En Vous, je mets ma confiance  

Ô maître du Ciel, je vous donne ma faiblesse.

Dieu incarné a revêtu la faiblesse de notre nature. Les langes de la crèche qui emmaillotaient Jésus sont le symbole de la nature humaine avec laquelle la Très Sainte Vierge Marie a revêtu le Dieu Vivant. Merveilleuse livrée de chair, qui a rendu Dieu passible, qui a rendu possible la Victime Parfaite. Nature faible, nature passible, nature mortelle, nature immolée sur la Croix, nature glorieuse !

La gloire de Dieu jaillit dans la faiblesse de l’homme transcendée par la grâce !

Jadis, on me conta l’histoire d’un vieux moine qui cherchait à offrir à Dieu le plus beau des cadeaux. Son esprit fourmillait d’idées : une plus grande abbatiale ? Un nouvel hymne de sa composition d’une beauté à saisir même les pierres de l’édifice ? Les pénitences les plus dures ? Cilice, jeûne, discipline ? Les oraisons les plus pieuses ? Oui, tant de beaux cadeaux ! Alors, il les offrit à Dieu, le cœur léger. Dieu serait content, c’était certain.

Cependant, un jour de Noël, lors d’une oraison, Jésus lui apparut, Jésus enfant. Il devait avoir cinq ou six ans. Le moine fut saisi, Jésus était resplendissant de grâce et de beauté. L’Enfant lui demanda : « C’est mon anniversaire aujourd’hui. Veux-tu m’offrir un cadeau ? » « Oh oui », répondit le moine enthousiaste, qui lui proposa aussitôt tous ses mérites : des milliers de prières offertes, des pénitences accumulées par des années de vie monastique, des messes célébrées avec ferveur, tout, absolument tout, « je vous donne tout cela, ô mon Dieu ». Mais l’Enfant répondit « tout cela est déjà à moi. Ces mérites, c’est l’œuvre de ma grâce ». Le moine fut embarrassé. Il proposa alors sa bonté, sa douceur, sa joie, toutes ses vertus ciselées par des années de vie religieuse. « Mais tout cela m’appartient déjà, ce sont les fruits de ma grâce. N’as-tu donc rien à m’offrir ? ». Le pieux moine resta tout déconfit. Que pouvait-il offrir ? Ah, si ! « Ô mon Dieu, je vous offre ma vie toute entière, mes peines, mes souffrances passées. Puis donnez- moi la maladie et la souffrance, je vous offrirai alors toutes ces nouvelles peines, toutes ces larmes, ma vie toute entière, je vous la donne ô mon Dieu ». « Mais je suis ton Créateur, ta vie toute entière est déjà mienne, avec son lot de souffrances et de peines », murmura Jésus.

Le moine fondit en larme. N’avait-il donc rien à offrir à l’Enfant Dieu ? « Ô mon Jésus, alors, que puis-je vous offrir que nous n’ayez pas déjà ? ». Jésus lui sourit : « Ce que je veux, c’est ta faiblesse. N’ai-je pas revêtu les péchés du monde pour mourir sur la Croix et faire éclater la Gloire de mon Père ? Ce que je veux que tu me donnes, c’est le poids de tes péchés passés, pour les expier sur la Croix, c’est ta faiblesse, pour en faire l’écrin de ma Gloire ».

La confiance naît du repos en Dieu.

Dieu sait mieux que nous qui nous sommes, Il connaît nos faiblesses et nos péchés. Pourtant, Il nous aime, d’un amour infaillible. On pourrait même dire qu’il aime notre faiblesse, car si nous la Lui donnons, alors sa grâce sera féconde et sa gloire jaillira comme la lumière du jour fend les ténèbres. Comme cela est réconfortant ! Aussi, n’ayons pas peur, mais au contraire, embrassons la vie chrétienne avec confiance. Je suis paresseux ? Si je donne ma paresse à Dieu, entre ses mains elle deviendra courage et vigueur. Je suis orgueilleux ? Dieu fera jaillir l’humilité. Je suis impatient et colérique ? Dieu me rendra doux. La seule chose que Dieu nous demande, c’est de Lui donner nos faiblesses pour marcher à sa suite, embrasser nos petites croix, accomplir chaque jour de petits pas vers Lui, nous relever quand nous tomberons et reprendre le bâton de marche. C’est Lui qui agit en nous. La seule chose que nous pouvons faire avec nos seules petites possibilités, c’est pécher. Mais avec Dieu qui agit en nous, nous devenons des saints. Dieu veut que nous nous déchargions de notre faiblesse sur Lui, comme il endossa notre nature humaine et nos péchés, pour qu’ensuite, vidés de nous, nous soyons remplis de Lui. 

La confiance construit l’homme. Elle le bonifie et le fortifie. Elle le rend meilleur. Cela est valable dans les fiançailles. Oui, le fiancé va offrir à sa fiancée sa force, son idéal, son éducation, ses talents, son humour, tout ce que Dieu a déposé de bon en lui et qu’il a fait fructifier. Mais il doit aussi offrir à sa fiancée ses défauts : son orgueil, sa vantardise, sa paresse, son égoïsme. Car sa fiancée est l’instrument que Dieu a voulu pour le sanctifier. Elle sera le doigt de Dieu dans sa vie, avec elle à ses côtés, il apprendra l’humilité, la générosité, le courage et la persévérance. Comme le saint moine donna à Dieu sa faiblesse, le fiancé doit donner ses faiblesses à sa fiancée, avec confiance, car à travers elle, c’est à Dieu qu’il se confie, elle sera l’instrument de sa sanctification.

De même, que le fiancé apprenne à connaître les faiblesses de celle qui sera sa femme. Qu’il découvre son respect humain, son impatience, son irascibilité, sa paresse car il sera l’instrument de Dieu pour les corriger, pour faire jaillir du sein de la faiblesse de sa femme la gloire de Dieu qui resplendit dans le cœur héroïque des mères de famille catholiques.

 

De la confiance naît l’engagement.

Ceux qui cherchent le fiancé parfait ou la fiancée parfaite se voilent la face. Sont-ils parfaits eux-mêmes ? Dieu a-t-Il cherché leur perfection ? Non, Il a d’abord cherché leurs faiblesses. Les fiancés qui se font confiance, qui se livrent l’un à l’autre leurs qualités mais aussi leurs faiblesses, s’engagent en vérité ; pour eux, sous leurs pas, Dieu ouvre le chemin de la sainteté !

Louis d’Henriques

 

Jésus ne lui répondit rien  

Entendant que Jésus est Galiléen, Pilate envoie Jésus chez Hérode, pensant ainsi se défaire d’une situation qui l’embarrasse. Pilate, prisonnier de l’opinion de la foule, hésite à condamner le Juste. Alors il saisit l’aubaine : Hérode tranchera. Le faible se défausse sur le roi mondain.

 

           Hérode voit là une aubaine, un beau divertissement pour lui et les flatteurs qui l’entourent. Jésus pourrait faire un miracle ? Un prodige ? Quelque chose de sensationnel ? Le monde cherche sans cesse le spectacle, mais passe à côté de ce qui est vraiment, du beau, du bon, du vrai.

Mais Jésus ne lui répondit rien.

 

  Jésus parle à Judas, à ses juges qui le bafouent, aux soldats du temple qui le giflent et lui crachent au visage. Il parle à Pilate. Il adresse une parole de charité aux filles de Jérusalem. Aux égarés par faiblesse, par peur, par ignorance, il apporte la vérité, une lumière. Il implore même le pardon à ses bourreaux lorsqu’il s’écrie sur la Croix : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ».

Mais à Hérode, Jésus ne répondit rien.

 

  A toutes ces paroles, s’ajoutent les regards. Imaginons-nous le regard de Jésus ? On dit que le regard est une fenêtre sur l’âme. Souvent, dans des yeux, nous percevons en effet l’insondable, l’immatériel, l’âme ! Voilà pourquoi nous sommes transpercés par le regard de la Vierge Marie, mère de douleur, son fils mort descendu de la croix dans les bras. Qui peut soutenir un tel regard sans honte et profonde componction pour ses péchés ? Voilà pourquoi le regard de Jésus retourna le cœur de saint Pierre qui venait de le trahir. Pierre se retira et pleura amèrement. Merveilleux don des larmes suscité par un regard de Jésus. Mais avec Hérode, Jésus garde les yeux baissés. Pas un mot, pas un geste, pas un regard.

 

  De dépit, Hérode affuble Jésus de la robe des fous. Les moqueries fusent, les railleries. Dieu outragé par la volupté, par la sensualité, par la recherche effrénée du plaisir des mondains. Dieu ne leur adresse pas un regard, pas un geste, pas une parole. Car les âmes enchaînées dans les plaisirs du monde ne peuvent la recevoir. Terrible sentence ! Pas un mot de Dieu. Des cœurs tellement fermés à la grâce que Dieu ne donne plus la grâce. Comme c’est terrifiant ! Pourtant Hérode était heureux que Jésus vînt chez lui. Peut-être était-il sincèrement attiré par ses prodiges. Mais, il ne voyait que l’homme, il ne voyait que le spectacle, que le sensible chez Jésus. Il ne recherchait pas la vérité, la vraie sagesse, la croix que Jésus demande de porter pour le suivre, le vrai amour fondé sur la volonté. Il ne voulait pas voir Dieu. Comme parfois, nous recherchons trop à sentir Dieu, à sentir sa paix, sa joie, à le voir nous obtenir moult bien matériels. Mais à côté, nous rechignons à méditer, à nous sacrifier, à travailler la terre de notre âme pour que la grâce y donne du fruit. Puis, nous nous étonnons que Dieu reste sourd à nos prières. >>> >>> Jésus ne lui répondit rien.

  Pour savoir parler à Dieu et obtenir la grâce de son regard et de sa parole, il faut fuir le palais d’Hérode. Fuir le monde et ses sirènes, fuir la sagesse du monde qui est folie pour Dieu.

 

  Pères de famille, n’oublions pas que nous sommes responsables de l’âme de nos enfants, même l’été ! Prenons-nous le temps de veiller sur l’organisation des vacances de chacun d’entre eux ? Vers quoi nous tournons-nous ? Les saines détentes en famille ? Les camps scouts ? Les grandes virées en montagne ou dans nos campagnes ? Les visites de nos trésors architecturaux ? Les veillées aux étoiles ou les affûts au gibier dans les bois ? Les lectures saines sous le soleil de midi ? Les longs cafés ou apéros à parler avec ses adolescents de leur avenir ? Ou plus simplement la vie simple en famille autour des grands-parents ou des amis ?

Ou projetons-nous d’emmener notre famille dans les lieux où le monde danse dans la débauche comme Salomé à la cour d’Hérode ? Méfions-nous des plages fréquentées où le péché s’étale à tous les vents. Méfions-nous des grandes fêtes mondaines où, très vite, le soir, le péché ruisselle, par les mots, les tenues, l’alcool et les danses sensuelles. Méfions-nous des lieux et des évènements où le monde a son emprise, car son emprise pourrait s’étendre sur nos cœurs. Nous avons le devoir de fuir tous ces lieux où, honnêtement, aujourd’hui, un chrétien n’a plus sa place. Comme dans le palais d’Hérode, Dieu y sera silencieux. Pas un geste, pas un mot, pas un regard de Dieu, car Dieu ne peut donner sa grâce à des cœurs qui n’en veulent pas. Cela est terrifiant !

  Méditons-cela. Demandons à Dieu la grâce qu’Il nous regarde comme il regarda Pierre après le chant du coq.

Louis d’Henriques

 

Jésus ne lui répondit rien  

Entendant que Jésus est Galiléen, Pilate envoie Jésus chez Hérode, pensant ainsi se défaire d’une situation qui l’embarrasse. Pilate, prisonnier de l’opinion de la foule, hésite à condamner le Juste. Alors il saisit l’aubaine : Hérode tranchera. Le faible se défausse sur le roi mondain.

           Hérode voit là une aubaine, un beau divertissement pour lui et les flatteurs qui l’entourent. Jésus pourrait faire un miracle ? Un prodige ? Quelque chose de sensationnel ? Le monde cherche sans cesse le spectacle, mais passe à côté de ce qui est vraiment, du beau, du bon, du vrai.

Mais Jésus ne lui répondit rien.

  Jésus parle à Judas, à ses juges qui le bafouent, aux soldats du temple qui le giflent et lui crachent au visage. Il parle à Pilate. Il adresse une parole de charité aux filles de Jérusalem. Aux égarés par faiblesse, par peur, par ignorance, il apporte la vérité, une lumière. Il implore même le pardon à ses bourreaux lorsqu’il s’écrie sur la Croix : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ».

Mais à Hérode, Jésus ne répondit rien.

 

  A toutes ces paroles, s’ajoutent les regards. Imaginons-nous le regard de Jésus ? On dit que le regard est une fenêtre sur l’âme. Souvent, dans des yeux, nous percevons en effet l’insondable, l’immatériel, l’âme ! Voilà pourquoi nous sommes transpercés par le regard de la Vierge Marie, mère de douleur, son fils mort descendu de la croix dans les bras. Qui peut soutenir un tel regard sans honte et profonde componction pour ses péchés ? Voilà pourquoi le regard de Jésus retourna le cœur de saint Pierre qui venait de le trahir. Pierre se retira et pleura amèrement. Merveilleux don des larmes suscité par un regard de Jésus. Mais avec Hérode, Jésus garde les yeux baissés. Pas un mot, pas un geste, pas un regard.

 

  De dépit, Hérode affuble Jésus de la robe des fous. Les moqueries fusent, les railleries. Dieu outragé par la volupté, par la sensualité, par la recherche effrénée du plaisir des mondains. Dieu ne leur adresse pas un regard, pas un geste, pas une parole. Car les âmes enchaînées dans les plaisirs du monde ne peuvent la recevoir. Terrible sentence ! Pas un mot de Dieu. Des cœurs tellement fermés à la grâce que Dieu ne donne plus la grâce. Comme c’est terrifiant ! Pourtant Hérode était heureux que Jésus vînt chez lui. Peut-être était-il sincèrement attiré par ses prodiges. Mais, il ne voyait que l’homme, il ne voyait que le spectacle, que le sensible chez Jésus. Il ne recherchait pas la vérité, la vraie sagesse, la croix que Jésus demande de porter pour le suivre, le vrai amour fondé sur la volonté. Il ne voulait pas voir Dieu. Comme parfois, nous recherchons trop à sentir Dieu, à sentir sa paix, sa joie, à le voir nous obtenir moult bien matériels. Mais à côté, nous rechignons à méditer, à nous sacrifier, à travailler la terre de notre âme pour que la grâce y donne du fruit. Puis, nous nous étonnons que Dieu reste sourd à nos prières. >>> >>> Jésus ne lui répondit rien.

  Pour savoir parler à Dieu et obtenir la grâce de son regard et de sa parole, il faut fuir le palais d’Hérode. Fuir le monde et ses sirènes, fuir la sagesse du monde qui est folie pour Dieu.

 

  Pères de famille, n’oublions pas que nous sommes responsables de l’âme de nos enfants, même l’été ! Prenons-nous le temps de veiller sur l’organisation des vacances de chacun d’entre eux ? Vers quoi nous tournons-nous ? Les saines détentes en famille ? Les camps scouts ? Les grandes virées en montagne ou dans nos campagnes ? Les visites de nos trésors architecturaux ? Les veillées aux étoiles ou les affûts au gibier dans les bois ? Les lectures saines sous le soleil de midi ? Les longs cafés ou apéros à parler avec ses adolescents de leur avenir ? Ou plus simplement la vie simple en famille autour des grands-parents ou des amis ?

Ou projetons-nous d’emmener notre famille dans les lieux où le monde danse dans la débauche comme Salomé à la cour d’Hérode ? Méfions-nous des plages fréquentées où le péché s’étale à tous les vents. Méfions-nous des grandes fêtes mondaines où, très vite, le soir, le péché ruisselle, par les mots, les tenues, l’alcool et les danses sensuelles. Méfions-nous des lieux et des évènements où le monde a son emprise, car son emprise pourrait s’étendre sur nos cœurs. Nous avons le devoir de fuir tous ces lieux où, honnêtement, aujourd’hui, un chrétien n’a plus sa place. Comme dans le palais d’Hérode, Dieu y sera silencieux. Pas un geste, pas un mot, pas un regard de Dieu, car Dieu ne peut donner sa grâce à des cœurs qui n’en veulent pas. Cela est terrifiant !

  Méditons-cela. Demandons à Dieu la grâce qu’Il nous regarde comme il regarda Pierre après le chant du coq.

Louis d’Henriques

 

Etre ou paraître

           Il fait nuit. Il fait froid. Il doit être entre deux et trois heures du matin. Dans la ville, les rues sont désertes, ou presque. On croise quelques fêtards avinés, rentrant de soirée. Sur les façades, quelques rares fenêtres restent éclairées de flashs colorés, un écran de télévision passe un film devant des spectateurs avachis. Les lampadaires éclairent des rues tristes et sales. La ville, sans les atours du jour, paraît ce qu’elle est : sans cœur, sans vie, sans joie. Sous un pont, un misérable lutte contre le vent glacial, recroquevillé sous une couverture rendue rigide par la crasse. Quelques voitures passent, un boulanger parti faire chauffer les fours, une infirmière ou un ouvrier de nuit, allant prendre son poste ou retournant chez lui profiter d’un repos mérité. Le monde s’est éteint. La ville moderne n’a pas d’âme. Oh, il y a bien dans son cœur historique une vieille église, de hautes murailles, une tour altière, un ancien palais aux façades classiques. De vieux immeubles s’alignent avec grâce dans l’obscurité, certains ayant encore dans un coin une alcôve contenant une antique statue de la Vierge. Mais l’âme du pays s’en est allée. La ville paraît vivante, mais elle est comme un sépulcre blanchi. Elle a gardé la forme de la chrétienté, mais son âme est morte, tuée par le péché.

  Dans la campagne, la cloche sonne. Les étoiles brillent dans le ciel. Une brume traîne sur le pays. Dans les cellules, les moines se lèvent sans bruit. Ils revêtent leur bure, puis doucement descendent à la chapelle. En entrant, tous se signent. La voûte murmure, c’est le bruit des pas étouffés sur les dalles ; les stalles se remplissent. Soudain, une voix brise le temps et réchauffe la pierre : « Domine, labia mea aperies ». Les matines commencent.

  Notre monde est un monde du paraître. Sans cesse, ses enfants, réduits à l’état d’individus, cherchent la gloriole des hommes et la pompe de Satan. Ils se gavent d’un flot ininterrompu d’actualités, si vif, si volumineux que le débit ne permet pas la plus petite réflexion. Ils postent sur les réseaux sociaux, tous les jours, partout, sur n’importe quoi. Sans aucune pudeur, on dévoile à la terre entière son intimité, un baiser avec son conjoint, un sourire de son enfant, le contenu de son assiette ou même encore ses petites émotions pleines de bons sentiments à faire pleurer dans les chaumières. On pleurniche sur le sort des forêts sud-américaines, on s’indigne sur l’infortune des affamés par les guerres du monde, on proteste contre le sort réservé aux minorités, mais on ne voit pas le réel, on ne veut pas voir le mendiant sous sa porte, le voisin qui vit enfermé dans une solitude pire que la plus obscure prison, son concitoyen qui fait face à la ruine ou à la détresse. Même au travail, de plus en plus, il faut paraître. Faire semblant. Se montrer. Avec ses masques, ceux en tissu qui cachent le visage, ceux invisibles qui cachent tout son être pour paraître, pour se donner une image et une contenance. Jouer des coudes quitte à écraser un collègue, mentir, pour se mettre en avant. Dans ce jeu sans merci, tout devient mauvais théâtre, rôles de pacotille, bal des illusions mal dansé.

  Au fond de l’abbatiale, le silence enveloppe les moines. Pas un bruit. On entend presque la pierre respirer, doucement, portée par la terre, sous le regard du Ciel. Un moine en surplis rentre doucement, suivi d’un moine en chasuble. Génuflexion. Signe de croix. Un murmure, imperceptible, la messe commence.

  Le monde, lui, continue sa course. On s’agite mais on n’agit plus. On gesticule mais on ne maintient plus. On pleurniche mais on ne pleure plus. On ricane mais on ne rit plus. On s’abrutit de musiques insanes mais on ne chante plus. On consomme de plus en plus mais on ne donne plus à l’indigent. On accumule les amis sur internet mais on ne salue plus le passant de chair croisé dans la rue. On invective mais on ne débat plus. On condamne mais on ne pardonne plus. On palabre et on se pavane mais on ne parle plus. On prêche la tolérance et la différence, mais on ne sait plus écouter son prochain. On fait du yoga mais on ne médite plus. On consulte le psychologue mais on évite le prêtre. On étale sa vie à tous les vents mais on ne se confesse plus. On se crée des idoles mais on ne prie plus. On ment aux autres et à soi-même, on paraît mais on n’est plus.

  Le cantique à la Vierge s’achève, en un dernier soupir. Les religieuses sont agenouillées, le visage dans les mains. La nuit a saisi la terre. Le temps semble arrêté. Une prière silencieuse monte vers le Ciel et satisfait le Cœur divin. Les religieux et les prêtres tiennent le monde dans leurs prières. Ils ne paraissent pas, ils sont en Dieu. Ils se cachent dans le cloître, et pourtant, ils vivent plus véritablement que tous les hommes.

  L’air du temps souffle partout. Même les catholiques se bercent à ses illusions, s’accommodent de ses mensonges. Faisons le point sur notre vie : quelle utilisation faisons-nous des réseaux sociaux ? Ne sommes-nous pas en train de nous pavaner ? De jouer un mauvais rôle ? Pompes de Satan. Sommes-nous apôtres ? Ou taisons-nous la Vérité par convenance, par peur, parce qu’au travail, ce n’est pas le lieu ? Avons-nous oublié que chacun de nos collègues a coûté le sang du Christ ? Combien de temps passons-nous à regarder la télévision, des films ou des séries ? Ce temps si précieux qui s’égrène dans les mains de Dieu, ce temps qui coule inexorablement jusqu’à la mort ! Et combien de temps passons-nous à prier ? Où sont nos méditations et nos lectures spirituelles ? Quand nous manifestons et prions publiquement, prions-nous vraiment ou nous agitons-nous, plus inquiets de l’impact politique et médiatique de notre action que cherchant à toucher le cœur de Dieu ? Voyons-nous notre vie comme Dieu la voit ou comme les hommes la voient ? Voulons-nous paraître auprès des hommes ou être et demeurer en Dieu ?

 

  Méditons cela, à l’approche du Carême, qui pourra être l’occasion de faire le ménage, de couper un fil qui nous retient de devenir un saint. N’oublions pas, sans la prière, mais aussi sans la pénitence, nous ne pourrons nous approcher de Celui qui Est.

  Dans le froid de l’hiver, allongé sur son lit, tenaillé par l’agonie, un saint moine rend son âme à son Créateur. Oh, il n’y aura pas d’article de presse, de marche blanche bougie à la main, point de déclaration larmoyante et fausse, point de pleurnicheurs pour s’émouvoir sur les réseaux sociaux, rien de tout cela. Mais il y a les trompettes des anges qui proclament son entrée dans le sein de Dieu pour l’éternité. Qui les entend ? 

 

Louis d’Henriques

 

Le Dieu mendiant

           Triste novembre s’en est allé. Ce long mois qui apporte avec lui la nuit et le froid, le voilà enfin parti. C’est lui qui nous plonge dans l’hiver, lui qui tue le jour à petit feu et fait régner les ténèbres. Lui qui emporte la joie de l’été et des jours ensoleillés dans la tombe. Triste novembre…

           Et pourtant … si on y regarde mieux, novembre est l’aboutissement de toute l’année avant un nouveau cycle. L’aboutissement en effet. On ramasse les derniers fruits du verger. Les châtaigniers laissent choir les châtaignes, les arbres sèment la semence de l’avenir. Le geai chapardeur enfouit les glands sous les feuilles mortes. Le paysan laboure et sème le blé nouveau qui attendra au creux des sillons les jours nouveaux, tandis que la nuit étend son règne, rien ne semblant pouvoir l’arrêter. Tout semble terne. Et soudain, au détour d’un chemin, surgit un arbre flamboyant : ses feuilles sont revêtues de pourpre, d’or et d’ambre. Quoi ? Alors que la mort est en train de lui donner son ultime baiser, le voilà qui s’habille de sa plus belle livrée ? Et il n’est pas le seul ! Le long du ruisseau, les hauts peupliers processionnent tels des rois couronnés d’or, les chênes rutilants s’embrasent, les hêtres se prosternent dans leurs robes ambrées, les charmes s’illuminent, et les érables revêtent le soleil lui-même, comme s’ils capturaient sa lumière dans leurs feuillesaa agonisantes. Voilà que les arbres s’habillent pour mourir ! Les bourrasques de novembre emportent pourtant leurs feuilles avec elles, les jetant au sol, ne laissant bientôt que les branches nues. Nues ? Vraiment ? Le cycle se termine, mais les bourgeons sont déjà là, portant en leur sein la promesse que la lumière reviendra.

  Dans un cimetière, une famille meurtrie se penche une dernière fois sur le trou béant où repose un frère, un père, un fils. Les cœurs saignent. Tandis que le soir tombe sur la terre, les chants supplient, les dernières prières implorent, les flots de larmes ravagent les visages. Du fond de l’abîme j’ai crié vers toi Seigneur. Ecoute ma prière, sauve-moi de mes ennemis, sans toi, je suis perdu. Que la lumière qui ne s’éteint pas luise sur nos morts. Les arbres s’habillent pour mourir ! Et les hommes ? Les arbres sont de Dieu. Ils ont porté leurs bourgeons dans la nuit froide de l’hiver, espérant contre toute espérance, portés par les antiques prophéties, dans l’attente du Messie. Puis ils ont fleuri au printemps pour honorer sa mort et clamer sa Résurrection. Enfin, ils ont porté du fruit après la Pentecôte, les fruits du Saint-Esprit qui sanctifie les âmes. Enfin, ils ont semé et se sont habillés pour le jugement dernier à l’automne. Et les hommes ? Que font-ils ?

  Beaucoup se ruent dans les magasins, d’autres désespèrent face à leur monde qui devient fou, de dose en dose, de variant en variant. D’autres vouent toutes leurs forces au péché, ceux qui tuent les enfants dans le sein de leur mère, ceux qui adorent les idoles et les démons, ceux qui s’enivrent de la luxure et du plaisir. La nuit vient, elle semble tout emporter. Quelques hommes pourtant vont prier pour leurs morts, ouvrir les portes du Purgatoire pour remplir le Ciel, faire que Dieu soit glorifié. Enfin décembre. La nuit avance. Et pourtant, au solstice, le jour cessera de reculer, peu à peu, il va reprendre ses droits sur la nuit. Bientôt, Il sera là. Douce espérance.

  Dans le cœur des maisons où l’on aime Dieu, on fait la crèche. Les enfants s’en donnent à cœur joie. Mousse, terre, herbes, cailloux, sable, santons, petits chemins et petites rivières… Peu à peu un paysage apparaît. Au milieu, une simple étable, un peu de paille, un bœuf et un âne. La mère de Dieu est là, accompagnée de saint Joseph. La mangeoire est vide. Tout semble figé, prêt de s’animer d’un seul coup… La crèche s’animera à Noël. Enfin l’Avent ! Les prophéties de l’Ancien Testament nous l’ont promis. Depuis plus de 4000 ans… Les arbres flamboyants de l’automne aussi l’ont annoncé. Il va venir. Il va venir vaincre les ténèbres et le péché, apporter le salut et la lumière. La crèche incarne cette promesse. Joie de décembre !

Il va venir… Que va-t-Il trouver ?

  Avons-nous préparé nos âmes comme les arbres ont préparé leur mort ? Se vider de tout pour laisser la place aux bourgeons, aux fleurs, aux fruits de la sainteté ? Il faut se dépouiller pour renaître. Mourir au monde pour accueillir le Dieu chassé de la ville et de ses hôtelleries, pour recevoir le Dieu réfugié dans une étable. Cet enfant est si petit. Quoi ? Dieu si faible ?

 

  Dieu emmailloté, revêtu de la nature humaine, l’un de nous. Dieu aurait pu sauver les hommes comme nous donnons l’aumône : d’un geste condescendant, donner une pièce à l’indigent. Mais Il n’a pas voulu nous donner l’aumône. Il a voulu être vendu pour 30 malheureux deniers. Il a voulu venir parmi nous, se faire plus souffrant, plus faible, plus misérable que nous. Dieu humilié sur la croix, nu, meurtri, moqué, insulté, couvert de crachas et de plaies innombrables. Dieu vient mendier notre amour. C’est cela qu’il veut ce petit enfant dans la crèche, c’est cela que signifient ses langes qui lui enserrent les bras et les jambes, c’est cela qu’annonce la Création toute entière. C’est cela qu’a refusé l’orgueil de Satan.

  Alors, qu’allons-nous faire ? Dieu vient, Il vient mendier notre Charité, comme il mendia le manteau de saint Martin. Dépouillons-nous de tout pour Lui, donnons-Lui tout ce que nous avons : notre santé, nos richesses, notre vie, notre honneur même. Il en fera ce qu’Il voudra. Il prendra ce qu’Il veut, comme Il veut, quand Il veut. Tout Lui appartient. N’a-t-Il pas tout donné ? Absolument tout ?

  Décembre, le jour reprend ses droits. A Pâques, il vaincra ! A la Pentecôte, sanctifié, nous porterons de bons fruits. Puis reviendra novembre, joyeux novembre. Nous nous habillerons pour mourir, au crépuscule de notre vie. Et Dieu viendra moissonner, nous emporter au Ciel, là où luit la lumière qui ne s’éteint jamais.

Novembre, l’aboutissement de tout. Décembre, le commencement de tout.

Louis d’Henriques