Le pardon des époux

           Oh voilà un grand sujet ! Comme nous aimerions maîtriser parfaitement notre humeur pour qu’elle ne blesse jamais ceux qui nous entourent, et surtout celui ou celle à qui nous avons donné notre vie devant Dieu ! Combien nous aimerions aussi savoir accepter ces petites phrases acides, ou plaisanteries si faciles à prendre de travers ! Malheureusement nous sommes de bien faibles créatures et il nous arrive souvent de faire souffrir tout autant que de souffrir nous-mêmes.

Vous savez comme, au fil des années, l’égoïsme s’infiltre dans le mariage, laissant place à une recherche de soi déguisée en amour ! On se dispute pour des choses de bien peu d’importance au risque de mettre en danger le don précieux de notre mariage. Et voilà que la colère monte et nous pousse à nous dire des paroles désagréables ou blessantes, personne ne voulant lâcher l’affaire !

C’est là que rentre en scène notre susceptibilité ! – « Comment a-t-il pu me dire ces paroles ?! » – « Elle m’a manqué de respect ! » …et chacun de partir ruminer dans son coin, ressassant ces quelques mots en trop. Pour les femmes surtout, cela peut prendre des proportions démesurées…et on tourne ça, et on interprète à sa façon quitte à prêter de mauvaises intentions…cela peut même durer des jours ! Vient alors l’heure de la vengeance, car il faut bien lui montrer combien il nous a fait mal et le pousser à s’excuser ! Alors, c’est bien simple, on ne lui parle plus !

« O que nous sommes misérables nous autres, car à peine pouvons-nous oublier une injure dix ans après qu’elle nous a été faite ! » s’attriste saint François de Sales. Cette susceptibilité, qu’est-elle sinon de l’orgueil, de l’amour propre ?

Par amour nous devons être capable de passer par-dessus cet orgueil en demandant pardon et en reconnaissant nos propres torts. Cela n’est pas toujours si simple, surtout si l’on a beaucoup attendu avant de le faire. Prenons alors un peu de recul : « Je le connais et je sais que ces paroles ne lui ressemblent pas, il doit être fatigué. Il m’a énervée mais ce n’est pas si grave ». On se trouve alors l’esprit en paix et capable d’aller au-devant de l’époux lui demander pardon.

En dehors du principe que le chef de famille prend la décision finale des affaires importantes, celui qui « cède » par humilité et pour l’amour de l’autre est toujours le plus grand des deux. Surtout lorsque les arguments sont également convaincants des deux côtés et que la question ne peut être résolue à la seule lumière des faits. Il y a une façon de « perdre » qui est en réalité une grande victoire. L’époux qui cède non par faiblesse, mais par amour, sera le plus fort des deux car il aura remporté le plus difficile des combats : la conquête de sa propre volonté ! Celui qui aime vraiment désire le bien de l’être aimé. Celui qui veut « tirer la couverture à lui » sans trop se préoccuper de l’autre est un triste époux ! Il nous faut donc parfois, faire abnégation de nous-même en vue d’un plus grand bien, la paix familiale, la concorde entre nous, notre sanctification mutuelle.

 

Mais voilà plusieurs fois que vous avez accepté patiemment des réflexions sarcastiques, et que vous n’arrivez plus à les « avaler » ! « Je suis tellement en colère quand j’y pense…cela me rend furieuse et me fait de plus en plus mal. Je sais que ce n’est pas bien mais je ne peux pas m’en empêcher ! ». À force de passer et repasser le disque, la colère s’est transformée en amertume qui tourne ensuite à une haine malfaisante. Vous vous dites que votre conjoint a rendu votre vie misérable mais, en réalité, vous avez choisi la compagnie de la colère ! Si le sentiment de colère est normal, l’amertume résulte du choix quotidien de laisser la colère vivre dans son cœur… (on parle alors de justice ou d’honneur pour la justifier !) A moins d’avoir un tempérament très, très flegmatique, nous nous sentons tous en colère lorsque nous pensons avoir été maltraités. Cela nous incline à une mauvaise conduite, une perte de contrôle de nos émotions, et nous encourage à la fameuse « vengeance » !

 

  Le défi est alors de refuser de se laisser submerger par cette colère, ce qui demande un vrai travail personnel et beaucoup de volonté. Le premier moyen est de trouver la paix dans la prière, en offrant nos contrariétés au bon Dieu pour qu’il nous aide à les accepter. Si cela ne suffit pas en dépit d’un réel effort, le meilleur moyen de s’en débarrasser est de l’exprimer en en parlant et non en la refoulant. Quand on retient la vexation ou la contrariété, et qu’on se dit « non, je ne suis pas énervée », on prépare la survenue d’une éruption volcanique gigantesque et alors démesurée !

 

  Il convient donc de se confier à une personne de confiance, un prêtre, une sœur, une bonne amie. Il est indispensable ensuite de chasser l’idée de cette colère si elle revient, et de lutter contre elle pour s’en débarrasser (le démon est tenace !). La confession est enfin un moyen imparable, on peut même expliquer au prêtre que l’on désire, par cette confession, obtenir la grâce de pardonner, avec la ferme intention de s’y tenir.

Mais l’aveu de notre amertume et l’acceptation du pardon de Dieu par la Pénitence ne suffisent pas. Il faudra que le pardon devienne une discipline quotidienne, et se refuser toute rancœur. A mesure que l’on décide de pardonner, toute pensée, tout sentiment de colère et d’amertume se dissiperont. La dernière étape est enfin celle d’aller « réparer » auprès de votre époux.

Vous auriez été déçus si je n’avais pas mentionné cette fameuse sentence de saint Paul : « Si vous vous mettez en colère, ne péchez point ; que le soleil ne se couche pas sur votre colère, et ne donnez pas accès au diable ». Demandez bien pardon à votre époux, le plus vite étant le mieux, en lui montrant une conduite affectueuse et bienveillante. Bien souvent, cela pourra l’encourager à reconnaître ses propres faiblesses dont il vous demandera pardon à son tour. Quelle grande paix retrouveront alors vos deux âmes !

 

  Nous serons jugés, considérés comme nous l’auront fait aux autres, cela nécessite un combat de chaque jour contre nous-même. Par amour, pour Dieu et pour notre époux, nous devons être capables des plus grands efforts, de passer par-dessus notre orgueil en pardonnant et en reconnaissant nos propres torts. Je ne parle pas d’un pardon dit du bout des lèvres et par devoir, non, mais d’une vraie contrition qui part du fond de votre cœur avec la plus belle des sincérités !

 

Sophie de Lédinghen

 

Quand l’époux devient père

         Il y a en tout homme qui se respecte le goût et l’espoir des responsabilités. On le voit déjà chez le jeune garçon lorsqu’il revêt son uniforme de louveteau, ou utilise pour la première fois la débroussailleuse… Mais quelles responsabilités sont comparables à celles de la paternité ? « La paternité prend tout l’homme et le prend toujours ». Être père, c’est être majeur, c’est accéder aux plus hautes fonctions pour lesquelles l’homme se sent préparé : le voici législateur, juge, maître, défenseur, prêtre, roi. Qui pourrait nier que l’homme est fait pour cela ? (Même dans un foyer sans enfant, on peut exercer une paternité spirituelle, le prêtre accède lui aussi à une paternité plus haute encore…). La paternité humaine est la révélation de la paternité divine, le père est l’image du Père.

Il est frappant de voir aujourd’hui combien le père est dévoyé, ridiculisé… Tenez, il suffit d’entendre quelques publicités à la radio pour observer à quel point il est rabaissé : il est toujours le « pauvre homme » à qui sa femme (qui sait tout sur tout !) explique quel sirop prendre pour sa toux, ou quel concessionnaire automobile aller rencontrer pour la nouvelle voiture familiale que madame a déjà choisie ! Quand ce ne sont pas les enfants eux-mêmes qui expliquent à leur benêt de père quelle nouvelle pâte à tartiner convient le mieux à leur goûter ! Et écoutez bien les voix : l’épouse est des plus charmantes, et les enfants très polis avec une jolie expression…Il n’y a que le malheureux père qui semble toujours tombé de la lune ! Pauvres pères, réveillez-vous ! Ne vous laissez pas enfermer pas dans cette case de « papa-bien-gentil qui dit « amen » à tout », retrouvez votre dignité de chefs de famille, la noblesse de votre belle mission !

La première vertu du père est la dignité, qui prend sa source dans la vie intérieure. Être père, c’est d’abord avoir désiré un enfant. Celui qui a prié pour la fécondité de son union, qui a accepté dans sa finalité l’acte qui appelle à la vie, n’est-il pas mieux préparé à assumer son rôle de père ? Il a prié pour son enfant avant de le connaître. Il est quelqu’un qui sait ce qu’il veut et ce qu’il fait.

Lorsque l’enfant naît, l’homme devenu père mesure ce que c’est que d’avoir fait commencer une destinée éternelle. Il prie tous les jours pour ce petit. Il le prend en charge. Il sent son amour pour sa femme transfiguré et approfondi. Faire réussir cette vie qui paraît si frêle, éveiller cette âme encore endormie, faire grandir jusqu’à l’âge adulte ce tout petit être, voilà la pensée qui l’habite, qui illumine toute sa vie.

Le père sait que son enfant l’admirera, puis le jugera. Est-il digne d’être admiré ? Il lui faut, pour ne pas décevoir un jour son enfant, travailler à se perfectionner, à acquérir davantage pour pouvoir donner davantage. Il essaie d’aiguiser sa foi, son intelligence, de devenir celui qu’il voudrait que son enfant soit un jour. Ainsi l’homme devenu père sent en lui le besoin d’augmenter sa valeur humaine, de grandir pour être le guide et le modèle de demain. Il faut qu’il se refasse enfant, pur et jeune, à l’image de l’enfant qui lui est confié et de l’Enfant-Dieu. La naissance de l’enfant est ainsi, pour le père, une nouvelle naissance.

Pour être un père accompli, l’homme n’est pas seul, il a à ses côtés cette compagne dont la mission est de partager sa vie. « Le chef d’œuvre d’une femme, c’est le père. Comment l’homme, ce grand garçon qu’elle a épousé, deviendrait-il ce souverain au cœur grave et juste si son intelligente et patiente tendresse n’y travaillait jour après jour ? Comment comprendrait-il ses enfants si elle ne les lui expliquait ? Comment honoreraient-ils et aimeraient-ils leur père si elle n’orientait pas leurs cœurs vers lui 1? »

La présence du père est essentielle à l’équilibre moral de l’enfant. Mais qui ne voit que c’est la mère qui fait découvrir « papa » au tout petit ? De même qu’elle donne l’enfant au père, elle doit donner le père à l’enfant. Le père et la mère offrent d’abord à leur enfant l’image d’une union parfaite, d’une tendresse et d’une confiance sans nuages. Ils doivent faire régner au foyer ce climat de paix, de joie qui fait les enfances heureuses. Il est impossible de mesurer, sur la sensibilité d’un enfant, les effets d’une mésentente simplement soupçonnée, pressentie. Aux parents de purifier leur amour, de rectifier leurs caractères, de s’aider à faire rayonner la paix. L’amour paternel, c’est l’épanouissement de l’amour conjugal. Le père sera d’abord pour l’enfant ce que le fera la maman. A elle aussi de modeler son image. Elle parlera souvent de lui, fera désirer son apparition, respecter ses affaires, admirer son courage au travail, elle fera comprendre qu’il apporte soutien et réconfort.  « On demandera à Papa. » C’est dans la mesure où elle sera tout à fait l’épouse qu’elle sera tout à fait la mère. Elle veillera cependant à ne pas trop idéaliser le père de ses enfants qui risqueraient de croire qu’il est un modèle inaccessible. Les garçons se décourageraient de ne pas lui ressembler, et les filles peineraient à s’engager dans le mariage, ne trouvant « le mari parfait » !

Les années passant, l’épouse s’est souvent affirmée dans l’éducation de ses enfants et la tenue de sa maison au sens large du terme. On pourrait en effet qualifier une maîtresse de maison, de chef d’une petite PME tant il faut organiser, agencer, diriger, fabriquer, surveiller, économiser, acheter, prendre les rendez-vous, assurer le transport, déléguer tout en supervisant…La petite fiancée tout intimidée a parfois peu à peu laissé place à une vraie matrone plus ou moins acariâtre et directive ! L’essentiel est d’en prendre conscience pour rester vigilante. Si la mère a un certain « pouvoir », elle ne le détient pas au point de mettre la maisonnée au pas, mari compris !

Lorsque le père parle, la mère s’efface et montre son soutien autant que sa confiance : n’ont-ils pas déjà abordé ensemble ces sujets de discussion pour les accorder ? Une décision a été prise ? C’est le père qui, en famille, fait part de ce que son épouse et lui ont décidé. Les enfants ne doivent sentir aucun désaccord sur des choses importantes entre leurs parents. De façon habituelle, le père bénira la table, dirigera la prière et le chapelet, et bénira ses enfants, ce sont là des marques du chef de famille. Cependant c’est à l’épouse d’être la flamme intérieure qui veille et fait que, d’un seul cœur, la famille répond à l’appel du Père.

Sophie de Lédinghen

 

1 P. Henri Caffarel

 

 

Scènes de ménage

« Il n’a pas levé le petit doigt pour l’aider ! »

 

           Anne est particulièrement énervée, elle vient de faire un gros marché, et son mari Vincent l’a laissée vider seule le coffre de la voiture pourtant bien plein, sans offrir spontanément son aide ! Seulement, Anne n’a rien demandé à Vincent et c’est bien dommage car cela l’empêche d’avoir recours à une des grandes ressources dont peuvent disposer les femmes : un appel au sentiment chevaleresque qui repose au fond du cœur de la plupart des hommes… C’est toujours un merveilleux cadeau d’avoir un mari attentif aux besoins de son épouse en venant toujours spontanément à son aide. Mais on ne peut pas non plus toujours exiger un mari constamment à l’affut… Vincent est souvent touché dès qu’Anne lui dit combien elle a besoin de lui, et si elle lui avait dit « Chéri, s’il te plaît, peux-tu m’aider à porter ces sacs si lourds ? » bien sûr qu’il l’aurait fait ! Il ne s’agit pas là de feindre la fatigue pour « manipuler » Vincent, mais de faire preuve d’un peu de simplicité. La plupart des hommes, au fond d’eux-mêmes, sont serviables.

Malheureusement, l’attitude hostile de certaines femmes a beaucoup nuit à l’expression de ce noble trait masculin. Bien des hommes ont éprouvé le mordant de la compétition féminine et en ont conclu que, si les femmes doivent prendre les vices masculins (l’agressivité, la brutalité ou la rudesse), une conduite chevaleresque à leur égard perd tout son sens… Alors, mesdames, n’hésitez pas à gentiment faire appel à l’assistance dévouée de vos maris !

« Elle laisse aller sa toilette à la maison »

   Voici Hélène qui, durant ses fiançailles, passait beaucoup de temps devant son miroir afin d’être la plus jolie possible pour son fiancé.

A présent qu’elle est mariée, elle s’habille n’importe comment lorsqu’elle est chez elle, mais fait beaucoup d’efforts pour être attirante quand elle sort.

Saint François de Sales recommande bien aux femmes pieuses d’être convenablement apprêtées, mais cela ne signifie pas qu’elles doivent être esclaves de la mode ou en fassent trop. Il y a une façon de s’habiller qui peut être attrayante, voire élégante, mais en même temps simple et modeste. Et puis, il ne faudrait pas ne soigner son apparence que pour les invités ou les personnes que l’on voit à l’extérieur, et se laisser aller lorsqu’on est seule avec son mari !

Dès qu’on est marié, chacun devrait s’efforcer de se montrer toujours sous le meilleur jour, tant physiquement que spirituellement. Je connais une maman qui prend le temps de se recoiffer chaque soir avant le retour de son mari… Même les maris qui, avec le temps, finissent aussi par se laisser souvent un peu aller dans leur tenue ou leur comportement. Cette délicatesse que l’on se doit l’un à l’autre doit durer toute la vie !

« Ça le rend furieux quand je dis « toujours » … »

   Tout allait bien, quand soudain Laurence a tout bouleversé avec ce mot qui paraît bien anodin, mais qui, en réalité, est explosif : « toujours ». On peut l’utiliser à propos de choses sans importance, « Tu laisses toujours traîner tes clés ! » ou l’employer à l’occasion de reproches plus graves, « Tu veux toujours qu’on aille chez tes parents plutôt que chez les miens ! ».

Et, comme son jumeau « jamais », « toujours » cause toujours des problèmes ! Pourquoi Laurence dit-elle « toujours » alors qu’en réalité elle veut dire souvent ou parfois ? Elle ne reconnaît donc pas que Michel fait souvent ce qu’il faut sans qu’elle s’en aperçoive, ou qu’il a du moins courageusement essayé de se corriger, mais sans y parvenir complètement.

Comme nous sommes prompts à reconnaître les défaites, mais non les victoires ! En insistant ainsi sur les échecs, Laurence décourage Michel, surtout s’il s’agit de choses sérieuses. Proclamer haut et fort que Michel retombe toujours dans une faiblesse, alors qu’en réalité il fait peut-être tout son possible pour l’éviter, peut l’amener à une terrible conclusion : « Que j’essaye ou non de m’améliorer, ça ne fait aucune différence pour Laurence. J’abandonne ! »

Il est bien plus affectueux d’éviter de manifester sa contrariété, ou au moins, de remercier Michel des réels progrès qu’il a accomplis : « Tu as si gentiment veillé à ranger tes clés ces derniers temps, que je suis surprise, ce matin, de les retrouver dans le salon ! ».

Cette remarque empreinte de reconnaissance, enlève la note glaciale d’un jugement.

L’affection doit sans cesse guider nos paroles et nos comportements en ménage, afin que nos différences ne deviennent pas des obstacles mais au contraire, qu’elles nous aident sur la voie de la perfection.

             Sophie de Lédinghen

 

 

 

Epoux unis ?

           Autour du mariage fleurissent un tas d’idées fausses. Les unes sont sombres, les autres colorées de rose ou de bleu d’azur… Il y a les faux sages, qui affirment que l’on se marie pour se « faire une fin », ou les faux résignés qui n’osent plus croire au bonheur et se replient sur eux-mêmes, ou encore les esprits pénétrés d’illusion (féminins surtout) pour qui le mariage est la fin des problèmes, le bonheur assuré ! Bref, d’un côté le mariage est un enfer, de l’autre c’est le paradis. Pour mettre tout le monde d’accord, on décrète enfin qu’il est une loterie. Cela explique tout !

Derrière ces jugements simplistes, les hommes n’en finissent pas de désirer le bonheur et de se tromper sur lui, parce qu’ils refusent d’accepter leur condition d’hommes, de tenir compte du péché et de leurs limites. Or le bonheur n’est pas un état, c’est une conquête. On ne le reçoit pas tout fait, on le fait soi-même. Sur la terre il n’est jamais pur car toujours mêlé de souffrance.

Alors, me direz-vous, cela n’existe donc pas, les foyers heureux ?

Les foyers heureux ne sont pas ceux que le deuil, les maladies, les difficultés matérielles, l’échec ne visitent jamais. Ce sont ceux où les époux sont bien accordés, ceux qui ne sont pas rongés par le doute mutuel, la tentation ; ceux où l’amour se fortifie et s’épanouit au long des jours, dans le pire comme dans le meilleur.

Reste que les époux ont chacun un passé différent qui les a modelés à sa façon, qu’ils ne parlent pas le même langage en se servant pourtant des mêmes mots ; qu’ils portent en eux des différences de tempérament entre lesquels l’harmonie n’est pas toujours aisée. Il est inévitable que chaque époux souffre par l’autre et fasse souffrir l’autre. Cela pourrait aboutir à des incompréhensions, ou crises graves de sentiment de solitude, alors que l’on vit sous le même toit, si un effort commun n’était pas entrepris pour réduire les oppositions de caractère, les équivoques de vocabulaire, pour accorder deux intelligences différentes, deux sensibilités inégales. Cet effort demande de l’attention, de la souplesse, de la patience, du courage… L’amour, croit-on, rend tout facile, mais c’est le mariage qui donne surtout les grâces, la force d’entamer cette lutte contre soi pour « retrouver l’autre ». Cette lutte est une vraie lutte ! On peut vraiment dire que l’amour conjugal est une mort à soi-même dont le combat durera probablement toute notre vie, et qui permet à notre amour de se transformer en charité. Aucun foyer n’échappe à cette loi de dépouillement : il n’y a pas d’union harmonieuse sans efforts onéreux !

Il y aura toujours assez de différences entre un homme et une femme pour les diviser, à moins que, par beaucoup d’humilité, de générosité, ils veuillent éviter que les désaccords superficiels ne fassent germer au fond de leurs cœurs une désunion mortelle. Qu’ils sachent rire l’un de l’autre et d’eux-mêmes : le rire est l’ennemi des venins cachés et des rancunes. L’humour, en allégeant l’atmosphère, est l’allié de l’amour. S’il ne détruit pas la souffrance, il l’apaise et l’empêche de devenir l’obstacle qui sépare sournoisement les âmes.

C’est au milieu de la vie, alors qu’on a réussi à aplanir depuis longtemps les premières difficultés, que l’égoïsme, prenant de nouveaux visages, risque de séparer, même à leur insu, les époux les plus unis. Il convient d’être vigilant, et de prier. Toute baisse de vie intérieure a sa répercussion immédiate au foyer. Seul le Sacrifice de la Messe peut donner cet esprit de sacrifice. Le mariage s’enracine, comme tous les sacrements, dans la Messe.

La muraille de nos complaisances, de notre mollesse, de notre ambition tente inlassablement de se reconstruire en nous…et une certaine fatigue y sert de mortier. Nous avons alors tendance à nous enfermer dans une sorte de prison intérieure. C’est le grand péril de l’âge mûr ! Certes les bonnes habitudes de prévenance, délicatesse, estime mutuelle sont prises, mais il n’est pas besoin de scènes violentes ni d’éloignement marqué pour que l’union cesse d’être vivante et profonde.

L’âge mûr est l’âge de l’ambition. L’homme qui se donne tout entier à son métier, à ses affaires, dans quelle mesure ne se cherche-t-il pas lui-même ? Et si son foyer souffre de ses absences de plus en plus longues, si sa femme le sent de plus en plus distrait, absorbé, nerveux, ne lui reproche-t-elle pas son égoïsme ? « Toi, tu ne penses qu’à tes enfants » lui rétorquera son mari agacé. Égoïsme aussi de ceux qui parlent toujours et ne savent plus écouter, égoïsme surtout de ceux qui se taisent et ne font plus l’effort de sortir d’eux-mêmes et de faire partager leurs idées ou sentiments. Les époux trop accaparés chacun par leurs responsabilités, trop « habitués l’un à l’autre » pour se mettre en frais l’un pour l’autre, risquent de mener deux vies parallèles et de ne plus jamais se rencontrer. Ils paraissent unis, et les voilà devenus des étrangers. On a désappris le sacrifice, qui, sous une forme ou sous une autre est tous les jours nécessaire. On veut préserver sa liberté ? Jusqu’où cela peut-il mener si une tentation venait à se présenter ?

Le plus attristant est de se rendre imperméable au regard de l’autre : les traits mêmes du visage de l’époux, les détails de son caractère nous deviennent imperceptibles. À force de vivre près de lui, nous ne distinguons plus rien de lui. Le simple jeu de l’habitude renforce ainsi la malfaisance de l’égoïsme et engendre la solitude.

C’est à l’approche de la vieillesse que cette opacité, fruit du péché, s’épaissit, si l’âme a manqué de générosité, si elle s’est dérobée aux souffrances légitimes qui purifient, qui maintiennent intacte la faculté d’accueil et de don. Heureux sont ceux qui ont su triompher de l’épreuve et de l’usure du quotidien ; ils n’ont pas laissé s’effacer l’image qui avait ébloui leur jeunesse ; ils ont gardé ce besoin d’admirer, cette faim de découverte qui les jetaient jadis l’un vers l’autre. C’est l’âme, et l’âme seule qu’ils s’appliquent à saisir à présent. Heureux ceux qui ont gardé assez de souplesse pour suivre l’autre dans ses transformations, pour marcher du même pas, vers le même but.

Dans les foyers unis, c’est-à-dire qui ont su souffrir pour leur bonheur, on s’aime beaucoup plus aux derniers jours qu’au début de la vie commune. Le foyer heureux et uni est celui où l’ascension au-delà de soi-même a été entreprise d’un même cœur par les deux époux et poursuivie dans l’héroïsme de la foi.

Sophie de Lédinghen 

 

 

 

S’aimer pour l’amour de Dieu

           « C’est par la qualité du cœur que nous valons, non par une sensibilité de surface, mais par l’aptitude à un grand amour, désintéressé, pur et fidèle. C’est là ce qui nous permet de dépasser l’égoïsme, c’est là ce qui nous introduit à une vie supérieure, c’est là ce qui finalement nous accorde à Dieu. »

Oh comme nous devrions faire nôtre cette belle pensée de Madeleine Daniélou !

Depuis le baptême, notre âme a soif de grandeur, elle aspire à Dieu et à tout ce qui lui ressemble…recherchant la perfection qu’elle s’efforce d’imiter à sa petite mesure. « La grandeur de l’âme consiste dans sa vertu » nous dit saint Augustin. Oui, c’est bien en travaillant les vertus chrétiennes que nous tendrons le mieux vers cet idéal, que nous deviendrons des saints pour l’amour de Dieu !

Dans le mariage, si notre amour mutuel est pur, loyal, si chacun se retrouve riche des beautés de l’autre, ajoutées aux siennes, vivant pour Dieu, alors cet amour ne sera pas de ceux qui périssent ! « Nous avons beaucoup à faire ensemble. Je crois fermement que c’est ensemble que nous arriverons à une meilleure connaissance de Dieu, et à vivre mieux dans son amour… J’ai demandé à Jésus de faire de notre foyer un Béthanie où il vivrait en ami au milieu de nous. Et je sais que déjà il aime notre foyer et veut nous réunir » écrivait le jeune Gérard de Cathelineau à sa fiancée. Forts de cette vie « ensemble », ne sommes-nous pas prêts librement, totalement, à concevoir cette vie commune sous la forme la plus sainte, la plus sacrifiée ?

Cela commence par une grande confiance car nous avons foi en le guide choisi : Notre-Seigneur. Ainsi, dès le départ nous acceptons les épreuves, les souffrances, tout ce qu’il a déjà prévu pour nous… et même la mort que nous ne craignons pas.

Notre amour est désintéressé, il ne pense qu’au bien de notre conjoint, gratuitement, quels qu’en soient les avantages, les honneurs, les conséquences. Il n’est ni envieux, ni critique, ni indélicat que ce soit en pensée, en parole ou en acte !

 « Affection qui trouve parfois chez nous tant d’écho de reconnaissance, de respect, d’élan, de retenue admirable et franche… 1»

Dans la vie de tous les jours, nous travaillerons notre volonté en ayant le goût du difficile (parce qu’il sanctifie davantage), la maîtrise des passions, la générosité d’âme en rendant les choses difficiles, aimables, désirables, leur ôtant leur austérité. Rien n’est plus beau que d’accomplir ces choses difficiles avec élégance et sans retour sur soi-même : aucune vulgarité, rancune, arrière-pensée…un don de soi total.

Qui dit don total, dit capacité d’un entier pardon. Il est parfois bien difficile de se montrer magnanime, et celui qui l’est véritablement, pardonne sans aucune aigreur intérieure, il excuse ceux qui le peinent avec compréhension. Les êtres capables de pardon sont vraiment des pacifiques ! Et le pardon, quand il est entier, purifie l’atmosphère, redécouvre les êtres, recrée la tendresse…N’oublions pas non plus la grandeur de celui qui se tait alors qu’on l’accuse injustement ou interprète faussement une attitude ou une parole. On pourrait l’accuser d’être lâche…Jésus a-t-il été lâche en ne répondant pas à Hérode ?! Traitons de même notre époux ainsi que tout notre entourage, et souvenons-nous que Dieu aura envers nous cette même mesure que nous aurons eue envers les autres.

Cet amour conjugal, que nous protégeons comme un trésor, nous ne pourrons le garder pour nous, tout naturellement il rayonnera dans notre famille, car il est communicatif ! Nos enfants seront imprégnés par la joie, et l’entente paisible et généreuse de leurs parents.

Amour fait de communion de pensée, de dévouement, d’harmonie, de compréhension, de prières ferventes et confiantes, d’une tendre affection qui ne cherchent qu’à se conformer au plan de Dieu.

« Nous serons riches d’amour, de générosité, de gaieté, nous aurons table ouverte à qui cognera, nous serons vraiment dans le royaume, le nôtre, et ce sera aussi le domaine de Dieu…1»

Ainsi comme toujours celui qui donne de la joie a plus de bonheur que celui qui en reçoit !

Inévitablement, cet amour conjugal vécu dans l’amour de Dieu rayonnera aussi à l’extérieur de notre foyer, répandant une joie paisible, entraînant par un exemple non ostentatoire et pur de tout orgueil ou intérêt personnel.

« Il y a l’apostolat par l’action, par la souffrance, par la prière. Il y a aussi l’amour des époux qui est, en soi, un apostolat. Mais il faut que ce soit un authentique amour. » (François Varillon)

Soyons assurés, par ailleurs, que cet apostolat aura de profondes répercussions sur notre vie intérieure elle-même, mais aussi sur notre vie conjugale et personnelle. Il nous incitera à un très grand effort de sanctification. Il nous formera à la patience, au détachement, à l’amour pur du prochain. Il nous apportera aussi les grandes et petites croix sans lesquelles une union vraiment intime avec Notre-Seigneur ne serait guère possible ! Ainsi le mariage est vraiment un entrainement réciproque à la sainteté.

Si les époux poursuivent côte à côte le même idéal, une harmonie parfaitement accordée émanera de leur vie tout entière. Le mariage est une chose si simple, si belle quand il y a union d’amitié…accord des volontés et des intelligences…quand deux cœurs tendent vers un même but, Dieu seul !

S. de Lédinghen

1 « Un officier français, Gérard de Cathelineau » Michel Gasnier, op (Nouvelles Editions Latines)