Peur de vivre ou peur d’aimer ?

Henri Bordeaux1, auteur catholique du XXe siècle, nous a laissé un magnifique roman, La peur de vivre. En transposant ce récit en notre XXIe siècle, on peut se demander si là n’est pas ce mal dont notre monde meurt aujourd’hui.

Peur du lendemain certes, de ces jours noirs que l’on nous annonce quotidiennement, mais pire encore car « La peur de vivre, c’est de ne mériter ni blâme, ni louange. C’est le souci constant, unique de sa tranquillité. C’est la fuite des responsabilités, des luttes, des risques, de l’effort. C’est de refuser à la vie qui les réclame sa peine et son cœur, sa sueur et son sang. Enfin, c’est de prétendre vivre en limitant la vie, en rognant le destin2. »

La vie n’est pas ce petit bonheur tranquille, confortable, aussi éloigné que possible de toute secousse, saupoudré d’amitiés belles et moins belles qui nous donnent l’impression d’avoir une vie bien remplie. Elle n’est pas non plus un temps au cours duquel, pour apaiser notre conscience, nous aurons consacré le temps minimum à notre prière du soir et du matin, à la messe du dimanche, aux nécessiteux ou à quelques oboles mais qui, si l’on prend le temps de l’analyser un jour de lucidité et parfois bien tard, n’est en fait qu’une fuite et un abrutissement pour ne pas voir l’essentiel…

« Donner » et « se donner »

« Donner » ? Nombreux sont ceux qui font preuve de générosité : maraudes, dons, entraide, secours aux handicapés… Sans tous ces petits gestes, le monde deviendrait un véritable enfer tant l’égoïsme ferme les cœurs, aigrit et rend jaloux. Certes ces actes sont très méritants pour le ciel « car c’est en se donnant que l’on reçoit3 ». Tout cela est excellent et prépare les cœurs au grand don mais ce serait dommage d’en rester là. Et d’ailleurs ne connaissez-vous pas aussi beaucoup de gens très généreux et qui pourtant ne connaissent pas Dieu ? 

Et « se donner » ?

C’est plus que l’aumône qui nous est demandée : c’est la divine charité dont le nom veut dire : amour. C’est notre cœur qu’il faut donner ! Comprendre que l’on ne pourra dire « j’ai vécu » que lorsque l’on aura accumulé de ces richesses que rien ne peut vous prendre : un amour, une sagesse, une espérance et même une douleur féconde… quelque chose enfin dont on aura enrichi l’étoffe de sa vie pour en confectionner la tenue nuptiale qui nous ouvrira la porte du paradis.

« Profite de ta jeunesse et vis ta vie ! »

Qui, mieux que celui qui aime Dieu, va « vivre sa vie » parce qu’il en comprend mieux le prix et qu’elle nous apparaît comme une chose splendide et précieuse entre toutes ; parce qu’il a à la fois le sens de la fugacité des jours éphémères et de leur durée dans le prolongement éternel ; parce qu’il a, non seulement le droit mais le devoir strict de charger chacune des minutes d’une vie intense d’âme pour donner, à ces riens qui passent, une valeur éternelle ; parce qu’il a l’obligation rigoureuse de développer en lui intelligence, cœur, esprit, aptitudes naturelles pour ne pas avoir peur devant la redoutable phrase : « Celui qui a reçu un talent doit en rendre deux. » Parce que ceux qui rejettent les charges de la vie, finalement se suppriment ces joies ; et ceux qui, au contraire, loyalement, noblement, généreusement accueillent les devoirs, même lourds, agrandissent leur cœur et trouvent au fond de ces tâches – qui peuvent sembler si monotones – un épanouissement, une vitalité, une joie à faire périr de jalousie tous les blasés de la terre s’ils pouvaient seulement en soupçonner l’existence.

« La vie, ce n’est pas la distraction et le mouvement du monde. Vivre c’est sentir son âme, toute son âme, c’est aimer de toutes ses forces toujours jusqu’à la fin et jusqu’au sacrifice. Il ne faut craindre ni la peine, ni les grandes joies, ni les grandes douleurs, elles sont la révélation de notre nature humaine4 », explique Madame Guibert à une jeune femme épouse errante et délaissée.

Vivre sa vie, c’est grandir, c’est aimer, c’est faire œuvre belle et durable. C’est s’épanouir soi-même, atteindre son développement total en laissant derrière soi une tâche, petite peut-être, mais bien faite. Et qui le peut mieux que celui qui aime et qui veut vivre pleinement sa foi ?          

Se donner, c’est renoncer

« La grande aventure, celle où les risques sont les plus grands, celle où l’on dépense le plus d’héroïsme, où l’on fait les découvertes les plus merveilleuses, c’est celle de la vie de tous les jours vécus en profondeur5. »

Il est de grandes heures dans la vie où l’on doit poser des choix ; une et même deux bonnes retraites permettent de les réaliser sous le regard de Dieu et avec le secours de conseils avisés. Une fois ceux-ci définis, c’est le moment d’aller de l’avant, sans regarder en arrière, sans questions inutiles, sans regret ni amertume. Si nous avons pris Dieu comme témoin de nos résolutions, Il nous aidera à accomplir la mission qu’Il nous a confiée jusqu’au bout.

Ces choix réclament le sacrifice ; c’est une réalité dont il faut être conscient, mais s’ils sont réalisés avec foi, enthousiasme et joie, ils seront, soyons-en convaincus, de grande valeur pour le ciel.

Qui sait si le renoncement d’une maman à un poste professionnel prestigieux, pour rester au foyer dans son humble tâche ménagère et quotidienne ne lui méritera pas de donner un jour un enfant à Dieu ?

Qui sait combien d’âmes seront sauvées par ce jeune homme à l’avenir prometteur qui se retire à l’ombre d’un cloître ?

« Celui qui ne prend pas la haute mer ne comprendra jamais la joie profonde d’avoir largué les amarres et de ne s’appuyer sur rien que sur Dieu, plus sûr que l’océan6. »

Beaucoup méconnaissent l’idéal, plus nombreux encore sont ceux qui reculent devant lui. Il leur manque le feu sacré ; c’est ce feu-là qui brûle au cœur de l’être passionné et le lance sans arrêt à la conquête de son idéal, lui fait surmonter les difficultés. Voilà pourquoi Lacordaire disait : « Un homme sans passion est un homme de rien. » C’est ce que l’Eglise appelle le zèle qui entraîna les cœurs des saints vers Dieu et vers les âmes sans que rien, ni en eux-mêmes, ni dans les autres, fût capable de les retenir. C’est ce zèle qui a donné aux héros et aux saints l’unité de leur vie, plût à Dieu que comme les saints, sans rien voir d’autre, sans écouter les paroles contradictoires, nous allions à notre but unique, le regard tendu, sans dévier jamais, sans retourner en arrière, sans piétiner lamentablement ! Soyons des passionnés c’est-à-dire des cœurs ardents, dévorés d’amour, prêts à vivre d’un seul idéal et à puiser en lui la force d’aller jusqu’au bout du chemin que Dieu nous a tracé.

Le ciel est avec nous

– Relisons les vies de sainte Thérèse, de saint François, de saint Vincent de Paul ; elles nous livrent le secret de l’héroïsme qui est, non dans l’acte mais dans la générosité qui l’accomplit. Nous y trouverons le secret de la fidélité à soi-même, le respect de la voix intérieure, celle de la conscience et de ses exigences. A force de contempler les sommets, on se met un beau jour en route pour les atteindre car l’admiration est un ferment de force et on finit par ressembler à ceux qu’on aime. Vivons donc en familiarité avec les héros et avec les saints.

– Contemplons la vie de Notre-Dame, elle qui a été mère en perfection et en plénitude : « Elle s’est contentée d’accomplir son humble tâche de mère et d’épouse, sans autre souci que de très bien faire son devoir d’état, si peu reluisant et si obscur, dans la plénitude d’amour du moment présent. Et de cette Femme ne dira-t-on pas : c’est le plus magnifique apôtre que la terre ait jamais porté7 ? »               

– Notre-Seigneur, lui-même, nous a tout donné. Il nous a donné sa Mère, Il nous a donné l’Eglise, Il nous a laissé ses dons :

  • le don de crainte, qui nous aide à nous abandonner entre les mains de Dieu avec confiance,
  • le don de force qui apporte le courage chrétien de la régularité et de la persévérance « en tenant son cœur fixé au ciel8, »
  • le don de piété qui se traduit par l’inspiration de la douceur,
  • le don de conseil qui nous met sous l’influence du Saint-Esprit par ses inspirations,
  • le don de science qui nous montre le néant des choses terrestres et la toute-puissance de Dieu,
  • le don d’intelligence qui nous met sous l’inspiration de la Lumière des cœurs,
  • le don de sagesse qui nous donne le sens de la grandeur de Dieu et de sa présence, et nourrit notre charité.

 

Se donner, c’est… aimer

Vivre au sens magnifique du mot, c’est faire la plus belle croisière autour de l’amour. « Souffrir, m’a dit un jour une vieille amie, quand on aime et qu’on sait pourquoi on souffre, n’est-ce pas vivre deux fois ? » Elle a mis son âme dans les plus petites de ses actions ; sous ses doigts, l’humble étoffe de sa destinée est devenue comme une tapisserie royale faite point par point…

Si nous travaillons en premier « à rechercher le royaume de Dieu », n’oublions pas la promesse qui suit : « le reste nous sera donné par surcroît »… et ce reste ce sont tous les petits bonheurs qui, à foison, peuvent pousser sur notre chemin, ne passons pas sans les voir !

Et c’est en nous donnant que nous apprendrons le goût de la vraie grandeur, interdisant à notre cœur toute pensée de mépris, cultivant la bienveillance, goûtant l’émerveillement devant les belles choses du quotidien, emplis de reconnaissance pour tous ceux qui nous entourent ; alors nous aurons trouvé ce que c’est que l’amour.

Méditons le secret que les saints nous ont laissé : alimentons notre vie où ils alimentaient la leur, aux trois sources inépuisables de la foi, de l’espérance et de la charité, et nous n’aurons plus ni peur de vivre, ni peur d’aimer !

« Soli Deo Gloria!» Tout pour la gloire de Dieu !

M-M. H.

 

 

1 Henry Bordeaux, avocat, romancier et essayiste français, originaire de Savoie.

2 Henry Bordeaux – Préface de  La peur de vivre 

3 Prière de saint François d’Assise

4 Henri Bordeaux, La peur de vivre

5 Madeleine Danielou

6 Père Lyonnet

7 Marie de Fiesole, La toute petitesse

8 R.P. Ambroise Gardeil o.p., Le Saint-Esprit dans la vie chrétienne

9 Note écrite par Jean-Sébastien Bach en tête de toutes ses partitions

 

Questions essentielles avant les fiançailles

J’ai été enchantée de passer ces quelques heures avec toi dimanche dernier où tu montrais un enthousiasme débordant ; tu avais de grands désirs qui faisaient plaisir à voir et qui montraient combien se trompent les prophètes de malheur qui disent que notre jeunesse ne vaut plus rien !

Il me semble pourtant important de revenir sur la fin de notre conversation. En effet lorsque nous avons parlé du mariage de ta sœur, tu m’as dit avec un sourire : « C’est bien, elle épouse un garçon qui a le même idéal et les mêmes pratiques qu’elle ; mais je trouve que nous nous marions toutes dans notre petit vase clos ; c’est beau aussi de trouver quelqu’un en-dehors de nos chapelles et de le convertir. »

Je reconnais là ta fougue et ton désir d’apostolat mais quoi qu’il m’en coûte de te décevoir, il me semble capital de dissiper en quelques mots ces illusions… En effet, il est toujours beaucoup plus facile de parler de ces sujets avant que le cœur ne s’en mêle…

« Epouser un homme incroyant est le plus grave péril auquel une future épouse puisse exposer son salut éternel1 ». Tu me citeras bien vite Elisabeth Leseur, ou tante Gertrude qui convertit son mari, eut des enfants prêtres et mourut, ainsi que son mari, en odeur de sainteté… Bien sûr plusieurs exemples existent mais pour quelques cas magnifiques, combien de ménages brisés, et d’enfants éduqués sans foi ? 

Tu me répondras alors que tu n’irais pas jusque-là mais que tu pourrais épouser un gentil garçon, n’ayant juste pas beaucoup de pratique religieuse et prêt à te suivre où tu veux…

Je veux donc simplement te mettre en face des réalités, car en l’épousant, outre les difficultés d’adaptation intrinsèques à tout foyer, il faudra que tu sois prête à surmonter -plus ou moins selon les cas- de nombreux soucis supplémentaires. Y as-tu déjà pensé ?

Voici quelques questions auxquelles il est important que tu puisses réfléchir avant de prendre une quelconque direction2 :

Es-tu prête à ne pas pouvoir échanger avec ton époux sur toutes les questions religieuses et à n’avoir qu’une intimité d’âme toute relative puisque toute référence à ta foi sera pour lui obscure ?

Te sens-tu capable de porter toi-même et seule la lourde responsabilité de la vie spirituelle cohérente de ta famille si -et cela arrive souvent- ton mari n’adhérait pas pleinement à tes convictions malgré ses promesses ?

As-tu conscience que la fonction de chef de la cellule familiale ne sera pas naturelle chez lui puisqu’il ne l’aura sans doute pas connue étant enfant ?

Aura-t-il assez d’humilité pour accepter que tu lui expliques régulièrement, au cours de votre vie commune, les pratiques et traditions chrétiennes ?

Parviendras-tu à lui faire confiance suffisamment pour te reposer sur ses décisions de chef de famille, alors que c’est toi qui seras obligée de tenir le rôle attribué ordinairement au père : être le chef de votre petite cellule religieuse ?

Pourras-tu protéger tes enfants des critiques, les soustraire à l’influence des cousins quand tu auras fait entrer tes enfants dans une famille qui n’aura sans doute pas les mêmes références religieuses que celles dans lesquelles tu veux élever tes enfants ?

Es-tu bien sûre que vous serez encore d’accord dans quelques années pour mettre vos enfants dans les écoles bien catholiques ?

Sans compter qu’il est essentiel de toujours avoir à l’idée que les conséquences de nos actes pourront avoir des répercussions sur plusieurs générations, dans le domaine de l’exemple en particulier.

Je sais qu’il existe de nombreux foyers aujourd’hui dans ce cas et que certains font un beau chemin, mais avaient-ils vraiment conscience de toutes ces difficultés avant de se marier ? C’est la raison pour laquelle je te conseille de vraiment réfléchir avant de t’engager sur cette voie. Prends conseil, assure-toi d’être assez forte pour surmonter ces difficultés et ne perds pas de vue qu’une des exigences du mariage catholique est de parvenir au Ciel ensemble et avec tous vos enfants ; est-ce le chemin le plus direct ?

Certes, malheureusement tous les garçons que tu vois le dimanche, ne sont pas des perles rares ; tous n’ont pas pris conscience de la mission à laquelle Dieu les appelait, ni choisi les meilleurs moyens pour s’y préparer ; je te l’accorde, mais sois confiante, si tu pries chaque jour pour ton futur mari, si tu te prépares avec générosité et prends les moyens de le rencontrer en participant activement aux activités qui te sont proposées, le Bon Dieu, s’il te destine à cette vocation, répondra à ton appel. Mais n’oublie pas aussi de faire une bonne retraite qui t’aidera à déterminer avec lucidité la voie que Dieu t’a préparée.

 Je t’embrasse affectueusement et te confie au Saint-Esprit afin qu’Il t’envoie ses dons avec surabondance.

Bien affectueusement,

 

Anne

1 Abbé Charles Grimaud – Futures épouses

2 Se référer au FA N° 34 – Les fiançailles

 

 

Duc in altum

Entraîner avec joie, sans crainte, ton âme et celles qui te sont confiées. Ne pas s’étonner des difficultés prévues et imprévues, mais avancer quand même sur le chemin de la vie avec tes projets, tes renoncements.

Comment est-ce possible ? Tu te sens si petite, si faible et parfois si découragée.

           Duc in Altum…

 Le découragement vient de ce que nous nous appuyons sur nos propres forces, que nous regardons nos capacités avec l’intime conviction de notre faiblesse, plus ou moins avouée, et que nous voudrions un résultat immédiat selon nos vues.

Cette vision terre à terre, même si nous visons un but haut, nous freine, nous attriste et finalement tôt ou tard, nous fait renoncer…

  Duc in Altum…

Alors, il faut puiser la joie où elle est, tremper ton énergie à sa source et savoir y revenir sans cesse pour ne pas te laisser gagner par la tristesse ou la tentation de l’abandon car elles t’entraînent à glisser au fil de l’eau, sans effort.

  Duc in Altum…

La source, c’est la joie de Pâques, de la Résurrection.

Celle d’un immense amour donné dans les plus grandes souffrances, qui a tout vaincu, tout balayé et surtout le maître de l’éternelle tristesse, celui qui n’a de cesse de nous faire manquer le but…

La joie d’un triomphe éternel auquel nous sommes associés car enfants de Dieu.

Duc in Altum…

Regarde la croix. Celle du crucifié, ressuscité !

A la messe, le Christ qui se donne à toi en nourriture est un corps glorieux, vivant. Si tu Le reçois, convaincue de Sa victoire, tu ne peux qu’avancer avec confiance et donc enthousiasme.

C’est là ta force, ton moteur, ta raison d’espérer sans te décourager.

  Duc in Altum…

 Avec cette certitude dans le cœur, il te faut ensuite très concrètement lutter contre la lassitude.

Pour ne pas te laisser envahir par les mauvaises pensées ou les obstacles imaginaires, jette-toi dans les bras du Seigneur et occupe tes mains ou ton esprit à autre chose, fais diversion.

Contre-attaque par des pensées joyeuses, le soleil est forcément présent derrière les nuages. Rappelle-toi les grâces reçues, t’en réjouir te donnera de l’allant.

Sois aimable avec la personne envers laquelle cela te coûte le plus, rend facilement service et surtout ne te compare pas et ne te regarde pas trop.

Ainsi tu arriveras au port.

  Duc in Altum…

Jeanne de Thuringe

 

La tiédeur de l’âme

« C’est du fond de Notre cœur, chers fils et chères filles de Rome, que vous est adressée cette paternelle exhortation ; de Notre cœur inquiet de voir se répandre à l’excès une torpeur qui empêche un grand nombre d’entreprendre ce retour vers Jésus-Christ, vers l’Eglise, vers la vie chrétienne, souvent indiqué par Nous comme le remède propre à résoudre la crise générale qui agite le monde.1 » Par ces mots, Pie XII exprimait déjà son souci de voir les catholiques se laisser aller à la tiédeur, au contact d’un monde s’éloignant de plus en plus de Dieu. Il n’est certes pas nouveau que l’Eglise traverse des périodes de torpeur, mais ces épisodes semblaient plutôt réservés aux périodes où la religion était à l’abri des hérésies ou des attaques du monde. Confrontée à l’adversité et aux persécutions, l’Eglise a prouvé à maintes reprises la véracité de ces mots de Tertullien : « Le sang des martyrs est semence de chrétiens ». C’est en effet dans les épreuves que se révèlent les grands caractères, et que la grâce fait des miracles. Mais sommes-nous entrés dans un âge de paix pour être à ce point indolents et apathiques au service de Dieu ? Il suffit de regarder autour de nous pour que le spectacle que nous donne le monde nous convainque du contraire, alors pourquoi manquons-nous tant d’enthousiasme aux choses de Dieu ?

Pourquoi sommes-nous tièdes ?

La tiédeur de l’âme n’est pas qu’une maladie du monde moderne, puisque Notre-Seigneur lui-même s’en plaignait : « Je vomirai les tièdes.» Blessée par le péché originel, la nature humaine a perdu cette attirance innée et presque irrésistible au bien. Depuis la chute de nos premiers parents, faire le bien nécessite un effort presque constant, et l’homme renâcle ainsi à se priver des biens temporels immédiats, même si cela est en vue du bonheur éternel. Cette difficulté à faire le bien mène à l’acédie, ou « torpeur de l’esprit qui ne peut entreprendre le bien », selon les mots de saint Thomas d’Aquin. L’âme, lassée de combattre sa nature blessée, se dégoûte peu à peu des exercices de piété et des commandements que lui fait la religion. Elle ne trouve plus le plaisir qu’elle pouvait avoir dans ces exercices, et le moindre d’entre eux devient insupportable ou insipide. Les pères de l’Eglise distinguent deux natures à l’acédie : elle peut être soit une épreuve, soit une maladie spirituelle. Dans ce dernier cas, il n’est pas rare d’entendre parler de désolation.

L’acédie comme épreuve spirituelle

La désolation est une épreuve habituellement réservée aux âmes qui cherchent à s’unir plus intimement à Dieu. L’âme ne trouve plus la joie qu’elle avait dans la prière ou les œuvres de piété, elle est remplie d’une forme de tristesse. Cela peut sembler paradoxal que Dieu s’éloigne ainsi en rendant difficile la pratique de la piété et de la vertu. La raison est qu’Il veut de cette manière, faire grandir à un plus haut niveau l’amour que lui portent ces âmes : en détachant les actes de piété des plaisirs sensibles qu’ils peuvent produire, Il les recentre sur leur but réel qui est le service de Dieu pour lui-même, et non pas pour une quelconque joie. Les saints ont eux-mêmes vécu cette épreuve, destinée à les purifier des attaches sensibles qui pouvaient leur rester. Saint Alphonse dit même qu’« ils ont été le plus souvent dans les aridités, et non dans les consolations sensibles », et saint François de Sales confirme que « les plus grands serviteurs de Dieu sont sujets à ces secousses [ces aridités de l’âme] et que les moindres ne doivent pas s’en étonner s’il leur en arrive quelques-unes ». A titre d’exemple, saint François d’Assise souffrit deux ans de cette aridité de l’âme, sainte Marie-Madeleine de Pazzi, cinq ans, et sainte Jeanne de Chantal, quarante ans.

Les pères spirituels2 insistent en soulignant que l’épreuve de la désolation n’est justement qu’une épreuve, destinée à nous élever encore plus haut dans l’amour de Dieu et le détachement du monde. On est coupable de rien si l’on ressent ces aridités, tant que l’on n’abandonne pas nos devoirs de piété.

L’acédie comme maladie spirituelle

La tiédeur peut également être un état permanent de l’âme, auquel cas il s’agit d’une véritable maladie spirituelle. On y tombe de diverses manières, soit que notre caractère vienne amplifier la blessure du péché originel, soit qu’on ait négligé de prendre les moyens nécessaires pour sortir de cette tiédeur. Saint Grégoire le Grand recense six conséquences de l’acédie, dont la pusillanimité, la torpeur au regard des commandements et le vagabondage de l’esprit autour des choses défendues3. La pusillanimité est dangereuse en ce qu’elle tend à écarter l’âme des remèdes nécessaires à sa guérison, et en premier lieu la prière. La pusillanimité recule devant les biens difficiles à atteindre ; puisque la prière est difficile à l’âme frappée d’acédie, alors le premier réflexe est de la fuir, ou de se contenter du strict minimum (prières du matin et du soir réduites à l’extrême, bénédicités, et peut-être un chapelet de temps en temps, selon l’humeur).

La torpeur, ou la négligence au regard des commandements, est fortement liée à la pusillanimité. Ayant fait le choix de la demi-mesure en ce qui touche la vie spirituelle, il est logique que l’âme tiède se permette des concessions vis-à-vis des commandements de Dieu et de l’Eglise. Le « Tu ne tueras pas » prend un sens littéral, et on feint d’oublier que ce précepte touche aussi aux atteintes plus générales envers le prochain : la médisance, l’irrespect, l’humiliation volontaire, etc… L’observance des règles de l’Eglise prend peu à peu un aspect de pharisianisme.

Puisque les choses de l’ordre spirituel ne lui causent plus de joies, et que l’on ne peut vivre sans joies, l’âme est fortement tentée de chercher dans les choses extérieures ce plaisir qui lui manque. Si elle n’est pas bridée, elle se met à vagabonder autour des choses défendues, à « flirter avec le péché ». Il en est de même du poisson nageant autour de l’appât. Plus il tourne, plus l’appât devient intéressant. Il ne mord pas encore, mais ses cercles deviennent concentriques et se rapprochent de plus en plus de ce ver si gras et frétillant. Et s’il ne se décide à tourner un bon coup, alors il mord dans le piège et se retrouve brutalement face à celui qui va le passer à la broche. Nous ne mourons pas dès que nous succombons au péché, mais nous tuons notre âme. Il est ainsi impératif de se soigner contre ce mal, car faute de remèdes, et de chute en chute, il empire et peut très facilement mener au rejet complet de Dieu.

Les remèdes

Les pères spirituels, habitués à traiter l’acédie sous ses deux formes d’épreuve ou de maladie de l’âme, donnent trois antidotes à cette tiédeur.

Tout d’abord ne pas fuir : on ne peut vaincre la tiédeur si on abandonne les exercices de piété, même si ceux-ci ne nous procurent plus de joie ou nous dégoûtent. Fuir cette tristesse conduit à l’abandon pur et simple de la prière.

Ensuite, il faut faire preuve de patience et de confiance, comme le souligne Saint Bernard : « Lors donc que vous soyez tombés dans la torpeur, l’acédie et le dégoût, n’entrez pas en défiance et ne quittez pas vos exercices spirituels ; mais cherchez la main de Celui qui peut vous assister.» L’Eglise nous rappelle que Dieu ne donne jamais d’épreuve qui soit au-dessus de nos forces, et que nous sommes assurés de l’abondance de la grâce divine lorsque nous sommes dans l’adversité.

Enfin, le troisième remède indiqué est de s’ouvrir auprès de bonnes personnes, et de faire prier pour soi. La fierté voudrait que l’on garde pour soi ces épreuves, mais c’est là une arme du démon pour nous emprisonner dans la tristesse et nous mener à la chute. Se confier de notre tiédeur permet de se libérer d’une partie de ce fardeau, d’obtenir les conseils avisés de personnes expérimentées et de bénéficier du soutien de leurs prières, très efficaces dans ce combat de l’âme. La communion des saints n’est pas qu’une chose du Ciel, elle est également un soutien des plus nécessaires pour surmonter les épreuves de notre vie terrestre. Le chrétien des temps modernes est moins confronté que par le passé aux luttes violentes menées pour l’arracher à sa Foi. Plus de persécutions4, plus de guerres de religion, plus de tribunal révolutionnaire et de guillotine pour le sommer d’abjurer. Certes non, mais le danger est beaucoup plus insidieux, beaucoup plus sournois. On veut reproduire sur l’Eglise la fable de la grenouille dans sa marmite d’eau bouillante, en faisant miroiter les plaisirs qu’offre le monde. Le démon et ses sbires ont bien compris qu’on parvient mieux à soumettre les âmes par l’usure plutôt que par l’assaut frontal.

Contre la tiédeur de l’âme, il faut continuer à agir en renouvelant à Dieu notre confiance et notre espérance, et ne pas se renfermer sur sa déprime spirituelle. A nous la fidélité de tous les jours, dans nos petits combats spirituels qui sont d’une si grande richesse aux yeux de Dieu. A Lui la liberté de nous en délivrer quand Il le veut, et de nous soutenir de la manière qu’Il veut.

« Seigneur, j’abandonne mon passé à Votre miséricorde, mon présent à Votre amour, mon avenir à Votre Providence ! » (Padre Pio)

 

RJ

 

1 Exhortation au peuple de Rome, 20 février 1952

2 Par exemple Dom Vital Lehodey, dans son ouvrage Le Saint Abandon

3 Les trois autres conséquences sont : la malice, la rancœur et le désespoir.

4 Nous parlons ici des chrétiens en Occident, nos frères d’Orient étant quant à eux de plus en plus confrontés aux persécutions sanglantes.

 

 

 

Ma Bibliothèque

Vous trouverez ici des titres que nous conseillons sans aucune réserve (avec les remarques nécessaires si besoin) pour chaque âge de la famille.

En effet, ne perdons pas de vue combien la lecture d’un bon livre est un aliment complet ! Elle augmente la puissance de notre cerveau, développe la créativité, participe à notre développement personnel, nous distrait, nous détend et enfin elle enrichit notre vocabulaire.

Dès l’enfance, habituons nos enfants à aimer les livres ! Mais, quel que soit l’âge, le choix est délicat tant l’on trouve des genres variés… N’oublions jamais qu’un mauvais livre peut faire autant de mal qu’un mauvais ami !

ATTENTION : Quand nous conseillons un titre, cela ne signifie pas que tous les ouvrages du même auteur sont recommandables.

LE SAINT-ESPRIT DANS LA VIE CHRETIENNE – Ambroise Gardeil O.P. – Editions DMM

Comment grandir dans l’exercice de la vie spirituelle sans avoir lu ce petit livre si lumineux ? Le père Gardeil met à la portée de tous une explication et une application pratique de l’action du Saint-Esprit, pour que nous le laissions devenir le moteur de nos actes et de nos vies. Très facile à lire, ce traité soutiendra la méditation de tous à partir de 16 ans.

 

AVEC LE CHRIST DANS LES CAMPS DE MAO – Rose Hu Meiyu – Edition Clovis – 2024

Lisez et faites lire ce magnifique témoignage de ce qu’un chrétien est capable de réaliser quand il est porté par la Foi ! Voici une véritable application de l’enthousiasme chrétien : Rose Hu passa 26 ans en détention dans des conditions inimaginables et garda la foi sans compromission en acceptant la croix, le front haut et l’âme recueillie près de Dieu. Plus qu’un récit -qui se lit très facilement-, c’est une véritable méditation que tout catholique devrait avoir lu.

 

MADEMOISELLE DE SAINTE-PREUVE – Capucins de Morgon – éditions tradition franciscaine – 2024

« Une vie au service de Jésus Prêtre et Hostie », voilà ce à quoi cette belle âme consacra sa vie (1898 – 1986). Héritière spirituelle de sainte Thérèse, née comme elle à Alençon, sa vie fut toute simple et tout abandonnée à la Divine Providence. Geneviève de Sainte-Preuve nous fait découvrir « la toute petitesse » : agir toujours sous le regard de Marie, dans l’intention de lui faire plaisir. Un très beau livre qui rend accessible cette proximité avec Notre-Dame.

 

LA CHASSE – A. Delrieu – S. de Menthon – Gallimard Jeunesse – 2024

Ce petit documentaire très complet passionnera les enfants dès 7 ans et même les plus grands. Ils y trouveront beaucoup d’informations sur un monde souvent méconnu et maltraité. Les illustrations de style naïf ne retirent rien au sujet traité avec compétence et rigueur. Une bonne occasion pour connaître davantage la nature et le monde qui l’entoure.

 

LES MEMOIRES D’UN COQ – Odile Haumonté – Téqui – 2025

Aujourd’hui le coq girouette, dressé sur le clocher de l’église du village, va vous raconter son histoire, depuis le cinquième jour de la Création… Il a l’honneur d’être nommé dans l’Evangile auprès de saint Pierre, et depuis l’an 820, il a sa place sur les clochers ! Vous découvrirez ici les plus belles pages de son histoire.

Ce joli livre conviendra en première lecture ou sera lu aux plus jeunes.