La mission éducatrice

Nous autres, prêtres, nous avons entendu les paroles édifiantes de parents qui venaient de perdre un enfant en bas âge, mais heureusement baptisé. Nous les avons entendus nous dire dans leur chagrin : « Mais nous savons que nous avons au moins accompli notre mission pour lui puisqu’il est sûrement au Ciel. » Ce beau langage de la foi, à rebours de tout mouvement de révolte, exprime magnifiquement la solidité et la profondeur chrétienne de ceux qui le tiennent. Et leur petit devient, pour eux, un nouvel ange protecteur de leur famille. Ils nourrissent aussi cette espérance qu’un jour, ils retrouveront au Paradis cet enfant qui les y aura précédés. Vive les convictions catholiques qui sont capables d’élever les âmes à de telles hauteurs ! C’est évidemment cet esprit qui doit aussi être gardé et vivifié dans le cœur des parents à l’égard de tous leurs autres enfants, ceux qu’ils vont devoir éduquer. D’une certaine manière, c’est plus difficile de se maintenir à ce niveau pendant des années que de l’atteindre, par la grâce de Dieu, dans la circonstance héroïque de l’acceptation d’un deuil. Aussi, nous voudrions suggérer aux parents quelques considérations pour les aider à conserver cette élévation d’âme.

  1) Dieu vous a fait le don de ces enfants pour que vous les conduisiez jusqu’à leur demeure définitive qui est le Paradis. Jusqu’au jour de votre mariage, vous n’aviez à répondre que de votre âme. Mais, depuis que vous vous êtes unis par ce lien sacramentel, vous avez compris que vous auriez aussi à prendre en charge la question du salut éternel de votre conjoint. Et, en devenant père et mère, vous avez à l’esprit que vous aurez également à rendre compte de l’âme de vos enfants. C’est, dans toute la mesure où les époux pensent à leur responsabilité, qu’elle leur est familière, qu’ils la méditent ensemble, qu’elle perd son aspect redoutable et qu’elle leur devient au contraire un stimulant indispensable pour accomplir leur œuvre éducatrice. Le désir de ne perdre aucune de ces jeunes âmes, la volonté que toute la famille se retrouve là-haut les motive chaque jour pour trouver de nouvelles forces d’abnégation et de générosité.

 2) Dieu ne s’est pas contenté de vous fixer un objectif, très élevé. En vous associant à son œuvre créatrice, Il vous a rendus participants, par une connexion nécessaire, à son autorité. Vous êtes les délégués de Dieu pour l’éducation de vos enfants. Votre autorité revêt un caractère religieux et vous êtes en droit d’exiger de ceux à qui vous avez donné la vie une obéissance conçue comme une participation de celle qui est due à Dieu. Vous êtes marqués d’un signe divin qui vous rend dignes de l’honneur et d’un hommage vraiment religieux, ainsi que l’enseigne saint Thomas : « Après Dieu, c’est à ses parents et à sa patrie que l’homme doit le plus ; en conséquence, de même que c’est de la vertu de religion que relève le culte à rendre à Dieu, ainsi, à titre secondaire, c’est à la vertu de piété que ressortit le culte à rendre à ses parents et à sa patrie1 » . Il vous faut prendre et garder conscience et de votre éminente dignité parentale et de votre obligation à l’égard de Dieu que vous ne devez pas trahir par le mauvais usage que vous feriez de la délégation reçue de Lui. Votre autorité, Il vous l’a donnée pour que vous contribuiez à faire de vos enfants autant d’élus du Ciel.

 3) Pour que vous puissiez remplir saintement votre mission éducatrice, Dieu vous a comblés, vous comble et vous comblera encore de ses bienfaits. Comment Celui qui ne se désintéresse pas de vêtir les lys des champs et de nourrir les oiseaux du ciel oublierait-il ses enfants ? Comment Celui qui n’a pas hésité à envoyer à la mort son Fils unique pour nous sauver se laisserait-il distraire de nos efforts pour avancer sur les voies du Salut ?

Il est la Bonté même, sans cesse attentif à nos plus petites pensées, à nos plus petites affaires. Il vous dit à vous, en priorité : « Ce que vous ferez aux plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous le ferez ». Ce langage n’est pas hyperbolique car vos enfants, baptisés, sont les membres de son Corps Mystique. Pensez-vous aux trésors d’amour que vous avez pu, que vous pouvez ou que vous pourrez lui manifester si tout ce que vous donnez d’amour à vos enfants, vous le leur donnez avec cette intention surnaturelle qui vous permet de le lui donner à lui ? Et s’il vous semble qu’il vous manque quelque chose, un moyen, une aide, une vertu, une grâce, Il vous recommande simplement de la lui demander et Il vous donnera mieux que ce que vous avez sollicité. Qu’une foi profonde vous permette d’expérimenter l’action de cette incomparable Providence.

  4) Vous êtes donc armés par Dieu de tout ce dont vous avez besoin pour mener votre mission. Ne vous troublez pas de vos défectuosités naturelles. Même si elles étaient plus importantes chez vous que chez d’autres – peut-être, par exemple, parce que vous n’êtes pas issus de familles catholiques ou que vous n’avez pas reçu d’un père ou d’une mère ce qu’ils auraient dû vous donner. Tournez-vous vers Dieu avec confiance, comme des mendiants qui ont toujours tout à attendre des passants. Et, courageusement, prenez conscience des sillons que vous avez à tracer vers Dieu, tous les deux ensemble, mari et femme. Ce n’est pas pour rien qu’on nomme l’union que vous avez contractée « conjugale ». C’est, en effet, tous les deux sous le même « joug » que vous vous trouvez pour toute l’existence et c’est tous les deux ensemble, à l’unisson, que vous creuserez bien droit vos sillons. Le but, vous le connaissez, c’est le Ciel. Les moyens, vous ne les ignorez pas non plus, c’est tous ceux que l’Église vous enseigne pour mener une existence catholique. Et, il s’agit que vos petits-enfants, à leur tour, munis des mêmes armes que vous connaissez, cheminent à leur tour, dans cette même direction. C’est la sainte transhumance des familles chrétiennes qui les amène des pâturages de la terre à ceux du Ciel, la traversée d’une mer qui fait passer du rivage de la temporalité à celui de l’éternité.

  5) « Mais chacun de nos enfants est différent des autres et il change en plus avec les années qu’il prend… ». Oui, il vous faut bien comprendre que si la direction du Ciel est la même pour tous, Dieu a pensé et voulu chaque être humain unique et le conduit sur un sentier qui lui est propre. Si donc l’éducation se réfère à des principes qui sont les mêmes pour tous et qui demeurent d’âge en âge, leur application varie selon l’extrême diversité non seulement du sexe, de la race, du tempérament, de la condition sociale et de l’âge, mais encore de la singularité de chaque personne. Or, nul n’a la connaissance parfaite de tout homme que Dieu seul. Nul ne sait mieux que Lui le chemin qu’Il lui a fixé pour aller jusqu’à Lui. Aussi, la nécessaire connaissance de chaque enfant, qui est requise des parents pour le guider, ne vient-elle pas uniquement de leur amitié psychologique ni de leur finesse d’observation, mais aussi de leur imploration des lumières divines pour les aider dans leur mission. L’éducation n’est donc pas simplement faite d’un commerce à deux mais comporte ce constant rapport des éducateurs  avec leur Dieu pour toujours mieux identifier chaque enfant et le lui conduire.

  6) L’éducateur deviendrait l’ennemi de celui qu’il éduque s’il usait de son autorité pour charrier l’enfant selon ses rêves, ses caprices et par exemple pour qu’il réalise ses ambitions manquées. Ce serait trahir, et Dieu et l’enfant que d’agir ainsi. Ce serait d’abord trahir Dieu qui ne confie l’enfant à ses éducateurs, et d’abord à ses parents, qu’en vue de les faire instruments de la réalisation de son plan. Il leur dit : « Laissez venir à moi les petits enfants2 ». Ce serait trahir l’enfant dont le seul bien véritable est d’aller à Dieu. Mais l’éducateur n’aura cette abnégation pour ne pas confisquer l’enfant à son profit que dans la mesure de son amour pour Notre-Seigneur Jésus-Christ. Plus il l’aimera, moins il se posera en rival et en compétiteur de Dieu. Sa vie spirituelle intense, la vérité de son union à Dieu constitue le premier et indispensable gage de la droiture de l’éducation qu’il dispense.

  7) Pour beaucoup d’entre vous, voudriez-vous que je vous dise qui sont, aujourd’hui, les pires ennemis de vos enfants ? Ce ne sont plus, comme naguère, les mauvais compagnons de classe ou de voisinage que vous n’avez pas détectés. Ce ne sont plus les mauvais livres et imprimés qui s’y sont infiltrés à votre insu. Ce n’est pas non plus le spectacle de la rue et sa débauche de matérialisme et de volupté. Oserais-je dire que ce ne sont même pas les mauvaises écoles ? Les premiers ennemis de vos enfants, ce sont les écrans qui portent si bien leur nom :

– écrans entre Dieu et vos âmes ;

– écrans entre vos enfants et vous ;

– écrans entre votre conjoint et vous-même ;

– écrans, écraseurs de votre disponibilité et de votre générosité ;

– écrans aux lumières artificielles ;

– écrans du nouveau dieu google ;

– écrans qui isolent chacun dans sa chacunière ;

– écrans qui anéantissent les relations humaines ;

– écrans, porteurs de mort psychique et spirituelle.

 

  Libérez-vous de vos écrans pour retrouver vos enfants et votre liberté et les joies de votre foyer. Tant que régneront chez vous les écrans, Dieu n’y pourra régner.

 

  8) Amis de l’enfant au sens le plus noble de ce mot, les parents ne doivent être ni naïfs ni bonasses. S’ils ne connaissent pas les trois redoutables ennemis de leur progéniture, comment les en défendront-ils ? Et si au motif d’être bons, ils sont faibles, ils méritent d’être eux-mêmes rangés au nom des ennemis des jeunes âmes qui leur sont confiées. Les démons de l’Enfer, répandus dans le monde pour perdre les âmes font tout leur possible pour pervertir l’enfance. Les parents qui en ont la conviction déjoueront tant de pièges que ne percevront même pas les autres ! Les uns invoqueront les anges gardiens, inculqueront cette dévotion à leurs enfants, useront de l’eau bénite, tandis que l’idée n’en viendra pas seulement aux autres, ignorant des intrigues de l’ennemi implacable de la race humaine. Voilà le premier des trois adversaires auxquels ils doivent faire face.

  Le deuxième est le monde avec ses mirages et ses séductions. Si les parents se trouvent eux-mêmes sous le charme de ses vanités, s’ils les introduisent dans leurs maisons, quelle ruine alors pour la nouvelle génération ! La voilà habituée dès l’enfance à ces plaisirs et à ces rêves trompeurs qui la déroutent de la sublime ascension. Elle était faite pour Dieu et la voilà ravalée à la quête de frivolités.

Mais que les parents n’ignorent surtout pas que chacun est à soi-même son pire ennemi. Ils doivent défendre leurs enfants d’eux-mêmes et leur apprendre l’impérieuse obligation de ce combat de tous les jours qu’ils auront à mener contre eux-mêmes. Bienheureux les enfants dont les parents sont conscients que les effets du péché originel, et en particulier l’affaiblissement de la volonté et le désordre des tendances subsistent en eux après le baptême.

  Chers parents, que votre mission éducatrice soit à vos yeux plus exaltante qu’accablante ! Nous vous redisons les paroles de Pie XII : « Combien de joies intimes les sollicitudes de l’éducation réservent-elles aux parents qui ne considèrent pas l’enfant simplement comme une charge ou un être amusant mais se passionnent au contraire pour leur œuvre ! Les soucis et peines qu’exige l’éducation directe sont largement compensés par les admirables merveilles que les progrès physiques et spirituels de l’enfant offrent à leur regard3. » Votre mission, qui consiste à amener vos enfants à connaître Celui qui est Notre Voie, Notre Vérité et Notre Vie, est sublime et constitue le principe de votre vraie grandeur.

  Soyez conscients de votre auguste privilège et de l’excellence de la profession que vous exercez. Ne regrettez pas de vous adonner de toute votre âme à votre rôle éducateur. Tous les sacrifices que vous consentirez pour vous y plonger vous apparaîtront comme de la paille au regard du bonheur que vous y trouverez.

  Nous demandons au Cœur Douloureux et Immaculé de Marie de bénir toutes vos familles.

R. P. Joseph

 

1 Saint Thomas – Somme théologique IIa IIac, q C1 art .1

2 Mt. 19, 14

3 Pie XII à l’occasion de la « Journée de la mère et de l’enfant », le 6 janvier 1957

 

Ce que Marie veut, Dieu le veut !

           Qu’il faut donc d’abnégation, de force et de doigté aux parents d’aujourd’hui pour conduire leurs enfants sur les chemins de la vertu alors que tant d’influences contraires ne cessent de les pousser sur les pentes de la facilité et du péché. Nous ne nous étendrons pas : oui, le monde est corrompu et le régime de persécution contre le christianisme est le véritable visage de la République et de la gouvernance mondialiste.

  Comment espérer encore, dans ces conditions toujours plus difficiles, préserver les âmes de nos petits de ces puanteurs qui saturent l’atmosphère et dont les relents mortels s’infiltrent jusqu’au dedans de nos écoles, de nos foyers, de nos chapelles ? Pour ne pas se laisser emporter par le flot incessant et violent des tentations qui menace de submerger complètement cette génération, il faudrait une rare vertu. Mais n’est-ce point rêver d’attendre d’elle un héroïsme dont la nôtre ne lui a pas donné l’exemple ? Alors, la déperdition de la ferveur, la submersion de la foi, la victoire de la cathophobie sont-elles une fatalité ?

  A Dieu ne plaise que nous laissions la désespérance entamer nos âmes ! Accusons le découragement comme étant notre pire ennemi. Si ce démon est parvenu à corroder notre courage à quelque moment de notre vie, c’est le signe avéré, dans une guerre de tous les instants, que nous avons davantage compté sur nos forces que sur la grâce divine. Telle est la véritable origine de nos lassitudes, du grignotement de nos ardeurs et de nos redditions. Lorsque, par la miséricorde de Dieu, nous prenons conscience des terrains spirituels que nous avons désertés et de nos enthousiasmes essoufflés, prenons garde que notre abattement spirituel n’augmente encore si nous n’identifions pas l’unique racine de notre racornissement : nous nous sommes éloignés de Dieu. Dans ces périodes de fragilisation, Satan nous guette et met en œuvre sa machinerie pour que nous ne revenions pas à une meilleure prière.

  Ne le laissons pas nous claustrer en nous-mêmes ! Ne tardons pas ; ne biaisons pas. Nous avons perdu assez de temps comme cela. C’est à Dieu qu’il faut aller. C’est de lui seul que nous espérons tout redressement, celui de notre âme, celui de notre famille, celui de la France, celui de l’Église. Il n’est que son souffle pour ranimer nos braises. Jamais nous ne croirons, jamais nous n’espérerons trop ! Notre unique parole, une fois jeté de notre cheval d’orgueil, doit être de demander au Seigneur ce qu’il veut que nous fassions.

  Dans son infinie compréhension de sa créature humaine, Il nous invite à tourner vers Notre-Dame notre cœur de convalescent. A Cana, la très sainte Vierge Marie, en désignant son Fils, avait dit aux serviteurs : « Faites tout ce qu’Il vous dira ». Et Dieu nous exhorte avec les mêmes mots en indiquant sa Mère : « Faites tout ce qu’Elle vous dira ». Aller à Dieu, certainement, sans aucune crainte de se tromper, en nous jetant dans les bras de Marie.

  Mes chers amis, veuillez encore lire ces quelques phrases ! Si, véritablement, nous savions aller à notre Mère du Ciel comme le petit enfant va à sa maman, la tournure de notre vie serait changée. Nous expérimenterions l’extraordinaire puissance de Marie. Il s’agit de s’accoutumer à vivre calmement avec le ferme désir intérieur d’accomplir notre devoir d’état sous son regard aimant. Au lieu d’obéir à ses envies, à ses caprices, à ses choix humains, habituons-nous, comme l’enfant qui cherche à faire plaisir à sa mère, à nous demander ce qu’elle veut que nous pensions, que nous disions ou que nous fassions, de quelle manière et dans quel ordre les choses doivent se succéder dans nos journées.

  Peu à peu, toute notre volonté se trouvera modifiée car nous aspirerons seulement à accomplir la volonté de notre Mère. Et elle, infiniment touchée de nos petits efforts et de notre affection filiale, nous transportera, bien au-delà de tout ce que nous pouvions imaginer, dans l’embrasement d’amour de son cœur.

  N’est-ce point ce qui s’appelle « se mettre à l’école de Marie » ? Elle seule est l’unique mère parfaite et universelle ; elle seule est donc l’unique éducatrice de telle manière qu’aucune éducation chrétienne n’est possible sans elle. Au contraire, plus Marie est comprise et voulue comme éducatrice dans une existence, plus elle élèvera vers les cimes ceux qui se seront livrés et soumis à son éducation.

  Chers époux, vous vous apercevez que vous vous êtes attiédis et vous pensez avec nostalgie à votre ferveur de naguère ? Ou vous aspirez désormais à vous mouvoir dans une vie plus parfaite ? Chers parents, vous êtes soucieux d’un enfant qui tourne mal ou vous en pleurez un autre qui a oublié le chemin de l’église ? Ou vous vous demandez tout simplement comment les éduquer mieux que vous ne l’avez fait jusqu’ici ? Allez à Marie. Mettez-vous à son école. Habitez Nazareth, comme Jésus et Joseph et demeurez là, partout où vous êtes, simplement attentifs à répondre à ses attentes. Votre humble persévérance vous amènera à faire tout ce qu’elle vous dira et vous verrez mieux que de l’eau transformée en vin.

R. P. Joseph

 

« Trois petits tours et puis s’en vont… » 

           Les enfants hissés sur leurs chevaux de bois tournent et tournent encore avec bonheur sur le manège. L’instant où il faudra descendre de leurs montures qui se sont immobilisées survient toujours trop vite et leurs yeux se font implorants pour obtenir de leurs parents un tour supplémentaire. Bientôt, ces enfants devenus grands découvriront le carrousel des adultes. Mais n’est-il pas injurieux de rapprocher l’une de l’autre la ronde magique des canassons de foire avec cette danse enivrante des affaires à laquelle se livrent passionnément les adultes pendant trois ou quatre décades de leur vie ? Il est vrai qu’à la première, on donne le nom de jeu tandis qu’on parle de travail pour désigner la seconde ! Quoiqu’il en soit de cette distinction dont nous ne nions pas la valeur, voyez comme les hommes aux cheveux grisonnants peinent, comme lorsqu’ils étaient enfants, à descendre de leurs destriers honorifiques et ne quittent le plus souvent qu’à regret leurs activités trépidantes. Qu’il leur est difficile de laisser leur place… On dirait que la vie n’est plus rien pour eux, maintenant qu’ils sont descendus du manège des grandes personnes.

  Nous laissons à d’autres le soin de consoler les jeunes retraités encore vigoureux en déployant l’éventail, d’ailleurs attractif, des mille et une manières de s’occuper utilement à l’âge de soixante-cinq ans et nous applaudissons aux services signalés que leur générosité sait rendre aux causes qui nous sont les plus chères et les plus sacrées. Comme ils ont raison de fuir une ruineuse oisiveté et de proposer leurs compétences et leurs talents pour aider les générations qui les suivent ! Si je puis cependant leur donner un conseil, ce sera celui de ne pas chercher à enfourcher les haridelles des manèges du troisième âge. On attend justement de leur sagesse, au bel automne de leur existence, qu’ils cessent de tournoyer comme des feuilles mortes et de plastronner encore jusqu’au moment où ils tomberont de leur selle…

  Nos seniors, nos vétérans, nos anciens, nous aimons qu’ils nous enseignent, à l’âge qui est le leur, que la prière et la contemplation sont bien plus que le travail et qu’ils l’ont suffisamment compris pour ne pas céder à la fatale griserie que serait leur empressement à fabriquer des manèges de retraités. Si nous leur exprimons toute notre gratitude pour la disponibilité qu’ils montrent pour accomplir de bonnes œuvres, nous avons encore davantage besoin de voir leurs yeux se tourner courageusement vers leur éternité. Finalement, qu’ils nous montrent cet équilibre chrétien de l’existence où le travail maîtrisé ne constitue plus un obstacle à l’union de l’âme à Dieu, où la prière occupe la place privilégiée qu’elle aurait dû toujours avoir. S’ils nous donnent cet exemple, comme ils nous aideront nous-mêmes à nous rappeler que le travail n’est certes pas le tout d’une existence humaine !

  Affirmons donc l’âge de la retraite comme devant être tout spécialement le trait d’union entre la vie laborieuse de la terre et la vie contemplative du Ciel. Personne ne travaille au Paradis car la vision béatifique n’est pas un travail. Si tous, nous devons anticiper la vie du Ciel par le développement, tout au long de notre vie, de nos efforts généreux à connaître et à aimer Dieu, l’âge de la retraite doit nous stimuler pour adopter l’allure très vive de ceux qui sont conduits par l’amour et qui ne veulent pas manquer le plus grand rendez-vous de leur existence. Ce n’est en effet ni sur la quantité ni sur la qualité ni sur le prestige de nos travaux que nous serons jugés mais uniquement, exclusivement sur l’amour de charité avec lesquels nous les aurons menés.

R.P. Joseph

 

D’où vient la joie ?

           Pour que la joie demeure dans une âme, il faut qu’elle s’origine dans un fondement parfaitement stable. Or rien n’est tel ici-bas. Tout est fragile, tout s’use, tout disparaît. Mais, comme c’est pourtant presque toujours dans les choses d’ici-bas que les hommes cherchent leur félicité, il ne faut pas s’étonner que la joie n’existe en eux que par intermittence. Ils s’y agrippent avidement et font des efforts désespérés pour la retenir. Mais, inexorablement, elle leur échappe des mains et les laisse bien souvent dans une affreuse prostration.

  Le seul regard philosophique suffit à comprendre que la joie la plus stable qu’on puisse trouver doit parvenir de ce qui n’est pas sujet au changement. Dieu seul est parfaitement immobile et ne connaît aucune variation. Il jouit, lui seul, d’un bonheur infini que rien ne peut affaiblir. Qui parvient à placer en lui son bonheur ne sera jamais déçu et trouvera en Lui seul, autant qu’il est possible sur la terre, la constance dans la joie. Il faut cependant bien reconnaître que cet idéal philosophique, s’il a été plus ou moins théorisé, n’a pas été vécu. L’élévation qu’il requiert est plus angélique qu’humaine et celui qui y accèderait ne se trouve pas pour autant soustrait aux attentes des multiples contingences humaines.

  Il n’en reste pas moins que ce regard philosophique aura été utile pour nous préparer à découvrir la réalité de la joie chrétienne. Oui, c’est bien de Dieu qu’on peut espérer, dès cette terre, la stabilité dans la joie. Mais, cette fois-ci, il ne s’agit plus d’une simple vue de l’esprit mais d’un don de Dieu et d’un fruit bien réel que finissent par cueillir ceux qui auront le mieux enraciné leur vie en Lui.

  Un don ou un fruit ? La joie dont nous parlons est d’abord un don divin. C’est Dieu qui l’infuse dans les âmes. Son désir est de la communiquer avec profusion mais Il se trouve presque toujours arrêté dans son élan par le désintérêt des hommes à la recevoir. Les hommes courent à perdre haleine vers de petites joies factices qui les empêchent de s’intéresser à la joie principale. D’autant plus que la joie est aussi un fruit. Elle ne s’obtient progressivement et dans la stabilité qu’au prix de l’acceptation de l’œuvre chrétienne dans nos âmes. Il s’agit justement d’orienter toutes nos facultés intérieures vers Dieu et de renoncer pour ce motif à tout ce qui nous disperse et nous éloigne de Lui. La joie est grandissante à mesure de cette conversion plus grande de l’âme qui se tourne vers Dieu.

  Cette joie qui ne trompe pas et qui est destinée à s’enraciner et à s’accroître immensément dans les âmes est donc toute dans le rapprochement de l’âme avec Dieu, dans une union qui s’amorce dès cette terre. Elle monte de l’intérieur au lieu d’être guettée à l’extérieur. Elle ne supprime pas les souffrances du corps et de l’âme. Chacun comprend d’ailleurs que leur nombre et leur intensité ne peut même que grandir au fur et à mesure que Dieu, s’unissant une âme, doit par là-même la purifier plus profondément.

  Mais comprenons que cette joie est plus forte que la tristesse. Alors même que les épreuves fondent de toutes parts sur les amis de Dieu, il est vrai que la fine pointe de leur âme reste insubmersible et qu’elle éclate d’allégresse car l’union à Dieu ne leur est pas enlevée. Plus encore, elle est réjouie d’avoir à présenter à Dieu le sacrifice et l’immolation du tout ce qu’elle désire et désire intensément se prêter au travail divin – dont elle comprend la nécessité – qui constitue à la débarrasser de toutes ses scories.

  C’est ainsi que saint François d’Assise nomme parfaite la joie au moment où le chrétien, accablé d’épreuves, mais justement mort à lui-même, se réjouit pleinement de ne plus vivre qu’en Dieu seul.

Père Joseph

 

LA QUESTION DES ENFANTS MORTS SANS BAPTEME

           L’une des plus grandes épreuves que peuvent rencontrer des parents chrétiens est la mort de l’un de leurs enfants et leur souffrance s’accroît encore lorsque celui-ci meurt sans être baptisé, alors qu’il n’y a eu aucune faute de leur part. Il n’est pas rare de rencontrer une douloureuse incompréhension à propos des limbes. Nous voudrions commencer par citer un discours de Pie XII au sujet du devoir de baptiser les enfants avant de définir avec quel degré d’autorité l’Eglise s’exprime sur la question des limbes (II). Sans pouvoir ni vouloir nous démarquer de cette doctrine, il nous semble que des considérations consolantes peuvent être données à ce sujet (III).

 

I – Le discours de Pie XII du 29 octobre 1951

 

  Nous nous tournons vers l’autorité du dernier pape avant le Concile afin d’entendre de sa bouche l’enseignement traditionnel de l’Eglise sur le sort des enfants morts sans baptême et alors qu’ils n’avaient pas encore l’âge de raison. Pie XII l’a notamment rappelé dans son discours à l’occasion du Congrès des sages-femmes catholiques d’Italie, le 29 octobre 1951. Il leur dit qu’elles peuvent avoir le devoir, en cas de nécessité, de conférer elles-mêmes le baptême et il leur explique pourquoi :

« Si ce que nous avons dit jusqu’ici regarde la protection et le soin de la vie naturelle, à bien plus forte raison devons-nous l’appliquer à la vie surnaturelle que le nouveau-né reçoit par le baptême.

Dans l’ordre présent, il n’y a pas d’autre moyen de communiquer cette vie à l’enfant qui n’a pas encore l’usage de la raison. Et cependant, l’état de grâce, au moment de la mort, est absolument nécessaire au salut. Sans cela, il n’est pas possible d’arriver à la félicité surnaturelle, à la vision béatifique de Dieu. Un acte d’amour peut suffire à l’adulte pour acquérir la grâce sanctifiante et suppléer au manque du baptême. Pour celui qui n’est pas né, ou pour le nouveau-né, cette voie n’est pas encore ouverte. Donc, si l’on considère que la charité envers le prochain impose de l’assister en cas de nécessité, si cette obligation est d’autant plus grave et urgente qu’est plus grand le bien à procurer ou le mal à éviter, et que celui qui est dans le besoin a moins de facilité pour s’aider et se sauver par lui-même, alors il est aisé de comprendre la grande importance de pourvoir au baptême d’un enfant privé de tout usage de la raison et qui se trouve en grave danger ou devant une mort assurée. »

 

  On voit que Pie XII affirme ici de la façon la plus nette que la réception du sacrement de baptême est le seul moyen d’assurer aux enfants morts avant l’âge de raison d’aller au Ciel et, en cela, il est l’écho de toute la tradition ecclésiastique, enseignement consacré par les Conciles et les Pères de l’Eglise.

 

II – Entre un dogme et une simple opinion théologique

 

  Il est de foi qu’une personne humaine, même marquée du seul péché originel, ne peut jouir de la vision béatifique. Il serait cependant excessif de déduire de cette vérité que les enfants morts sans baptême sont certainement privés de la vision béatifique. L’Eglise ne l’a pas fait car elle sait que « Dieu n’a pas enchaîné sa toute-puissance aux sacrements1 ». On ne peut donc « nier la possibilité de voies exceptionnelles connues et voulues de Dieu seul2 ». Dieu nous a laissés dans l’ignorance sur ces possibilités de telle manière que nous devons tout faire pour assurer le sacrement du baptême à tous les enfants sans escompter une action mystérieuse de Dieu qui ne nous a pas été révélée.

 

  La croyance aux limbes pour les enfants morts sans avoir été baptisés n’est donc ni un dogme de foi ni même une conclusion théologique. Elle est cependant une « doctrine communément enseignée et s’imposant à notre adhésion sous peine de faute de témérité3 ». Monseigneur Gaudel, qui a rédigé l’article « Limbes » dans le « Dictionnaire de théologie catholique » exprime, quant à lui, que la croyance aux limbes, sans être un article de foi, s’impose cependant, sous peine de péché grave de témérité, au catholique. On ne peut aucunement se contenter d’y voir donc une simple opinion théologique parmi d’autres.

 

III – Adoucissements

 

  Les prêtres n’ont pas le droit, même dans le bon désir d’adoucir la peine des parents, de prononcer des paroles qui amenuisent ou ébranlent les fondements de cette croyance traditionnelle. Dans l’autre sens, ils ne doivent pas non plus les obliger à exclure de leurs esprits tout espoir de salut pour leurs enfants.

Nous avons trouvé ces propos du Père A. Michel, excellent théologien, qui a combattu courageusement les assauts des théologiens d’avant-garde sur le sujet des limbes, dignes d’être connus :

« Nous ne voyons aucun inconvénient au point de vue de la foi et de la théologie, d’admettre que les parents chrétiens pourront reconnaître dans l’Au-Delà leurs enfants morts sans baptême. La localisation « dans la vie future ne saurait empêcher la communication des pensées par les idées infuses que Dieu accordera tant aux âmes glorifiées qu’aux âmes des enfants incapables de parvenir à la gloire4. »

 

  Voilà ce que dit aussi M. Brides qui fait autorité en Droit Canonique :

« Sans parler des condoléances et même des consolations que le curé ne manquera pas d’exprimer aux parents chrétiens affligés, nous ne blâmerions pas le prêtre (…) qui réciterait des prières avec les parents à la maison et même bénirait le petit cadavre (…) il ne s’agirait que d’une bénédiction « commune » à la fois invocative et déprécative – même sans formule – qui serait comme une supplication adressée au Père pour qu’il lui plaise de ne pas rejeter loin de lui et même d’adopter, dans sa miséricorde, cet enfant qui n’a pu être ici-bas, un authentique temple du Saint-Esprit.

En outre, aucune prohibition positive ne s’oppose à ce que le prêtre pousse la sympathie jusqu’à prendre part in nigris au cortège funèbre qui conduise le petit cadavre jusqu’au lieu de la sépulture. Cet enterrement n’a rien de « civil » ou « d’antireligieux » ; il est simplement (…) non ecclésiastique parce que la loi de l’Eglise l’impose tel. Rien n’empêche non plus le prêtre de réciter avec l’assistance une dernière prière devant la tombe, par exemple le Notre Père, afin de demander pour les parents désolés le courage et la résignation chrétienne5. »

Conclusion

 

  Voilà comment Monseigneur Besson, qui fut évêque de Nîmes a décrit les limbes des enfants morts sans baptême :

« Laissez monter vers Dieu, du fond du royaume invisible où règnent ces petits enfants l’hymne qu’ils chantent avec les bégaiements de leur langue imparfaite, à la gloire de leur créateur (…) ils adorent Dieu dans la clarté étincelante de ses ouvrages (…) Ils louent Dieu et ils lui rendent grâce d’avoir garanti leur innocence personnelle en les livrant à une mort prématurée. Ils se félicitent de n’avoir pas connu la malice et les dangers de ces péchés qui perdent tant d’âmes tombées d’une si grande chute, parce qu’elles étaient réservées à une si grande gloire6. »

Père Joseph

 

1 Mgr Gaume : “Traité du Saint-Esprit” Ed. Gaume Frères et Dupuy 1864, tome I p. 107

2 A. Michel “Ami du Clergé” 1951, p. 101

3 Ibidem p. 99

4 A. Michel : “Ami du Clergé” 1954, p. 584

5 M. Brides “A. C. “ 1952, p. 63

6 Abbé Jules Corblet “Histoire du sacrement de baptême” Tremblay 1881, tome I, pp. 164 et 165