Vers le Mont

Mon Dieu, nous voilà sur la grève, face au Mont-Saint-Michel, cette merveille de la chrétienté, pour, avec d’autres pèlerins, traverser la baie à pied, avant que la marée ne recouvre tout à nouveau.

La brume de mer laisse entrevoir la silhouette connue et originale, et l’archange d’or, tout en haut de la flèche, l’épée brandie, veille sur notre traversée.

Comme celle-ci est bien l’image de notre vie, ce long pèlerinage sur terre avec les dangers qui nous guettent.

Pieds nus, comme des pauvres, nous avançons sur le sable tiède. Il faut avoir un guide pour s’aventurer sur cette étendue désolée et ne pas s’enfoncer dans les sables mouvants.

Il faut avoir un guide, Notre-Seigneur dans ses sacrements, pour ne pas se laisser séduire par des promesses fallacieuses qui ont tôt fait de nous ensevelir dans la mondanité, la facilité ou la mollesse, et dont il sera bien difficile de s’abstraire. Tout au long de notre existence, nous sommes des pauvres qui recevons tout de Dieu.

Mon Dieu, nous avançons prudemment, les yeux tantôt levés vers le Mont, tantôt baissés vers nos pieds pour ne pas nous tromper, tout en priant le Rosaire.

Voilà que nous traversons les cours d’eau, ces petits fleuves, la Sélune et la Sée, au fort courant, qui irriguent la baie. Nous pouvons avoir de l’eau jusqu’à la ceinture, il faut tenir fermement la main des enfants qui pourraient être emportés, voire les prendre dans nos bras.

Il faut tenir fermement ceux qui nous sont confiés, les porter dans le service ou la prière lorsque le courant du monde les menace. Lorsque ce sont des épreuves que nous traversons, bien tumultueuses, regardons Notre-Seigneur, regardons Marie l’Etoile de la Mer, pour tenir bon et garder la paix.

A notre gauche, nous distinguons Tombelaine.

Nous sommes à mi-chemin. Un prieuré y fut érigé au XIIe siècle qui a depuis disparu. La fatigue se faisant sentir, nous pourrions être tentés de nous arrêter dans ces quelques ruines. Mais il faut continuer.

Mon Dieu, bien souvent nous voudrions nous arrêter, trouver un refuge et nous dire que cela suffit. Mais tant que vous nous gardez ici-bas, il faut avancer, persévérer malgré les croix, les fatigues, les déceptions, les incompréhensions, et les offrir pour qu’elles portent du fruit.

 

Enfin, les pieds vaseux, les vêtements mouillés, nous distinguons de mieux en mieux tous les détails du Mont, l’archange se fait plus grand, plus terrible dans sa puissance contre le démon.

Nous pourrions être tentés d’accélérer et d’arriver dans les premiers sur la terre ferme. Un dernier danger nous guette : celui de la vase glissante et traître au pied du Mont.

Ainsi en sera-t-il de nos derniers instants. Nous aurons un ennemi qui essaiera de nous faire glisser, désespérer afin que nous tombions, c’est la lutte de l’agonie. Nous nous tournerons alors vers saint Michel et Notre-Dame pour avoir la grâce de la persévérance finale.

Mon Dieu, quelle joie, nous voilà enfin arrivés, heureux d’avoir offert tout cela pour vous, et nous goûtons la beauté de ces pierres ancestrales. Nous admirons la beauté de cet édifice, sa construction si extraordinaire chargée de toute la prière d’un peuple, des plus simples aux rois, durant ces mille années.

C’est une joie bien plus grande qui nous attend, quand enfin nous pourrons vous contempler éternellement après notre pèlerinage d’ici-bas.

 

Jeanne de Thuringe