Foyers sans enfants

           En abordant ce sujet si douloureux et sensible, nous tenons vivement à nous adresser à ceux de nos lecteurs qui pourraient s’être cru oubliés jusqu’ici, mais que nous ne voulons laisser sans consolation ni soutien dans leurs lourdes peines. Si toutefois une phrase ou une autre manquait de délicatesse, nous les prions du fond du cœur de bien vouloir excuser une maladresse aussi redoutée qu’involontaire de notre part. Qu’ils sachent que nous les portons affectueusement, eux et leurs chagrins, dans notre prière quotidienne.

 

  C’est d’abord avec un dépit enfantin, puis avec sérieux, avec inquiétude, avec angoisse, enfin avec désespoir que, de mois en mois, la jeune femme voit son espoir déçu.

Il faut supporter la pitié des uns, l’inconscient égoïsme des autres, le mépris des bien-pensants mal élevés qui vous prêtent de mauvaises intentions… Mais surtout le cœur se brise à la pensée de ne jamais tenir dans ses bras un tout-petit en se disant « il est à nous ! » ; à la pensée de ne jamais voir un enfant se jeter dans nos bras en appelant « Maman ! ».

On se dit qu’il y a tant de familles où l’on ne veut pas d’enfants, où l’on s’occupe mal d’eux, où ils sont malheureux ! On ressent le sentiment profond d’un désordre, d’une mauvaise répartition…

 

  L’enfant, nous le sentons bien, est le fruit vivant de l’amour des époux, nous-mêmes revivant ! Quelle souffrance de ne pas pouvoir offrir à celui ou celle que l’on aime le fruit d’un amour mutuel, le descendant, l’héritier. Car pour l’homme plus que pour la femme, la peine se double d’une humiliation : sa grande dignité est de devenir chef d’une nouvelle lignée. Sa femme s’afflige de voir son mari frustré de cette dignité (peut-être par « sa faute » à elle), qu’il ne connaisse jamais le plus grand de tous les sentiments humains : la paternité ! L’Église, dans sa liturgie, nous présente les enfants comme une bénédiction. Alors un doute s’installe dans la pensée des époux. Dieu les aurait-il voulus ailleurs ? Ont-ils manqué de générosité pour suivre un autre appel ? Ah oui, que de serrements de cœur, de désespoir dans cette simple phrase : « Nous n’aurons pas d’enfant ! »

  Alors, quelle solution ? S’enfoncer de plus en plus dans la tristesse ? Devenir jaloux, envieux, ne plus supporter la vue des joies familiales ? Souffrir d’un complexe d’infériorité et ne plus voir ni parents, ni amis ? se durcir le cœur ? s’installer dans l’égoïsme ? Parfois le ménage se désunit, s’exaspère de cette solitude à deux, de ces forces inemployées…

 

  Ce n’est que lentement, après avoir bien refusé son épreuve, que l’âme chrétienne se relève et découvre qu’au pied de sa croix, le fruit surnaturel a mûri et qu’il y a autre chose de beaucoup plus grand dans sa vie. Il apparaît alors combien son attitude négative de laissé pour compte et de vie gâchée était fausse, et que dans la pensée de Dieu, cette épreuve constituait un appel, une vocation. Et l’on comprend que dans ce monde athée qui ne reconnaît plus sa souveraineté, l’on doit témoigner que Dieu est le maître.

« Lui qui dispose, dans sa création, les ombres et les lumières, les grandes étendues stériles à côté des plaines fécondes, a mis, près des foyers peuplés, des foyers déserts, où l’homme et la femme, agenouillés devant lui, le reconnaissent comme Maître de la vie, digne d’une même adoration pour le don ou le refus qu’il nous fait de sa fécondité […] Peu importe l’ordre de mission que chacun reçoit : la seule chose essentielle, au jour de notre Annonciation, est d’être dans l’attitude de la Vierge et de prononcer le Fiat total et plein d’amour. »

Cette adhésion de l’âme est féconde, ce foyer béni par Dieu au jour de notre mariage, privé de cette fécondité visible que sont les enfants, connaîtra, par le sacrifice accepté, une fécondité spirituelle, et donnera par son Fiat le Christ aux âmes. Cela se fera à la condition de garder sans raideur ni durcissement le cœur paternel et maternel que Dieu nous a donné, et le porter aux autres.

 

  L’Église, la Société, les pères et mères de famille ont bien besoin des « foyers sans enfant » ! Il faut soutenir le ministère des prêtres en se dévouant dans les différents services proposés dans une paroisse, défendre le règne du Christ dans la cité en s’engageant, s’instruisant, s’opposant à tout ce qui lui est contraire. Il faut permettre au jeune ménage chargé d’enfants de souffler un peu, aux foyers amis de trouver chez eux un peu de chaleur à la lumière d’une conversation. Ces « foyers sans enfant », s’ils en ont la force, seront particulièrement au service des enfants. Ceux de la famille que l’on confie pour leur santé ou leur travail et dont ils deviennent un peu le père et la mère pendant quelques jours. Ceux des amis que l’on emmènera en vacances et qui transformeront la maison en ruche bourdonnante, dans une saine atmosphère familiale où chacun prend ses habitudes.

 

  Bien sûr, ces enfants d’occasion vont et viennent, toujours repris par leurs parents, et l’on se retrouve de nouveau seuls, au coin du feu, dans la maison vide, la main dans la main, et avec émotion, on sent que le seul don humain qui nous soit totalement fait, c’est nous-mêmes, l’un pour l’autre. Car pour que l’épreuve ne brise pas cet amour mutuel, il aura fallu approfondir, plus que d’autres, notre intimité, garder l’ardeur de notre tendresse, chercher à notre foyer des raisons et des buts solides. Pour la plupart le ciment de l’amour est l’enfant ; le ciment, pour les époux sans enfant, est leur épreuve commune, leurs échanges de tous ordres facilités par une vie plus calme, leurs essais de dépassement, leur rayonnement à l’extérieur de chez eux dans le service et le don d’eux-mêmes.

 

  Par l’absence d’enfant au foyer, le Bon Dieu demande une plus grande vie de prière, et peut-être même, quel courage alors, priera-t-on pour soutenir les familles ayant de nombreux enfants. Prière aussi pour rester plus souvent près de Lui et de pouvoir enfin lui dire avec l’Apôtre : « Je me réjouis maintenant de mes souffrances pour vous, et ce qui manque à la Passion du Christ, je l’achève dans ma chair pour son corps qui est l’Église ».

S. de Lédinghen

 

La gourmandise

           Le temps de Carême est suffisamment proche pour que nous vivions encore des bons fruits de nos résolutions et de nos efforts de cette sainte quarantaine… à moins que le grand Alleluia de Pâques ait, en un malheureux gigot et quelques œufs en chocolats, renversé toutes les nouvelles habitudes que nous nous étions bien promis de tenir beaucoup plus longtemps, du moins sur le plan temporel ! Nous sommes, en effet, bien faibles dès qu’il s’agit de quelques plaisirs de la table, et nous nous laissons facilement tomber dans le piège de la gourmandise, source de bien des maux pour la santé de notre âme aussi bien que celle de notre corps.

  Saint Grégoire le Grand enseigne que la gourmandise a cinq façons de nous attaquer : « Praepopere, laute, nimis, ardenter, studiose. »

  • Propere, « avant l’heure » : cela vise les personnes qui ne savent pas attendre l’heure des repas, et qui s’autorisent souvent des collations supplémentaires.
  • Laute, « avec recherche » : condamne ceux dont l’estomac ne sait pas se contenter de mets simples et simplement apprêtés, mais auxquels il faut toujours des plats délicats et savoureux.
  • Nimis, manger « trop » : lorsqu’on dépasse sans nécessité la mesure dont le corps a besoin. En soi, le désir des aliments est une bonne chose « afin d’entretenir notre corps, de vivre pour servir Dieu, et d’acquérir de nombreux mérites ». Mais cet appétit qui était bon dans le principe, s’est déréglé sous l’action du péché originel, et s’est mis à réclamer un superflu qui dépasse de beaucoup le nécessaire.
  • Ardenter, c’est manger avec avidité et précipitation, se jeter sur la nourriture en ne pensant à plus rien d’autre. L’âme chrétienne, au contraire, s’applique à garder la modestie à table. Elle ne touche aux aliments qu’après avoir élevé son cœur vers Dieu. Elle mange lentement et paisiblement, cherchant à occuper son esprit de pensées plus nobles que sa nourriture.
  • Studiose, s’adresse à ceux qui apportent un soin extrême à la composition de leur repas, au choix et à la préparation des aliments ; qui sont toujours préoccupés par ce qu’ils vont manger. Bien sûr que l’on recevra ses invités en leur offrant un repas soigné, mais le reste du temps, on sera plus sévère avec soi-même dans un esprit de mortification personnelle.

  La gourmandise, dit saint Thomas, est le foyer des autres péchés. En effet, une alimentation excessive alourdit le corps et l’esprit, n’encourage pas au travail mais plutôt à la somnolence. Elle détruit la santé ; ne dit-on pas que l’on creuse sa tombe avec sa fourchette ? Une personne qui a vécu en « bon vivant » souffre de nombreux maux de digestion, poids, foie, circulation… elle a intoxiqué son organisme.

  Celui qui mange trop, ou mal, a des discours souvent déplacés ou même grivois, des gestes ou attitudes démesurés. Son esprit s’émousse, il peine à réfléchir et travailler. « Un ventre chargé n’engendre pas de pensées subtiles» constate saint Jérôme !

  Enfin la gourmandise détruit toute dévotion, comme la fumée étouffe le feu. La prière est une élévation de l’âme vers Dieu, or cette « élévation » est rendue impossible par l’alourdissement que cause l’intempérance.

  Que l’on fasse un bon repas en famille pour une occasion ou une autre, cela est nécessaire. Que l’épouse cuisine un bon petit plat à son mari de temps en temps, ou que monsieur se lance dans l’art de la pâtisserie, cela redonne courage et aide au maintien du moral. Mais il faut bien reconnaître qu’aujourd’hui tout est fait pour « le plaisir » ! Les sens sont flattés en permanence par un tas de sollicitations, que ce soit dans les magasins, les activités, l’installation de la maison… on se trouve en perpétuel état de séduction. Les publicités captent toutes les attentions, où que l’on porte le regard ; et à l’heure d’internet, bien fort est celui qui échappe à tant de tentations qui, peu à peu, viennent à bout des volontés les plus fermes.

  Alors, si notre faiblesse commence par notre assiette ; si ce que je mange, et sa quantité, a trop d’importance dans mon esprit ; si je veux sans cesse que « ce soit bon » … pourquoi serais-je ensuite étonné de prendre plus souvent de l‘alcool, ou une cigarette ? … et pourquoi résister à passer des heures jusqu’au milieu de la nuit devant une série que je suis incapable d’arrêter alors que je m’écroule de fatigue ?… C’est le début de l’esclavage, je m’auto-satisfais sans le moindre remords, allant toujours plus loin dans la chute, car plus rien ne me contente. La pente est facile d’accès, mais, une fois au fond du fossé, saurais-je m’en extirper ? Ce petit manque de volonté du début se sera vite transformé en une montagne d’impuissance !

  Pour guérir tous mes maux, il faut d’abord que je regarde mon assiette : est-elle trop copieuse, je me servirais plus modérément. Est-elle trop riche ? Je la simplifierais n’ajoutant qu’exceptionnellement tout surplus habituel de beurre, fromage, et autres sauces qui satisfont tant mon palais. Je me limiterais seulement aux vrais repas, me refusant d’ouvrir le réfrigérateur à toute heure dès que je suis désœuvré. Et cette volonté que j’aurais progressivement retrouvée, me fortifiera pour le reste !

  Pensons aussi à toutes ces autres « gourmandises » auxquelles nous nous adonnons souvent sans limites de quantité, de durée, de qualité… toutes ces petites « addictions » qui peuvent ruiner dans tous les sens du terme, notre ménage et notre famille : ces heures d’écrans, ces achats compulsifs, jeux d’argent, paresses au détriment de nos différents devoirs d’états… tous ces attachements désordonnés qui nous font doucement descendre cette fameuse pente !

  Revoyons cela à deux, établissons ensemble un règlement ferme et précis, quitte à le mettre par écrit pour y revenir régulièrement. Profitons de ce printemps pour arracher ces mauvaises herbes qui étouffent notre mariage, et risquent parfois de nous séparer dangereusement l’un de l’autre, jusque même dans l’intimité de notre chambre. Soutenons-nous dans ce combat de longue haleine, notre union sacrée en vaut tant la peine !

Sophie de Lédinghen

 

La prière des époux, un fleuve de grâces

                      Un être nouveau est né : un foyer. Comme dit l’introït de la messe de mariage, « Dieu a eu pitié de deux enfants uniques ». Les voici qui ont reçu le pouvoir de dire « nous ». Une mystérieuse fusion de leur vouloir les a mis en dépendance l’un de l’autre. Fusion complète des âmes, des volontés, des intelligences, des cœurs et des corps, car ce ne sont pas deux volontés qui se rapprochent l’une de l’autre, et peuvent par conséquent se séparer ensuite, mais au contraire deux volontés qui se fondent et se confondent en une volonté nouvelle où les deux premières se sont comme perdues.

  Et Dieu, sur l’invitation de ces deux « oui », ouvre déjà le trésor de ses grâces. Ainsi, la famille est-elle une chose divine, chose bien haute et bien sacrée pour que saint Paul aille jusqu’à dire que « ce mystère est grand ; je veux dire par rapport au Christ et à l’Église », l’épouse représentant l’Église, et l’époux Jésus-Christ lui-même. On peut dire que la famille chrétienne, comme le sacrement de mariage, provient d’un acte surnaturel, et qu’elle doit être maintenue par une action surnaturelle continuelle. Dans le mariage, le Christ se fait le ciment d’une union par laquelle deux époux deviennent à partir de ce moment, un seul être vivant en deux personnes.

  Vivre saintement notre mariage, c’est donc se rendre toujours moins indigne de cette présence du Christ, et s’élever, se rapprocher toujours davantage de lui, cela se fait en menant « une vie de prière » !

  De même qu’« aucune branche ne peut verdir sans racines, aucune œuvre ne peut porter de fruits si elle n’est unie à la charité comme à sa racine». C’est dans leur amour de Dieu que les époux puiseront en abondance les grâces nécessaires à la sanctification de leur foyer. Toutes les actions, comme leurs conséquences vont en découler.

  Le jeune homme et la jeune fille qui ont déjà fait une large place à cet amour de Dieu dans leur cœur, voient que leur union et leur nouvel amour seront, par le sacrement, un appel nouveau à la grâce. Pour cela l’union des époux devra être aussi totale que possible et se réaliser sur les plans du corps, du cœur, de l’esprit, mais également spirituellement par l’union des âmes.

  Cette intimité des âmes se prépare doucement pendant la période des fiançailles, par une habitude de prière commune, encouragée par des conversations qui deviendront peu à peu des cœur à cœur où l’on s’ouvre l’un à l’autre avec confiance. Selon les tempéraments, cela se fera plus ou moins naturellement. Au départ, cette nouveauté de se confier à l’autre, de s’écouter, demande toujours un petit effort… puis, progressivement, on devient complice, heureux de rire ensemble, de se taquiner… et l’on se sent enfin si bien que l’on échafaude des projets d’avenir, passant en revue tous nos désirs pour la solidité de notre future famille. C’est en priant ensemble, en assistant à la messe et recevant la communion côte à côte et d’une seule voix, que se perpétuera cette présence de Notre-Seigneur dans notre foyer.

  Ces moments bénis de prière commune perdureront pendant le mariage, seront cette respiration spirituelle de notre foyer que nous devrons entretenir non seulement quand l’élan spontané des cœurs nous y poussera avec enthousiasme, mais aussi lorsque les égoïsmes inviteront à se fermer, ou à s’isoler. Cette intimité des âmes, cette union dans la prière est absolument nécessaire à notre sanctification mutuelle, et donc à celle de notre foyer dans ses membres et dans ses œuvres.

  Dans la mesure du possible, les deux époux se retrouveront ensemble à genoux, au pied du crucifix, au moins chaque matin et chaque soir, en plus des prières familiales. Cette prière à deux, qu’ils enrichiront de dévotions ou neuvaines, selon leurs souhaits, les impératifs du moment, les joies ou les épreuves… les verra déposer leur fardeau, exprimer leurs inquiétudes, exulter leurs actions de grâce ! Dieu nous demande de prier, et nous lui devons ce culte tout au long des jours et jusqu’au dernier jour. Ces grâces toutes particulières reçues le jour de notre mariage, sont actuelles dans chaque moment de notre vie. Tout est à recommencer sans cesse, mais toujours notre sacrement est là, qui entretient, nourrit et grandit notre amour mutuel, dans l’amour de Dieu. « Demandez et vous recevrez » !

  Les époux qui veulent réellement se sanctifier, ne se contenteront pas d’une prière matin et soir et de la récitation de leur chapelet quotidien. Désireux d’abreuver davantage leur âme qui semble insatiable de cet amour du bon Dieu, ils chercheront encore à connaître mieux cette Providence, qui les comble déjà tant, par des lectures pieuses qui les élèveront… et peut-être même qu’ils pousseront l’effort à méditer quelques minutes ces lectures pour en tirer un bénéfice plus profond. Dans cet exercice, chacun choisira ses lectures en fonction de sa personnalité ou de ses besoins, quitte à recommander ensuite sa lecture à son époux, mais passer ce moment à prier ensemble dans la même pièce, est d’un grand profit pour les deux. « Celui qui veut être toujours avec Dieu doit souvent prier et lire, dit saint Augustin. Quand nous prions, c’est nous qui parlons à Dieu ; mais quand nous lisons, c’est Dieu qui nous parle ! »

Lorsque cette respiration spirituelle fait partie de notre quotidien, ou presque, il est moins difficile de voir s’agrandir la famille et augmenter les activités ménagères ou charges professionnelles. Il faut bien sûr un peu ajuster les horaires ou les durées, mais l’habitude est plus facile à garder, même si chaque nouvelle étape de notre vie est toujours une belle occasion de progrès en décidant de prendre des résolutions neuves. Il est bien sûr dangereux et condamnable de passer tout son temps en prière, au détriment de son devoir d’état. « Il est dans l’âme, poursuit saint Augustin, une autre prière incessante, qui est le désir. Quoi que vous fassiez, vous ne cessez point de prier, si vous ne désirez le repos du ciel. Que celui donc qui ne veut pas interrompre sa prière, n’interrompe pas son désir. Un désir incessant est une voix continuelle. Se taire, ce serait ne plus aimer. » Nous pouvons ainsi faire de notre vie une prière continuelle, ponctuée, pourquoi pas, d’oraisons jaculatoires, ces petites prières que notre cœur lancera vers Dieu aussi souvent que possible.

  Il va de soi que les époux rechercheront ensemble leur équilibre spirituel. Une perfection individualiste qui ne se soucierait pas de la perfection des deux époux n’est pas dans l’esprit du mariage. S’il y a un petit décalage dans le ménage, on fera preuve de patience pour amener l’autre à progresser avec douceur. Dans tous les cas une grande délicatesse est nécessaire, de l’humilité aussi. L’harmonie véritable ne se cherche pas en dehors du plan divin. Qui se fie à Dieu, à la répartition qu’il fait de ses grâces, ne tarde pas à comprendre que la véritable union des âmes dépend de cet acte de foi. Mystérieusement, Dieu fait alors goûter à ceux qui lui offrent sa place, toute sa place, une douceur, une paix dont la stabilité ne relève pas d’ici-bas. La durée des unions terrestres est toujours brève. Mais ceux qui auront su s’aimer au niveau de l’invisible « pour l’amour de Dieu », auront inauguré leur amour éternel.

 

Sophie de Lédinghen

 

Le pardon des époux

           Oh voilà un grand sujet ! Comme nous aimerions maîtriser parfaitement notre humeur pour qu’elle ne blesse jamais ceux qui nous entourent, et surtout celui ou celle à qui nous avons donné notre vie devant Dieu ! Combien nous aimerions aussi savoir accepter ces petites phrases acides, ou plaisanteries si faciles à prendre de travers ! Malheureusement nous sommes de bien faibles créatures et il nous arrive souvent de faire souffrir tout autant que de souffrir nous-mêmes.

Vous savez comme, au fil des années, l’égoïsme s’infiltre dans le mariage, laissant place à une recherche de soi déguisée en amour ! On se dispute pour des choses de bien peu d’importance au risque de mettre en danger le don précieux de notre mariage. Et voilà que la colère monte et nous pousse à nous dire des paroles désagréables ou blessantes, personne ne voulant lâcher l’affaire !

C’est là que rentre en scène notre susceptibilité ! – « Comment a-t-il pu me dire ces paroles ?! » – « Elle m’a manqué de respect ! » …et chacun de partir ruminer dans son coin, ressassant ces quelques mots en trop. Pour les femmes surtout, cela peut prendre des proportions démesurées…et on tourne ça, et on interprète à sa façon quitte à prêter de mauvaises intentions…cela peut même durer des jours ! Vient alors l’heure de la vengeance, car il faut bien lui montrer combien il nous a fait mal et le pousser à s’excuser ! Alors, c’est bien simple, on ne lui parle plus !

« O que nous sommes misérables nous autres, car à peine pouvons-nous oublier une injure dix ans après qu’elle nous a été faite ! » s’attriste saint François de Sales. Cette susceptibilité, qu’est-elle sinon de l’orgueil, de l’amour propre ?

Par amour nous devons être capable de passer par-dessus cet orgueil en demandant pardon et en reconnaissant nos propres torts. Cela n’est pas toujours si simple, surtout si l’on a beaucoup attendu avant de le faire. Prenons alors un peu de recul : « Je le connais et je sais que ces paroles ne lui ressemblent pas, il doit être fatigué. Il m’a énervée mais ce n’est pas si grave ». On se trouve alors l’esprit en paix et capable d’aller au-devant de l’époux lui demander pardon.

En dehors du principe que le chef de famille prend la décision finale des affaires importantes, celui qui « cède » par humilité et pour l’amour de l’autre est toujours le plus grand des deux. Surtout lorsque les arguments sont également convaincants des deux côtés et que la question ne peut être résolue à la seule lumière des faits. Il y a une façon de « perdre » qui est en réalité une grande victoire. L’époux qui cède non par faiblesse, mais par amour, sera le plus fort des deux car il aura remporté le plus difficile des combats : la conquête de sa propre volonté ! Celui qui aime vraiment désire le bien de l’être aimé. Celui qui veut « tirer la couverture à lui » sans trop se préoccuper de l’autre est un triste époux ! Il nous faut donc parfois, faire abnégation de nous-même en vue d’un plus grand bien, la paix familiale, la concorde entre nous, notre sanctification mutuelle.

 

Mais voilà plusieurs fois que vous avez accepté patiemment des réflexions sarcastiques, et que vous n’arrivez plus à les « avaler » ! « Je suis tellement en colère quand j’y pense…cela me rend furieuse et me fait de plus en plus mal. Je sais que ce n’est pas bien mais je ne peux pas m’en empêcher ! ». À force de passer et repasser le disque, la colère s’est transformée en amertume qui tourne ensuite à une haine malfaisante. Vous vous dites que votre conjoint a rendu votre vie misérable mais, en réalité, vous avez choisi la compagnie de la colère ! Si le sentiment de colère est normal, l’amertume résulte du choix quotidien de laisser la colère vivre dans son cœur… (on parle alors de justice ou d’honneur pour la justifier !) A moins d’avoir un tempérament très, très flegmatique, nous nous sentons tous en colère lorsque nous pensons avoir été maltraités. Cela nous incline à une mauvaise conduite, une perte de contrôle de nos émotions, et nous encourage à la fameuse « vengeance » !

 

  Le défi est alors de refuser de se laisser submerger par cette colère, ce qui demande un vrai travail personnel et beaucoup de volonté. Le premier moyen est de trouver la paix dans la prière, en offrant nos contrariétés au bon Dieu pour qu’il nous aide à les accepter. Si cela ne suffit pas en dépit d’un réel effort, le meilleur moyen de s’en débarrasser est de l’exprimer en en parlant et non en la refoulant. Quand on retient la vexation ou la contrariété, et qu’on se dit « non, je ne suis pas énervée », on prépare la survenue d’une éruption volcanique gigantesque et alors démesurée !

 

  Il convient donc de se confier à une personne de confiance, un prêtre, une sœur, une bonne amie. Il est indispensable ensuite de chasser l’idée de cette colère si elle revient, et de lutter contre elle pour s’en débarrasser (le démon est tenace !). La confession est enfin un moyen imparable, on peut même expliquer au prêtre que l’on désire, par cette confession, obtenir la grâce de pardonner, avec la ferme intention de s’y tenir.

Mais l’aveu de notre amertume et l’acceptation du pardon de Dieu par la Pénitence ne suffisent pas. Il faudra que le pardon devienne une discipline quotidienne, et se refuser toute rancœur. A mesure que l’on décide de pardonner, toute pensée, tout sentiment de colère et d’amertume se dissiperont. La dernière étape est enfin celle d’aller « réparer » auprès de votre époux.

Vous auriez été déçus si je n’avais pas mentionné cette fameuse sentence de saint Paul : « Si vous vous mettez en colère, ne péchez point ; que le soleil ne se couche pas sur votre colère, et ne donnez pas accès au diable ». Demandez bien pardon à votre époux, le plus vite étant le mieux, en lui montrant une conduite affectueuse et bienveillante. Bien souvent, cela pourra l’encourager à reconnaître ses propres faiblesses dont il vous demandera pardon à son tour. Quelle grande paix retrouveront alors vos deux âmes !

 

  Nous serons jugés, considérés comme nous l’auront fait aux autres, cela nécessite un combat de chaque jour contre nous-même. Par amour, pour Dieu et pour notre époux, nous devons être capables des plus grands efforts, de passer par-dessus notre orgueil en pardonnant et en reconnaissant nos propres torts. Je ne parle pas d’un pardon dit du bout des lèvres et par devoir, non, mais d’une vraie contrition qui part du fond de votre cœur avec la plus belle des sincérités !

 

Sophie de Lédinghen

 

Quand l’époux devient père

         Il y a en tout homme qui se respecte le goût et l’espoir des responsabilités. On le voit déjà chez le jeune garçon lorsqu’il revêt son uniforme de louveteau, ou utilise pour la première fois la débroussailleuse… Mais quelles responsabilités sont comparables à celles de la paternité ? « La paternité prend tout l’homme et le prend toujours ». Être père, c’est être majeur, c’est accéder aux plus hautes fonctions pour lesquelles l’homme se sent préparé : le voici législateur, juge, maître, défenseur, prêtre, roi. Qui pourrait nier que l’homme est fait pour cela ? (Même dans un foyer sans enfant, on peut exercer une paternité spirituelle, le prêtre accède lui aussi à une paternité plus haute encore…). La paternité humaine est la révélation de la paternité divine, le père est l’image du Père.

Il est frappant de voir aujourd’hui combien le père est dévoyé, ridiculisé… Tenez, il suffit d’entendre quelques publicités à la radio pour observer à quel point il est rabaissé : il est toujours le « pauvre homme » à qui sa femme (qui sait tout sur tout !) explique quel sirop prendre pour sa toux, ou quel concessionnaire automobile aller rencontrer pour la nouvelle voiture familiale que madame a déjà choisie ! Quand ce ne sont pas les enfants eux-mêmes qui expliquent à leur benêt de père quelle nouvelle pâte à tartiner convient le mieux à leur goûter ! Et écoutez bien les voix : l’épouse est des plus charmantes, et les enfants très polis avec une jolie expression…Il n’y a que le malheureux père qui semble toujours tombé de la lune ! Pauvres pères, réveillez-vous ! Ne vous laissez pas enfermer pas dans cette case de « papa-bien-gentil qui dit « amen » à tout », retrouvez votre dignité de chefs de famille, la noblesse de votre belle mission !

La première vertu du père est la dignité, qui prend sa source dans la vie intérieure. Être père, c’est d’abord avoir désiré un enfant. Celui qui a prié pour la fécondité de son union, qui a accepté dans sa finalité l’acte qui appelle à la vie, n’est-il pas mieux préparé à assumer son rôle de père ? Il a prié pour son enfant avant de le connaître. Il est quelqu’un qui sait ce qu’il veut et ce qu’il fait.

Lorsque l’enfant naît, l’homme devenu père mesure ce que c’est que d’avoir fait commencer une destinée éternelle. Il prie tous les jours pour ce petit. Il le prend en charge. Il sent son amour pour sa femme transfiguré et approfondi. Faire réussir cette vie qui paraît si frêle, éveiller cette âme encore endormie, faire grandir jusqu’à l’âge adulte ce tout petit être, voilà la pensée qui l’habite, qui illumine toute sa vie.

Le père sait que son enfant l’admirera, puis le jugera. Est-il digne d’être admiré ? Il lui faut, pour ne pas décevoir un jour son enfant, travailler à se perfectionner, à acquérir davantage pour pouvoir donner davantage. Il essaie d’aiguiser sa foi, son intelligence, de devenir celui qu’il voudrait que son enfant soit un jour. Ainsi l’homme devenu père sent en lui le besoin d’augmenter sa valeur humaine, de grandir pour être le guide et le modèle de demain. Il faut qu’il se refasse enfant, pur et jeune, à l’image de l’enfant qui lui est confié et de l’Enfant-Dieu. La naissance de l’enfant est ainsi, pour le père, une nouvelle naissance.

Pour être un père accompli, l’homme n’est pas seul, il a à ses côtés cette compagne dont la mission est de partager sa vie. « Le chef d’œuvre d’une femme, c’est le père. Comment l’homme, ce grand garçon qu’elle a épousé, deviendrait-il ce souverain au cœur grave et juste si son intelligente et patiente tendresse n’y travaillait jour après jour ? Comment comprendrait-il ses enfants si elle ne les lui expliquait ? Comment honoreraient-ils et aimeraient-ils leur père si elle n’orientait pas leurs cœurs vers lui 1? »

La présence du père est essentielle à l’équilibre moral de l’enfant. Mais qui ne voit que c’est la mère qui fait découvrir « papa » au tout petit ? De même qu’elle donne l’enfant au père, elle doit donner le père à l’enfant. Le père et la mère offrent d’abord à leur enfant l’image d’une union parfaite, d’une tendresse et d’une confiance sans nuages. Ils doivent faire régner au foyer ce climat de paix, de joie qui fait les enfances heureuses. Il est impossible de mesurer, sur la sensibilité d’un enfant, les effets d’une mésentente simplement soupçonnée, pressentie. Aux parents de purifier leur amour, de rectifier leurs caractères, de s’aider à faire rayonner la paix. L’amour paternel, c’est l’épanouissement de l’amour conjugal. Le père sera d’abord pour l’enfant ce que le fera la maman. A elle aussi de modeler son image. Elle parlera souvent de lui, fera désirer son apparition, respecter ses affaires, admirer son courage au travail, elle fera comprendre qu’il apporte soutien et réconfort.  « On demandera à Papa. » C’est dans la mesure où elle sera tout à fait l’épouse qu’elle sera tout à fait la mère. Elle veillera cependant à ne pas trop idéaliser le père de ses enfants qui risqueraient de croire qu’il est un modèle inaccessible. Les garçons se décourageraient de ne pas lui ressembler, et les filles peineraient à s’engager dans le mariage, ne trouvant « le mari parfait » !

Les années passant, l’épouse s’est souvent affirmée dans l’éducation de ses enfants et la tenue de sa maison au sens large du terme. On pourrait en effet qualifier une maîtresse de maison, de chef d’une petite PME tant il faut organiser, agencer, diriger, fabriquer, surveiller, économiser, acheter, prendre les rendez-vous, assurer le transport, déléguer tout en supervisant…La petite fiancée tout intimidée a parfois peu à peu laissé place à une vraie matrone plus ou moins acariâtre et directive ! L’essentiel est d’en prendre conscience pour rester vigilante. Si la mère a un certain « pouvoir », elle ne le détient pas au point de mettre la maisonnée au pas, mari compris !

Lorsque le père parle, la mère s’efface et montre son soutien autant que sa confiance : n’ont-ils pas déjà abordé ensemble ces sujets de discussion pour les accorder ? Une décision a été prise ? C’est le père qui, en famille, fait part de ce que son épouse et lui ont décidé. Les enfants ne doivent sentir aucun désaccord sur des choses importantes entre leurs parents. De façon habituelle, le père bénira la table, dirigera la prière et le chapelet, et bénira ses enfants, ce sont là des marques du chef de famille. Cependant c’est à l’épouse d’être la flamme intérieure qui veille et fait que, d’un seul cœur, la famille répond à l’appel du Père.

Sophie de Lédinghen

 

1 P. Henri Caffarel