« Si, si… ça va ! »
« Chérie, et si on profitait de ce rayon de soleil, pour aller faire un tour en forêt ? » « Maintenant ?! » « Oui, plus tard il ne fera plus aussi bon, et on ne sait pas s’il fera beau demain… » « Oh non ! se dit Laurence, moi qui viens juste d’installer ma machine à coudre ! Bon, il va falloir équiper les enfants : bottes, anorak et tout ce qu’il faut pour emmitoufler le petit monde en plein hiver, sortir la poussette, attraper le goûter… » « Quoi, ça ne va pas ? » interroge Jean du fond de l’appartement. « Si, si … ça va ! » répond-elle un peu contrariée. Et en un clin d’œil voilà toute la famille embarquée et ceinturée dans la voiture familiale. Gentiment Jean fait un sourire à sa femme et lui attrape la main. Il sait, lui qui la connaît si bien, l’effort qu’il vient de lui demander !
Pour comprendre ce petit aparté, il faut vous dire à quel point ces deux-là ont des tempéraments complémentaires. Jean, un grand bilieux, vit dans le futur, et a trois idées à la fois qu’il mène de front en permanence. Incapable de tenir en place, il fait preuve d’un esprit d’adaptation incroyablement rapide pour passer d’une activité à l’autre ! Voilà qui bouscule parfois un peu trop son épouse très organisée dans ses horaires, et dans tout ce qu’elle fait avec douceur et efficacité. Vous l’avez compris, Laurence a horreur des imprévus ! La régularité, ses repères quotidiens la rassurent et la reposent dans son train de maison bien chargé.
Le calme de Laurence fait un bon contrepoids à l’agitation de son mari, et lui-même rend service à sa femme en la sortant de son petit « règlement » millimétré ! Ils rient parfois ensemble, tout surpris par leurs réactions si différentes face aux événements. Mais surtout ils ont appris à se comprendre et à se ménager. Jean sait que sa femme a besoin de se conditionner aux événements qui sortent de l’ordinaire, et, la plupart du temps, fait l’effort d’anticiper ses propositions. Quant à Laurence, elle ne refuse pas en bloc tout ce que son mari demande, mais accepte régulièrement en tâchant de ne pas se montrer contrariée.
Entre époux les causes de désaccords nous paraissent parfois infinies. Ce qui fait plaisir à l’un peut sembler à l’autre ennuyeux, parfois même déplaisant. Cela fait partie du grand « drame » du mariage : la nécessité constante de mourir à soi-même pour l’amour de l’être aimé. En adoptant une attitude aimante, on arrive souvent à découvrir dans ce qui nous ennuie, le goût que l’autre peut y trouver. En cas d’échec, il n’y a guère d’autre solution que le sacrifice, ce qui, à première vue, ne semble pas très attrayant. Mais il est étrange de constater combien ces sacrifices, en apparence insignifiants, peuvent finalement apporter de joies inattendues et entretenir l’amour entre deux êtres. « Dieu aime celui qui donne avec joie » nous dit saint Paul. Apprenons donc à nous faire mutuellement cadeau de nombreux et fréquents sacrifices personnels pour la joie de l’autre, mais aussi pour l’encourager à faire de même, donnant ainsi à notre famille un esprit plus élevé, plus noble. La sainteté n’est pas d’être parfaits, mais de tendre à la perfection dans chaque petite chose avec un réel effort de progrès de l’âme.
Toute une histoire !
Les invités viennent enfin de partir et Patrick aide son épouse à ranger la cuisine transformée en un beau souk marocain ! Ils discutent agréablement de la soirée tout en s’affairant, quand soudain Patrick entreprend de modifier le rangement du tiroir à couverts… « Mais enfin, qu’est-ce qu’il te prend ? Ça allait très bien comme c’était ! » « Mais non, ce n’était pas logique du tout ! » « Ce n’est pas la logique de Monsieur, alors Monsieur range comme il faut ! » « Ben oui, les couteaux à droite, et les fourchettes à gauche ! Normal ! » « Est-ce que je m’occupe du rangement de tes outils, moi ?! » « Mais enfin, tu ne vas pas en faire toute une histoire !!! »
Même dans le mariage, nous avons la fâcheuse tendance à considérer que c’est « notre manière de faire » qui est la meilleure. Face au défi d’un changement, notre première réaction est souvent de penser « ça me regarde » ou « laisse-moi tranquille ». Même pour des choses insignifiantes, il nous est difficile de changer pour le mieux parce que l’ouverture au changement implique un combat contre notre propre volonté. Nous voudrions être de grands amants, mais c’est notre propre volonté que nous aimons le mieux ! Nous aimons Dieu (jusqu’à un certain point), nous aimons notre époux (jusqu’à un certain point). Mais, comme l’a fait remarquer Kierkegaard, « notre amour le plus cher est habituellement, et demeure, notre propre volonté ».
Deux choses peuvent nous amener à changer : la force surnaturelle du renoncement à notre volonté propre qui provient de la progressive soumission de notre volonté à celle du Christ (et par laquelle nous apprenons à nous céder les uns aux autres), et notre amour mutuel. L’amour peut faire fondre le cœur le plus froid, le rendre fluide et malléable. Quelle libération de notre emprisonnement intérieur que de pouvoir, par amour de Dieu ou de l’époux, agir contre nos propres désirs ! Que les épouses un peu autoritaires, et rebelles à leur devoir de soumission envers leur époux, l’entendent aussi, l’amour rend douce la mort à la volonté propre, bien que cette douceur ne puisse être ressentie qu’après une longue lutte. Courageusement, répétons souvent avec saint Paul « Je puis tout avec Celui qui me fortifie ».
L’amour mutuel est un don qui doit être nourri et protégé chaque jour de notre vie commune. Les difficultés sont normales et surgissent en raison de nos imperfections humaines. C’est donc d’abord en avançant personnellement, et avec un grand désir, sur le chemin de la perfection que nous apprendrons à sanctifier notre vie d’époux en luttant contre nos défauts, les excès de notre tempérament. Peu à peu notre âme fortifiée prendra le dessus et saura apaiser une mauvaise humeur, désamorcer une colère, adoucir une rancœur ou une impatience, au profit d’une paix intérieure, d’un respect mutuel et d’une confiance grandissante.
Notre mariage sera béni, récompensé de nos multiples combats, parce que nous aurons tous deux eu conscience de bien des dangers que nous aurons combattus pour un amour profond, reposant lui-même dans l’amour de Dieu, dans les bons comme dans les mauvais moments, et dans lesquels nous aurons eu la ferme volonté commune de sortir vainqueurs.
Sophie de Lédinghen