Tenir bon

Tout foyer, lorsqu’il vient de se fonder, ne connaît pas les difficultés qui seront siennes, et ne les imagine pas. C’est tant mieux, sinon aucun ne se formerait… Mais un jour, la croix est là, qu’elle vienne de nos imprudences, ou qu’elle soit soudainement donnée.

           Et avec elle, l’incompréhension, l’inquiétude, la tristesse. Nous avons tant de mal à voir les évènements comme Dieu les voit, et pourquoi Il les permet. Mais tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu, alors…

  Ne pas oublier que le Père est toujours là, et le Saint Esprit qu’il faut implorer avant de se précipiter sur la solution que notre nature suggère d’instinct, comme un noyé qui s’accroche à la première épave ou se débat avec force. Les conseils avisés d’un prêtre ou d’une âme consacrée sont aussi là pour nous éclairer et garder un esprit chrétien, paisible.

  Ignorer les remarques du monde ou si la difficulté est interne au foyer, ne pas accuser l’autre de tous les maux, c’est si facile et si spontané parfois. Puiser dans les grâces du mariage qui ne font jamais défaut. Elles sont là mais nous oublions souvent de les faire nôtres et d’y être réceptifs, quoiqu’il en coûte à notre amour propre.

  Rien n’est perdu, tant dans le support de la difficulté ou sa solution, que pour notre couronne future au ciel, si nous restons dociles en aimant ce mystère qui nous dépasse. Les moyens humains de don de soi aux autres pour nous oublier, de détente saine et joyeuse pour soulager la nature, la prière confiante, nous aideront à ne pas alourdir la croix en « tournant en boucle dessus ».

  Bannir toute plainte excessive ou esprit d’amertume n’est pas chose aisée, nous sommes si faibles…Le danger peut être double : trop nous répandre sur nos difficultés ou au contraire nous taire et nous raidir pour tenir.

  Omettre la simplicité de se confier alors qu’il existe autour de nous des âmes qui pourraient compatir et nous aider, est une erreur. Il nous faut aussi avoir la délicatesse de se pencher sur les peines du prochain pour oublier un peu les nôtres. Se rappeler que tout doit nous faire grandir, et que tout est grâce…

  Notre Père, faites que nos épreuves portent des fruits, pour nous, pour les âmes dont nous avons la charge ou celles croisées le temps d’un instant. Faîtes que nous soyons bons instruments, dociles entre vos mains pour faire rayonner, à notre insu, Votre Amour.              

Jeanne de Thuringe

 

Humilité et patience

Chère Bertille,

            Je te remercie pour ta lettre et les nouvelles que tu me donnes. Tu me fais part de ta difficulté à consoler la peine de plusieurs foyers chrétiens, éprouvés par la perte d’un enfant ou qui n’ont pas la joie d’en avoir. Il est parfois bien dur de voir comment le Bon Dieu nous éprouve. J’ai réfléchi à ce que je pourrai te donner comme éléments pour les aider et il me semble qu’il y a plusieurs manières de considérer une épreuve. Soit nous la considérons comme une croix très lourde à porter que nous ne voulons pas, c’est alors que s’installe un repli sur soi, du dépit, de la colère et le bonheur s’échappe petit à petit de notre âme. Soit nous considérons que cette croix est un honneur que Notre-Seigneur nous fait de participer à sa Croix, l’épreuve paraît alors plus légère, nous sortons de nous-mêmes pour nous tourner vers le Bon Dieu, notre cœur s’épanouit et nous remplit d’amour.

  Je sais, chère Bertille, que la deuxième solution n’est pas évidente à atteindre, qu’il est plus facile de s’appesantir sur sa tristesse que de grandir vers le Bon Dieu. Mais il n’est pas impossible d’y arriver, en effet, le Bon Dieu nous donne l’occasion d’exercer les vertus qui nous permettent de correspondre de plus en plus à sa volonté, car c’est cela l’essentiel, c’est le sens de notre vie : correspondre à la volonté du Bon Dieu. Deux vertus me semblent importantes dans ce contexte : l’humilité et la patience. Plus nous les travaillons tôt, plus nous aurons les armes nécessaires pour supporter les différentes croix que le Bon Dieu voudra bien nous donner. Pour ce faire, je vais m’appuyer sur les écrits de Mgr Ullathorne.

   Tout d’abord il nous rappelle ce qu’est Dieu et ce que nous sommes à côté : « Nul maître n’a une intelligence aussi large que celle de Dieu, nul n’est aussi généreux. Mieux que personne il sait ce qui est en vous et connaît vos besoins ; il est le père le plus aimant et le plus libéral, l’ami le plus complètement exempt de toute jalousie ; personne ne vous aime si entièrement pour votre plus grand bien. D’autre part, il n’est pas de tyran aussi étroit et orgueilleux, aussi exigeant et soupçonneux, si absolument résolu à nous maintenir dans notre petitesse, que celui que nous connaissons tous si bien, dont une amère expérience nous a appris la tyrannie et qui s’appelle le moi. Or nécessairement vous devez choisir pour maître, soit Dieu, soit vous-même. Le dessein unique que poursuit le gouvernement bienfaisant de Dieu sur les âmes est de les enlever à elles-mêmes, pour les amener à sa vérité et à son bonheur1. »

  Il est alors bon de se rappeler ce qu’est la vertu : « La vertu chrétienne diffère de la vertu naturelle en ce qu’elle a son principe en Dieu. Elle a pour effet de nous rendre bons ainsi que nos œuvres, et de perfectionner notre âme selon le mode et dans la mesure où elle s’exerce. La vertu ne réside donc ni dans les sentiments, ni dans les sensations, non plus que dans une joie consciente de notre perfection, ainsi que certains ont la naïveté de se l’imaginer. Si le désir de la vertu dérive de son objet et résulte de son exercice, la récompense de la vertu chrétienne n’est ni en elle-même, ni dans les jouissances qu’elle nous procure, mais dans le Dieu des vertus, selon ce que dit saint Ambroise : « Celui qui se quitte lui-même pour adhérer à la vertu, perd ce qui est de lui et obtient les biens éternels2. »

  Mgr Ullathorne nous explique ensuite ce qu’est l’humilité : « La moins connue des vertus et par conséquent la plus méconnue est l’humilité, elle est cependant le véritable fondement de la religion chrétienne. L’humilité confère à l’âme une beauté que les mots ne sauraient rendre et que l’on ne connaît que par expérience. C’est un trésor d’une valeur inexprimable, et le seul nom qui lui convienne est celui de don de Dieu. « Apprenez, a-t-il dit – non pas des anges, non pas des hommes, non pas des livres – mais apprenez par ma présence, ma lumière et mon action en vous « que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes3 ». Plus nous nous soumettons à Dieu, plus nous nous approchons de lui. Il est infiniment au-dessus de nous, mais par cette sujétion même nous montons jusqu’à lui, et nous trouvons en lui la vraie grandeur4. »

  Par la suite, Mgr Ullathorne nous explique le lien qu’il y a entre l’humilité et la patience : « Il y a une connexion si intime entre la patience et l’humilité qu’elles ne peuvent beaucoup progresser ni l’une ni l’autre, sans se prêter un mutuel concours, pas plus que la charité ne croîtra en perfection, si elle est privée de leur secours. La patience est plus indispensable à l’homme spirituel que la nourriture, car celle -ci fortifie le corps et prévient ses défaillances, tandis que la première soutient l’âme, et aucune vertu, sans elle, ne peut être ferme et solide. […] Dieu est notre patience, notre force, notre vigueur, pourvu que nous reposions nos âmes en lui, que nous adhérions à lui, et que nous soyons dociles à son influence fortifiante et en usions dans une loyale coopération. La patience est le tonique de notre nature affaiblie, elle fortifie la volonté, apaise les irritations qui troublent l’âme, tonifie les puissances dans l’unité, et donne de la stabilité à toutes les vertus. Comme l’arbre tire sa force de ce qu’il est enraciné dans la terre, l’âme, qui est l’arbre de la vertu, puise la sienne dans une patiente adhésion à Dieu. La patience se mêle à toutes nos luttes, à tous nos renoncements, à toutes nos souffrances, à toutes nos soumissions, et à tout ce que nous avons à faire. Là où la patience fait défaut, l’acte est faible et l’œuvre imparfaite5. »

   Voilà, chère Bertille, ce que Mgr Ullathorne, nous explique sur ces belles vertus qui sont indispensables pour supporter les épreuves. Je vais lui laisser le soin de conclure : « Rien ne contribue davantage à la joie que l’habitude de regarder le bon côté des choses. Le bon côté est, en elles, le côté de Dieu. Mais, même à les prendre par leur côté humain, ce qui les fait paraître pires qu’elles ne sont est causé par l’envie, la jalousie et la malice de nos cœurs, s’imaginant faussement que ce qui abaisse les autres nous exalte. La patience doit dominer l’envie et réprimer l’idée de notre supériorité. La joie implique l’espérance, le courage, la confiance en Dieu, l’habitude de faire la sourde oreille aux doléances de l’amour-propre et une certaine joie tranquille dans le sentiment que, entre les mains de Dieu, « en qui nous avons la vie, le mouvement et l’être » nous sommes à l’abri du danger. Pourquoi ne nous réjouirions -nous pas des biens de Dieu ? Il nous est permis de le faire pour les choses bonnes qui touchent aux sens, pourquoi pas des biens de l’âme ? Si le jour est pur et serein, nous jouissons de son allégresse. Pourquoi serions-nous moins joyeux lorsque la claire lumière de la vérité rayonne du Ciel sur nos âmes ? […] Le grand ennemi de l’âme, ce n’est pas l’épreuve, mais c’est la tristesse, plaie saignante de l’amour-propre. « Nous pouvons être toujours dans la joie, dit saint Jean Chrysostome, pourvu que nous tenions notre tête un peu élevée au-dessus de la marée des choses humaines6. »

 Je t’embrasse bien affectueusement,

Anne

1 Mgr W.B.Ullathorne, o.s. b., Humilité et patience, ed Clovis, p 7-8

2 Ibid. p 12

3 Saint Jean Climaque, L’Echelle du Paradis, 25° degré ; cf. Mt, 11,29

4 Mgr W.B.Ullathorne, o.s. b., Humilité et patience, ed. Clovis, p 20-21

5 Ibid. p 63-64

6 Ibid. p 104 à 106

 

Quelle fête!

           Il semblerait parfois que la morosité nous guette, ce printemps tarde un peu à venir et nous nous surprenons à déambuler la mine défaite, le visage triste et sombre, de lourds nuages obscurcissent nos yeux, à moins qu’ils n’aillent jusqu’à embrumer notre cerveau.

           Mais que se passe-t-il ? Celui-là doit certainement supporter une rude épreuve, doit se dire la boulangère qui n’arrive même pas à nous faire esquisser un sourire ! Est-ce cela ? Non, même pas, nous serions bien en peine de dire la raison de cette mine d’enterrement. Rien de précis, peut-être une inquiétude diffuse sur l’état de la société et notre avenir à l’intérieur de celle-ci. Le virus, la vaccination… Nul ne sait ce que l’avenir nous prépare alors on en parle à la radio, on en parle aux amis, on en parle en famille, on nous inquiète, on s’inquiète, on inquiète les autres, on entretient cette inquiétude permanente au fond de notre cœur. Mais qui est « on » ? N’est-ce pas l’éternel rabat-joie, qui ne supporte pas de voir le visage rayonnant des disciples de Celui qui a vaincu la mort ?

  N’y en a-t-il pas un qui a intérêt à ce que le monde tremble devant l’inconnu de l’avenir et soit paralysé par la peur ? N’a-t-il pas intérêt à ce que paralysés, les hommes et surtout les catholiques arrêtent leurs entreprises de restauration ou de maintien du bien commun ?

  Alors quoi ! Sommes-nous de ces trembleurs, de ces pleurnichards qui s’arrêtent sur le bord du chemin par crainte de découvrir où il mène ? Sommes-nous de ces fins de race dégénérés qui ont peur de leur ombre et se demandent s’ils sont bien des hommes ? Sommes-nous de ces craintifs qui n’osent pas paraître différents par peur des moqueries voire de l’amende ?

  Ou sommes-nous de la race de nos preux ancêtres qui, le cœur plein de la joie profonde du chrétien, ont bâti les cathédrales et la civilisation chrétienne, l’ont défendue contre les assauts des mahométans ? Sommes-nous de la race de ces Charette, Cathelineau, La Rochejaquelein qui le sourire aux lèvres ont donné leur vie pour Dieu et pour le Roi ? Sommes-nous de la race de ces carmélites de Compiègne qui ont gravi bravement l’échafaud en priant pour leurs bourreaux ? Sommes-nous de la race de nos grands-oncles ou grands-pères, qui jeunes hommes dans la fleur de l’âge sont allés se faire faucher sur les champs de batailles de Verdun ?

  Oui, nous sommes des enfants de Dieu, de Celui qui a vaincu le monde et la mort par son Sacrifice et sa Résurrection et cela nous emplit d’une joie intense et profonde qui ne peut se tarir et qui rayonne au-dedans et au dehors de nous quels que soient les évènements car que peut-il nous arriver, que peut-il arriver à notre âme si elle est avec Jésus ? C’est pour cela que nous sommes joyeux et que nous espérons, que nous bâtissons et que nous nous donnons à tout ce qui est bien et bon.

« Raseurs » et conteurs de mauvaise aventure, passez votre chemin, ne propagez pas votre inquiétude sordide et ne paralysez pas nos forces !

  « Le seul dégoût que nous devons avoir est celui de notre propre faiblesse. Plus notre temps nous est ennemi, plus nous devons le déchirer par un cruel éclat de nous-même, plus il fait effort pour nous éteindre, plus il doit être étoilé de nous » disait Abel Bonnard.

  Alors quelle fête que la vie, quelle joie de pouvoir avancer dans la vie, libres comme l’eau, libres de la liberté des enfants de Dieu.

  Et vive la boulangère ! Elle a bien droit à un sourire !

Antoine

 

La prière

Chère Bertille,

           La vie sur terre n’est pas un long fleuve tranquille. Il faut se battre pour réussir dans ses études, pour trouver un travail où l’on pourra mettre à profit les talents que le Bon Dieu nous a donnés. Il faut combattre pour ne pas se laisser emporter par les mauvaises amitiés, pour lutter contre les tentations que le démon essaye de mettre sur notre chemin pour nous faire flancher. Le monde sait bien nous rendre addicte de sa mode, de sa musique, de ses films et bien d’autres choses encore. Je voudrais utiliser la suite du texte publié précédemment par le Père Garrigou Lagrange pour te montrer que le soutien, la force tu les trouveras seulement dans la prière. Bonne lecture ! Je te porte bien affectueusement dans mes prières.

Anne

 

« Voyons ce que la prière peut nous obtenir.

  La fin de la vie des âmes c’est le ciel ; à cette fin suprême Dieu subordonne tous les biens qu’il lui plaît de nous départir, car il ne nous donne ceux du corps et ceux de l’âme, que pour la conquête de l’éternité bienheureuse.

  La prière ne peut donc nous obtenir que les biens qui sont dans la ligne de notre fin dernière, dans la ligne de la vie éternelle. En dehors de là elle ne peut rien, elle est trop haute pour nous obtenir tel succès temporel sans rapport avec notre salut. Il ne faut pas attendre d’elle ce résultat, pas plus qu’on ne demande à un ingénieur l’office d’une manœuvre.

  Les biens qui nous acheminent vers le ciel sont de deux sortes : les spirituels, qui nous y conduisent directement, et les temporels, qui peuvent être indirectement utiles au salut, dans la mesure où ils se subordonnent aux premiers.

  Les biens spirituels, ce sont la grâce, les vertus, les mérites. La prière est toute-puissante pour obtenir au pécheur la grâce de la conversion, et au juste la grâce actuelle nécessaire à l’accomplissement des devoirs du chrétien. La prière est souverainement efficace pour nous obtenir une foi plus vive, une espérance plus confiante, une charité plus ardente, une plus grande fidélité à notre vocation. La première des choses que nous devons demander selon le Pater, c’est que le nom de Dieu soit sanctifié, glorifié par une foi rayonnante, que son règne arrive, (c’est l’objet de notre espérance), que sa volonté soit faite, accomplie avec amour, avec une charité plus fervente. La prière est toute-puissante pour nous obtenir le pain de chaque jour, non seulement celui du corps, mais celui de l’âme, le pain supersubstantiel de l’Eucharistie, et les dispositions nécessaires pour une bonne communion. Elle est efficace pour nous obtenir le pardon de nos fautes avec la disposition intérieure de pardonner au prochain, pour nous faire triompher de la tentation : « Veillez et priez, de peur que vous ne tombiez dans la tentation », disait Notre-Seigneur ; pour nous délivrer du mal et de l’esprit du mal, « cette sorte de démon ne se chasse que par la prière et par le jeûne ». (Matth, XVII, 20.)

  Seulement, cela va sans dire, la prière doit être sincère : demander de vaincre une passion sans éviter les occasions, demander la grâce d’une bonne mort sans s’efforcer d’avoir une vie meilleure, ce n’est pas une vraie prière, un vrai désir, c’est à peine une velléité. La prière doit aussi être humble, c’est un pauvre qui demande. Elle doit être confiante en la miséricorde de Dieu, elle ne doit pas douter de son infinie bonté. Elle doit être persévérante pour montrer qu’elle vient d’un désir profond du cœur. Parfois le Seigneur ne semble pas nous exaucer tout de suite, pour éprouver notre confiance et la force de nos bons désirs, comme Jésus éprouva la confiance de la Chananéenne par une parole sévère qui semblait un refus : « C’est aux brebis perdues d’Israël que je suis envoyé…, il ne convient pas de donner aux chiens le pain des enfants. » Sous l’inspiration divine, la Chananéenne répondit : « Pourtant, Seigneur, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leur maître ». – « O femme, dit Jésus, ta foi est grande, qu’il te soit fait selon ce que tu demandes » ; et sa fille, qui était tourmentée par le démon, fut désormais délivrée (Matth., XV, 22).

  Mais si vraiment nous avons prié avec persévérance et si, malgré nos supplications, Dieu nous laisse aux prises avec la tentation, rappelons-nous l’apôtre saint Paul, qui lui aussi supplia à plusieurs reprises pour être délivré de l’aiguillon qui le tourmentait dans sa chair et qui reçut cette réponse : « Ma grâce te suffit pour vaincre », sufficit tibi gratia mea. Croyons avec l’Apôtre que cette lutte nous est profitable, et ne cessons pas de demander la grâce, qui seule peut nous empêcher de faiblir. Apprenons par là notre indigence, apprenons que nous sommes des pauvres, et que l’acte du pauvre consiste à demander. Le chrétien toute sa vie doit mendier les énergies surnaturelles qu’il lui faut pour faire son salut. L’âme humaine ne peut atteindre le ciel que si elle est lancée par Dieu ; mais une fois lancée, il faut qu’elle vole ; la prière est comme le coup d’aile du petit oiseau lancé hors du nid et qui réclame un nouveau secours.

  Quant aux biens temporels, la prière peut nous obtenir tous ceux qui doivent, d’une façon ou d’une autre, nous aider dans notre voyage vers l’éternité : le pain du corps, la santé, la force, la prospérité de nos affaires, la prière peut tout nous obtenir, à condition que nous demandions avant tout et par-dessus tout à Dieu de l’aimer davantage : « Cherchez le royaume des cieux, et tout le reste vous sera donné par surcroît ». Faut-il dire que la prière est inefficace parce que nous n’avons pas demandé ce bien temporel pour lui-même, mais seulement dans la mesure où il était utile à notre salut. Si nous ne l’avons pas obtenu, c’est que nous devons nous sauver sans lui. Notre prière n’est pas perdue, nous n’avons pas obtenu ce bien temporel qui nous était utile, mais nous avons obtenu ou nous obtiendrons une autre grâce plus précieuse.

  La prière humble, confiante, persévérante, par laquelle nous demandons pour nous les biens nécessaires au salut est infailliblement efficace, en vertu de la promesse du Seigneur. Dieu, en effet nous commande de travailler à notre salut. Il ajoute : « Sans moi (sans ma grâce) vous ne pouvez rien faire », « demandez, et vous recevrez » ; demandez-la-moi, cette grâce, je vous la donnerai, je vous le promets. Bien plus, c’est Lui qui fait jaillir la prière de nos cœurs, qui nous porte à demander ce que de toute éternité il veut nous accorder. Si telle prière n’était pas infailliblement efficace, le salut serait impossible, Dieu nous commanderait l’irréalisable ; la contradiction serait en Lui, suprême Vérité et suprême Bonté. Les simples comprennent tout de suite la parole de Jésus : « Demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira ; qui de vous donnera une pierre à son enfant, si celui-ci lui demande du pain, et s’il lui demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent ? Si donc, méchants comme vous êtes, vous donnez de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison votre Père qui est aux cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent ! ». Telle est la prière simple et profonde du paysan rentrant du travail, posant sa bêche devant la porte de l’église et entrant pour dire un Notre Père. Quel crime celui qui consiste à arracher cette foi sublime au pauvre, qui par elle se rattache à l’Eternité ! Savoir prier, pour l’âme, c’est savoir respirer.

  La prière est donc une force plus puissante que toutes les forces physiques prises ensemble, plus puissante que l’argent, plus puissante que la science. Ce que tous les corps et tous les esprits créés par leurs propres forces naturelles ne peuvent pas, la prière le peut. « Tous les corps, dit Pascal, le firmament et ses étoiles, la terre et ses royaumes, ne valent pas le moindre des esprits… De tous les corps ensemble on ne saurait en faire réussir une petite pensée, cela est impossible et d’un autre ordre… tous les corps ensemble et tous les esprits ensemble, et toutes leurs productions, ne valent pas le moindre mouvement de charité, cela est d’un ordre infiniment plus élevé… ». La prière, elle, peut obtenir la grâce, qui nous fera produire cet acte de charité.

  La vraie prière joue ainsi dans le monde un rôle infiniment plus grand que la plus étonnante des découvertes. Qui oserait comparer l’influence exercée par un savant incontesté comme Pasteur, à celle qu’exerça par sa prière un saint Paul, un saint Jean, un saint Benoît, un saint Dominique ou un saint François ?

  Chaque âme immortelle vaut plus que tout le monde physique, elle est comme un univers, unum versus alia, puisque par ses deux facultés supérieures, intelligence et volonté, elle s’ouvre sur toutes choses et sur l’Infini. A ces univers en marche vers Dieu, qui sont les âmes, la prière assure deux choses : la lumière surnaturelle qui les dirige, et l’énergie divine qui les pousse. Sans la prière, l’obscurité se fait dans les âmes, qui se refroidissent et meurent, comme des astres éteints. Ayons confiance en cette force d’origine divine ; rappelons-nous d’où elle vient, rappelons-nous où elle va ; c’est de l’Eternité qu’elle descend, d’un décret de l’infini bonté, c’est à l’Eternité qu’elle remonte. »

Rome, Angelico

Fr. Reg. Garrigou-Lagrange, O.P

 

A la conquête de soi

           Regardez ce pianiste qui laisse courir ses doigts sur le clavier comme si c’était eux qui décidaient. Observez la maîtrise, dans les nuances, la délicatesse du doigté, l’attention portée aux moindres détails mais qui paraît innée et naturelle, la synchronisation parfaite des deux mains et des pieds. Le tout s’épanouissant en une harmonie sublime qui vous va droit au cœur et vous fait percevoir un tout petit échantillon de la beauté qui doit régner au paradis. 

  Un tel niveau de maîtrise a demandé une bonne dizaine d’années pour savoir très bien jouer du piano et une vingtaine d’années en plus pour atteindre la pleine maîtrise de l’instrument. Et encore celle-ci nécessite-t-elle un entraînement journalier pour ne pas perdre les réflexes qui sont peu à peu et laborieusement assimilés.

 

  Il en est de même pour notre caractère, nos parents l’ont dégrossi par l’éducation qu’ils nous ont dispensée ; ils nous ont permis de saisir approximativement le mode d’emploi de notre esprit afin de pouvoir être capable de jouer les premiers morceaux.

  A nous ensuite de nous pencher sur notre âme pour l’effiler et en acquérir la maîtrise sous le regard de Dieu. A nous d’entraîner régulièrement notre volonté ; cela nous permettra de savoir nous diriger soi-même avant de vouloir conduire les autres. C’est cette maîtrise qui nous permettra d’élargir la gamme d’harmoniques sur lesquelles nous pourrons jouer, d’affiner notre caractère, d’accentuer les nuances et d’agir avec finesse et pertinence en toute situation.

  Cette finesse nous permettra d’être fort sans avoir à être violent, d’être sensible sans pour autant être faible, d’être ferme sans être rigide et d’exercer notre autorité au service de ceux dont nous avons la charge sans être tyrannique. En un mot d’être libre, de ne pas être esclave de nos émotions et de nos réactions épidermiques parfois blessantes.

  Ce dur équilibre est le sommet de la maîtrise de soi que nous devons chercher à conquérir tout au long de notre vie d’homme au prix d’un entraînement permanent fait d’efforts de volonté, de petits sacrifices offerts avec amour. Choisir de prendre un livre au lieu de poursuivre telle série, se lever dès que le réveil sonne ou ne pas ouvrir le frigo à tout hasard entre les repas, réprimer un mouvement d’humeur ou une réplique cinglante suite à une remarque désagréable sont autant de petits exercices qui vous aideront à gravir cette montagne.

 

  Observons l’impact de nos paroles et de nos décisions sur l’humeur du prochain, non pour chercher à faire nécessairement ce qui lui plaît, mais pour être sûr que leur effet le conduit vers le bien et non vers la révolte. Mieux vaut parfois se taire quand ce n’est pas le bon moment que de dire une chose vraie mais qui entraînera une attitude révoltée. A l’inverse même si c’est parfois au dépend de notre respect humain, nous devons proclamer la Vérité quand on nous la demande ou que le moment est approprié pour élever notre prochain et lui faire découvrir les merveilles que nous avons eues la chance de recevoir mais toujours avec délicatesse. Et surtout, – posons-nous la question – la cause qui nous tient tant à cœur et que nous défendons si âprement a-t-elle vraiment besoin de nous, ou flatte-t-elle simplement notre amour propre ?

  Cette maîtrise de soi nous est plus ou moins facile en fonction de notre caractère et de notre mode de réaction. Quoi qu’il arrive, sachons demander l’aide de Notre-Seigneur, lui qui a incarné l’équilibre parfait de l’amour de Dieu, du prochain et de la Vérité dans la délicatesse et la fermeté la plus accomplie.

  Mais à quoi bon cette conquête ? Par pur délire d’esthète, simple goût du beau et de la perfection pour elle-même. Pour pouvoir dire tel Auguste dans Cinna : « Je suis maître de moi comme de l’univers… »  Peut-être, mais surtout par amour et charité pour ceux qui nous entourent, pour mériter la confiance qu’ils nous accordent et les conduire le plus efficacement possible vers le bien.

  Voilà cher ami une belle conquête à te fixer, un objectif qui fera l’objet de toute ta vie, et alors peut-être parviendras-tu à ressembler à tel ou tel pianiste accompli que tu as sans doute admiré qui, arrivé à une belle maturité parvient après tant d’années d’efforts à jouer tout en nuance et en perfection sur les nombreuses harmoniques de son beau caractère affiné par l’exercice et l’amour de Dieu et du prochain.

Antoine