Au pays des contes à l’envers

Il était une fois un pays où l’on écrivait les contes à l’endroit. Dans ce pays-ci, le méchant loup, qui dévorait les agneaux, était chassé. L’ours, qui menaçait les troupeaux, était tué. Et puis un jour, des gens qui pensaient, assis dans leur bureau, bureau qui se trouvait dans un immeuble, immeuble situé au cœur d’une grande ville, ces gens-là se dirent : « Il est mauvais de chasser les loups, les lynx et les ours. Ils étaient dans notre pays bien avant nous. Ils ont donc le droit, bien plus que nous, d’occuper notre sol. D’ailleurs, nous préférons penser que tout être vivant étant égal à l’homme, c’est à l’homme de s’adapter. » Leur esprit se mit à fumer et, forts de leur idée révolutionnaire qui allait rétablir un ordre pour eux perdu, ces ronds de cuir écrivirent des lois, donnèrent des ordres pour que, à leur avis, la nature pût reprendre ses droits.

Les loups arrivèrent par l’Italie, dit-on. Quant aux ours, on les fit venir de Slovénie pour les réintroduire dans les Pyrénées. L’idée était merveilleuse. Ces ours de moyenne montagne furent lâchés sur les sommets. Il leur fut naturel de descendre vers des lieux plus cléments, habités par l’homme. Les Pyrénéens réagirent. Comment ? s’écria-t-on en haut lieu. L’homme menaçait la liberté de l’ours ? C’était indécent ! Inacceptable ! C’est pourquoi, depuis ce jour, dans ce pays, on commença à écrire les contes à l’envers.

Le loup arriva dans la forêt des Maures. Il s’y trouva bien, le territoire était vaste, le climat agréable ; les cours d’eau, c’est regrettable, étaient parfois réduits en été, à un filet mais il y avait des troupeaux. De beaux troupeaux de brebis et d’agneaux bien tendres. Ces brebis, nommées « museau rouge » en provençal, ne portent pas de cornes. C’est encore mieux, pensaient les novateurs, parce qu’un coup de corne de brebis, cela fait mal. Mais c’est moins bien pour se défendre. Notre loup rencontra une louve et fonda une meute. C’étaient les fantômes de la nuit. Ils avançaient sans bruit, comme en dansant sur leurs hautes pattes. De belles bêtes fourrées de gris et blanc. Crocs pointus, regard luisant, ils n’avaient qu’un seul défaut : il leur fallait manger. Comme la grand-mère du petit chaperon rouge n’était pas là, ils aimaient bien croquer un agneau. Ils n’avaient pas l’habitude de faire des méchouis. Non, les loups avaient des goûts simples, ils attaquaient, mordaient au cou et la victime, en quelques instants, se trouvait pantelante dans leur gueule.

Ils attaqueront nos enfants ! criaient les bonnes gens.

Mais les bonnes gens n’avaient pas de pouvoir, ils étaient relégués, mis de côté. Comment ? Se réclamer du bon sens ? Quel mauvais goût, quel manque de discernement ! N’avaient-ils donc pas lu dans les derniers avis que le pays avait changé de nom ? Un poète avait même rimaillé une nouvelle charte affichée sur les murs de chaque mairie. Ce ne fut pas suffisant pour faire changer les mentalités. On exigea donc que cette charte figure en bonne place dans chaque foyer. Ce texte, d’une valeur littéraire discutable, avait cependant l’avantage d’être clair. En voici quelques extraits :

Cet édit, vous le pensez bien, causa un brave trouble aux bonnes gens. Cependant, leur bon sens étant à toute épreuve, ils trouvèrent un moyen d’obéir sans céder. Le tableau, tenu par un clou vacillant, se trouva affiché la tête en bas sur le mur extérieur des maisons, où bientôt la pluie, le soleil et le vent en firent disparaître le texte.

Pendant ce temps, les loups progressaient. Les bergers imaginèrent de mêler les chiens élevés en même temps que les agneaux, à leurs troupeaux. Ces pauvres patous avaient beau veiller, aboyer, lutter, les meutes faisaient des ravages épisodiques. Ce n’était pas grave, les citadins haut placés pensaient qu’en donnant de l’argent aux bergers, le problème se tasserait. Mais les bergers manifestaient leur colère : « Nous n’élevons pas des brebis et des agneaux pour nourrir les loups ! Quelle colère, quel dégoût ! »

Seulement la forêt des Maures ne suffit bientôt plus à la nouvelle population canine. Elle émigra même dans les villes.

Il en fut de même dans les Pyrénées. Les gens de Paris avaient décidé de faire de cette région de montagne une sorte de réserve touristique. Les chemins de randonnée étaient entretenus, les troupeaux paissaient l’été, laissés plus ou moins à eux-mêmes ; les bergers étaient devenus des salariés qui bénéficiaient de leurs jours de congé obligatoires. Bref, les mentalités avaient bien changé. Seuls demeuraient quelques irréductibles qui se permirent, à leur tour, d’afficher leur charte sur les murs des maisons.

Dans ce pays des contes à l’envers, on vit bientôt des loups siéger dans les mairies et des ours enseigner dans les universités. Les sangliers piétinaient les jardins, les cerfs broutaient sur les chemins.

Les habitants ne pouvaient plus sortir et ne se faisaient plus entendre. Ils eurent alors recours aux bonnes vieilles méthodes, celles qui avaient été le guide de leurs grands-parents. Les églises étant habituellement fermées, peu desservies, ils s’en procurèrent les clefs et entrèrent en procession. Ils dépoussiérèrent les bancs, les allées, les statues. Les dames lavèrent les nappes et fleurirent les autels. Ils allumèrent des cierges, et, à défaut de présence réelle, ils se mirent à invoquer la Sainte Vierge et tous les saints. Mais la Sainte Vierge leur dit : « Comment ? Vous priez la mère et oubliez le Fils ? Comment ? Vous avez oublié que Jésus a confié les clés du royaume des Cieux à saint Pierre ? L’église est la maison de Dieu, allez chercher ses serviteurs, allez chercher les chefs du troupeau des fidèles. »

– Ah ! Pauvres de nous ! Comment allons-nous faire ? Bonne mère, les prêtres ont quitté leur soutane, certains sont allés hurler avec les loups, d’autres ont tout abandonné, perdus dans la forêt de leurs doutes.

– C’est vrai, leur répondit Marie. Mais si vous cherchez bien, vous trouverez les fidèles serviteurs de mon Fils. Ce ne sont pas ceux qui font le plus de bruit. Ils n’officient pas forcément dans de grandes et belles églises. Ils sont peut-être perdus au fond des bois ou au cœur des villes. Ils ont peut-être été rejetés comme la mer abandonne sur le rivage les restes d’un navire. « Cherchez et vous trouverez » a dit mon Fils.

Les Gaulois aiment discuter, disait déjà Jules César. Les Français n’en ont pas perdu l’habitude. Déjà de bonnes personnes ouvraient la bouche pour demander : « Mais à quoi les reconnaîtrons-nous ? » Alors la Sainte Vierge leva simplement les sourcils et tous comprirent : la conversation était terminée. Chacun fit un grand signe de croix. On souffla sur les cierges et sur les bougies. Et, dans toute la France, on sortit des églises. La nuit était tombée. Le ciel était d’un bleu profond et d’innombrables étoiles scintillaient. Tous entendirent au fond de leur cœur la même voix qui leur disait : « Levate capita vestra ! » et chacun obéit. Et cela suffit. Quand les bonnes gens reprirent leur chemin, une étoile brillait sur leur front. C’était la même étoile que celle qui brillait sur le front de saint Dominique, en plus petit, en plus discret. C’était une étoile légère comme la flamme des bougies, aussi claire, aussi belle, aussi fragile aussi. Il fallait certes la protéger des vents adverses mais elle avait la particularité de se fortifier dans la prière et les combats – car chaque prière est un combat et leur combat était une prière. Et ces nouveaux Chouans, ces chefs étoilés partirent à la recherche de leurs pasteurs. Ils ouvraient tout grand les yeux et c’était délicieux, rafraîchissant, d’avoir retrouvé son cœur d’enfant. Les faux bergers étaient tout ternes, les bons bergers avaient cette flamme au fond d’eux-mêmes. Et l’on recommença à prêcher. Et l’on recommença à prier. Les missions furent remises à l’honneur. Le peuple reprenait confiance, le peuple faisait un soulèvement silencieux. C’était une pluie d’étoiles.

Pour les chefs du pays des contes à l’envers, c’était insupportable. Il fallait que tout cela cesse. Ils organisèrent une véritable rencontre, un événement exceptionnel. De la Provence aux Pyrénées, des Alpes au Massif Central, des Vosges aux Ardennes et des Ardennes à la Bretagne, une journée de l’Egalité fut annoncée, prévue et minutieusement préparée. Pour ce jour mémorable, on choisit la date du 14 juillet, dite Fête Nationale. Tous les loups et les ours furent conviés, tous les personnages importants du pays furent réunis. Aucune étoile, hélas, ne brillait sur leur front. Le discours du président commença ainsi : « Si nous nous trouvons aujourd’hui ici, mes chers amis… »

Dès ces premiers mots, les loups grognèrent et les ours aussi. « Mes chers amis ! pensèrent-ils – car ces animaux-là pensaient – mais nous ne sommes pas et n’avons jamais été les amis de l’homme ! »

Cependant le président continuait : « Si nous sommes réunis, c’est pour témoigner aujourd’hui de l’égalité du loup et de l’homme, de l’ours et de l’homme et du loup et de l’ours. »

Le pauvre homme ne put dire un mot de plus.

Toutes les femmes se levèrent indignées : « Encore une fois, on ne parle pas de nous ! Nous sommes tenues pour rien, nous sommes rabaissées, invisibles, inexistantes !  »

Les loups et les ours n’ayant jamais tissé aucun lien d’amitié ni entre eux, ni avec personne, se rebellèrent en même temps.

Ce fut un fameux bouleversement, les animaux sauvages se livrèrent à un combat féroce, personne ne fut épargné, ni bête, ni être humain, sauf les plus intelligents qui partirent en courant. Ils courent et courent encore comme on l’écrit dans les contes de nos grand-mères.

Et c’est ainsi que notre pays put se remettre au travail pour remettre les choses et les contes à l’endroit, pas à pas, à pas d’amour, sous le regard de Dieu.

 

Sophie Oustallet

 

Apôtre de la Vierge Marie

Quand, le 27 novembre 1830, rue du Bac, la Sainte Vierge est apparue à sainte Catherine Labouré, elle lui a demandé de faire graver une médaille, en lui promettant ce qui suit : « Faites graver une médaille sur ce modèle. Les personnes qui la porteront avec confiance recevront de grandes grâces.»

Depuis lors, des grâces innombrables et de tous ordres ont été obtenues par ceux qui l’avaient reçue : protection, guérison, conversion… En France, et dans le monde entier.

« O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous » : par cette invocation, nous demandons à la Sainte Vierge les grâces qu’elle a reçues de son Fils et qu’elle veut nous donner. Nous en connaissons d’éclatantes, dans tous les domaines, citons seulement la fin de l’épidémie de choléra qui ravageait Paris en 1832, grâce à la distribution de nombreuses médailles, ou la conversion fulgurante d’Alphonse Ratisbonne, israélite très éloigné de la foi catholique. Ayant accepté de  mettre à son cou la médaille, et alors qu’il visitait une église à Rome, la Sainte Vierge lui est apparue comme elle est représentée sur la médaille, avec des rayons de lumière qui sortaient de ses mains.

Quelle meilleure méthode pour faire connaître et aimer Notre-Seigneur que de passer par sa Sainte Mère ?

C’est la conviction qui a guidé les fondateurs d’œuvres apostoliques comme la Milice de l’Immaculée ou la Légion de Marie. Ils ont ainsi fusionné leur désir d’apostolat concret et leur dévotion mariale.

Fondée en 1917 par le Père Maximilien Kolbe, la Milice de l’Immaculée est « une armée spirituelle au service de l’Immaculée dans la lutte pour le salut des âmes ». Les chevaliers de l’Immaculée ont pour but « la conversion des pécheurs », c’est-à-dire de tous ! Ils font don d’eux-mêmes à la Vierge Marie et portent la médaille miraculeuse.

Quelques années plus tard, en 1921, Franck Duff créait, en Irlande, la Légion de Marie ; en peu de temps, armée de la médaille miraculeuse, elle suscitait de très nombreuses conversions et d’innombrables baptêmes. Très rapidement, elle s’est développée dans le monde entier, portée par des apôtres comme Edel Quinn1 en Afrique, et par toutes sortes de catholiques comme vous et moi.

Un apostolat à la portée de tous ?

En effet, de bonne volonté, mais timides, maladroits, ou freinés par le respect humain, nous ne nous sentons pas toujours portés naturellement vers l’apostolat… Mais c’est oublier que, quand on travaille pour la Sainte Vierge, c’est elle qui agit. Il suffit de vouloir la contenter. Baptisés et confirmés, nous sommes ses enfants, et elle veut passer par les instruments imparfaits que nous sommes pour toucher les âmes et les cœurs. Dès lors, il suffit que nous cherchions, de notre mieux, à agir suivant ses intentions ; confiants en sa puissance, il faut nous unir à elle par la prière et essayer de regarder ceux que nous rencontrons, comme elle les regarde, avec un peu de l’amour qu’elle a pour leurs âmes.

Quand nous prions pour les âmes que nous rencontrons, c’est en réalité aux intentions de la Sainte Vierge que nous le faisons : nos prières appellent les grâces qu’elle veut leur donner2.

Et comment conduire les âmes à Jésus par Marie à travers les sacrements, vers les prêtres ?

La médaille de la rue du Bac, la Médaille Miraculeuse, est vraiment une arme privilégiée. Quand quelqu’un accepte de la recevoir, il l’introduit dans sa maison, et Notre-Dame y entre avec toutes ses grâces.

Régulièrement, par groupes de deux, nous sonnons aux portes : « Bonjour Monsieur, nous sommes catholiques, et nous vous offrons la Médaille Miraculeuse, la médaille de la Vierge Marie.»

Nous sommes surpris des réactions qu’elle suscite. Bien sûr, certains referment la porte sans vouloir discuter. Mais d’autres la gardent ouverte, écoutent ce que nous leur disons de l’apparition et de la médaille de la rue du Bac, et échangent avec nous.

Nous sommes chaque fois frappés et touchés par la misère des âmes : anciens catholiques qui se sont éloignés de la religion (combien y en a-t-il !), personnes âgées qui se disent catholiques, mais ne vont pas à l’église et ont oublié comment prier, jeunes indifférents et ignorants… Et puis tous les musulmans, les protestants, ceux qui sont tentés par l’hindouisme ou le bouddhisme, les œcuménistes de tout genre, ceux qui n’aiment pas l’Église, et ceux, nombreux, qui se sont fait leur religion personnelle. Sans oublier les « scientifiques » qui ne croient qu’en la science, les « philosophes » qui doutent et remettent tout en question…

Mais nous sommes souvent étonnés de voir que, de manière inattendue, beaucoup acceptent de recevoir la médaille, même des musulmans, ou des protestants !

N’avons-nous pas rencontré récemment une musulmane qui nous a demandé une médaille pour en faire cadeau à une amie catholique, et, la fois suivante, nous en a redemandé une autre…? Mais cette fois-ci, pour elle.

Chaque fois que nous le pouvons, nous poursuivons la discussion en nous mettant autant que possible à la portée de nos interlocuteurs : il faut les prendre tels qu’ils sont. Cela peut déboucher par exemple sur la remise du livret des « Prières du Chrétien », d’un petit catéchisme, ou d’un chapelet… En effet, s’ils commencent à prier, la Sainte Vierge a déjà presque gagné !

Quand nous sentons une ouverture, nous leur proposons de revenir les voir pour poursuivre notre échange.

C’est ainsi que certains acceptent de venir avec nous à la Messe (« C’est une nourriture du Bon Dieu », nous dit une dame qui n’avait pas communié depuis des années) : des personnes souffrantes ou âgées reçoivent la visite d’un prêtre qui les confesse et peut leur donner l’Extrême-Onction.

De jeunes parents qui, sans pratiquer, songent vaguement au baptême pour leurs enfants découvrent que c’est facile d’y parvenir grâce à nos prêtres ; et par la suite, ils découvriront qu’il existe non loin de chez eux une école vraiment catholique.

Ce sont parfois des histoires au long cours. Un homme reçoit chaque mois, depuis 5 ans, la visite de deux catholiques. Lors de notre première rencontre, il ne savait pas s’il était chrétien. Mais, touché par notre bienveillance, il a voulu nous revoir. Les visites suivantes ont permis de mieux le connaître sur le plan naturel, puis d’avoir avec lui des discussions plus spirituelles. Au bout d’un an, nous lui avons parlé des sacrements, il s’est confessé, puis a communié, et depuis lors nos discussions sont vraiment devenues profondes et nous reprenons ensemble le catéchisme. C’est une réelle progression que cet homme a vécue, même s’il reste fragile. Il est maintenant suivi par un prêtre.

Nous avons connu des déceptions, et de grandes joies aussi. Quand la situation devenait difficile, elle a toujours été débloquée grâce à Notre-Dame. Nous sommes émerveillés devant son action. Nous comprenons que c’est elle qui agit et que nous ne sommes que ses instruments.

Belle école pour nous ! Ainsi, la Sainte Vierge nous fait, nous aussi, progresser dans la confiance et l’abandon ; elle nous apprend à nous faire petits. Et, quand nous cherchons à convertir les âmes, à les rapprocher de la Sainte Vierge pour qu’elle les ramène à son Fils, c’est aussi nous qui sommes convertis par elle !

Notre-Dame nous apprend, de façon concrète, à travers les échecs ou le découragement – que nous pouvons ressentir après un contact qui semble sans fruits -, et à travers les nombreuses joies que nous rencontrons, à lever le regard vers elle, à la regarder dans sa foi, son humilité, sa charité, à nous appuyer sur elle et à nous rapprocher d’elle et de son Fils.

 

Catherine

1 Cf « Edel Quinn, une héroïne de l’apostolat » du Cardinal Suenens, Téqui

2 Selon l’esprit de la « vraie dévotion mariale » de saint Louis-Marie de Montfort

 

 

Accueillir l’infirmité  

« Au milieu d’une époque caractérisée par la confusion, l’égarement et l’erreur, ces enfants nous permettent d’étalonner nos perceptions et nos jugements en nous aidant à voir vrai et à hiérarchiser nos priorités. Ils sont un remède extrêmement puissant contre le monde artificiel que s’est fabriqué l’homme oublieux de son créateur. »1

 

Quand on ne connaît pas le handicap et notamment la déficience mentale, on a vite fait de se faire de fausses idées sur ce que sont les personnes handicapées2. De nos conversations avec Dominique Thisse1, nous avons tiré quelques idées simples, de nature à nous aider dans l’approche des handicapés et qui nous ont montré l’importance du choix de la structure d’accueil. Il est évident que ces généralités sont à prendre avec discernement dans la mesure où chacun de nos frères et sœurs, porteur de handicap est différent, bénéficie d’une capacité à comprendre le monde différent et par là d’une liberté différente.

 

Nous ne pouvons que recommander à toutes les familles qui ont reçu ce « don de Dieu » la lecture du livre récemment paru : « Une expérience familiale. Quinze ans après ».

 

Les auteurs constatent combien leurs trois filles sont porteuses de richesses familiales et spirituelles. Sans angélisme, ils partagent leurs expériences, leurs constats et leurs conclusions. Les pages ajoutées à cette nouvelle édition ont l’intérêt de rassurer les parents sur le devenir de leur enfant et de démontrer l’importance de trouver une solution adaptée pour son avenir. Quant au lecteur concerné moins directement, il découvrira alors comment porter un autre regard sur ces enfants, comprendra mieux le sermon des béatitudes, et aimera se mettre à l’école de ceux qui ont tant à nous apprendre !

 

Une école d’abandon

L’épreuve du handicap, qui constitue évidemment une très lourde souffrance pour une famille peut devenir aussi – si elle est saintement acceptée – source de grande grâce et route pour la sainteté !

« Au sein de nos familles atteintes par l’infirmité dans leur enfant, nos épreuves nous configurent, à notre humble mesure, aux souffrances du calvaire. De cette infirmité nous ne sommes pas responsables. Elle n’est pas une punition mais une grâce. Toutefois, nous sommes conscients des péchés des hommes, dont les nôtres, qui sont la seule cause du mal dont le monde est affligé. »

Elle exige en particulier de ses familles une confiance en Dieu quotidienne.

« O Jésus, aidez-nous, ainsi que notre enfant, à nous renoncer, à porter sans plainte ni vanité notre croix en vue de notre salut et du salut du monde, à garder notre espérance et à vous rester fidèles sans faillir.»

On sait ou on imagine sans mal, le risque que l’on prend à mettre ces enfants dans une atmosphère au mieux, froide et sans foi, au pire, viciée et nuisible pour son âme comme pour son corps ! Les parents et les familles concernés ont tous le désir d’offrir à ces enfants un cadre de vie qui sera non seulement adapté à leur déficience mais qui leur permettra l’existence équilibrée et heureuse qu’ils méritent : « Le résultat visé est commun à toutes les familles concernées : garantir à l’intéressé une vie aussi sereine que possible dans des conditions sans faille de sécurité physique et morale et dans une atmosphère catholique conforme à ce que la famille a toujours cherché pour ses membres. »

Cependant, la société actuelle n’offre qu’exceptionnellement des solutions durables. L’anxiété des parents qui n’ont pas de solution vivable au quotidien, qui vieillissent et se voient dans l’impossibilité de garder à la maison celui qui a besoin d’eux, est parfois un véritable défi quotidien. Mais Dieu n’abandonne pas ceux qu’Il aime et la Fondation Sainte Jeanne de Valois, manifestement bénie par la Providence, leur sera d’un grand soutien.

 

De quelques qualités spécifiques de ces enfants :

 

La simplicité

On pourrait facilement croire que les handicapés sont naturellement bons, honnêtes, pieux, généreux etc. Oui, dans une certaine mesure… Ils ont aussi gardé les traces du péché originel et sont sujets aux mêmes travers que nous. Il en est de généreux et de paresseux, il en est des pieux et d’autres indifférents et, en fonction de la profondeur de leur handicap, ils peuvent plus ou moins se corriger et peuvent être aidés à le faire… En revanche, il existe une qualité qu’ils partagent avec les jeunes enfants et qu’il est essentiel de leur préserver, c’est la simplicité. Comme des enfants, nos frères et sœurs porteurs de handicaps sont simples ou maladroitement calculateurs, comme des enfants, leurs ficelles sont grosses et maladroites et peuvent généralement être aisément corrigées par une pédagogie adaptée. Il est essentiel de préserver cette simplicité en veillant à toujours les mettre à la place à laquelle ils doivent être. Ils ont besoin d’être aimés, de se sentir pris en compte mais surtout pas d’être exposés, vantés, présentés comme des bêtes curieuses. Leur simplicité pourrait ne pas y résister.

 

La pureté

Et face à la tentation, comment sont-ils ? Globalement, on constate que nos frères différents sont à la fois peu tentés naturellement mais vulnérables quand on les expose à la tentation. Notre Dieu ne les a pas faits pour être exposés aux tentations du monde et il importe gravement de les en protéger. Mettre à leur disposition une connexion internet sans surveillance est un risque que ne doivent pas prendre ceux qui ont en charge des personnes porteuses de handicap. Ils risqueraient de les voir se pervertir « innocemment » et de tomber dans des déséquilibres catastrophiques. Nous avons connu nous-même un jeune trisomique abandonné dans un univers trop lourd pour lui, gravement blessé par une tentative de suicide. Là aussi, comme des enfants, nos frères doivent être protégés, n’ayant pas le discernement nécessaire pour refuser ce qui doit l’être. C’est d’ailleurs en soi une raison suffisante pour être extrêmement vigilant quant aux maisons où placer ces enfants…

Une nouvelle maison près de Dinan

La fondation Sainte Jeanne de Valois, citée par  A-C de Bussy dans son article3 a le projet d’ouvrir plusieurs maisons en France afin d’offrir aux familles la possibilité d’y confier leurs enfants à une distance raisonnable de leur maison familiale pour y retrouver facilement et régulièrement les leurs.

En ce début d’année 2023, c’est la Bretagne qui aura la grâce de l’ouverture d’une nouvelle maison près de Dinan – Saint Malo. Cette maison destinée à accueillir 11 personnes porteuses de handicaps ouvrira ses portes d’ici trois mois dans de beaux bâtiments adaptés, avec un encadrement compétent et une aumônerie.

 

Le but est d’accueillir des personnes porteuses de handicap dans un cadre familial et paroissial. La vie quotidienne commencera et se finira par la prière, des activités seront organisées pour occuper et faire progresser les résidents. Ils auront la possibilité d’aller à la messe au moins une fois par semaine en plus du dimanche. Un aumônier les accompagnera autant que nécessaire pour qu’ils puissent mener une sainte vie catholique.

 

Bien entendu, pour ouvrir, cette maison a besoin de nos prières. Pourquoi ne pas ajouter une invocation à sainte Jeanne de Valois à notre prière quotidienne ?

N’hésitez pas à être l’instrument de la Providence en présentant cette œuvre à ceux qu’elle pourrait aider ! Toute offre ou bonnes volontés sont bienvenues ; si vous voulez nous aider, vous pouvez aussi nous contacter :

 

Maison Saint Colomban – Le val Hervelin 22690 Pleudihen sur Rance

06 24 55 19 38

contact@maisonsaintcolomban.fr

www.maisonsaintcolomban.fr

Clovis Lefranc

 

 

1 Extraits du livre paru une première fois aux éditions Clovis en 2008, sous le titre Une expérience familiale, Louis Sabine Collet. Cette version a été complétée et enrichie en 2022 sous le titre Une expérience familiale. Quinze ans après par Dominique et Geneviève Thisse et est édité chez Chiré. Ils sont les fondateurs de la Fondation Sainte Jeanne de Valois.

2 Nous encourageons aussi le visionnage du DVD « Au plus petit d’entre les miens » sur la vie du professeur Lejeune et diffusé par la fondation Jérôme Lejeune sur son site.

 

L’éveil au beau

Nous transcrivons ici quelques extraits d’une conférence donnée par Marie de Corsac

« Je crois que les œuvres vivent. Elles nous communiquent leur vie et elles reçoivent leur vie de nous. Ce sont des âmes silencieuses.»

« L’Amour est présent au cœur de toute Beauté.»                                                                                                      

Dominique Ponnau                                                                                                                                                                     (Historien de l’art, Directeur honoraire de l’Ecole du Louvre)

  Les plus anciennes images conservées en ce monde proviennent des grottes ornées de la Préhistoire. Le décor de la grotte Chauvet en Ardèche (découverte en 1994), révèle la maîtrise exceptionnelle des artistes de jadis. La main de l’homme paléolithique est sûre, entraînée, inspirée. Son sujet est l’animal en course qu’il admire. L’esprit ayant composé ces vastes créations est imprégné de beauté, de respect, de religiosité et d’émerveillements. Depuis toujours, l’homme sait regarder longuement la nature. Il sait que l’œuvre est porteuse d’éternité. Et pendant des siècles, cet art va se répéter, se transmettre. L’art est indissociable de la vie humaine, il a joué un rôle essentiel dans le développement de notre humanité, c’est pourquoi il est essentiel d’éduquer au Beau le tout-petit car son âme enrichie se dispose ainsi à de justes enthousiasmes. « Enthousiasme » c’est : « avoir Dieu en soi ».

L’éveil au beau dès le plus jeune âge

Le Beau imprègne la mémoire la plus tendre, il laisse des impressions fortes, inoubliables, heureuses. Il est un socle pour l’avenir. Il se ressent, il s’apprend. Une chose est sûre : il n’y a pas une minute à perdre ! Une promenade dans la forêt, l’admiration pour de vieux murs, un bel objet sont aussi formateurs qu’une œuvre d’art. Lorsque j’étais enfant, Maman me disait : « Regarde comme c’est beau » ! Créant une sorte d’électrochoc dans ma mémoire !

Pourquoi une chambre d’enfant n’aurait-elle pas un tableau au mur plutôt qu’une cloison entièrement blanche ? Un paysage aux couleurs fraîches ? Une scène de Fra Angelico, une Annonciation ? Pensez à l’éveil de la curiosité du bébé, ensuite aux longues heures de l’hiver où les jeux deviennent intérieurs, ou bien pendant une courte maladie qui donne le temps de détailler les couleurs, les formes, le sujet, jusqu’à compter chaque berger dans une Nativité ! Le Beau s’inscrit dans la mémoire visuelle et dans l’âme par imprégnation.

Le don de l’observation chez l’enfant

Quelques exemples :

Un de nos petits élèves, de cinq ans, détaillant l’Adoration des bergers (peinte vers 1540) de l’artiste vénitien, Lorenzo Lotto (1483-1557) s’attardait devant les costumes, les animaux éparpillés, les attitudes des protagonistes. Il avait aimé l’image dès ses deux ans car « il y avait beaucoup de choses à regarder » ! L’image dense, lumineuse occupait et intriguait son esprit. Elle le faisait réfléchir ! Il voyait ! Pourquoi la Vierge est-elle agenouillée dans la mangeoire et non à côté de celle-ci ? Pourquoi Marie est-elle si grande ? Si elle se redressait, elle dépasserait la taille des bergers ! Que signifient la croix dans la fenêtre et la lumière montante du soleil en arrière plan ? Pourquoi le berceau est-il hérissé de pointes ? Pourquoi Jésus est-il allongé sur un linge blanc, étirant ses petits bras vers un agneau bouclé, comme la tête blonde du Christ ? …

Certaines réponses venaient logiquement, fusaient, à l’esprit du jeune observateur et du nôtre aussi ! Toutes ces interrogations sont extrêmement formatrices. On devine que Marie est protectrice et miséricordieuse. Si elle se levait, le pèlerin de cette vie pourrait trouver un refuge dans les plis de son manteau. Les pointes acérées de la litière de l’Enfant sont annonciatrices des souffrances de la couronne d’épines. Le linge blanc prophétise le linceul du Christ, sa mise au tombeau, sa résurrection. Il est la nappe de l’autel recevant l’hostie. L’agneau est celui du divin sacrifice et Jésus est identifié à lui par cette continuité du motif de la toison dorée et bouclée… Il existe une logique dans la disposition des images: découvrir cette cohérence est une façon de nourrir nos capacités d’abstraction, d’analyse et de communication. L’image peut guider le raisonnement puis livrer une sagesse, un enseignement.

Ne pas sous-estimer la force des images

Les livres illustrés destinés à la jeunesse sont de bien inégale qualité : autant qu’au texte, il faut être attentif à la poésie de l’image : elle est parlante. Comment ne pas oublier les belles narrations des albums du Père Castor heureusement réédités. Regardez les moindres détails de l’intérieur de la maison de Poule Rousse ! Le portrait du coq sur le mur du salon ! Il faut qu’un enfant apprenne à voir, stimule sa curiosité. Le pittoresque attire le regard et se retient.

Les enlumineurs du Moyen-âge peignaient une scène drolatique dans les marges des manuscrits afin que le pittoresque permette la mémorisation du texte lui faisant face. C’était un principe ancien appliqué aux chapiteaux romans historiés pour dénoncer un vice, un travers de l’homme : l’humour des sculptures rendait abordable, attrayante, non douloureuse la leçon. L’image est puissante, elle peut dire plus que les mots. Elle parle silencieusement. Pensons au chapiteau de la dispute du musée Sainte Croix de Poitiers. L’Eglise du temps essayait d’attendrir les mœurs, promouvait l’influence pacificatrice de la femme.

Oser visiter des musées

Une petite écolière de sept ou huit ans écoutait intensément mon explication du saint Joseph charpentier de Georges de La Tour. A quoi pouvait-elle penser avec tant d’application ? Sa réponse fut la suivante, d’une maturité et d’une vérité étonnantes : « je regarde pour apprendre, je veux apprendre pour comprendre, je veux comprendre pour toujours retenir »… Aussi l’adulte ne doit-il pas rester trop évasif pour combler l’attente de l’enfant ! Et souvent nous découvrons en même temps qu’eux ! Tous les détails ont un sens. On ne sait que répondre ? Eh bien, regardons et posons des questions devant l’œuvre, décrivons-la doucement à voix haute. Le musée donne l’œuvre hors contexte, la privant de sa fonction initiale. Il faut imaginer le tableau ailleurs, environné d’une autre ambiance, de respect, de foi. Essayons de nous transporter dans son univers d’origine, au XVIIème siècle, dans une chapelle privée où l’on célébrait l’office ou dans le couvent des Carmes déchaussés de Metz dont il semble provenir.

  La scène est un nocturne pour justement encourager à la méditation. L’Enfant du tableau vient de parler au vieux Joseph. Est-ce Jésus qui apprend-là simplement le métier dans l’atelier de l’artisan ? Pourquoi tant de lumière sur son visage plutôt que sur celui de l’ancien ? Le sens se découvre progressivement sous la forme d’une enquête. Pensons à la très riche symbolique de la lumière : elle est vérité, elle est enseignement, elle se propage. La bougie allumée est l’image de la vie. La flamme répand sa chaleur et illumine. Entre les mains du Christ enfant, n’y a-t-il pas la prémonition de sa prochaine mission sur terre ? Mais elle est encore cachée. L’ardeur du feu indique un cœur brûlant d’Amour prêt à se donner et à rayonner. L’image est un catéchisme. La flamme est encore la divinité du Christ, non encore manifestée. Elle filtre entre ses doigts.

Et pourquoi saint Joseph appuie t-il sur une tarière, prête à percer le bois de la poutre ? Les peintres aiment révéler les buts de l’Incarnation par des objets habilement disséminés dans leur composition. Le Christ est venu sauver les hommes par le Sacrifice de la croix : et l’on comprend que ce pan de bois est une préfiguration de la Crucifixion. Mais, pour le moment l’avenir est suggéré, il est entre les mains de Dieu. Georges de La Tour rend le passage du temps par la proximité entre les deux âges : la lisse jeunesse de l’Enfant, la vieillesse rugueuse de l’homme, dont la peau ridée, tannée est marquée par les ans. Le XVIIème siècle aimait rappeler à l’homme que la vie passait vite et qu’il devait envisager son salut. Crânes, bougies, sabliers, fleurs et papillons étaient des avertissements pour qu’il considère sa fragilité… Le tableau nous dit aussi que nous devons être concernés par ce message, le rendre présent, le réactualiser.

L’art a un rôle dans l’éducation de l’homme. Il encourage, il stimule le travail, l’obéissance, le silence, la piété, l’espérance. L’art joue un rôle essentiel dans ce que nous sommes. Saint Joseph charpentier reflète le monde intérieur de l’homme et sert de modèle à celui qui veut grandir.

La conclusion, tirons-là d’une réflexion d’un garçon de 6e

L’année dernière, avant Noël, afin de compléter la culture d’une classe de 30 élèves dans un collège de quartier, le cours porta sur les représentations de Nativités dans l’œuvre de Fra Angelico (1400-1455). Par le biais des questions, il fallait faire progresser la curiosité et le raisonnement des enfants. Pourquoi le moine dominicain osait-il, dans sa Nativité du couvent San Marco, poser Jésus nu, sur un sol dont la couleur évoquait nettement la froidure ?… Aucune mère ne commettrait une telle imprudence. C’est pourquoi le moine veut que nous découvrions les multiples raisons de ce parti pris. Le sens progresse par le jeu des analogies et des comparaisons. Il faut savoir s’étonner.

  Les réponses suivantes furent avancées par les écoliers dont beaucoup étaient ignorants de la religion chrétienne. Premièrement, le Christ est venu au monde pour souffrir. Deuxièmement, il vivra dans la pauvreté, le « dénuement ». La troisième raison fut annoncée par un petit baptisé : « si l’Enfant est nu, c’est que le peintre veut que nous voyions Dieu incarné et vraiment homme. Il a le vrai corps d’un petit bébé ».               

Tout cela était juste et nous allions nous arrêter à ces réponses quand une main se leva. « L’Enfant est nu comme Adam l’était au paradis avant la faute. Sa nudité indique la pureté, la parfaite innocence de Jésus » (le Nouvel Adam).                                                                                                                                                                                                                                     

Je n’avais jamais lu cette raison. D’où venait ce collégien ? Je l’ignore. Il avait appris dans sa famille à aimer Jésus, à regarder et à réfléchir… Il avait compris plus que les autres.

«…Et vous, leur dit-il, qui dites-vous que je suis? Simon Pierre répondit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. Jésus, reprenant la parole, lui dit : Tu es heureux, Simon, fils de Jonas; car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais c’est mon Père qui est dans les cieux…. »1                   

Marie de Corsac, conférencière

 

Bibliographie

Dominique Ponnau, La Beauté comme sacerdoce, 2004

Georges Didi-Huberman, Fra Angelico, Dissemblance et figuration, 2009

Sophie de Gourcy, Apprendre à voir la Nativité, Desclée de Brouwer, 2016

Régine Pernoud, La Femme au temps des cathédrales, 1980

 

Le martyr

Ouvrons notre martyrologe, et parcourons -en les fêtes. Le 21 janvier est fêtée sainte Agnès, vierge morte à l’âge de 13 ans ; au 18 mai est fêté saint Venant, au 7 juin sainte Blandine et ses compagnons, au 3 août saint Étienne, au 27 septembre saints Côme et Damien, au 27 novembre saint Jacques, au 13 décembre sainte Lucie. Ce ne sont là qu’une infime partie des saints que l’Eglise honore du titre de martyr, c’est-à-dire de « Témoin ». Ils sont d’âges et de condition sociale divers, jeunes ou vieux, pauvres ou riches, mais tous ont en commun d’avoir été mis à mort en raison de leur amour pour Dieu. Ils sont, pour beaucoup, d’une autre époque, mais n’en restent pas moins extraordinairement actuels. Beaucoup sommes-nous à les admirer comme des personnages d’un autre monde, un peu à la manière des héros des fictions modernes, sans chercher davantage à les imiter ou à apprendre de leur vie. La grandeur de leur amour pour Dieu les éloigne de nous, alors qu’elle devrait nous aspirer vers le Ciel. Attardons-nous donc un instant sur ce personnage du martyr en commençant par le définir, puis en l’opposant à la vision de religions et idéologies non chrétiennes, et enfin en rappelant certains points sur l’acte du martyre.

 

Qu’est-ce qu’un martyr ?

Le terme tire son étymologie du grec « marturos » : « témoin1 ». On parle jusqu’au XIème siècle de « martre », que l’on retrouve en toponymie dans le mot Montmartre : mont des martyrs. La forme finale de martyr est ensuite préférée pour éviter toute confusion avec l’animal.

Le martyr est l’homme qui, en haine de Dieu et de ses vertus (Vérité, Justice, …), est mis à mort, ou subit des souffrances qui auraient dû le faire mourir : saint Jean est par exemple appelé martyr alors qu’il est mort de vieillesse, mais il a auparavant miraculeusement survécu à un bain d’huile bouillante. Dans l’antiquité de l’Eglise, seuls les martyrs étaient considérés comme saints, ayant prouvé à travers les souffrances inouïes des persécutions leur véritable amour de Dieu. Il existe deux types de martyrs, si l’on peut ainsi dire. Les premiers sont ceux qui, avant d’être mis à mort, supportent les souffrances infligées par leurs bourreaux sans renier leur amour de Dieu. L’Histoire regorge d’exemples extraordinaires et édifiants de ces chrétiens restés fermes dans leur Foi malgré les cruautés extrêmes de leurs persécuteurs. Les seconds sont les chrétiens qui, tués en haine de Dieu, n’ont pas à proprement parler à défendre leur Foi. Leurs bourreaux ne cherchent pas à les faire renier, mais simplement à les éliminer parce que chrétiens. Dans ce cas, le titre de martyr leur est également attribué s’il est attesté qu’ils ont, sans doute possible, accepté de mourir pour Dieu.

 

Le martyr chez les non-chrétiens

Dans sa Somme théologique2, saint Thomas d’Aquin s’interroge sur l’acte de martyre, et met en lumière le côté à la fois héroïque et surnaturel de cet acte. Tout le monde reconnaît que l’homme prêt à mourir pour une cause est digne de louange et de respect, puisqu’il fait le don de sa vie là où tant d’autres préfèrent abandonner et sauver leur peau. Mais il serait injuste de ne voir dans le martyr qu’un simple héros parmi tant d’autres, mort pour une cause humaine, éphémère et parfois immorale. Le héros humain meurt en effet par amour de la patrie, par amour de l’autre, par amour de l’honneur ou encore par amour du danger, tandis que le martyr meurt par amour pour Dieu et de ce qui s’y rapporte. Les deux buts sont infiniment éloignés, et le moindre martyr dépasse ainsi le plus grand des héros : « Le martyre est par nature le plus parfait des actes humains, comme témoignant de la plus grande charité »3. Le spectacle des légions de chrétiens morts en saints pour l’amour de Dieu n’a pas manqué de frapper les non-croyants, à tel point que le terme même de « martyr » se retrouve couramment pour désigner soit un homme qui donne sa vie pour une cause, soit un homme soumis à de très grandes souffrances. Le dictionnaire universel de Furetière, de 1690, définit ainsi le « martyr » pour les non-chrétiens : « se dit abusivement des hérétiques et des païens qui souffrent pour la défense de leur fausse religion, et qui se sacrifient à leurs idoles ».

 

Le titre de « martyr » a cela de commode, pour les non-chrétiens, qu’il permet surtout de donner une légitimité à une idéologie. Par exemple, le Parti Communiste français n’a cessé de mettre en avant ses « martyrs » morts pendant la Résistance, soi-disant pour la défense de la France et des français, justifiant ainsi les assassinats faits sur ordre et occultant les sabotages effectués contre l’armée française au début de la guerre, sur ordre de Moscou. Le contraste est encore plus flagrant si l’on se penche sur la notion de martyr telle quelle est utilisée dans une religion comme l’Islam. « Martyr » revêt de multiples sens, le premier désignant l’homme « qui meurt ou se blesse et meurt de sa blessure dans une bataille menée pour la cause d’Allah »4. Les autres s’appliquent à différents types de morts telles que la maladie, l’écrasement sous les décombres, la mort en défendant ses biens, etc… On pourrait presque résumer en donnant le titre de martyr à tout musulman qui décède.

Il ne faut en définitive pas confondre la vertu de Force, qui nous est une grâce de Dieu, avec la force humaine, fruit du caractère de chacun et d’efforts purement humains. Le seul vrai martyr est chrétien, les autres ne le sont que par abus de langage ou détournement de sens.

 

Devenir martyr

Selon une étude publiée en janvier 2022 par l’ONG Portes Ouvertes, plus de 360 millions de chrétiens sont persécutés à travers le monde, soumis à des atteintes allant de « l’oppression quotidienne discrète » (vexations, interdits divers5)  aux « violences les plus extrêmes » (mort6). Les chiffres officiels de 2021, ne comptant que les cas documentés, recensent pour cette année 5.898 meurtres de chrétiens, tués en raison de leur religion. La probabilité d’être mis à mort pour sa Foi reste faible, en fonction du pays où l’on se trouve, mais existe bien. L’assassinat du Père Hamel en 2016, en Seine-Maritime, est frappant justement parce qu’il est comme une exception chez nous. Cependant, malgré sa relative rareté, le martyre doit rester comme une balise pour le chrétien. Il est, en effet, nous l’avons déjà dit, l’expression la plus parfaite de l’amour de l’homme pour son Créateur : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime »7.  

Il en résulte que le chrétien doit être prêt, à tout instant, à donner sa vie par amour de Dieu ; autrement, sa Charité serait-elle sincère ? « Celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de la bonne nouvelle la sauvera »8, nous rappelle Notre Seigneur. La réaction naturelle du chrétien peut alors être l’appréhension, la crainte de ne pas aimer assez Dieu, la peur de reculer par amour de la vie. C’est oublier que le martyre est une grâce donnée par Dieu, qui ne donne jamais d’épreuve au-dessus de nos forces, sans nous procurer son soutien : « Dieu, qui est fidèle, ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces »9. Le martyre ne dépend donc pas d’une quelconque force humaine. Il suffit de lire quelques pages du martyrologe pour trouver des exemples d’enfants, de jeunes gens et jeunes filles qui,  timides et faibles d’apparence, ont subi des souffrances indescriptibles sans renier Dieu. Le plus dur, pour la nature humaine blessée, est de saisir cette grâce divine et de la laisser agir en nous.  

 

Cela signifie-t-il qu’il suffit d’attendre la grâce de Dieu, et de laisser faire ? Ce n’est bien évidemment pas le cas, car la grâce ne peut agir si elle ne trouve un terreau favorable dans l’âme choisie. Il est difficile, même si rien n’est impossible à la grâce, de rester ferme devant les bourreaux si l’on ne s’est jamais rien refusé, si l’on n’a développé un certain amour de Dieu et une certaine endurance à la pénitence et à la souffrance, un certain amour de la Vérité et des choses du Ciel. Nous ne sommes pas tous appelés à témoigner, au prix de notre vie, de notre Foi devant les ennemis de Dieu, mais nous ferions de bien piètres chrétiens si nous ne nous y préparons un tant soit peu, chacun selon nos capacités. La grâce de Dieu pourvoira au reste, pourvu que nous n’y mettions pas d’obstacles.

 

Les siècles ont passé depuis le temps des catacombes et des chrétiens jetés en pâture aux bêtes du cirque, mais chaque époque compte son lot de martyrs et de témoins du Christ. C’est aujourd’hui au Moyen-Orient et en Asie que l’Eglise souffre le plus : pouvons-nous affirmer que ce ne sera pas demain au tour des pays d’Europe ? Dieu nous en garde, mais Lui seul décide de nos épreuves. Si le moment vient pour nous de témoigner de notre Foi et de notre amour de Dieu, que ce soit veillant et prêts à recevoir la grâce du Créateur, tels les serviteurs de la parabole que le Maître trouve debout à son retour. Faisons notre part, Il fera la sienne : « les hommes d’armes batailleront, et Dieu donnera la victoire ».

 

Un animateur du MJCF

 

1 A ne pas confondre avec « Martyre » : le « témoignage »

2 2nda 2ndae, q.124

3 2nda, 2ndae, q.124 art.3

4 http://www.3ilmchar3i.net/article-la-signification-du-martyr-chahid-89224564.html

5 NDR

6 NDR

7 Jean, XV, 13

8 Marc, VIII, 35

9 1 Cor. X, 13