Le purgatoire : un entre-deux mondes

Pour l’homme moderne, l’idée d’un purgatoire est une énormité. Croyant difficilement à Dieu, et encore plus difficilement au Paradis, il est persuadé que le purgatoire n’est qu’une invention de l’Eglise, créée pour maintenir les fidèles dans la crainte et ainsi mieux les contrôler1. Mais nous savons que la vérité est tout autre : la simple raison nous rend comme quasi évidente l’existence de ce lieu d’expiation, existence que nous confirment la Révélation et la Tradition. Nous savons également que bien peu nombreuses sont les âmes qui montent au Ciel sans passer par le purgatoire, et que nous-mêmes devront très probablement y rester un certain temps avant d’être autorisés à rejoindre Dieu. S’interroger sur le purgatoire, c’est connaître un peu plus l’étendue de la justice et de l’amour de Dieu, c’est un peu mieux se préparer à Le rencontrer, et c’est découvrir l’un des plus beaux aspects de la communion des Saints.

 

Connaître le purgatoire par la Foi et la raison

Le dogme du purgatoire est défini par les conciles de Florence (1438) et de Trente (1563). Reprenant les Saintes Ecritures et la Tradition, ce dogme explique les principaux aspects du purgatoire : c’est un lieu de souffrance temporaire pour purger les âmes en état de grâce des restes de leurs péchés. Le temps adjugé à chacune de ces âmes peut être écourté par les prières des vivants. Il y est fait référence dans l’Ancien Testament, au Livre des Macchabées, lorsque les Israélites prient pour les âmes de leurs frères morts au combat, après que des idoles aient été découvertes dans leur paquetage. L’Evangile de saint Matthieu parle également de ce lieu où « vous ne sortirez pas avant d’avoir remboursé le dernier quadrant2 », c’est-à-dire avant d’avoir expié jusqu’à la dernière faute qui n’aurait pas été pardonnée. Affirmer alors que le purgatoire est une invention de l’Eglise, plus de dix siècles après sa fondation, est un non-sens, davantage basé sur des préjugés idéologiques que sur une véritable démarche historique.

 

En sus des preuves données par la Foi, l’existence du purgatoire est confirmée par l’intelligence. Le premier élément est que la croyance dans une étape transitoire entre le monde des vivants et le « paradis », quelle que soit sa forme, est partagée par la majorité des civilisations anciennes (grecque, romaine, égyptienne, babylonienne, etc). Même si cela ne formait pas en soi une preuve, le fait que cette croyance ait été partagée par des peuples si différents et pendant si longtemps est un signe non négligeable de vérité. Le second élément est lié à la justice : le spectacle du monde nous présente bien que les bons sont rarement récompensés de leurs bienfaits et subissent malheurs et humiliations, tandis que les méchants profitent bien plus des honneurs, de la gloire et des plaisirs. Dieu étant juste par définition, il est nécessaire que l’équilibre soit rétabli, et s’il ne l’est en cette vie terrestre, alors il doit l’être dans l’autre. C’est pourquoi ceux qui, avant de mourir, auront eu la grâce de la conversion finale, seront sauvés des flammes de l’enfer mais auront néanmoins à expier les fautes qu’ils n’auraient pas rachetées. 

 

Le purgatoire, œuvre de la Charité

La Charité s’exprime de deux manières dans le purgatoire, tout d’abord de Dieu vers l’homme, puis des hommes entre eux. L’existence même de ce lieu est une preuve de l’amour infini de Dieu pour nous. En toute justice, la moindre souillure du péché devrait nous éloigner de Lui pour l’éternité, et seuls les saints pourraient espérer monter au Ciel. La très grande majorité des défunts serait alors privée de la vision béatifique et du bonheur céleste. Mais parce que Dieu est également bon, Il permet au grand nombre des fidèles de Le rejoindre après être passé par le feu purificateur du purgatoire. Il satisfait ainsi à Sa justice et à Son amour. Et Il va encore plus loin, en permettant aux âmes qui passent par ce feu d’abréger leur temps de souffrance grâce à l’intercession des fidèles vivants encore sur terre.  

 

C’est là la seconde expression de la Charité dans le purgatoire : la relation qu’y entretiennent les âmes de l’Eglise militante et celles de l’Eglise souffrante illustre de belle manière la communion des saints. Les morts n’étant plus capables d’actes vertueux qui pourraient racheter leurs fautes, ce sont les vivants qui vont, par leurs prières et leurs sacrifices, participer à leur expiation et accélérer leur montée au Ciel. La peine une fois satisfaite, les âmes sauvées du purgatoire se font une joie d’intercéder pour ceux-là qui les ont aidés. C’est ici un véritable commerce de grâces qui se réalise, où chacune des parties est gagnante. Ainsi serons-nous accueillis, à notre entrée au paradis, par les âmes que nous aurons contribué à sauver de la souffrance du purgatoire. Certaines âmes n’attendent d’ailleurs pas ce moment pour se manifester à nous, ayant obtenu de Dieu la permission, ou la mission de se révéler aux vivants afin de les aider à se convertir, d’obtenir leurs suffrages ou de les remercier de leur intercession. Nous pouvons encore aujourd’hui constater une partie de ces manifestations surnaturelles au musée des âmes du purgatoire, dans l’église del Sacro Cuore del Suffragio à Rome.

 

Mais prier pour les âmes de l’Eglise souffrante n’est pas seulement un devoir de charité, c’est également un devoir de religion, en participant à l’œuvre rédemptrice de Notre-Seigneur par le salut des âmes. C’est aussi un devoir de justice puisque s’y trouvent, ou s’y trouveront, des âmes qui nous ont côtoyés et auxquelles nous auront fait commettre quelque mal : tous nos péchés n’ayant pas été commis en solitaire. Enfin c’est également un devoir d’intérêt personnel, puisque nous avons vu plus haut que ces âmes, une fois sauvées, intercéderont pour nous. L’Eglise décrit les moyens à notre disposition pour accomplir ces devoirs : il y a en premier lieu les trois grandes œuvres de la vie chrétienne que sont la prière, le jeûne et l’aumône, puis les indulgences gagnées à l’intention des âmes du purgatoire, et enfin la sainte communion et le Saint Sacrifice de la messe. On peut également, et c’est là un acte d’une très grande vertu, offrir pour les défunts toutes les satisfactions que nous accumulons pour l’expiation de nos propres peines. Quel que soit le moyen choisi, il nous sera rendu « au centuple », Dieu sachant récompenser notre générosité à secourir notre prochain.

 

« Le feu du purgatoire », disait saint Augustin, « est plus terrible que tout ce que l’homme peut souffrir en cette vie ». Il nous faut prendre garde à minimiser cette réalité. Certes, on est assuré d’être sauvé une fois entré au purgatoire, mais savons-nous combien de temps nous devrons y rester pour satisfaire nos fautes ? Les révélations faites à sainte Brigitte sur le purgatoire exposent le cas d’âmes condamnées à la peine du dam et du feu jusqu’à la fin du monde, pour des fautes que notre tiédeur jugerait bénignes. Vouloir vivre en évitant simplement le péché mortel ne suffit pas : Dieu nous exhorte à rejeter aussi les fautes vénielles, qui restent une offense à Sa bonté infinie. C’est ainsi que nous réduirons, ou même éviterons les souffrances du purgatoire. Il n’est certes pas aisé de se détourner des attraits du monde, aussi profitons pleinement de cette aide que Dieu nous offre, en intercédant pour les âmes du purgatoire. Elles ont, comme nous, vécu sur cette terre, exposées aux mêmes dangers. Elles en sont sorties, et sauront nous guider et nous soutenir, comme nous les aurons soutenues.

 

RJ

 

1 Jacques le Goff (1924-2014), dans son ouvrage La naissance du Purgatoire (1981)

2 Matt. 5:25

 

La communion des saints

 

Le dogme de la communion des saints est l’un des plus beaux et des plus consolants qui soit. Ayons à cœur de le connaître avec suffisamment de précision pour l’en aimer davantage et mieux en profiter. A cet effet, nous le définirons en nous attardant sur les biens spirituels qu’il évoque (I). Nous regarderons ensuite de quelle façon cette communication des biens se fait (II) avant d’en tirer les bienfaits dans le cadre familial (III).

I – Ce qu’est la communion des saints

Les membres de l’Église catholique sont tous ceux qui, soumis à un même chef, qui est Notre-Seigneur Jésus-Christ, se trouvent de ce fait unis entre eux. Cette union leur ouvre la possibilité d’avoir accès au patrimoine de l’Église, vrai capital de cette société, et de faire tourner le bien de chacun au profit de tous.

Ce patrimoine est constitué des mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de la très sainte Vierge Marie et des saints, du Saint Sacrifice de la messe, des prières et des bonnes œuvres de fidèles. La richesse de ce trésor spirituel est inestimable et inépuisable car les mérites de Notre-Seigneur sont infinis, ceux de Notre-Dame incomparables. Et à eux, s’ajoutent les mérites surabondants des saints du Ciel ou des justes de la terre.

Chacun d’entre nous, accomplissant une œuvre méritoire, peut augmenter ce trésor. Dans toute œuvre méritoire, il n’y a en effet pas seulement une part personnelle à celui qui l’accomplit, mais également une autre qu’on appelle réversible, c’est-à-dire, précisément applicable à d’autres. C’est cette partie réversible qui entre dans le trésor de l’Église.

Cette communication se fait merveilleusement entre les fidèles de l’Eglise militante, qui sont sur la terre, de l’Église souffrante, au Purgatoire, et de l’Eglise triomphante qui est au Ciel et qui comprend aussi les anges.

II – La communication de ces biens spirituels

Voilà comment se fait la communication de ces biens spirituels entre ces trois Eglises qui n’en font qu’une seule : tout d’abord, les fidèles de la terre rendent un culte d’honneur aux saints du Ciel et leur adressent des prières, et d’autre part, ils intercèdent pour les âmes du Purgatoire en leur demandant de les délivrer et de les soulager. De leur côté, les saints du Ciel intercèdent en retour pour les fidèles de la terre et leur obtiennent par les mérites de Jésus-Christ et leurs propres mérites, des grâces abondantes. Ils leur suggèrent aussi de venir en aide aux âmes du Purgatoire en satisfaisant pour elles. Enfin, c’est une pieuse croyance que les âmes du Purgatoire, à leur tour, prient pour les fidèles de la terre, spécialement pour ceux qui, ayant pitié de leur sort, travaillent à les délivrer. Elles procurent aussi aux saints du Ciel, par le culte qu’elles leur rendent, un accroissement de joie et de bonheur.

Un autre aspect très important de la communion des saints est, cette fois-ci, l’aide que peuvent s’apporter les uns aux autres les membres de l’Eglise militante. Ils le font en intercédant les uns pour les autres, en demandant à Dieu la conversion des pécheurs, la persévérance des justes, l’exaltation de la Sainte Eglise, la cessation des fléaux qui affligent l’humanité. En outre, les grâces que chacun reçoit et les bonnes œuvres qu’il opère profitent à tous.

Ayons conscience, dans cette communication si élevée, que ce sont ceux qui donnent le plus qui sont également ceux qui reçoivent le plus. Plus on acquiert donc de mérites pour soi-même (puisque nos œuvres méritoires ont toujours cette part réversible), plus on participe aux mérites des autres.

III – Application de ce dogme à la famille

Il est extrêmement consolant, dans une famille, de savoir que l’on peut venir en aide aux autres membres de l’Église souffrante ou militante, par cette communication. Quel bonheur de penser aussi que l’on est aidé par ceux de notre famille, parvenus au Ciel, et qui ne nous oublient pas ! Quelle forte motivation pour leur vie chrétienne doivent trouver les parents dans cette vérité ! Qu’ils pensent tous les jours dans leurs prières, dans leurs travaux, dans leurs fatigues, dans leurs épreuves continuelles, qu’ils ont à faire du bien à ceux pour lesquels ils offrent, ils endurent et ils prient !

Enfin, il est de la plus haute importance, pour enraciner les enfants dans la Foi, de les familiariser avec cette vérité. Leur générosité chrétienne s’enthousiasmera de cette capacité immense de faire du bien, qu’ils apprendront à connaître et à expérimenter.

Puisse ce numéro donner le désir aux pères et mères de famille d’aimer à expliquer ces belles vérités catholiques à leurs enfants, par exemple à la prière du soir. Nul doute qu’ils en verront les bienfaits étonnants dans l’épanouissement de la vie surnaturelle de toute leur famille.

 

R.P. Joseph

 

Editorial

Chers amis,

« Je crois en la communion des saints » ! Cette phrase que nous prononçons chaque jour lors de la récitation du chapelet doit nous inciter à mieux vivre cette réalité : nous formons avec les saints du ciel et les âmes du Purgatoire une grande famille, une famille qui dépasse les liens de la chair pour parvenir à ceux de l’amour dans le cœur de Notre-Seigneur ! Quelle magnifique vérité ! Les mérites de Notre-Seigneur lui-même, ceux de Notre-Dame, des saints, les messes, les prières, les bonnes œuvres, les sacrifices : toutes ces richesses s’accumulent pour circuler ensuite entre toutes les âmes et aider chacune à gagner son ciel ! Vous trouverez dans ce numéro de nombreux exemples d’actions pour participer à ce merveilleux système d’entraide offert par Notre-Seigneur ! Comment pourrions-nous, sans cette aide concrète, parvenir au paradis ?

Souvent nous puisons dans ce trésor, mais pensons-nous aussi à le remplir ? Aimons-nous à prier et à faire prier pour les âmes du Purgatoire, pour les âmes de ceux qui nous entourent ? Avons-nous l’idée d’offrir des sacrifices pour ceux qui nous font souffrir, accomplissant ainsi la parole de Saint Paul : « Triomphez du mal par le bien1 » ?

D’autres sujets intéresseront aussi les éducateurs : une recension sur les placements d’enfants, une étude sur « l’éducation bienveillante » mais aussi un bel article sur Notre-Dame du Oui, fêtée en ce 25 mars !

Nos chroniqueurs ont aimé travailler sur un tel thème afin que ces périodes troublées, loin de nous jeter dans l’amertume, l’angoisse, les jugements hâtifs et l’acédie, augmentent plutôt notre capital d’amour du prochain. Ainsi nous parviendrons plus facilement à trouver la paix de l’âme et la joie chrétienne qui nous maintiennent près du cœur de Notre-Dame. « Toute âme qui s’élève, élève le monde2» : n’est-ce pas le rôle des foyers ardents que de participer activement à ce « commerce » afin que, les grâces obtenues rejaillissent sur tous ? Souhaitons que, lors de l’oblation du soir de notre vie, nous puissions parvenir devant le juge divin avec un trésor bien rempli. Que Notre-Seigneur nous accueille, entouré de toutes les âmes qui auront bénéficié de nos offrandes et qu’Il puisse nous dire : « Venez, les bénis de mon Père : prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde (…) En vérité, je vous le dis, toutes les fois que vous avez fait du bien à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait3. »

Avec une ardeur nouvelle, terminons ce Carême en confiant à Notre-Dame des Sept Douleurs toutes nos actions afin qu’elle les ajoute au trésor commun. Du haut du Golgotha, Notre-Seigneur les répandra sur les âmes avec tout son amour.

Marie du Tertre

 

Plaidoyer pour les lieux saints de Palestine

Le seul lieu où Jésus fut bien reçu

Octobre 1858 : alors qu’il se trouve chez les Clarisses de Jérusalem, Charles de Foucauld évoque, dans une missive à l’abbé Huvelin, ce mot tombé des lèvres de Jésus à Béthanie sur la meilleure part qui revenait à Marie-Madeleine [Luc, X,42]. Poursuivant sa rêverie sur le petit bourg qui se trouve en contrebas, il écrit : « Le Bon Dieu se plaît à mettre ce lieu chéri sous mes fenêtres, à environ 1500 mètres de distance, toujours sans aucun sanctuaire catholique… Comme le Bon Dieu est tendre de me donner la joie de voir ce lieu, le seul où il ait toujours été bien reçu1 ! »

Depuis 1954, un sanctuaire franciscain existe à Béthanie. Non loin, sale et abandonné sous domination musulmane, le tombeau qui fut témoin de la reviviscence de Lazare… Les guides juifs ou chrétiens répugnent à y conduire les pèlerins pressés et leurs devises en liquide. Béthanie : Le seul lieu où Jésus ait toujours été bien reçu… Le cœur se serre devant « la barrière de séparation » érigée depuis 2003 à travers la route principale. À l’ombre d’une mosquée et de son minaret se livrent des trafics en tout genre : drogue, armes, voitures volées…

Béthanie est un lieu saint parmi d’autres, en Palestine. À l’époque où Charles de Foucauld écrivait sa lettre, la Palestine appartenait encore à l’empire ottoman. L’idée d’un état national pour les Juifs était néanmoins en germe. En 1899, Théodor Herzl créa un Fonds pour l’achat de terres en Palestine. Peu avant sa mort en 1904, ce dernier fut reçu au Vatican par saint Pie X qui lui déclara : « Nous ne pourrons pas empêcher les Juifs d’aller à Jérusalem, mais nous ne pourrons jamais les y encourager. Le sol de Jérusalem n’a pas toujours été sacré, mais il a été sanctifié par la vie de Jésus. Les Juifs n’ont pas reconnu Notre-Seigneur et nous ne pourrons donc pas reconnaître le peuple juif ».

La préservation des lieux saints

Depuis la déclaration de Belfour en 1917, le projet sioniste avança tellement que Benoit XV, successeur de saint Pie X s’inquiéta pour le sort des lieux saints, redoutant que « les Juifs ne viennent à se trouver en Palestine en position de prépondérance et de privilège ». Il répliqua à Nahum Sokolow, un des leaders sionistes de l’Organisation sioniste de Londres : « Le problème des lieux saints est pour nous d’une extraordinaire importance. Leur sainteté doit être protégée. Nous allons régler cela entre l’Église et les Puissances. Il vous faudra y respecter pleinement les droits2

Cette question de la préservation des lieux saints se posa avec plus de force encore durant les deux ans (1948-1949) que dura le premier conflit israélo-arabe, après la fondation de l’état d’Israël. Le pape Pie XII publia successivement trois encycliques sur le sujet. La première, Auspicia quaedam, date du 1er mai 1948. La deuxième, In multiplicibus, du 24 octobre 1948. La troisième, Redemptoris Nostris, du 15 avril 1949. La première était une invitation à tous les catholiques du monde (et particulièrement les enfants) à prier la Vierge Marie pour la paix en Palestine. Les lieux saints de la Palestine, écrivait-il, « doivent être particulièrement chers à toute âme bien née et civilisée » pour toute la lumière et la vérité qui, « depuis les obscurs débuts de l’Histoire, en sont sorties pour toutes les nations. »

Cinq mois plus tard, consterné par « la durée du conflit et l’accumulation croissante de ruines morales et matérielles qui en sont l’inexorable accompagnement », le pape se désole que « sur la terre où Notre-Seigneur Jésus-Christ a versé son sang pour apporter à la terre entière la Rédemption et le salut, continue à couler le sang des hommes ». Ne pouvant concevoir la dévastation ni la destruction des lieux saints dans les combats, il plaide pour que des garanties internationales envisagent la liberté de culte ainsi que le rétablissement des pèlerinages. Chacun doit pouvoir y retrouver, « révélé par ces monuments divins de l’amour exalté jusqu’au sacrifice de la vie pour ses frères, le grand secret de la pacifique vie en commun des hommes. »

Le Vendredi-Saint de l’année 1949, enfin, le Saint Père déplore encore « très légitimement la profanation des édifices sacrés, des saintes images et des maisons de bienfaisance, ainsi que la destruction de pacifiques couvents des communautés religieuses ». Il condamne la « vie d’exilés, exposés à la misère, aux maladies contagieuses et à toutes sortes de dangers de nombreux réfugiés de tout âge et de toute condition qui ont été refoulés par cette désastreuse guerre ». Enfin, il plaide de nouveau en faveur d’un régime garanti par le droit international pour « Jérusalem et ses environs, où se trouvent les vénérables souvenirs de la vie et de la mort du Sauveur ». L’accès « des lieux saints qui se trouvent non seulement à Jérusalem, mais encore dans les autres villes et localités de la Palestine », doit être rendu libre et aisé aux pèlerins. À l’heure actuelle, pour des raisons faciles à comprendre, tous les pèlerinages en Terre Sainte sont reportés ou annulés.

Un regard surplombant

En raison du conflit et de son traitement médiatique, les tensions idéologiques s’exacerbent : devant le terrorisme du Hamas, la realpolitik d’Israël, la duplicité diplomatique des États, les forces occultes à la manœuvre, quel regard un catholique peut-il vraiment poser sur ce conflit ? Pour dépasser des points de vue uniquement fondés sur un imbroglio d’arguments historiques ou politiques, nous avons besoin d’un point de vue théologique. Il nous faut donc poser sur la Terre Sainte un regard qui surplombe les contingences, tienne pleinement compte de Notre-Seigneur qui vécut, mourut et ressuscita sur ce sol. C’est celui que nous recevons des pèlerinages, et que le pape Pie XII exprima ainsi : ce sol demeure celui où « le Verbe de Dieu incarné a fait annoncer, par les chœurs des Anges, la paix à tous les hommes de bonne volonté, où Jésus-Christ, enfin, suspendu à l’arbre de la Croix, a apporté le salut à tout le genre humain, et les bras étendus, comme pour inviter tous les peuples à une étreinte fraternelle, a consacré par l’effusion de son sang le grand précepte de la charité3 ».

On ne saurait mieux exprimer la préciosité de cette Terre Sainte ! Aussi, à l’heure où un flux continu d’informations contradictoires se déverse sur le monde, accentuant inévitablement les crispations idéologiques, les considérations belliqueuses et les remarques à l’emporte-pièce, nous ne pouvons que prier le Cœur Immaculée de Marie pour la conversion des juifs et des musulmans, afin que tous reconnaissent en Jésus-Christ, son Fils conçu du Saint-Esprit, la véritable royauté spirituelle d’Israël et la leur.

G. Guindon

1 Ch. de Foucauld, Nazareth, Lettres et carnets, Livre de Vie, 1995, p. 130

2 Cf. Sergio I. Minerbi, The Vatican and Zionism : Conflict in the Holy Land 1895-1925, New York & Londres, Oxford University Press, 1990.

3 Pie XII, Auspicia quaedam