur quand on l’avale… Mais après ça, on dirait que c’est du sucre ! »

Que s’est-il passé ?

Les intentions concrètes ont facilité le sacrifice, l’oubli de soi et de ses douleurs (réelles). Elles ont redonné une motivation et un courage. L’exemple des plus faibles va stimuler les autres. Une fois l’étape atteinte, la légitime fierté d’y être arrivé va fortifier la confiance en soi pour les prochaines épreuves : « J’ai été capable de le faire, je pourrai recommencer ! »

Enfants ou adultes, notre nature humaine est ainsi faite. Nous avons besoin de nous oublier et de rester concrets pour progresser avec la grâce de Dieu.

Des actions insignifiantes méritoires et formatrices !

Bossuet, qui fut un grand directeur de conscience, « aux grands efforts extraordinaires où l’on s’élève par de grands élans, mais d’où l’on retombe d’une chute profonde », préférait « les petits sacrifices qui sont quelquefois les plus crucifiants et les plus anéantissants, les gains modestes, mais sûrs, les actes faciles mais répétés et qui tournent en habitudes insensibles… »

« En effet, l’homme courageux n’est point celui qui accomplit quelque grand acte de courage, mais bien celui qui accomplit courageusement tous les actes de la vie… Nous devons, à défaut de grands efforts, en accomplir à toute heure, de petits, excellement et avec amour. La grande règle, c’est d’échapper, jusque dans les petites actions, à la vassalité de la paresse, des désirs et des impulsions du dehors… On vous appelle pendant votre travail (ou votre épouse vous demande un service), vous avez un mouvement d’humeur : aussitôt levez-vous, contraignez-vous à aller vivement et joyeusement où on vous appelle… La devanture d’un magasin vous attire à l’heure où vous rentrez : passez de l’autre côté de la rue et marchez rapidement1… » Faire les comptes et gérer les papiers administratifs vous répugne : astreignez-vous à les traiter au moins une fois par mois dès le début du week-end… Un plat manque de sel, taisez-vous et contentez-vous de ce qui est servi… C’est par de tels « crucifiements » que vous vous habituerez à triompher de vos penchants, à progresser et à donner l’exemple sans vous laisser décourager par les échecs et les difficultés. Rien n’est perdu, chaque action apporte à la formation du caractère et au progrès spirituel sa quote-part. Chaque victoire, si petite soit-elle, diminue l’effort du lendemain.

Nous avons bien compris que ces considérations valent pour l’éducation de nos enfants, mais elles sont d’abord utiles pour nous-mêmes. Comment prêcher ce qu’on n’essaie pas soi-même de pratiquer ? Comme les petits pèlerins, il nous faut travailler dans le concret de l’instant présent.

N.D. de Fatima nous invite au sacrifice quotidien

Chacun sait combien Notre-Dame a insisté auprès des voyants sur l’importance des sacrifices « pour les pauvres pécheurs ». Lucie a précisé le 20 avril 19432 : « La pénitence que le Bon Dieu demande c’est le sacrifice que chacun doit s’imposer à lui-même pour mener une vie de droiture dans l’obéissance à sa loi. Il veut pour mortification l’accomplissement simple et honnête des tâches quotidiennes et l’acceptation des peines et des soucis. Étant à la chapelle à minuit, Notre-Seigneur me disait : le sacrifice exigé de chacun est l’accomplissement de son propre devoir et l’observation de ma loi ; c’est la pénitence que maintenant je demande et j’exige.» Puis en 1957, Lucie ajoutera « Chacun doit non seulement sauver son âme mais aussi toutes les âmes que Dieu a placées sur son chemin3.»  

Voilà donc un programme exaltant et simple tout tracé pour les pères de famille ! Il ne s’agit pas de nous perdre dans des rêves inaccessibles, mais de profiter de chaque circonstance présente pour en faire un acte d’amour ou de renoncement à notre volonté propre, pour le bien de notre épouse, de nos enfants, de ceux qui nous sont chers… Le Bon Dieu qui nous a voulus pères, a voulu que notre amour familial soit inséparable de l’amour de Dieu, et nous soit une aide pour aller vers Lui. Que nos efforts ne soient ni trop rigides, ni trop lâches, qu’ils gardent assez de souplesse et d’équilibre pour ne pas devenir un obstacle à notre activité, à notre paix ou à notre bonne humeur. Mais, comme les B.A. (bonnes actions) des scouts, que nos sacrifices soient quotidiens. Il nous semblera de plus en plus naturel d’en faire, et nous soutiendrons ainsi notre progrès surnaturel et celui de notre famille.

Haut les cœurs !

« Si vous voulez être des vainqueurs, luttez et établissez triomphante la vertu dans votre cœur, creusez profondément, même au prix des plus héroïques sacrifices, le sillon du bien ; exercez vos facultés par cette gymnastique fatigante, c’est vrai, mais fortifiante de l’habitude4 ».   

Pour y arriver, pratiquons cette devise que la Croisade Eucharistique enseigne à nos enfants : « Prie, Communie, Sacrifie-toi, Sois apôtre ! »

Le Bon Dieu nous attend dans le concret de chaque jour, notre épouse et nos enfants aussi !

Hervé Lepère

 

1 F.A. Vuillermet, OP, Soyez des hommes.

2 Lettre à Mgr Fereira da Silva, Fatima, manuel du pèlerin, éditions parthenon – 2017.

3 Au père Fuentes, idem.

4 F.A Vuillermet, OP

 

 

Cultivons la paix et l’optimisme 1

Vous avez certainement rencontré M. Catastrophe… Cet homme modèle, sérieux, voire grave. A la sortie de la messe ou chez des amis, il écoute attentivement ce qu’on dit. Mais à la moindre réflexion encourageante qui passe, il lance : « Je ne suis pas d’accord…C’est évident que la situation s’aggrave, le danger est là, untel a fait une erreur… Je ne sais pas comment nous allons nous en sortir… » Son discours refroidit l’ambiance, à moins qu’il ne la tende si un inconscient ose protester en apportant des éléments positifs. Le messager de mauvaises nouvelles, s’il ne se cabre pas, se recule derrière son œuvre : « Je n’ai fait que des constatations et suppositions, qui vivra verra ! » Il se tait mais le mal est fait : son entourage aura un peu moins de courage, un peu moins de douceur à opposer à la dureté de la vie ce jour-là. L’inquiétude est au cœur, elle grandit, sera probablement colportée, amplifiée, et refera la néfaste besogne.

Au-delà d’être humainement lourd à porter, le pessimisme est moralement mauvais. « Le désespoir contemporain est le fruit de l’humanité athée », pensait Saint-Exupéry. Aux âmes en état de grâce et de bonne volonté, saint Ignace de Loyola enseigne : « C’est le propre du mauvais esprit de leur causer de la tristesse, des tourments de conscience, d’élever devant elles des obstacles, de les troubler par des raisonnements faux, afin d’arrêter leurs progrès dans le chemin de la vertu. Au contraire, c’est le propre du bon esprit de leur donner du courage et des forces, de les consoler… et de les établir dans le calme2. »

Bien sûr, la croix fait partie de notre vie – rien ne se fait sans travail et sans effort – mais il nous faut chasser les tentations de tristesse, d’inquiétude et de trouble face aux difficultés, pour trouver la paix et la joie de Dieu, ouvrir les cœurs à l’amour et à l’Espérance, et fortifier les volontés pour accomplir le Bien. Le père de famille joue un rôle essentiel pour le bien de sa famille et l’équilibre de ses enfants en montrant l’exemple sur ce point.

Bienheureux les artisans de paix !

Commençons donc par accepter calmement les frictions avec les autres ou à apaiser les relations entre époux, entre enfants, en famille élargie, avec les collègues ou les voisins… « Mettre l’union dans les cœurs, c’est travailler avec Jésus ; mettre la discorde, c’est travailler avec le démon. Si donc l’occasion se présente de contribuer à rétablir ou à consolider la paix, n’y manquons jamais. D’un mot, on peut pacifier un cœur meurtri, d’un mot aussi, on peut lui donner plus d’aigreur. Si même il faut, pour le bien de la paix, faire une concession, un premier pas, un geste amical, s’il faut oublier une offense, un mauvais procédé, quelques fois briser son cœur, n’hésitons pas. Souvenons-nous que bienheureux sont les pacifiques. Jésus leur promet, en récompense de leur collaboration à son œuvre de paix, qu’ils seront fils de Dieu3. »

Si vos enfants vous voient rester en paix, chercher la paix malgré les désaccords même légitimes, malgré les soucis de la vie, ils comprendront  quelque chose de la miséricorde de Dieu et de son amour.

Si la tentation ne vient pas de nos relations humaines, elle peut venir par notre regard sur notre environnement. Est-il source de trouble et de fébrilité, ou de paix et de confiance ?

L’optimisme est-il encore possible ?

« L’optimisme est-il possible de nos jours alors que nous sommes tous accablés par le malheur, la cruelle humiliation nationale,… alors que sur le plan personnel, chacun voit chanceler le résultat du patient effort de sa vie, que le présent est dur et l’avenir imprévisible ? » se demandait Marie Pignal en 1941, comme nous pouvons nous le demander aujourd’hui. Oui, répondait-elle, l’optimisme est une vertu à travailler !

« L’optimisme est mieux qu’une disposition de tempérament, plus estimable qu’un besoin égoïste de se rassurer, plus valable qu’un désir de voir les choses s’arranger. C’est une disposition à saisir les choses de la vie dans leur profondeur, c’est-à-dire en liaison avec le sens surnaturel que Dieu, qui est tout bonheur, amour, beauté a donné au monde4. »

Pour être concrets dans ce travail, plusieurs axes s’offrent à nous. Commencer par prendre de la hauteur en relisant l’Histoire. Le Bon Dieu a utilisé les crises qu’ont traversées nos ancêtres : les débâcles politiques et religieuses avant la conversion de Clovis ; la disparition programmée de la France avant l’arrivée de Jeanne d’Arc ; le protestantisme avant la réforme du Concile de Trente…

Continuer en prenant du recul sur les bons évènements, petits ou grands, des années ou des jours passés, en observant les progrès ici ou là, dans nos enfants ou notre entourage : écoles, paroisse, projets, amis, ambiance de travail. Avec nos enfants, chanter « même le plus noir nuage a toujours sa frange d’or ! » Prendre conseil d’amis au tempérament plus positif que le nôtre sera utile pour éduquer notre regard !

Enfin, « ne traçons pas de limite aux forces qui nous dépassent. Ployons sous l’orage au lieu de reculer de quelques pas pour mieux nous dresser. Soyons plus souples devant la vie. Ne nous enfermons pas dans l’impasse de notre impuissante volonté ; restons sur le grand chemin où circule la volonté de Dieu pour recueillir les dons qu’elle nous apporte. Au lieu de porter un ultimatum aux évènements, laissons passer les desseins de Dieu et faisons Lui confiance. (…) Grâce à l’optimisme, nous garderons la lucidité du regard, la force de la volonté, le pouvoir d’action5. »

« Mais qui donc peut vous nuire si vous vous montrez zélés pour le Bien6 ? »

Le Bon Dieu attend notre confiance, nos enfants aussi !

 

Hervé Lepère

 

1 Dans cet article, nous comprendrons le mot « optimisme » comme un synonyme du mot « espérance naturellement et surnaturellement réaliste ».

2 2e règle du discernement des esprits

3 Père Mortier, op, L’Evangile

4 Le livre de la Confiance, Marie Pignal, 194

5 Idem

6 Epître de saint Pierre, au 5° dim. après la Pentecôte