Notre-Seigneur et Notre-Dame

« Lorsque l’Esprit de Dieu agit dans certaines âmes élues pour accomplir une même œuvre, il les pousse, les unes vers les autres, et les rapproche par un mouvement irrésistible1

Pour donner de la lumière sur la question de la complémentarité de l’homme et de la femme, nous nous proposons de considérer, dans la perfection du plan divin de notre Rédemption, les rôles que tiennent Jésus et sa Mère. Leur divine association en vue d’assurer notre salut constitue à jamais le modèle de toutes les œuvres accomplies de concert par un homme et par une femme. Nous avons l’assurance que la part respective que chacun d’entre eux y prend est exactement celle qu’il doit y tenir puisqu’elle a été déterminée par Dieu. Cette pensée est d’une très grande importance à nos yeux puisque nous savons ainsi ce que la Sagesse divine a décidé de confier au nouvel Adam et à la nouvelle Eve. Toutes les plus secrètes harmonies étant connues et respectées de Dieu, ne nous suffit-il pas de remonter, à partir de la répartition de leurs attributions respectives, vers les caractères propres de la masculinité et de la féminité, et de mieux comprendre leur admirable complémentarité ? Nous ne serons pas exhaustifs, loin s’en faut ! Nous nous bornerons à remarquer trois aspects de cette complémentarité entre le Christ et sa Mère. Le premier sera celui de l’extériorité et de l’intériorité ; le deuxième de la paternité et de la maternité et le troisième de la parole et de l’exemple.

A) Extériorité et Intériorité

Celui dont nous parlent les Evangiles, dont les paroles et les actes nous sont rapportés, c’est le Verbe qui s’est incarné, c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ. C’est de sa passion que la narration nous est donnée. Nous y lisons tous les supplices que son corps endura et nous comprenons un petit quelque chose du martyre intérieur dans lequel vécut son âme. Nous savons qu’en toutes choses, Il réalise à la perfection le plan que son Père lui avait fixé pour l’accomplissement de notre Rédemption. C’est l’exécution par l’obéissance du Christ du grand sacrifice salvateur, qui se trouve au cœur du Mystère, que nous découvre la Révélation.

Pour comprendre la place qu’y prend Marie, il nous faut considérer qu’elle vit en elle-même, avec toute la force de son amour, tout ce que Jésus entreprend sous ses yeux. La plus parfaite harmonie unit leurs deux cœurs au point que ce qui affecte l’un retentit au même instant dans l’autre. Pour comprendre donc la compassion de Marie, il suffit de s’arrêter sur chaque information que nous donnent les Evangiles à propos de Notre-Seigneur, pour en méditer la répercussion dans son âme. C’est au-dedans d’elle-même qu’elle vit l’agonie de Gethsémani, la flagellation ou la crucifixion. C’est elle qui recueille dans toute leur plénitude les sept paroles tombées de la Croix. Rien de ce qui émane de Jésus n’est perdu par sa divine associée. Saint Luc l’a excellemment noté et sa parole est l’une des plus éclairantes qui soit sur la très Sainte Vierge Marie : « Elle gardait fidèlement toutes choses en son cœur2

Ce que nous avons dit là du rôle extérieur et du rôle intérieur de Jésus et de Marie ne leur a pas été dévolu par Dieu sans la prise en considération de ce que le premier est homme et que la seconde est femme. Au premier revient l’œuvre visible, qui apparaît extérieurement, dont le caractère est public. A la seconde, l’appropriation intérieure de cette réalisation masculine. Au génie et à l’amour qui se dévoilent se trouvent associés le génie et l’amour qui demeurent sous le voile.

Est-ce à dire que nous refusons à la femme la capacité d’initiative et d’œuvre personnelle ? Ne le penseront que des esprits univoques. Ce n’est pas en effet parce que nous admirons la merveilleuse capacité féminine à s’ouvrir par l’intelligence et par le cœur aux œuvres masculines que nous leur déniions pour autant l’intuition de l’entreprise adéquate. Nous avons simplement voulu dire bienheureux l’homme à qui Dieu a associé cette créature féminine qui devine son cœur et l’épouse avant même qu’il ait formulé un mot.

B) Les réalisations de l’homme et l’homme à réaliser :

Ce qu’aurait pu faire la très sainte Vierge Marie si elle avait été évangéliste, apôtre ou premier pape dépasse, et de très loin, tout ce qu’ont fait de meilleur tous les évangélistes, tous les apôtres et tous les papes réunis. Bien mieux que tous, elle eût écrit la vie de son Fils, évangélisé les Juifs et les Gentils, gouverné l’Église naissante ! Allons-nous donc soupirer en regrettant que ces missions éminentes ne lui aient pas été confiées ? Que ce soit saint Pierre, et non pas elle, qui ait pris la parole le jour de la Pentecôte ? Qu’il n’existe pas un Evangile selon sainte Marie ? Nous sommes portés à considérer les œuvres extérieures, qui se voient et qui s’apprécient. Nous estimons ce qu’elles ont pu coûter d’énergie, supposer de vertu et de persévérance. Nous en saluons les héros avec enthousiasme et reconnaissance ! Mais il y a une pensée qu’on trouve dans l’Evangile, exprimée par une femme du peuple, mais qui vient malaisément dans nos esprits d’hommes. Saint Luc nous raconte qu’un jour, une voix s’éleva au milieu de la foule et s’adressant à Jésus, fit l’éloge de Marie : « Heureuse le sein qui t’a porté et les mamelles que tu as sucées3.» Et cette voix était celle d’une femme qui sait bien ce qu’un homme accompli doit à sa mère.

Infiniment mieux que de raconter la vie de Jésus, Notre-Dame L’a mis au monde, que d’évangéliser les foules, elle a appris à Jésus tout ce qu’Il devait apprendre de science humaine, que de gouverner l’Église, elle L’a enfanté. C’est ici qu’il s’agit d’établir la comparaison décisive entre la mission de l’homme et celle de la femme et de se demander ce qu’il y a de plus grand entre le gouvernement du monde et le façonnement du cœur de celui qui gouverne le monde. Marie est incomparablement plus grande que tous les anges et tous les saints pour Celui qu’elle a conçu, porté dans ses entrailles, tenu sur son sein et élevé, lui qui était le Fils de Dieu.

Chez les hommes comme chez les femmes, il n’est pire signe de superficialité que celui d’avoir oublié ou méconnu l’incomparable grandeur naturelle de la maternité.

C) La parole et l’exemple :

Notre dernière association est celui de la parole et de l’exemple. Celle des trois Personnes Trinitaires qui s’incarne est le Verbe, la Parole. Les Mystères de notre Foi nous ont été dévoilés par l’Homme-Dieu. Il nous a transmis toutes ces vérités inestimables qui forment ce dépôt révélé de la Foi. S’Il a aimé le silence et s’Il nous a donné l’exemple admirable de ses vertus, Il savait que son devoir était de nous instruire de sa Parole de vie qui transformerait les âmes et le monde. Et Il a voulu que ses apôtres et que ses disciples, sur lesquels des langues de feu s’étaient déposées au jour de la Pentecôte, parcourent après lui le monde pour évangéliser, pour annoncer la Bonne Nouvelle. Il faut bien le reconnaître : c’est ici la parole qui est d’or tandis que le silence n’est alors que d’argent.

Mais l’exemple ? Que vaut la parole et que reste-t il d’elle, si elle n’est accompagnée de l’exemple ? Ce qui demeure dans notre esprit est bien davantage l’image de nos parents agenouillés chaque soir pour la prière familiale que des bonnes raisons qu’ils nous fournirent de nous mettre à genou !

Nous comptons les paroles de Marie. La plus longue est le Magnificat et, toutes mises bout à bout, elles tiennent sur une page. Voilà donc tout ce qu’avait à nous dire la Mère de Dieu ? Elle est en réalité le premier et le meilleur disciple de son Fils, et sa fille chérie. Elle illustre par sa vie les paroles qu’Il prononce. Et cela tient encore à la complémentarité de l’homme et de la femme qu’on apprend à vivre en écoutant le premier et en regardant la seconde.

Là encore, ne conclura que la femme est perdante dans cette comparaison que celui qui ne pénètre pas dans les profondeurs de l’être et qui n’entend pas que le bon exemple qu’on reçoit exprime bien plus certainement la qualité d’un être que la bonne parole qu’on reçoit de lui.

Nous aurions une longue et édifiante litanie de comparaisons à égrener. Rien que d’y penser, elle nous ravit. Chacune d’entre elles chanterait à son tour que Dieu a fait une belle chose en créant l’homme et une non moins belle en créant la femme, mais que leur union et leur complémentarité ajoutent encore incomparablement à la beauté de l’un et de l’autre.

R.P. Joseph

1 Père Didon, Jésus-Christ, p. 110

2 Lc 2, 51

3 Lc 11, 27