La flamme du foyer

Juché sur son cheval, au sommet de la butte, le sultan Muhammed XI Abu Abdallah se retourna et contempla Grenade, sa ville perdue, sa mosquée magnifique, ses jardins beaux à faire pâlir ceux de l’antique Babylone, ses remparts orgueilleux, sa population abandonnée, ses richesses livrées : tout désormais était tenu par les armées catholiques de Ferdinand et Isabelle de Castille. L’homme éclata en sanglot. Sa mère, Fatima, lui lança un reproche resté célèbre : « Ne pleure pas comme une femme ce que tu n’as pas su défendre comme un homme.» La colline qui recueillit le sanglot du Sultan porte depuis le nom El ultimo suspiro del Moro – le dernier soupir du Maure.

Ce matin du 25 août 1248, embarqué sur la nef qui l’emmène vers l’Orient pour libérer Jérusalem sous le commandement du saint roi, le chevalier ne détache pas son regard de la côte qui s’éloigne. La houle ne parvient pas à tromper la tristesse qui envahit son âme. Dieu seul sait quand il reviendra, s’il revient un jour. Il pense à son donjon, à sa femme qui tiendra la forteresse et le domaine en son absence. Il se souvient ce qu’elle lui murmura dans le creux de l’oreille tandis qu’il hésitait à revêtir la croix : « Je préfère un époux loin de moi pour servir Dieu et son roi qu’un époux près de moi qui rechigne à servir. Porte la croix, rejoins le roi à Sète, pour la gloire de Dieu et l’honneur de ton nom. » Alors sa tristesse s’évanouit, le courage affermit son bras. Il se retourne et regarde l’horizon. Au loin, là-bas, la Terre Sainte aux mains des impies aimante tout son être.

Les collines de Torfou sont prises. Les Bleus gagnent du terrain. Cette journée du 19 septembre 1793 sonne la défaite du peuple de Vendée. Les hommes tombent sous les coups du redoutable Kléber. Soudain, c’est la débandade. Les hommes refluent dans le désordre, ils fuient, vers les bois. Les femmes de Tiffauges sont là et leur barrent la route : « Que faites-vous ? Lâches, pleutres ! Retournez au combat, où nous irons à votre place.» A force d’exhortations, les hommes retournent au combat. La victoire des Vendéens fut décisive.

Il revient aux hommes de tenir la cité pour le salut des âmes : conquérir la paix, défendre face aux ennemis, donner sa vie, par le sang ou par le service, pour le Bien Commun. L’histoire regorge d’hommes qui modifièrent le cours des évènements, voire qui l’inversèrent. Les bons, suscités par la Providence, pour le salut des âmes : des saints, des rois, des chevaliers, des soldats, des médecins, des maires, des universitaires, des militants, des avocats, des juges, des paysans, des laïcs et des clercs. Les mauvais, permis par la Providence, pour répandre l’erreur et le vice et empêcher le salut des âmes. Mais qui aujourd’hui aurait le courage de certains de nos aïeux : partir deux, trois, cinq ans en croisade ? Sortir de la tranchée au coup de sifflet, sous le feu ennemi, pour quelques arpents de terre ? Faire rempart de son corps devant la milice de la République venue faire les inventaires pour spolier les églises de nos villages ? Et au-delà de ces situations particulières, qui a le vrai courage de s’affirmer chrétien en toute situation ? De ne jamais raser les murs ? D’aimer Dieu quoiqu’il en coûte, dans chacun des petits actes de nos courtes vies ?

Lors d’un discours à l’occasion de la béatification de sainte Jehanne d’Arc, saint Pie X nous adresse un vibrant reproche : « Que l’on n’exagère pas par conséquent les difficultés quand il s’agit de pratiquer tout ce que la foi nous impose pour accomplir nos devoirs, pour exercer le fructueux apostolat de l’exemple que le Seigneur attend de chacun de nous : Unicuique mandavit de proximo suo. Les difficultés viennent de qui les crée et les exagère, de qui se confie en lui-même et non sur les secours du ciel, de qui cède, lâchement intimidé par les railleries et les dérisions du monde : par où il faut conclure que, de nos jours plus que jamais, la force principale des mauvais c’est la lâcheté et la faiblesse des bons, et tout le nerf du règne de Satan réside dans la mollesse des chrétiens. »

La mollesse des chrétiens… Comme ces mots tancent notre âme ! Soyons honnêtes, le courage a abandonné l’Occident ! Les vieux pays d’Europe, chrétiens jadis, apostats aujourd’hui, ne sont désormais plus peuplés que de pères de famille peureux, préférant changer les couches de leurs bébés et faire rouler une poussette sur le chemin du square que de faire claquer les bannières de chrétienté dans les rues de Paris, que de faire leur signe de croix au travail avant le déjeuner, que de quitter une pièce quand un triste comique se moque de notre sainte religion, que d’accepter avec honneur et abandon les sacrifices quotidiens d’un travail difficile, que de proposer la venue du prêtre à son voisin qui s’approche de la mort, que d’ouvrir un livre ardu pour se former l’esprit.

Pères de famille catholiques, la France fille aînée de l’Eglise, pays chrétien irrigué par la grâce, mourra si vous abandonnez le champ de bataille, non pas celui des rêves épiques d’adolescent, mais celui où Dieu vous a placé, là, autour de vous, tout de suite. Et vous, mères de famille catholiques, ne retenez pas votre mari chez vous, n’en faites pas un domestique. Soyez la flamme du foyer, l’âtre chaleureux où il fait bon revenir après l’âpre combat. Soyez la flamme du foyer qui revigore l’âme de votre mari et de vos fils pour qu’ils soient des hérauts portant haut la flamme de l’âme apostolique dans la cité. Derrière chaque homme, il y a une mère ou une épouse qui lui donne le souffle pour soulever les montagnes.

Que nos maisons soient le cénacle, quarante-neuf jours après Pâques, afin que demain, dans un grand souffle de vent, le Saint-Esprit suscite une Pentecôte familiale. Courage, Dieu est avec nous, il y a tant d’âmes à sauver ! La nôtre en premier lieu.

 

 Louis d’Henriques

 

Car tu es poussière

A la sueur de ton visage tu mangeras ton pain, jusqu’à ce que tu retournes au sol, car c’est de lui que tu as été pris ; car tu es poussière et tu retourneras à la poussière.

Ces mots, adressés à Adam à l’aube des temps, s’appliquent à tous les hommes. Dieu a créé le monde, la nature, les plantes, les animaux pour deux raisons, émerveiller et nourrir les hommes. Mais la nature, jadis docile, a été rendue capricieuse depuis le premier péché. C’est à force de travail que les hommes peuvent tirer leur subsistance. Ce travail, voulu par Dieu, comme châtiment mais aussi comme occasion de sanctification par l’effort, doit correspondre au plan de Dieu.

Peu à peu, à travers les siècles, l’homme a appris à dompter le sauvage. Il a sélectionné les plantes nourricières, semant d’année en année les grains les plus gros, faisant évoluer les céréales et les fruitiers jusqu’aux variétés généreuses que nous connaissons aujourd’hui. De même, il a apprivoisé l’animal pour mille usages, traction, lait, viande, etc. Par l’expérience, à l’écoute du réel et des lois qui régissent le vivant, à force de travail, les générations qui nous ont précédés nous ont laissé un immense trésor : mille techniques agricoles, mille et mille variétés de plantes et d’animaux. L’homme a appris à dompter la nature, au moins celle qui l’entourait. Puis, en plus de la science des paysans, s’est ajoutée celle des médecins, des géologues, des biologistes, des physiciens, des astronomes, etc. Il est fascinant de voir combien de grands noms dans l’histoire des sciences sont des clercs. Cette science réaliste, ordonnée, a été l’apanage du monde chrétien. Pendant longtemps, l’homme a fait progresser la connaissance, dans le même esprit que celui d’Adam : connaître la nature pour en tirer les ressources nécessaires à la vie prospère de l’homme aujourd’hui et de ses fils demain, la dominer pour prévenir ses caprices, sans la détruire, en préservant l’avenir. La nature, don du Créateur, au service de l’homme, et reine des créatures ici-bas. C’est d’abord cela « l’écologie chrétienne ».

C’est ensuite la contemplation de l’œuvre de Dieu. La nature regorge de tant de merveilles ! Les découvrir, les observer, les connaître, c’est se mettre à l’école du Bon Dieu. Dieu a déversé tant de beauté et apporte tant de soin à des êtres sans âme ! Alors, que ne ferait-Il pas pour nous qui sommes appelés à la béatitude éternelle ?

Malheureusement, « l’écologie chrétienne » a disparu. Elle a été remplacée par deux idées folles, devenues des idoles : Gaïa (ou la Pachamama) d’un côté, Mammon de l’autre. La déesse Terre et le dieu Argent.

Dans un monde sans Dieu, on en vient à adorer l’argile, le bois des forêts ou les eaux gelées, les bébés phoques ou les ours polaires. Une nouvelle religion singe la vraie religion. La planète Terre et sa merveilleuse biosphère sont divinisées. Les hommes doivent ordonner leur vie à son service. La nouvelle religion a son nouveau péché originel : nous avons profané la déesse en polluant et en émettant du CO2. Nous héritons de ce péché quoi que nous fassions. Gaïa s’apprête à se venger en jetant sur les hommes ses ouragans tueurs, ses vagues vengeresses et ses sécheresses apocalyptiques. Le seul salut est que l’homme sacrifie à la déesse, jusque dans les plus petits gestes du quotidien, afin de contenir le climat. Niant le vrai Dieu, la nouvelle religion déifie la matière et y soumet l’homme. Une totale inversion de l’ordre voulu par Dieu. Cela est particulièrement visible dans les mouvements « anti-spécistes » qui mettent l’être humain sur le même pied d’égalité qu’un âne, un moineau, un rat ou encore un cochon. Voire qui considèrent même l’homme en-dessous de l’animal, car l’homme est coupable du péché originel (réchauffement climatique) et de ses péchés personnels (guerres, élevage, alimentation carnée, etc.). Cette fausse religion, comme toutes les autres, détourne les hommes d’abord de Dieu, mais même des choses naturelles et de bon sens. Comment être tout simplement joyeux quand mêmes les enfants sont tourmentés par la peur de l’apocalypse ? La Triste Nouvelle assénée >>> >>> sans relâche par les prêtres de l’écologie tue l’espérance : jamais les suicides et les dépressions n’ont autant touché nos concitoyens.

A côté de Gaïa, nous trouvons Mammon, le dieu argent. En son nom, la domination de la nature perd sa composante « conservatrice » pour ne rechercher que le profit immédiat. Peu importe si on détruit une ressource sans lui laisser la moindre chance de se renouveler : le temps qu’elle s’épuise, le siècle aura vécu. Certes, les générations suivantes devront se débrouiller, en attendant, la génération actuelle peut tout brûler. Ainsi, il faut toujours plus de rendement à l’hectare, quitte à saccager les sols à coups de produits phytosanitaires et de rotations toujours plus agressives. Ainsi, il faut trafiquer le corps humain, vendre tout un tas de produits, sans regarder les conséquences à 10, 20 ou même 30 ans. Ainsi, il faut ouvrir le sous-sol pour en extraire dans ses plaies béantes toujours plus de minerais et de pétrole, quitte à relâcher les déchets et la pollution dans les rivières et les mers, sans se soucier des conséquences. L’adepte de Mammon est le grand pollueur et le grand apprenti sorcier ; c’est le transhumaniste qui veut jouer au Créateur. Dans sa mémoire résonne encore le mensonge du serpent : « Vous serez comme des dieux. » Sa science n’est plus une science à l’écoute des lois de la nature, elle est une science qui veut dominer et singer la Création. Pour toujours plus d’argent, ils ouvrent de nouveaux marchés toujours plus au cœur de l’intimité de l’homme : marché de la grossesse avec la GPA, marché de l’avortement et de la pilule, marché de la mort par l’euthanasie et le suicide assisté, marché de l’orgueil demain en promettant la vie éternelle par un transhumanisme toujours plus fou.

« Vous serez comme des dieux » dans l’esprit des uns, « sacrifions aux idoles » dans l’esprit des autres. Nous sommes si loin des mots qu’Adam entendit de la bouche de Dieu : « car tu es poussière et tu retourneras à la poussière. »

Car tu es poussière… Il fut une époque où des hommes du monde et de l’Eglise disposaient dans leur bureau un crâne, réel ou en peinture, dans le but de ne jamais oublier la finitude de la condition humaine. Memento mori… Souviens-toi que tu vas mourir, « car tu es poussière ». Pour être de bons chrétiens, nous devons avoir dans un coin de la tête notre memento mori. Ainsi, nous ne cesserons d’oublier que nous sommes de passage sur terre, que notre vraie patrie est le Ciel, que ce qui nous entoure est don de Dieu pour nous aider à aller vers le Ciel, que ce don vivant dans la nature ne nous appartient pas et doit être transmis à nos enfants, qui eux-mêmes, en auront besoin pour aller au Ciel. Le bon chrétien n’est ni un faux-dieu gavé de technologie, à la recherche incessante de richesses et de pouvoir et se languissant après la vie éternelle, ni un animal ou un esclave devant adorer une nouvelle déesse faite de bois et d’argile pour en éviter le châtiment. Non, le bon chrétien est un homme, une femme, un Enfant de Dieu, libéré par la grâce, héritier de l’héritage du Christ au Paradis, de passage ici-bas, car dans son esprit résonne la vérité : « tu es poussière et tu retourneras à la poussière. »

 

 Louis d’Henriques

 

Les joyeux petits apôtres

Le vieil homme attendait devant la porte. A travers la vitre, il observait la petite route qui montait jusqu’à chez lui. Il guettait la venue de l’assistante de vie. Pour le moment, seuls quelques moineaux piaillaient sur le goudron, sautillant dans la lumière du soleil et secouant leurs plumes dans la poussière. Enfin, une voiture arriva et une jeune femme en descendit. Elle salua le vieil homme, comme d’habitude. « Comment va votre femme ce matin ? » « Pas mieux qu’hier. » « Je monte m’occuper d’elle.» L’homme remercia par un sourire. Puis il enfila son manteau et sortit. L’air frais de ce mois de mars le revigora.

Il aimait ses petites promenades. Les visites de l’assistante de vie lui offraient quelques instants précieux où il pouvait laisser le chevet de sa femme malade pour couper le bois, biner le potager, ou simplement flâner sur les chemins entre les collines qui l’avaient vu grandir. Parfois, il croisait les enfants des voisins d’en face. Ils étaient joyeux et le saluaient gaiement. Souvent, ils lui proposaient leur aide, pour ramasser les haricots ou désherber. Le vieil homme savait qu’ils étaient chrétiens. Il les avait vus parfois prier le chapelet sur le chemin, et puis les enfants ne s’en cachaient pas. En fait, ils en étaient fiers. Ils parlaient de Jésus, parfois ils chantaient des cantiques, spontanément, dans leurs jeux. Pas comme une prière, plus comme un rire, juste parce que leur joie avait besoin d’éclater dans l’air. Le vieil homme se demandait si leur joie de vivre et leur simplicité ne jaillissaient finalement pas de cette foi, qu’il avait connue lorsque jadis il gambadait sur les mêmes chemins, en culotte courte. C’était il y a 70 ans. Depuis, il avait oublié le Bon Dieu. Sa femme mourrait doucement, tourmentée par la maladie, ne lui laissant aucune liberté. Il était impossible de la laisser seule. Puis le temps l’emporterait lui-aussi, comme il emporte tout le monde dans la mort. En attendant, le potager poussait et les joyeux enfants apportaient la gaieté, et peut-être un peu plus. Un jour, avec leurs parents, ils lui amèneraient le prêtre. Ils lui en avaient parlé une fois. L’idée faisait peu à peu son chemin. Cela lui apportait de la joie. Alors il marchait sur le chemin, les mains dans les poches de son manteau, les yeux rieurs dans la lumière du soleil.

Le Bon Dieu a un plan. Il pourrait convertir les âmes, les amener à Lui seul, sans notre aide. Mais Il veut que nous soyons les outils de sa Providence pour aller chercher les âmes qui se détournent de Lui. Oh certes, Il n’attend pas que nous montions sur une estrade improvisée au milieu de la place du village un jour de marché pour prêcher. Ni que nous fassions la morale à tout va, pointant du doigt le péché du voisin et le menaçant de l’enfer. Non, Dieu veut tout simplement rayonner à travers nous. Une âme sainte, une âme fervente et remplie de Dieu n’a pas besoin >>>          >>> de faire de beaux discours et d’aller dans des endroits extraordinaires pour ouvrir les âmes au Sauveur. Elle doit simplement être tellement pleine de la grâce de Dieu que celle-ci déborde et ruisselle autour d’elle, faisant éclore des fleurs sur les talus des chemins qu’elle emprunte. Là où Dieu l’a placée, auprès des gens qu’elle croise.

Pour cela, il nous faut d’abord nous remplir de Dieu. Là, nul besoin de conseils, nous savons ce qu’il faut faire : prier, communier, se sacrifier, dire le chapelet, etc. Nous l’avons si souvent entendu ! Qui peut croire que le monde puisse devenir meilleur et les cœurs se convertir sans Dieu ? Sans la prière, nul apostolat ne peut exister. Puis il faut éveiller notre regard aux autres. Si nous ne voyons pas ceux qui sont autour de nous, comment pouvons-nous permettre à Dieu de les toucher à travers nous ? Cela est primordial. Nous sommes chrétiens, cela se voit sur notre figure, sur nos vêtements, dans nos actes. Les gens le savent. Alors si nous les ignorons, si nous ne les saluons pas, si aucun merci ou sourire ne passe nos lèvres, que vont-ils penser ? Ils se diront que les chrétiens sont des menteurs, qu’ils prônent la charité mais qu’ils ne la vivent pas. Enfin, le dernier petit conseil serait de ne pas changer notre discours en fonction d’une situation ou d’un interlocuteur. Là encore ce serait un mensonge. On a vu des gens tenir des discours forts en couleur dans un contexte, puis noyer leur conviction dans un autre. Ainsi, rebelles, nous avons pu invoquer notre sacro-sainte liberté pour refuser de mettre le masque à la messe le dimanche, même si on nous l’a demandé pour ne pas risquer la fermeture du lieu de culte. Puis, malgré peut-être un air furibond derrière l’infâme tissu, nous avons mis notre masque pour faire le plein de nourriture au supermarché. Il était facile de jouer au grand résistant dans un lieu, plus difficile dans l’autre. De même, nous avons parfois beaucoup « Dieu » à la bouche, chez nous, ou sur le parvis en sortant de la messe, mais nous tremblons à l’idée de parler de Dieu ou du prêtre à un collègue de travail, un voisin ou une personne rencontrée sur notre chemin. Et pourtant… Et pourtant peut-être que la vraie force et le vrai courage sont justement de rester des témoins en tout lieu et en tout temps. Sans tonitruer, accuser, excommunier, vilipender, Dieu réserve ce rôle à ses prélats et à certains de ses saints. Non, à la manière du témoin tranquille, de celui qui aime Dieu dans les plus petites choses et dans chaque personne croisée sur son chemin. Sans ostentation mais sans respect humain. Sans accusation ni jugement, mais avec vérité et conseil. Sans sentimentalisme mais avec la véritable charité, cherchant uniquement le salut éternel du prochain. 

Enfin, n’ayons pas peur du sacré. Souvent, quand nous parlons de Dieu, nous convoquons à notre secours la science, l’histoire, la philosophie. Cela est bon ! Mais nous oublions parfois le mystère et le sacré. Pourtant, c’est bien cela que les gens recherchent avant tout. N’oublions pas de parler des myriades d’anges qui entourent le trône de Dieu, de l’Immaculée Conception et de l’Incarnation, de la Résurrection qui aveugla et terrorisa les soldats romains, de l’amour de Dieu qui veut aimer personnellement chaque âme. Oh, certes, le miracle du soleil de Fatima, le Saint Suaire inexplicable par la science, l’histoire des premiers chrétiens, toutes ces choses sont des signes que Dieu est là. Mais le plus important n’est-il pas que Dieu nous a aimés au point de se faire chair ? Qu’il a voulu habiter parmi nous dans le seul but de mourir pour nous sauver ? Et me sauver moi en particulier ?

Peut-être pouvons-nous regarder comment font les enfants entre eux. Souvent, ils parlent aux autres de « leur Jésus », parfois gauchement, parfois en disant des bêtises, mais toujours avec une grande foi toute simple et aimante.

Le vieux monsieur pensait au prêtre, à Jésus. Un jour, il ouvrirait son cœur. La clé ? C’était la gaieté des petits enfants, ces joyeux petits apôtres.

 Louis d’Henriques

 

Aux jours de la moisson  

La pluie abreuve enfin la terre. En quelques jours, après les ondées de novembre, la peau dure des champs s’adoucit et se couvre d’un duvet vert tendre. Le blé est là, déjà là. Depuis plusieurs semaines, les paysans scrutaient le ciel. Parfois, des nuages traversaient l’azur, mais aucun ne daignait pleurer sur les semences enfouies dans les sillons. Après la sécheresse de l’été, si la pluie n’arrivait pas, le grain ne pourrait germer, l’hiver achèverait de le tuer, enseveli avant d’avoir pu éclore.

Puis, fin novembre, les lourdes nuées venues de l’océan ont déferlé sur les plaines et les collines, déversant leurs ondes. Les hauts sommets s’emmitouflent dans leurs manteaux de neige. Les lacs se remplissent, sur la rive chante le ressac. La terre se désaltère et boit tout ce qu’elle peut. Le grain germe, le blé est là. L’inquiétude du paysan s’envole, l’hiver peut arriver désormais. Peu importe, le printemps est déjà là, endormi, prêt à exploser dès que la lumière reviendra.

Car le paysan sait que l’eau fait germer, que la lumière nourrit et fait croître la plante. Il croit fermement que les jours vont commencer à rallonger après Noël. Le paysan a confiance, le blé va pousser. Alors il peut bien abandonner la semence à la terre pour l’hiver. Elle portera du fruit. Confiance et abandon. Oh, il ne peut pas tout contrôler, ni le gel, ni la sécheresse, ni les colères tempétueuses du ciel. Mais il sait que le grain germe et que l’eau et la lumière mèneront la jeune pousse jusqu’à la moisson. Cela a toujours été ainsi. Pourquoi en serait-il autrement demain ? La terre est capricieuse et rudoie ses serviteurs, mais elle ne trahit jamais, elle tient ses promesses.

Si la création tient ses promesses, combien plus le Créateur ! Un jour, un enfant fut surpris d’apprendre la mort d’une personne dont il demandait la guérison tous les jours à la prière du soir. « Pourquoi Dieu ne nous a-t-Il pas exaucés ? ». Notre Seigneur n’a-t-Il pas dit « Demandez, et vous recevrez. Frappez, et l’on vous ouvrira » ? Mais ce que nous voulons, Dieu le veut-Il aussi ?

Oui, si nous demandons à Dieu de nous donner les grâces nécessaires à notre sanctification, Il nous exaucera. C’est certain ! Oh, certes, nous avons beaucoup d’idées sur comment nous devons et voulons aller au Ciel. Mais Dieu a un autre plan que nous. Nous oublions trop souvent que Dieu sait mieux que nous ce qui sert notre sanctification et sa gloire. Dieu nous aime plus que tout ; tout ce qu’Il nous donne, tout ce qu’Il permet, les joies comme les épreuves, tout ce qu’Il fait n’a qu’une seule fin : nous ouvrir les portes du Ciel et nous amener à la sainteté. Cela, nous le savons. Souvenons-nous, nous trouverons dans notre mémoire le souvenir de grâces spéciales que Dieu nous a données. Et si nous regardons honnêtement notre vie, ne voyons-nous pas les myriades de grâces qui parsèment nos jours ici-bas ? Sacrements, enseignements, entourage, toute la création dont nous usons. Nous ne pouvons douter de l’amour de Dieu pour nous !

Alors, pourquoi parfois l’oublions-nous ? Pourquoi nous révoltons-nous parfois quand une grâce que nous avons demandée ne nous est pas accordée ? Nous savons si peu de choses, notre vision est obscurcie par la petitesse de notre nature et par nos attaches et nos desseins trop souvent limités à la vie d’ici-bas. Nous prions pour une maison, pour un emploi, pour une guérison, et nous avons raison, car ces choses terrestres peuvent être utiles à notre sanctification. Mais peut-être, parfois, oublions-nous de demander à Dieu une simple chose : L’aimer toujours plus et devenir un saint. Tout le reste ne sert que cette seule finalité.

Dieu veut nous donner le salut, Dieu veut nous inonder de sa charité. Si nous le demandons, Il nous exaucera. C’est le sens du « Demandez, et vous recevrez ». Le reste, ce ne sont que les moyens que Dieu nous donne pour atteindre ce but, selon un plan dont Lui seul connaît le déroulement. Ainsi, parce que nous avons la certitude que Dieu nous aime et nous guide vers le Ciel, nous devons avoir confiance et nous abandonner dans ses vues. Peu importe si telle ou telle prière n’est pas exaucée, c’est que notre demande n’était pas dans le plan d’amour de Dieu. Ainsi, à l’enfant qui se pose des questions, il faut lui dire que certains guériront par nos prières. D’autres non. Dieu seul sait pourquoi ! Nous, nous savons que c’est pour notre sanctification, celle du malade et celle de toute l’Eglise.

Comme le paysan qui confie la moisson nouvelle au sillon, alors que les ténèbres enveloppent la terre, nous savons que rien n’ira comme nous avons prévu – qui peut commander au ciel ? Mais nous savons que Dieu sera là tout au long de notre passage sur terre, comme l’eau et la lumière font pousser le blé. Le paysan travaille la terre, l’ensemence et la laboure, l’arrose de sa sueur, cela est son devoir. Le reste est dans les mains de Dieu. Nous, nous devons œuvrer à notre salut, ordonner notre vie dans ce but avec tout ce que cela implique tant matériellement que spirituellement. Le reste est dans les mains de Dieu. A la fin, quand la lumière aura repris ses droits, la moisson adviendra. Alors, haut les cœurs !

Le Sauveur naquit au cœur de la nuit du solstice, c’est-à-dire quand les jours commencent à rallonger, annonçant le triomphe de la lumière aux jours de la moisson. Cela, nous le savons, alors vivons le !

 

Louis d’Henriques

 

Le Paradis

Tôt ou tard, les parents sont confrontés aux grandes questions de leurs enfants. Parmi elles, une survient souvent : « Papa, c’est quoi le Ciel ? ». Tâche difficile que d’expliquer à de petites intelligences ce que nous-mêmes avons tant de mal à comprendre.

 

Dans sa tête, l’enfant imagine un immense amphithéâtre. Les premières places sont occupées par la Sainte Vierge, saint Joseph, les Apôtres, saint Jean-Baptiste, son saint patron. Ils sont assis, une grande auréole brillant au-dessus du chef, portant dans leur mains les instruments de leur martyr ou symbolisant leur glorification. L’enfant est heureux d’avoir un petit strapontin dans les tribunes les plus simples. Et puis, sur une grande scène qu’il imagine pleine de lumière, entourées de myriades d’anges aux ailes immaculées, le Bon Dieu trône. Difficile de se le représenter. Heureusement, il connaît mieux Jésus. Alors, il le voit avec sa croix, ses plaies, sa couronne de gloire. Il lui sourit.

Ça a l’air bien. Puis, l’enfant fronce les sourcils et pose la question fatidique : « mais on ne va pas s’ennuyer si ça ne finit jamais ? On va rester assis comme ça tout le temps ? ». Déjà, rester assis pendant une heure de catéchisme à l’école avant la récréation est un calvaire, alors une éternité ? Cela laisse songeur.

Et pourtant… On raconte parfois l’histoire d’un moine qui s’interrogeait sur ce qu’était le Paradis. Un jour, après l’office, traversant le cloître, il aperçoit un immense rapace planant dans le ciel. L’oiseau majestueux vole, dessinant sur les nuées de longues boucles apaisées. Le moine contemple l’oiseau. Pendant ce qui lui semble un instant, le temps s’arrête. Soudain, l’oiseau disparaît. Reprenant ses esprits, le moine redescend sur terre. Mais les visages lui sont étrangers. Il y a toujours des moines, mais il n’en reconnaît pas un seul. Il questionne ses frères inconnus, et comprend que deux siècles avaient passées en un instant.

 

Alors, qu’est-ce que le Paradis ? Que répondre à l’enfant qui nous questionne ? Comment lui donner envie de tout donner, à chaque seconde de sa vie, pour y être un jour ? Comment lui donner envie d’être au premier rang et pas sur un petit strapontin au fond ?

Le Vrai, le Bon, le Beau.

 

D’abord la Vérité. Les yeux de l’enfant pétillent de joie quand nous lui révélons quelque chose de vrai, quand nous lui expliquons une vérité qu’il ignorait jusque-là. Il se sent changé et grandi. Au Paradis, il connaîtra Dieu autant que la nature humaine le permet. De façon inimaginable certes, mais déjà sur terre, il goûte à la joie de connaître. Les choses de la terre, mais plus encore, les choses du Ciel. Tous, un jour, nous avons >>> >>> soudainement compris une vérité du catéchisme que nous connaissions auparavant sans vraiment la connaître. Quel don cela fut ! Petit aperçu des torrents de vérités qui nous abreuveront au Paradis.

 

Puis la Bonté. Qui n’a jamais surpris une fois son fils ou sa fille offrir un petit sacrifice de carême, mais cette fois, sans le dire à papa ou maman ? Un petit cadeau offert à Dieu seul, dans le secret de l’âme. Un acte bon et gratuit. L’enfant goûte alors au délice de la Charité. Comme il se sent heureux d’avoir donné ! Au Paradis, il se donnera tout entier à Dieu, à chaque instant, don totalement pur. Dieu, en retour, se donnera à l’âme aimée, dans une relation de charité qu’aucun cœur humain ne peut sonder. Le petit sacrifice offert en secret donne un avant-goût de ce que sera le Paradis.

 

Enfin vient la Beauté. Elle couronne la vérité et l’amour. Certains enfants y sont plus sensibles que d’autres. L’un remarquera aussitôt le feu du ciel au couchant, les couleurs vives d’un papillon ou encore l’éclat de lune tranchant les ténèbres la nuit. D’autres devront être guidés pour contempler. Mais tous, nous devrions apprendre à s’émerveiller et l’apprendre à nos enfants. En effet, pour véritablement comprendre ce que sera le Paradis, il peut être bon de savoir contempler les perfections de la Création d’abord. Elles entraînent à contempler ensuite les perfections de la Foi qui sont les prémices de celles du Paradis. L’enfant qui sait s’émerveiller comprendra mieux la promesse du Paradis. Alors il voudra y aller vite. Comme il pousse ses frères et sœurs pour mieux voir le lièvre qui détale au bout du champ, il se fera violence pour ne pas juste avoir un petit strapontin, mais s’asseoir peut-être à côté de son saint patron, au plus près de Dieu.

 

Alors, à la question de l’enfant « Papa, c’est comment le Ciel avec le Bon Dieu ? » Il faut répondre : « rappelle-toi la joie que tu as quand tu découvres et comprends quelque chose de vrai. Souviens-toi du bonheur que tu as quand tu aimes et te sais aimé, quand tu donnes et offres un petit bout de toi-même. Enfin, remémore-toi quand tu as vu la plus belle chose de ta vie, quel émerveillement cela fut. Réunis tout cela à la fois, et multiplie-le à l’infini du Bon Dieu, alors tu imagineras mieux le Paradis. Le Paradis c’est tout cela en même temps, plus fort que tout ce que tu peux imaginer et sans que jamais cela ne s’arrête. Veux-tu y aller ? »

Il est important que nos enfants aient un profond désir d’aller au Paradis, que cela ne soit pas juste une vague idée, non, mais un vrai but dans la vie. Ainsi, ils emprunteront plus facilement le « chemin du Ciel » fait de croix et de renoncements.

Ce désir peut naître et se nourrir de l’éveil au Beau, la Beauté étant tout simplement le reflet de Dieu. En contemplant la beauté des petites choses que le Bon Dieu glisse autour de nous, nous pouvons apprendre à mieux contempler la crèche et la croix, le baptême et le martyr, la pénitence et la vertu.

« Alors mon fils, veux-tu aller au Paradis ? »

« Oh oui, je le veux, tout devant ! »

 

Louis d’Henriques