Rien ne sert « à rien »

L’historien catholique qui se prend à réfléchir en essayant de comprendre l’économie du Bon Dieu à travers l’Histoire, peut être pris de vertige !

Tout d’abord, l’idée que toute action de l’Histoire de l’Homme a des conséquences innombrables au point de vue politique, économique, spirituel, sur des millions de vies, laisse perplexe !

Si tel chef d’Etat n’avait pas réagi ainsi, le cours de l’Histoire en aurait été changé.

Si telle décision avait été prise, cette guerre aurait été évitée.

Si l’ascension de tel tyran avait été freinée, combien de vies auraient été sauvées…

Cela a d’ailleurs été le thème de maintes dystopies plus ou moins réussies. En effet, avec notre intelligence humaine très limitée, nous ne mesurons qu’après coup, quelles catastrophes auraient pu être évitées, quel apostolat aurait pu être réalisé, quel bien aurait pu être fait.  Quel dommage ! 

Notre vertige est d’autant plus grand quand on réalise que le Bon Dieu a permis cela, qu’Il n’est pas intervenu, que le Mal n’a pas été endigué, comme nous l’aurions souhaité.

C’est le mystère de la grande économie du Salut, et nous sommes tout à fait incapables de le concevoir, mais Dieu, dans sa toute-puissance, a tout entièrement organisé : nous savons, par les vertus de Foi et d’Espérance, que la volonté divine a permis que tout se passe ainsi, que si le scandale de la Croix paraît se renouveler fréquemment par le triomphe apparent des malfaisants sur cette terre, cependant Dieu vaincra le monde !

Tout compte pour le bonheur éternel de l’Homme, et c’est grâce à la souffrance des bons et aux mérites de la Croix que le triomphe du Bien est assuré.

C’est cela qui fait la fierté et la stabilité de nos convictions !

Nous savons en tant que catholiques que tout concourt à la victoire du Bien, que cette victoire nous a été promise par notre Créateur et parachevée par Lui sur la croix, et que rien ne sert « à rien ».

 

Ne nous décourageons pas !

Certains d’entre nous, plus lucides que la majorité, pourraient se décourager devant l’état de déliquescence de notre civilisation chrétienne occidentale. De ce fait, une certaine langueur les atteint, qui les freine dans leur action ou dans le développement de leurs talents personnels.

William J. Slattery, loin de leur donner raison, leur énonce des raisons d’espérer1 :

« Plutôt que de considérer l’Eglise comme quelque chose d’ancien, avec la tentation de se dire que sa jeunesse et sa maturité créative sont derrière elle, nous prenons conscience qu’elle n’est peut-être pas encore sortie de l’enfance. 

Il y a une chose que nous savons avec certitude : l’Eglise du Christ divinement constituée porte en elle une sagesse et une énergie dotées d’une éternelle jeunesse. Ni la persécution, ni les chefs incapables ou corrompus, ni les catastrophes de l’Histoire ne parviendront jamais à la dévitaliser. « La Chrétienté a subi un certain nombre de bouleversements dont le christianisme est mort chaque fois, écrivait Chesterton. Il est mort et s’est relevé de chacune de ses morts, car son Dieu sait comment on sort du tombeau ». Sa vitalité, si manifeste dans son passage des catacombes aux cathédrales du premier millénaire, la rend pleinement apte à mener une autre lutte herculéenne pour faire naître une nouvelle civilisation chrétienne. Nécessairement nouvelle – abandonnons les illusions – parce que la « civilisation occidentale » d’aujourd’hui, devenue culture globale dominante, s’empresse de se débarrasser de tous les symboles chrétiens publics, éliminant la morale chrétienne de ses institutions, de ses programmes éducatifs et de sa conscience médicale ; elle aura bientôt achevé de détruire jusqu’à l’esprit chrétien qui seul consolidait ses fondations. L’Occident s’est tragiquement condamné lui-même, et il n’apparaît pas qu’il soit récupérable.

La nouvelle civilisation chrétienne peut commencer n’importe où. Peut-être même, une fois de plus, en Occident, en Amérique et en Europe. Car cette société en décomposition compte des hommes et des femmes au cœur ardent, entièrement convaincus que Jésus-Christ est le Seigneur de toutes les dimensions de la vie ; des minorités créatives qui œuvrent à faire renaître de ses cendres le phénix des idéaux sociaux-chrétiens ; qui, encore aujourd’hui, jour après jour, prient, étudient, parlent et agissent pour construire sur la vérité une culture de vie et un ordre de liberté centrés sur le Christ. (…)

La tâche de bâtir une civilisation chrétienne peut paraître décourageante, mais nous pouvons agir en nous rappelant comment elle a été construite la première fois : sous l’impulsion de la conviction que Jésus-Christ est le seul sauveur de l’humanité, qu’il n’y a que dans la foi catholique que l’homme peut trouver la plénitude de la vérité ; qu’il ne peut y avoir de paix avec la dictature du relativisme ; que ni le syncrétisme ni le faux œcuménisme ne sont envisageables ; que l’amour du catholicisme pour Dieu, pour chaque homme et pour chaque femme en fait une religion ouverte sur le monde qui propose « l’antique vérité » à tous, avec ardeur et intelligence ; et que chacun de nous a un rôle à jouer.

Car une civilisation est construite ou détruite non pas par des réalités sans nom, mais par la force des actions cumulées d’individus qui changent les choses parce qu’ils font usage de leur créativité, de leur liberté avec le soutien de la grâce sanctifiante. Avant toute révolution sociale, il faut une révolution intérieure. C’est dans l’âme que l’histoire est faite, dans ce sanctuaire secret où toute la puissance des hommes politiques, des législateurs, des militaires et des médias des régimes totalitaires est toujours réduite à néant. Et ce sanctuaire est la raison d’être du catholicisme : c’est dans la mesure où il y pénètre avec les vérités divines, la sanctifiant avec la vie surnaturelle et la guidant vers l’union avec Dieu dans le Corps Mystique du Christ qu’il devient l’irremplaçable bâtisseur d’une civilisation véritablement chrétienne.

Dans cette mission la plus urgente, la plus cruciale – car qu’y a-t-il de plus urgent, de plus crucial que le salut éternel ou la damnation ? – le catholique devra défier les forces d’un monde hostile au Christ et être défié par elles. (…)

Dans le feu de la guerre spirituelle, son cœur sera renforcé par le souvenir de la longue lignée de catholiques héroïques et créatifs qui l’ont précédé et lui ont ouvert la voie. Mais il y aura plus que le souvenir : il y aura la présence mystique. »

 

Maison de famille

Depuis la plus haute Antiquité, la notion de famille s’est ancrée dans un territoire, qui limitait l’influence de la familia romaine, du clan mérovingien ou de la demeure médiévale. Mais cette famille avait souvent un sens beaucoup plus large que le nôtre car elle regroupait les familiers, les domestiques, les paysans ou les ouvriers, tous ceux qui fréquentaient la maisonnée et la zone géographique sous son influence.

Il ne nous reste pas grand-chose de cette interaction avec une terre, un village, ou une région. L’appartenance à une famille se limite à nos proches, et nombreux sont les jeunes qui connaissent à peine leurs grands-parents, ou les frères et sœurs de leurs parents. C’est une notion très moderne qui va de pair avec la dislocation de la cellule familiale, qui n’est plus le noyau dur de la société contemporaine, le solide fondement de l’ordre chrétien. Cela crée des individus sans base, sans racine, exportables dans n’importe quel pays, sans fidélité ou attachement à la terre de leurs ancêtres, sans atome crochu avec ceux de leur sang.

Pour lutter contre cette tendance lourde de conséquences, il est nécessaire de « revenir à la terre », d’avoir un lieu d’ancrage quelque part en province, de stabiliser les siens autour d’un lieu où ils puissent venir se retrouver, se ressourcer, se reposer, reprendre leur souffle, être chez eux. C’est la raison d’être de la « Maison de Famille », qui est le lieu où l’on maintient l’esprit de famille, où l’on s’entraide, où l’on sait que toutes les générations trouveront leur réconfort, où l’on cultive la confiance et la générosité.

Rares sont encore les maisons de famille qui subsistent à travers les siècles et restent dans la même lignée au fil du temps, mais elles sont souvent le témoignage matériel de la pérennité de cette institution et de la grâce divine du mariage, de la force du clan familial chrétien qui a perduré tout au long de ces générations.

 

Saint Michel et saints de France

Le culte de saint Michel s’est répandu dans toute l’Europe à partir du Ve siècle et des apparitions du grand Archange au Mont Gargan, dans les Pouilles, en Italie. En France, c’est son apparition à saint Aubert, en 708, qui fut à l’origine de la première basilique du Mont-Saint-Michel, qui devint un des lieux les plus fréquentés par les pèlerins du Moyen-Age. Les « Miquelots », pèlerins de toute l’Europe, venaient vénérer le guerrier invincible et le défenseur de la Chrétienté, après être passés par bien des lieux de dévotion consacrés à tous ces saints dont notre pays foisonne.

 Ecoutons plutôt ce qu’en dit l’historienne Régine Pernoud1 :

« Ils sont partout. Ils surgissent à tout instant, à chaque croisée de chemin, à chaque tournant de route, et pour nous, qui contemplons le spectacle de la distance de notre XXe siècle, à chaque tournant de page.

De qui s’agit-il ? Des saints. Aux temps féodaux et même dès la période franque au Ve siècle, impossible de faire un pas, de visiter un monument, d’ouvrir un manuscrit sans les rencontrer. En rangs de plus en plus serrés à mesure qu’on avance au cours des âges. Durant les deux siècles médiévaux encore, leur nombre s’accroît bon an mal an. Pour le médiéviste, c’est simple routine. Mais qui finit par faire question : pourquoi, comment tant de saints et de saintes ? Ils donnent leurs noms aux personnes, et plus encore aux églises, aux monastères et de même aux localités, villes et hameaux. Pas un édifice religieux ou civil qui n’évoque, sculpté ou peint, tel ou tel saint ou sainte ; leur histoire alimente l’iconographie, guide le pinceau du fresquiste, le ciseau du tailleur de pierre, l’outil du maître verrier, et aussi la plume du copiste. Tous les modes d’expression sont bons pour rappeler leur mémoire : arts plastiques, poésie, théâtre. On se transmet le récit de leur passion, on va vénérer leurs reliques ; et pour abriter celles-ci, on conçoit tout un mobilier éblouissant : chasses d’argent et d’or, réhaussées d’émaux et de pierres précieuses. Rien n’est trop beau pour eux. […]

Au début du XIIe siècle, les saints ont littéralement envahi le territoire. […] Le plus souvent, les villes de France sont désignées par leur sanctuaire principal : pour le pèlerin, la ville ne vaut que par le saint ».

Ces sanctuaires existent toujours, du moins pour ceux qui ont traversé les guerres de religion et la Révolution. Nous pouvons encore les visiter et les honorer. Leur force protectrice et bienveillante est toujours présente. Toutes ces reliques n’attendent que notre vénération pour vivifier à nouveau la foi de notre pays. Alors, n’hésitons pas, du Mont-Saint-Michel à saint Gilles du Gard, de saint Hilaire de Poitiers à saint Martin de Tours, de saint Eutrope de Saintes à saint Hugues de Cluny (…) à reprendre ces routes ancestrales dont nous sommes fiers, et à demander aux saints leur intercession.

Comme dit le cantique : « Saints de France à qui notre histoire doit ses jours de plus belle gloire, dans le malheur et le danger, vous saurez bien nous protéger… »

 

1 Les Saints au Moyen-Age, Plon, 1985.

 

Couples fondateurs

Il est de nombreux exemples dans l’histoire des hommes, qu’elle soit politique, artistique ou religieuse, où nous trouvons des « couples-fondateurs », assemblés pour le succès de telle cause ou pour la création de telle institution.

Beaucoup de grands hommes ont leur inspiratrice secrète, telle Madame de Maintenon pour Louis XIV, ou leur muse créatrice, telle Cassandre pour Ronsard, qu’ils le reconnaissent ou non. Et l’influence féminine, si elle n’agit pas directement, sait susciter les plus belles destinées, comme les plus féroces batailles. Nous ne pouvons citer ici toutes les muses artistiques des grands peintres, mais les livres d’histoire de l’art sont remplis de portraits féminins évocateurs de l’inspiration créatrice des égéries de tous les siècles.

De même, les plus grands destins féminins, ont souvent été soutenus par les œuvres d’hommes de qualité, citons seulement l’œuvre de réforme du Carmel de sainte Thérèse d’Avila, docteur de l’Eglise, qui a été prolongée et confortée par saint Jean de la Croix.

On retrouve également ces binômes dans les œuvres conjointes de saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal, de saint Vincent de Paul et sainte Louise de Marillac, de saint Pierre Fourier et de la bienheureuse Alix Le Clerc. Comme si la sainteté de l’un, et son rayonnement, trouvaient écho et leur plein épanouissement dans une œuvre féminine jumelle.

De la même façon que l’homme et la femme sont complémentaires dans la parentalité, nombre de grandes réalisations humaines ont eu besoin pour leur engendrement de « parents spirituels », d’un homme et d’une femme qui ont mis leurs compétences en commun pour œuvrer de concert à l’expansion du bien. C’est, somme toute, une autre façon d’obéir au précepte de la Genèse, donné par le Créateur à Adam et Eve en commun : « Croissez et multipliez ! »