Ciel et terre

 Le culte rendu à nos défunts ne fait-il partie que d’une subsistance d’habitudes de savoir-vivre ancien ?

Offrir des messes, entretenir et fleurir nos cimetières, gagner des indulgences, faire célébrer un trentain grégorien, prier quotidiennement pour nos défunts, tout cela n’est-il qu’ancienne tradition, piété filiale surannée, réminiscence d’un culte des ancêtres d’un autre temps ?

Ou n’y aurait-il pas un lien plus mystérieux entre l’au-delà et nous, entre l’Eglise triomphante et souffrante et nous, qui formons l’Eglise militante de la terre ?

Ces âmes des défunts, même si elles sont invisibles, ne sont-elles pas omniprésentes ? Et elles qui possèdent la Vraie Vie, n’ont-elles pas maintes occasions de se rappeler à nous et de nous aider dans notre quotidien ?

Si c’est un devoir de charité pour nous de gagner des mérites et de prier pour elles, de leur côté, comment ne nous aideraient-elles pas dans nos tâches matérielles, et surtout dans l’acquisition des vertus, qui nous permettra de les rejoindre dans leur béatitude céleste ?

Ne retrouve-t-on pas la piété de tel grand-parent dans la fulgurante conversion de certains de ses petits-enfants ? De quelle protection discrète ne jouissons-nous pas grâce aux mérites acquis durant leur vie par certains de nos proches ou certaines âmes du Purgatoire pour lesquelles nous avons prié, et qui intercèdent pour nous ? Quelle grâce de discernement, quelles inspirations, quelle idée soufflée à l’oreille, quelle rencontre providentielle comme inspirée par nos Anciens, ne viennent-elles pas bouleverser notre esprit rationnel et notre incrédulité ?

Nous en avons tous fait l’expérience et savons bien que, si nous aidons par nos prières une âme à sortir du Purgatoire, nous nous amassons un trésor dans le Ciel, mais aussi bien, des grâces dès cette vie terrestre.

Alors pourquoi hésiter à transmettre et renouveler ces anciennes habitudes de piété, si vivaces en terre chrétienne et ne pas demander leur aide à nos amis du Ciel, dans tous les moments délicats de notre vie ? Ce sera ainsi rétablir ce grand dialogue des générations, au-delà du temps et des lieux, et rentrer de plain-pied dans le mystère divin de la Communion des Saints.

 

Placements abusifs d’enfants :

une justice sous influence

Christine Cerrada, éditions Michalon, 2023

La rédaction de notre revue a souhaité proposer à ses lecteurs une recension de l’ouvrage de Christine Cerrada sur les placements abusifs d’enfants. Cette avocate qui milite dans l’association L’Enfance au cœur y mène une enquête sans concessions sur le système français de protection de l’enfance. Dans ce livre qui aurait mérité une plus grande audience, l’auteur met au jour les dysfonctionnements en s’appuyant sur une dizaine d’exemples concrets qui laissent perplexe sur la justice des mineurs et la compétence des professionnels de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE qui a remplacé la DDASS). Ceux-ci vont privilégier, dans leur mission d’assistance éducative, le placement des enfants à l’extérieur de la famille, le plus souvent dans des centres spécialisés.   

Les moyens dégagés par les pouvoirs publics pour la protection de l’enfance sont considérables : 8,4 milliards d’euros en 2018, dont 8 milliards à la charge des départements, le solde étant assumé par l’Etat. Le nombre d’enfants concernés par des mesures de protection était de 330 000 en 2018, chiffre en augmentation régulière de l’ordre de 3 % en moyenne depuis une vingtaine d’années, dont la moitié fait l’objet d’une mesure de placement en dehors de leur famille. D’après l’inspection générale des affaires sociales, la moitié de ces placements aurait pu être évitée, ce qui signifie que pour un enfant « maltraité » qui a pu être « sauvé » en le retirant de sa famille, il y en a un autre dont la trajectoire a basculé parce que le système de protection de l’enfance n’a pas agi avec le discernement requis.

La législation française, prise à la lettre, ne paraît pourtant pas encourager ces dérives. D’après l’article 375 du code civil, les mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par la justice si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises. Rappelons que les mesures d’assistance éducative peuvent être mises en œuvre en milieu ouvert, y compris dans la famille de l’enfant qui y fait alors l’objet d’un suivi socio-éducatif. L’article 375-1 de ce code précise même que le juge des enfants doit toujours s’efforcer d’obtenir l’adhésion de la famille et se prononcer en stricte considération de l’intérêt de l’enfant. Ces dispositions sont, dans la pratique, interprétées en contradiction avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle le placement d’un enfant est une mesure qui ne peut être prise que pour une raison « extraordinairement impérieuse ».     

Des dizaines de milliers de familles sont, chaque année, privées de la présence de leurs enfants parce qu’une situation familiale, le plus souvent banale, a été montée en épingle par un système socio-judiciaire qui dérive sans contrôle. Il est surprenant de constater la facilité avec laquelle une enquête sociale peut être déclenchée : il suffit d’un appel téléphonique signalant une « information préoccupante », passé au 119 par l’école, le médecin, l’hôpital, un proche malveillant ou mal informé, le parent qui n’a pas la garde de l’enfant, un voisin plus ou moins bien intentionné, ou même d’un signalement anonyme, pour que le service départemental d’aide à l’enfance décide en effet d’ouvrir une enquête. Celle-ci est le plus souvent confiée à une association privée qui va émettre des préconisations qui seront largement suivies par le juge des enfants. Ces recommandations sont orientées vers le placement des enfants en dehors de leur famille, par exemple dans un foyer géré par l’association, ce qui met celle-ci dans une situation de conflit d’intérêt évidente en étant à la fois prescripteur et fournisseur et en réduisant l’enfant au rôle de « client ». Les associations se partagent ainsi le budget alloué à l’ASE dont la Cour des Comptes a eu l’occasion de juger les comptes opaques.     

Il faut malheureusement insister sur le biais psychologique qui imprègne les rapports d’enquête sociale. Ceux-ci utilisent les mêmes termes et les mêmes clichés pour incriminer les familles après un examen superficiel de la situation, le plus souvent à charge, qui laisse une large place à la psychanalyse. Les parents sont vite considérés comme atteints par le « syndrome d’aliénation parentale », concept psychologique qui ne repose sur aucun fondement scientifique. L’enfant qui souffre d’un trouble du neurodéveloppement comme l’autisme peut se retrouver placé car ce trouble va être mis sur le compte de l’éducation qu’il reçoit. Les juges pour enfants reprennent la plupart du temps les termes des rapports, dans leurs décisions. En cas d’appel, celles-ci sont le plus souvent confirmées quand elles ne sont pas aggravées. Les exemples concrets décrits dans le livre illustrent bien l’obstination dont font preuve les enquêteurs et les juges pour justifier à tout prix les mesures d’éloignement des enfants de leur famille.

Les dégâts provoqués par ces placements abusifs sont pourtant considérables. L’enfant privé de l’affection de ses parents va être pris en charge dans une famille ou le plus souvent dans un foyer, avec des éducateurs plus ou moins bien formés à cette tâche, et sera exposé aux risques de violence de drogue, d’échec scolaire, ce qui peut entraîner des fugues et des suicides. En outre, les parents qui ont été privés de la garde de leurs enfants vont être disqualifiés aux yeux de leurs enfants, ce qui rendra d’autant plus difficile leur éventuel futur retour à la maison.     

Cette analyse de la protection judiciaire de l’enfance est intéressante et instructive même si le parti pris féministe de l’auteur est de nature à en altérer la portée. Celui-ci insiste lourdement sur l’avantage donné aux hommes sur les femmes dans ces procédures, ce qui reste tout de même à démontrer. Un peu plus de volumétrie sur ces placements abusifs serait bienvenu, mais faisons à l’auteur le crédit de l’absence de sources disponibles. On ne peut en tout cas qu’être marqué par la multiplicité des acteurs impliqués (cellule de recueil des informations préoccupantes, service de l’ASE du conseil départemental, associations, juges pour enfants, juge d’instruction, procureurs, services de protection judiciaire de la jeunesse) et leur irresponsabilité quant aux conséquences des mesures prises. Il serait intéressant de voir comment mettre en cause la responsabilité de l’Etat du fait du fonctionnement défectueux de la justice, voire même la responsabilité pénale personnelle de ces acteurs.

Nous pouvons aussi regretter que l’auteur ne mentionne pas les causes les plus fréquentes du déclenchement de ces enquêtes et des mesures d’assistance éducative qui en sont la conséquence, à savoir la mauvaise éducation des enfants et la division des familles. Les enfants sont, en effet, les premières victimes de la mésentente entre leurs parents, a fortiori quand celle-ci va jusqu’à la séparation. Les divorces vécus comme épanouissant les enfants relèvent plus de la fausse communication que de la réalité. Nous pourrions aussi ajouter à l’intention des parents un conseil de prudence pour ne pas exposer leur famille au risque d’un signalement qui serait effectué à tort et déclencherait une enquête aux suites imprévisibles.  

En écho à ces dysfonctionnements de la protection judiciaire de la jeunesse, il est permis de rappeler la déclaration faite par le garde des sceaux, Olivier Guichard1 à qui un journaliste demandait, au moment où il quittait ses fonctions, ce qu’il avait retenu de son passage place Vendôme : « J’ai compris qu’il valait mieux ne jamais avoir  affaire à la justice ». Sage conseil.     

Thierry de la Rollandière

 

1 Olivier Guichard, Ministre de l’Industrie (1967-1968), Ministre du Plan et Aménagement du Territoire (1968-1969), Ministre de l’Éducation nationale (1969-1972), Ministre de l’Équipement-Logement-Tourisme (1972-1974), Ministre d’État, chargé de l’Aménagement du Territoire, de l’Équipement et des Transports (mars-mai 1974), Ministre d’État, Garde des Sceaux (1976-1977).

 

 

Dieu sait

Il fait nuit. La route est longue encore. Le ronronnement du moteur berce les enfants dont la tête repose sur les fauteuils, doucement balancée par les irrégularités du bitume. La pluie tape sur les fenêtres de la voiture. Les faisceaux des phares se brisent en traversant les gouttes plaquées par le vent sur les vitres. La petite fille somnole. La voiture ralentit. La lumière devient rouge vif. Devant, papa et maman chuchotent soudain. Ils s’interrogent sur la raison de ce bouchon à cette heure tardive. La petite fille sort de sa torpeur. Des sirènes se font entendre. L’orange et le bleu des gyrophares inondent la voiture. Dans la lumière, la petite fille voit ses parents se signer. Ils prient. C’est un accident de la route. Il y a des pompiers. Peut-être y a-t-il un blessé, peut-être grave ? Ou pire, peut-être quelqu’un est-il mort ? Qui pour prier pour eux ? Dans le fond de son cœur, la petite fille récite un ave.

Ce petit ave obtiendra-t-il, pour la personne tuée dans l’accident, la grâce de se repentir de ses péchés dans un ultime élan de Charité ? Et par là, lui ouvrira-t-il le Ciel ? Qui sait ? Peut-être ce simple ave, récité en pensée par une petite fille, pourra-t-il mériter la grâce de la persévérance finale pour un pécheur endurci ? Dieu sait.

Combien de fois prions-nous pour les autres ? Oh, nous prions, c’est vrai. Souvent pour demander des choses pour nous-mêmes, plus ou moins directement. Et nous faisons bien. Dieu attend que nous Lui adressions ces prières, pour un besoin matériel, pour affronter une épreuve, pour grandir en sainteté, pour vaincre tel défaut ou éviter tel péché. Nous prions aussi, un peu moins il est vrai, pour demander pardon, remercier et adorer. Nous prions souvent plus facilement pour demander des grâces. Mais prions-nous pour les autres ?

Dieu a donné sa vie pour tous les hommes. Tous. Pas uniquement ceux que nous aimons, dont nous apprécions la compagnie quand nous sommes bien lunés. Non, tous les hommes sont dans les vues de Dieu. D’abord ses enfants, les baptisés, en état de grâce, qui sont nos frères dans la Foi. Membres d’un seul et même corps, nous devons nous soutenir par la prière, à travers les époques et les lieux. Puis tous les hommes, les pécheurs en état de péché, coupés de Dieu, les apostats, les hérétiques, les païens, les impies. Dieu veut leur âme aussi. Prions-nous pour cela ? Qui sait ce que peuvent obtenir nos prières, combien d’âmes elles peuvent moissonner, combien de grâces elles peuvent obtenir ? Dieu sait.

Dieu n’attend pas de vagues prières. Du moins, n’attend-Il pas que nous priions seulement pour les pécheurs en général, pour les fidèles, en vrac. Dieu veut que nous lui adressions des prières pour des personnes précises, celles que nous connaissons et croisons sur notre chemin. Nous avons beaucoup d’avis sur tel ou tel politique, pas toujours très flatteur. Mais prions-nous pour lui ? Pour sa conversion ? N’est-ce pas le premier devoir d’un catholique envers ses dirigeants ? Avons-nous récité un ave pour le mendiant qui nous casse les pieds dans le métro ? Un souvenez-vous pour un collègue avec qui nous aimons prendre un café ? Un pater pour le voisin qui va encore à la messe au village malgré les idées folles que la société a fini par lui faire avaler ? Prions-nous pour notre prochain, celui, bien réel, que Dieu a placé à côté de nous ?           

Ces prières, nous pouvons les adresser à tous ceux qui nous précèdent dans le paradis. Tous ceux qui, remplis de la grâce sanctifiante quand la mort les surprit, ont rejoint notre Père à tous en son sein. La prière et la grâce se moquent des dimensions humaines : peu importe le temps, peu importe que nous priions pour des personnes déjà mortes ou pas encore nées, pour nos lointains enfants ou nos aïeux anonymes, Dieu donne sa grâce.

Enfin, nous l’oublions souvent, mais l’immense cohorte des Elus, les Saints, eux aussi prient pour nous. Du haut du Ciel, ils connaissent nos misères et nos difficultés, ils entendent nos prières et nous adressent les leurs. Tous ceux pour lesquels nous avons prié afin de les libérer du Purgatoire, ceux que nous avons connus sur terre, d’autres aussi, que nous ne connaissons peut-être même pas, ne prieraient-ils pas pour nous ? Ne sont-ils pas nos frères, tous enfants de Dieu ?

Dieu nous a donné ce pouvoir immense d’obtenir des grâces par la prière, pour nous-mêmes, mais plus encore, pour les autres.

Alors, prenons la résolution de ne pas passer une seule journée, sans avoir au moins prié une fois pour une personne en particulier, ne serait-ce qu’un ave. Le facteur, le patron, la boulangère, le voisin, l’original du RER, le mendiant malodorant du coin de la rue, le gendarme qui nous verbalise, le politicien qui déblatère à la télévision, le démarcheur par téléphone qui nous appelle une énième fois, l’inconnu croisé dans un rayon du supermarché, le blessé dans l’ambulance qui nous double sirène hurlante, les défunts du cimetière que nous longeons en voiture, le collègue qui nous casse les pieds en racontant sa vie à la machine à café, la famille qui s’entasse bruyamment sur le banc devant nous à l’église, le lointain ancêtre qui est encore au Purgatoire.

Qui sait ce que nos prières obtiendront ? Dieu sait.

Nous-même, nous avons et aurons besoin que d’autres prient pour nous. Ceux qui sont au Ciel, nos enfants, nos descendants, qui nous l’espérons, prieront un jour pour nous. Mais espérons-nous obtenir des autres ce que nous refusons à d’autres ? Non, cela ne se peut. Et même, avons-nous la moindre idée de toutes les grâces que nous avons déjà reçues par l’intercession des autres ?

Qu’en savons-nous ? Dieu seul sait.

A combien de personnes sommes-nous déjà redevables des innombrables grâces reçues de Dieu qui parsèment toute notre vie, à chaque instant ?

Nous ne le savons pas. Dieu sait.

La seule chose que nous savons, c’est que nous croyons en la Communion des Saints.

  Louis d’Henriques

 

L’émaillerie limousine au XIIe siècle : les reliquaires de sainte Valérie et de saint Thomas Beckett

S’il est un art dans lequel le Limousin excelle, c’est bien celui de l’émail. Avant d’être connue pour sa porcelaine, la ville de Limoges fut tout au long des XIIe-XIVe siècles un centre de production d’émaux particulièrement important. C’est l’âge d’or de l’émail limousin. L’œuvre de Limoges s’exporte dans toute l’Europe, et encore aujourd’hui on en retrouve des pièces dans les musées de France, d’Angleterre, d’Espagne et même du Danemark ! La plupart sont réalisés via la technique de l’émail champelevé : l’artisan creuse le métal pour ensuite y déposer l’émail sous forme de poudre humide. Après cuisson, l’émail est fixé et n’a plus qu’à être poli. La châsse est alors partiellement dorée pour perfectionner le tout. Comme ce diocèse ne manquait pas de saints, que la population aime encore porter en procession dans les rues lors des grandes ostensions septennales, pratique toujours en vigueur et récemment classée au patrimoine immatériel de l’humanité, les émailleurs fabriquèrent moult reliquaires en l’honneur de leurs saints locaux, comme sainte Valérie, ou de saints « étrangers » comme saint Thomas de Cantorbéry, également connu sous le nom de Thomas Beckett.

 

Sainte Valérie : la protomartyre d’Aquitaine

Sainte Valérie est une vierge martyre du IIIe siècle, contemporaine de la christianisation du Limousin par saint Martial, premier évêque de Limoges. Fille d’un dignitaire romain de Limoges, elle se convertit au christianisme et refuse d’épouser le haut fonctionnaire païen auquel elle était promise. Elle est alors décapitée. La vita prolixior de saint Martial, rédigée par Adémar de Chabannes, moine de Saint-Martial de Limoges au tournant des Xe-XIe siècles, rapporte un miracle étonnant : Valérie décapitée se relève, prend sa tête et l’apporte à saint Martial alors que celui-ci célèbre la messe en la cathédrale de Limoges. Elle est enterrée dans la crypte de la cathédrale Saint-Etienne de Limoges.

 

Cet épisode dit « de céphalophorie » est souvent représenté sur les châsses reliquaires réalisées en son honneur. La plupart du temps la sainte est debout ou à genoux, présentant sa tête entre ses mains à saint Martial qui se tient devant un autel. Souvent, le bourreau est encore présent par derrière, armé d’un glaive. Le récit de ce miracle, qui vise en partie à affirmer que la sainte elle-même confie ses reliques à l’évêque de Limoges, qui en assure la garde dorénavant, fait également du martyre de Valérie une union au sacrifice du Christ. Valérie apporte l’offrande de sa vie sur l’autel où Martial célèbre l’Eucharistie. Elle s’unit au sacrifice du Christ, ce qui n’est pas sans conférer une réelle dimension liturgique à l’épisode.

 

La popularité du culte de sainte Valérie tient beaucoup à ce miracle. Mais à l’époque ce n’est pas tant le caractère extraordinaire du miracle qui compte que ce qu’il sous-entend : d’une part le culte de ses reliques est encadré par l’évêque de Limoges, autrement dit il est légitime ; d’autre part, son histoire étant liée à celle du premier évêque de Limoges, elle devient véritablement la protomartyre d’Aquitaine. Par son sang, elle christianise la ville, comme saint Martial par sa prédication. Or au XIIe siècle, saint Martial est au cœur d’un débat qui agite toutes les abbayes d’Aquitaine. En raison d’un engouement pour les temps apostoliques, la cathédrale de Limoges prend le nom de Saint-Etienne, dont elle revendique une part des reliques. Saint Martial lui-même devient le treizième apôtre, contemporain du Christ. Et c’est ainsi que Valérie, par imitation de saint Etienne, premier martyr chrétien, devient la protomartyre d’Aquitaine.

 

Saint Thomas Beckett : l’évêque assassiné

Il est un autre saint que les émailleurs limougeauds apprécient plus que d’autres, saint Thomas de Cantorbéry, connu en Angleterre sous le nom de Thomas Beckett. Né à Londres au début du XIIe siècle, Thomas Beckett devint archevêque de Cantorbéry, haut-lieu intellectuel du monde anglo-normand. En raison d’un désaccord avec le roi Henri II Plantagenêt, il fut assassiné dans sa propre cathédrale le 29 décembre 1170 par des chevaliers aux ordres du roi. La raison de leur désaccord : l’indépendance du pouvoir religieux vis-à-vis du pouvoir politique. Naturellement Henri II nia avoir donné l’ordre, ce qui ne l’empêcha pas de faire pénitence publique à Avranches. L’assassinat du prélat anglais eut un retentissement considérable dans toute la Chrétienté du XIIe siècle et, pour se le faire pardonner, Henri II dut promettre de partir en croisade et contribuer financièrement à de nombreuses fondations monastiques sur le continent.

 

Le diocèse de Limoges faisait partie du duché d’Aquitaine. Et, depuis son mariage avec Aliénor d’Aquitaine, Henri Plantagenêt, alors simple comte d’Anjou, était en possession d’un bon quart sud-ouest du royaume de France, avant de devenir, par un jeu d’héritage et de succession, duc de Normandie et roi d’Angleterre. Le retentissement de l’assassinat de Thomas Beckett explique donc la forte présence de son martyre sur les châsses reliquaires limousines, exportées par la suite sur l’ensemble des territoires Plantagenêt et au-delà. On y voit saint Thomas, célébrant la messe, attaqué et décapité au pied de l’autel par les hommes aux ordres du roi. Comme pour sainte Valérie, un martyr offre sa vie au pied de l’autel, lors du sacrifice de la messe.

 

Conclusion 

La récurrence du martyre de sainte Valérie et de saint Thomas Beckett sur les châsses limousines est donc en grande partie liée à la dynastie Plantagenêt. Richard Cœur de Lion, fils d’Henri II, lors de son investiture ducale en 1170, l’année même de l’assassinat de saint Thomas de Cantorbéry, avait reçu l’anneau de sainte Valérie. Depuis lors, il se considérait uni à la sainte par un lien mystique tout particulier. Devenu roi, il partit en croisade pour honorer la pénitence de son père. La dynastie angevine se mit donc sous la protection du martyr politique assassiné par son père devant l’autel, et de la protomartyre d’Aquitaine apportant sa tête au pied de l’autel. En leur dédiant ces nombreux reliquaires, les descendants d’Henri Plantagenêt imploraient leur intercession pour obtenir le pardon de la faute qui entachait la dynastie.

Une médiéviste

 

Actualités culturelles

  • Herzele (Belgique)

Tout commence en Belgique à la fin du mois d’octobre, lorsque le musée gallo-romain de Tongres reçoit un message d’un propriétaire de la ville de Herzele, à l’ouest de Bruxelles. Désireux de vendre la maison de son père, ce dernier exprime le souhait de faire expertiser une plaque de marbre incrustée dans le mur de sa cage d’escalier, dont il joint trois photos. Intrigué, l’expert du musée décide de se rendre sur place : il pense en effet avoir reconnu ce bas-relief antique, vieux de plus de 2 000 ans, dérobé à Pompéi en juillet 1975 ! Une fois sur place, son intuition se confirme : il s’agit bien de la sculpture disparue de la maison de L. Caecilius Jucundus… On y distingue une représentation du tremblement de terre survenu à Pompéi en 62 avant J-C. (on peut apercevoir les murailles qui s’effondrent), scène relatée par les auteurs anciens tels que Sénèque ou Tacite, mais dont on ne possédait alors que deux représentations : il s’agit d’une preuve matérielle majeure du tremblement de terre, élément essentiel pour l’histoire de Pompéi.

Interrogés, les propriétaires de la maison belge ont affirmé avoir acheté ce vestige à un vendeur à la sauvette lors d’une visite de Pompéi en 1975 : d’après eux, l’achat leur avait quand même coûté un petit prix et le vendeur semblait vouloir se débarrasser rapidement de son fardeau. Les carabiniers pour la protection du patrimoine culturel (division de police spécialisée dans la saisie d’objets volés) sont actuellement chargés de l’enquête, en vue de restituer le bas-relief à un musée italien. Les propriétaires, quant à eux, réclament une contribution pour avoir conservé l’œuvre intacte pendant ces cinquante ans !

 

  • Paris (France)

La « forêt » de Notre-Dame est de retour ! Moins de cinq ans après son terrible incendie, la cathédrale parisienne retrouve sa silhouette originelle avec l’achèvement de sa charpente, reconstituée à l’identique. Taillées dans les mêmes conditions qu’au Moyen-âge, les poutres ont été façonnées à la main dans un atelier du Maine-et-Loire, à l’aide de haches, de doloires et d’herminettes, ces outils que l’on ne connaît plus aujourd’hui ; les haches elles-mêmes ont été conçues spécialement pour que le rendu de la taille soit conforme à celui du Moyen-âge. Issues de la taille de 1 200 chênes, les fermes de charpente ont été en partie transportées par voie fluviale jusqu’à Paris (sur la Seine), dès juillet 2023. Le début du mois de décembre voyait s’élever la nouvelle flèche, conforme aux dessins de Viollet-le-Duc et surmontée d’un coq flambant neuf : une avancé très symbolique aux yeux des Parisiens et du monde entier. Enfin, le 12 janvier 2024, l’ensemble de la charpente est achevée et un bouquet de mimosas est déposé à son sommet par le plus jeune charpentier, comme le veut la tradition, pour marquer la fin de ce chantier titanesque.

 

  • Montpellier-de-Médillan (France)

Près de Royan en Charente-Maritime, Richard Plaud a réalisé une reconstitution de la Tour Eiffel à l’aide d’allumettes. Haute de 7,19 mètres, la construction a nécessité l’utilisation de 706 900 allumettes et de 23 kg de colle… Mises bout à bout, les allumettes recouvriraient une distance de 33 km ! Après 8 ans de travail acharné (4 200 heures), le Poitevin est heureux de pouvoir enfin présenter son chef-d’œuvre qui lui permettra d’entrer dans le Guiness Book des Records, rêve qu’il entretient depuis sa plus tendre enfance : la plus haute Tour Eiffel existante avait en effet été réalisée par un Libanais en 2009 et mesurait 6,53 mètres, drapeau compris. Richard Plaud a, en outre, affronté une difficulté supplémentaire en faisant en sorte que sa tour soit entièrement démontable. Réalisé le plus conformément possible à la géante parisienne, l’ensemble a nécessité une multitude de savants calculs en vue de respecter les bons angles, de répartir les charges, etc. Un travail de longue haleine que le passionné a réalisé secrètement dans son salon (pour qu’on ne lui subtilise pas son idée) jusqu’à sa mise à jour officielle le 27 décembre 2023, jour du centenaire de la mort de Gustave Eiffel. De quoi faire pâlir de jalousie monsieur Pignon !