Le grand saut

Le soleil se leva brusquement sur le désert de Lybie ce matin du 27 juillet 1942. Dans sa lumière qui déjà chauffait la poussière, quatre Stukas allemands surgirent depuis l’horizon et fondirent sur la jeep des Français. Les mitraillettes hurlèrent dans l’air sec et les rafales secouèrent le sable. Touché à plusieurs reprises, l’aspirant André Zirnheld s’effondra. Son compagnon, au volant, parvint à s’enfuir en empruntant le lit de l’oued asséché. Sous le soleil écrasant de midi, le corps troué de balles, après plusieurs heures de terribles souffrances, l’aspirant Zirnheld rendit son dernier souffle. Dieu l’avait exaucé.

En effet, on retrouva sur lui un carnet, noirci par les pensées que cet homme de lettres devenu soldat parachutiste avait griffonnées. Parmi elles, en faisant glisser les feuilles à carreaux fanées entre les doigts, les pages 16 et 17 attirèrent le regard. Sobrement intitulé « prière », un texte allait entrer dans la légende militaire. Le voici :

 « Je m’adresse à vous, mon Dieu, car vous seul donnez ce qu’on ne peut obtenir que de soi.

Donnez-moi, mon Dieu, ce qu’il vous reste ;

Donnez-moi ce qu’on ne vous demande jamais.

Je ne vous demande pas le repos ni la tranquillité, ni celle de l’âme, ni celle du corps.

Je ne vous demande pas la richesse, ni le succès, ni peut-être même la santé. Tout ça, mon Dieu, on vous le demande tellement que vous ne devez plus en avoir.

Donnez-moi, mon Dieu, ce qu’il vous reste ;

Donnez-moi ce que l’on vous refuse.

Je veux l’insécurité et l’inquiétude, je veux la tourmente et la bagarre, et que vous me les donniez, mon Dieu, définitivement, que je sois sûr de les avoir toujours, car je n’aurai pas toujours le courage de vous les demander.

Donnez-moi, mon Dieu, ce qu’il vous reste ;

Donnez-moi ce dont les autres ne veulent pas.

Mais donnez-moi aussi le courage et la force et la foi. Car vous seul donnez ce qu’on ne peut obtenir que de soi. »

Très vite, ce texte se transmit parmi les militaires. C’est sur ces lignes qu’en 1961 fut composée la prière du parachutiste que nous connaissons. Ce corps d’élite, guetté par la mort à tout moment, à chaque saut, au cœur des opérations les plus ardues et risquées, choisit la prière de l’aspirant André Zirnheld pour devenir la prière officielle de tous les parachutistes de l’armée française. Ce même corps se plaça sous le patronage de l’archange saint Michel dès 1949.

Que nous enseigner cette prière ? Le parachutiste trompe la mort par une forme de défi. Quitte à mourir peut-être demain, autant se délester tout de suite de tout ce qui nous retient sur la terre et demander ce qui fait la grandeur d’un homme sous le regard de Dieu : la souffrance offerte en sacrifice. Souvent, nous prions pour nos petits horizons, et cela est légitime ! Nous prions pour une guérison, pour obtenir une maison plus grande, pour la conversion d’un proche, pour une promotion ou l’obtention d’un concours. Dieu est notre père, aussi tels des fils, nous nous tournons filialement vers Lui pour obtenir toutes ces choses, tant qu’elles concourent à notre sanctification. Mais peut-être, parfois, oublions-nous la grandeur de la vie sanctifiée par la souffrance ? Peut-être échafaudons-nous nos propres plans, un peu trop confortables, il faut bien l’avouer. Il est si difficile de détruire sa petite volonté propre et de faire totalement sienne la volonté de Dieu. Et pourtant, c’est là la purification que Dieu attend de nous, acceptée, ou mieux, désirée sur cette terre, ou subie pendant des siècles au purgatoire.

Comme pour la mort… Face à elle, il y a deux catégories d’hommes : ceux qui la subissent et ceux qui l’acceptent. Bien orgueilleux celui qui, vivant, se vante d’appartenir à la catégorie de ceux qui accueilleront la mort avec panache ! Bien sage celui qui demande à Dieu de lui donner la force de maintenir, jusqu’au cœur des affres de l’agonie ! C’est là tout le but de la prière du parachutiste. Et même plus encore, quitte à mourir, quitte à souffrir, quitte à devoir tout sacrifier à Dieu, pourquoi ne pas demander cette mort et cette souffrance tout de suite ? Ne sommes-nous pas finalement comme le parachutiste, la porte de l’avion béant sur le vide, prêt à sauter ? Nos courtes vies se termineront toutes par le grand saut dans l’éternité, alors, comme le parachutiste, le chrétien ne doit-il pas sans cesse se préparer et demander à Dieu la force et la foi ?

 

« Mon Dieu, mon Dieu donne-moi la tourmente, Donne-moi la souffrance,

Donne-moi l’ardeur au combat.

Je ne veux ni repos, ni même la santé ;

Tout ça, mon Dieu, t’est assez demandé ;

Mais donne-moi, mais donne-moi ;

Mais donne-moi la Foi ;

Donne-moi force et courage. »

 

Que cette prière, celle des fils de saint Michel, soit pour nous une occasion de méditer sur ce que nous voulons faire de nos vies : un saut totalement abandonné dans les mains de la Providence, attendant, espérant même la souffrance afin de nous sanctifier, de nous sacrifier pour l’œuvre du Salut, le nôtre d’abord, et celui de notre pays et de la Sainte Eglise.

Que saint Michel donne à tous les hommes de bonne volonté la force de sauter, d’embrasser la grande aventure de la sanctification, pour la gloire de Dieu.

 

 Louis d’Henriques