Grandir encore!

           Il est grand, beau, élancé, sa silhouette est bien faite. Bien ancré, ses racines sont profondes. Souple mais solide, il fait face aux grands vents et résiste aux tempêtes grâce à sa robustesse mais aussi grâce à ses semblables qui l’entourent et le tirent vers le haut où il trouve la lumière. Il a de l’envergure et met son monde à l’abri ; nombreux sont ceux qu’il protège. Encore dans la fleur de l’âge, il porte déjà du fruit et plus d’une graine prometteuse germe sous son regard !

  On parle de lui, un frémissement le parcourt, il semble incliner la tête mais reste impassible et serein. Le grand hêtre est là, planté dans les grands bois ! Du haut de ses vingt mètres, il peut nous enseigner. Mais quel est le secret de sa force tranquille ?

  Planté en terre fertile par des parents heureux, il a pris le temps de s’ancrer bien profond, il sait d’où il vient, jusqu’où vont ses racines. Qu’un illustre grand-père a servi dans la marine, transformé en un fameux galion sous Louis XIV, qu’un oncle par ailleurs a servi de maître autel. Ses profondes racines lui permettent maintenant d’aller puiser l’eau de la charité afin de protéger sous la fraîcheur de son ombre les plus faibles qui lui sont confiés.

  La tête la première, il monte toujours plus haut vers la recherche de la lumière de l’Amour Divin qui l’éclaire de son rayonnement bienfaisant et lui confère sa prestance. Sans ce soleil, il ne serait rien, il ne serait même pas né. Sa silhouette élancée semble indiquer d’un trait l’origine de la création.

  Mais tout cela est incomplet et en se rapprochant, des cicatrices apparaissent sur son gros tronc bien lisse. Elles nous livrent le secret de cette droiture. La taille, la taille de prime jeunesse, d’une éducation aimante mais exigeante et la taille plus tardive des épreuves et des évènements, des coups de vents de la vie qui ont coupé les rameaux en surplus car ils risquaient d’alourdir l’arbre, de l’épuiser et de l’empêcher d’atteindre la lumière. Ces tailles furent douloureuses, en témoignent la sève encore fraîche, mais à chaque fois, grâce à la lumière divine, à la pluie apaisante et à l’ouvrage du temps, l’arbre s’en est remis. Il a repris une nouvelle vigueur pour monter encore plus haut.

  Mais comment a-t-il atteint cette hauteur immense ? Un arbre seul au milieu d’un champ aurait-il pu grandir autant ? Regardez autour de lui, ses semblables ont grandi avec lui. Et dans une saine émulation, à la conquête de la lumière, ils sont montés tout droit s’aidant les uns les autres et se protégeant durant les tempêtes.

  De nombreuses faînes sont accrochées à ses branches et quand vient l’automne, il féconde la terre. Au printemps suivant, les graines ont germé et plein de petits hêtres grandissent sous son ombre protectrice. Quand sera venue l’heure, il s’effacera pour laisser sa place.

  Pour qui veut l’observer, la nature est pleine d’enseignement et d’inspiration. Saurons-nous comme le grand hêtre chercher la lumière Divine et grandir encore en louant Dieu ?

 

Antoine

 

En avant

           La vie est une marche en avant, puisqu’elle est mouvement. Personne n’a jamais pu remonter le temps, revenir en arrière et changer ce qui fut.

A chaque instant, nous sommes face à deux options : rester immobile, avec nos habitudes et certitudes, sans remise en cause de nous-mêmes, ou bien réfléchir et se poser la question du bien-fondé du comportement qui, spontanément, nous anime.

 

Si je lis le Saint Evangile pour me mettre à l’écoute de la parole divine, voici ce que je trouve :

 

Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous persécutent.

Or notre premier réflexe est de nous cabrer, de vouloir rendre le mal au nom de l’honneur (amour propre plutôt) ou de ressasser des mois, des années ce qui nous a blessés, sans chercher à pardonner et à effacer d’un sourire.

Effort de dépassement de notre susceptibilité.

 

Malmené, il n’ouvrait pas la bouche.

  Notre Seigneur, pleinement Dieu, auteur de la création, connaissant le secret des cœurs, vit dans l’Incarnation et la Passion, l’injustice, la contradiction, la calomnie, la trahison.

Cherche-t-il à se justifier, à triompher par la force et le raisonnement de ses ennemis, à se défendre ? Non bien sûr.

  Or nous voudrions toujours nous défendre, ulcérés d’être incompris et moqués ou calomniés au lieu de laisser cela au Seigneur.

  Ce n’est pas le modèle du divin Maître.

  Effort de dépassement de notre orgueil.             

 

Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés.

Que savons-nous du secret des cœurs, de l’histoire et des blessures de chacun ? Des intentions, des bonnes volontés parfois maladroites et du chemin que Dieu a tracé pour chaque âme droite, à travers ses chutes et ses faiblesses.

Peut-être que celui que nous jugeons si sévèrement, sera avant nous dans le Royaume, et qui sait si nous y serons nous-mêmes ?…

  A force de vivre en lutte contre l’esprit du monde, nous finissons par développer une dureté de cœur et une méfiance envers chacun.

  Effort de dépassement de notre vue trop humaine.

 

Pleurez avec ceux qui pleurent, réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent.

Combien de fois restons nous campés sur nos égoïsmes sous prétexte de manque de temps pour ne pas écouter, ou rendre une visite qui soulagerait la peine sans même pouvoir faire autre chose.

Dans la joie, n’avons-nous pas, parfois, une secrète envie de ce qui va bien chez les autres, surtout si nous connaissons des difficultés, en même temps de notre côté. Notre cœur n’a pas alors la simplicité de la joie ou du bien qui se fait sans nous.

  Effort de dépassement de notre égocentrisme.

 

  Dans nos journées, si nous demandons la grâce de voir les évènements comme Dieu les voit, nous avons les moyens de ramer à contrecourant pour ne pas nous laisser emporter par ce qui ternit si vite la beauté de notre âme baptisée et purifiée à chaque confession.

  Alors, au lieu de nous plaindre et de maugréer, rendons grâce à Dieu de ce qu’Il permet pour nous lancer vers le Ciel et faisons feu de tout bois, nous souvenant que celui de la croix fut le préalable de la Résurrection.

  Forts de la foi en la parole divine, de l’espérance du Ciel et de la charité, lançons-nous

  En avant…

                  Jeanne de Thuringe

 

Recevoir et transmettre

Chère Bertille,

            Aujourd’hui je vais te faire une petite confidence, quand j’avais ton âge, vers 17-18 ans, j’avais hâte d’être grand-mère, on pourrait dire hâte d’être à la retraite.

            Cette idée peut te paraître étonnante… Comment peut-on espérer être à la fin de la vie quand on est dans la fleur de l’âge avec une tête remplie de beaux projets et un cœur plein d’espoir et de flamme. Ce qui me donnait envie d’atteindre cet âge, c’était la sagesse des personnes âgées, leur calme par rapport aux différents évènements, leur prudence dans leur prise de décision. Toutes ces qualités que j’admirais en elles étaient liées à leurs expériences, aux épreuves et aux joies qu’elles avaient traversées dans leur vie. Ces qualités sont aussi, sans aucun doute, liées au travail qu’elles ont fait année après année pour mieux se connaître et se corriger. J’avais aussi hâte d’atteindre cet âge pour transmettre à mes petits-enfants ce que j’avais appris, le fruit de mes lectures, de mes réflexions.

   Vois-tu, ma chère Bertille, vivre la période de la retraite dans ces conditions est merveilleux ! Je suis convaincue que c’est dès maintenant qu’il te faut travailler pour préparer la retraite. Tout d’abord, garde cette flamme, cette joie de vivre qui est le propre de la jeunesse. Cette attitude te permettra de tirer profit de tous les évènements de ta vie, que ce soit des moments de joie ou d’épreuves, et ainsi, petit à petit, la sagesse de la vie s’installera. Apprends aussi à bien te connaître, profite des résolutions de ce début d’année pour faire le point et voir si réellement tu sais vraiment qui tu es ! Enfin, ma chère Bertille, prends le temps de lire pour former ton cœur, ton âme, ton esprit. Il faut nourrir ton intelligence pour être en mesure de prendre les bonnes décisions. Je suis actuellement en train de lire les Sept colonnes de l’héroïsme de Jacques d’Arnoux, et te recommande cette lecture qui t’enthousiasmera et te donnera sans doute des modèles à imiter.

   Il y a un autre secret que je voudrais te dire : n’oublie pas de rendre visite ou de prendre contact très régulièrement avec les personnes âgées qui vivent « de près ou de loin » autour de toi : tes grands-parents mais aussi les oncles et tantes et peut-être des voisins ou des amis de la famille. Bien sûr, nous avons tous un devoir de piété filiale envers nos grands-parents, mais que cela dépasse l’accomplissement de ton devoir d’état. Je t’assure que tu t’enrichiras énormément en entretenant une relation privilégiée avec ces personnes d’expérience qui ont tellement à transmettre : l’histoire de ta famille, de notre pays qu’ils ont vu évoluer si rapidement, mais aussi les traditions familiales, et surtout leur regard sur les évènements : ils en ont déjà vus tellement ! Une petite visite régulière, un coup de téléphone et pourquoi pas des relations épistolaires ? Fais mentir le dicton : « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait… » Puise dans leur sagesse ! Tu donneras ton sourire et un peu de ton temps, et tu recevras tellement !

   Voilà, ma chère Bertille, bien que cela puisse te paraître étrange, tu peux préparer dès maintenant l’âge de la retraite où tu continueras à rayonner, forte de la sagesse et de la pondération qu’apporte l’expérience de la vie.

  Je t’embrasse, et te dis à très bientôt,

  Anne

 

Ses vieilles mains

Jadis elles furent jeunes et fermes, dans l’attente de ce que la Providence leur réserverait, ouvertes à ce que la vie leur donnerait, pleines d’espérance joyeuse et de rêves.

 

Puis elles reçurent les promesses d’un engagement définitif, prises dans des mains jeunes aussi, plus fortes et plus fermes qui se faisaient protectrices et guides tout à la fois, leur remettant d’abord une jolie bague, même modeste, choisie avec amour, et plus tard l’anneau d’or, nuptial, scellant le sacrement.

 

Les enfants venant agrandir la famille, elles se firent caressantes, réconfortantes, tant pour l’époux que pour les petits, affairées aux mille tâches du quotidien.

Raccommodant, lavant, frottant, cuisinant, jardinant, plantant, pansant les petites blessures, brodant, écrivant, jouant de la musique, créant si tels étaient ses dons.

Mais aussi posées sur l’épaule pour encourager ou prendre le jeune visage, comme on tient une coupe pour lui transmettre toute son affection dans les moments difficiles.

 

Souvent jointes le matin en offrande de la journée et le soir en action de grâces avec toutes celles des siens, tenant le chapelet.

Bénissant ceux qu’elles mèneront à l’autel, les remettant à une autre femme qui prendra dans ses mains le relais de tendresse.

Mais aussi de façon cachée, suppliantes dans les peines intérieures, jointes pour implorer les grâces nécessaires et la miséricorde divine pour ceux qui s’égarent autour d’elles, égrenant le rosaire silencieusement pour épancher son cœur de maman auprès de Celle qui est son modèle et son guide.

 

Abîmées par le temps, peut-être déformées par trop de travaux, où les veines marquent davantage comme des traces bleutées qui sont autant de chemins suivis et d’épreuves connues ou cachées.

Pour les générations qui viennent, elles sont parfois reconnues dans la toute petite enfance, juste à un détail de bague ou à un geste familier, rassurantes comme un refuge régulier lors des vacances ou des confidences qu’il est difficile de faire aux parents.

 

Au soir de leur vie, elles seront jointes pieusement, avec le chapelet, le crucifix qui auront été tout leur soutien, ou le linge qui aura scellé les mains du fils prêtre lors de leur onction, si telle fut cette grande grâce familiale.

Ouvertes devant le Seigneur, vides de tous les biens de la terre mais pleines de tous les renoncements, les offrandes et les trésors de grâces qu’Il aura bien voulu y mettre et qu’elles n’auront pas gardé pour elles seules, elles recevront la joie sans fin et loueront Celui qui est.

 

                  Jeanne de Thuringe

 

Le ciel et la terre passeront…

           Si vous avez déjà eu la chance par une après-midi d’automne d’apercevoir au loin le clocher d’une abbatiale sur votre route dans la campagne française, si vous avez saisi la grâce qui passait et que pénétrant dans cette abbatiale, vos oreilles ont été frappées par le chant des moines, si, vous échappant un instant du tourbillon du monde, vous avez fermé les yeux et ouvert vos oreilles, si écoutant l’appel de Dieu vous avez laissé votre âme être bercée par les complies alors, une évidence et une allégresse ont dû, peu à peu, s’imposer à votre cœur et à votre esprit : « Le ciel et la terre passeront mais mes paroles ne passeront pas ».

 

  Le chant des moines dans leurs abbayes millénaires, par le contraste qu’il offre avec les saisons qui passent dans notre monde agité et changeant, est la plus forte manifestation sensible de la stabilité et de l’éternité de l’Eglise.

 

Le monde change et les moines demeurent,

Le monde s’agite et les moines prient,

Le monde pleure et les moines chantent,

Le monde crie et les moines louent la grandeur, la beauté, l’immensité de l’amour de Dieu.

 

  Quel contraste frappant entre notre agitation quotidienne pour des choses très importantes à nos yeux et la tranquille activité des moines besogneux qui ont compris que la seule affaire importante est celle de leur salut et qui s’y consacrent jour et nuit.

 

  Quel bonheur de se replonger de temps à autre dans cette « éternité » sur terre ; quel bonheur et quelle grâce de pouvoir ressentir que l’Eglise a la promesse de la vie éternelle malgré toutes les embûches de son pèlerinage terrestre. Cela redonne l’espérance et permet, à l’instar de ces moines, de s’élever hors du temps et de prendre du recul sur notre lot quotidien. Un peu comme lorsque l’on prend l’avion et que soudain vu de haut, le fourmillement que l’on voit sur terre paraît ridicule. Tous ces mouvements que l’on aperçoit de loin de ces voitures qui nous semblaient si rapides, une heure auparavant, semblent si lents. Les déplacements semblent si petits devant l’immensité de la terre et du ciel qui s’offrent à nos yeux, qui est elle-même si petite devant l’immensité de l’univers, de l’espace, du temps et de Dieu.

 

  Méditer dans une abbaye pour s’élever hors du temps, et méditer dans un avion pour s’échapper dans l’espace nous permettent de prendre un peu plus la mesure de notre petitesse et de notre humilité devant Dieu, maître de toutes choses, et pour qui les attaques des petites fourmis humaines sont bien peu de choses face à l’immensité de sa puissance.

 

  Alors haut les cœurs, quelles que soient les tribulations de son navire, Dieu est Dieu et son Eglise est Sainte et Eternelle, les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre Elle, jamais !

 

Antoine