La confiance

Sans en avoir le plus souvent conscience, nous agissons à l’égard des enfants que nous éduquons un petit peu à la manière dont Dieu s’y prend vis-à-vis de nous. Lorsque nous le réalisons davantage, nous admirons d’autant plus l’art divin en matière d’éducation et nous en recevons alors de nouvelles lumières pour nous-mêmes. Prenons l’exemple de la confiance et posons les deux questions suivantes : devons-nous faire confiance en Dieu ? Dieu nous fait-il confiance ? Nous verrons après comment elles nous aident à faire une lumière plus vive sur ces deux dernières questions : nos enfants doivent-ils nous faire confiance et devons-nous leur faire confiance ?

I- Nos rapports avec Dieu

1) Devons-nous faire confiance en Dieu ?

Des quatre questions que nous avons posées, c’est celle dont la réponse est la plus facile à donner. Oui, notre confiance en Dieu doit être la plus grande possible. En effet, Dieu est Celui qui possède toutes les perfections. Il est la Sagesse infaillible qui ne peut ni se tromper ni nous tromper. Cette sagesse agit par ailleurs comme elle l’entend en raison de la toute puissance divine. Voilà donc quel est celui qui nous a aimés jusqu’à verser son sang pour nous : Il est la Sagesse même et Il est le Tout-Puissant qui met au service de Son Amour infini pour nous les trésors de sa Sagesse et de sa Puissance. C’est pourquoi notre confiance ne doit avoir aucune limite et nous blesserions et nous contristerions son Amour de nos inquiétudes humaines.

2) Dieu nous fait-il confiance ?

Selon saint Thomas, la magnanimité qui « a pour objet une chose difficile que l’on a bon espoir de réaliser »1 a elle-même pour condition la confiance qui « n’est autre qu’un robuste espoir engendré par un fait qui nous incline à juger un bien réalisable »2. Aussi la confiance « ne peut donc pas, à proprement parler, être dite une vertu, mais la condition d’une vertu »3. A la lumière de ces indications, on comprend qu’il est inadéquat, en rigueur du terme, de dire que Dieu peut « faire confiance ». La confiance est un espoir. Mais l’espoir ne naît en nous qu’à la pensée de posséder un bien que nous ne possédons pas. Mais rien ne manque à Dieu.

Si l’on cherche maintenant à répondre à notre question à la lumière de ce que nous dit saint Thomas, il faut dire que Dieu sait ce qu’il y a dans le cœur de chaque homme. Et c’est parce qu’Il a cette science parfaite que ni la Foi, ni l’Espérance, ni la confiance ne lui conviennent. Ces vertus supposent en effet des déficiences de science chez ceux qui les possèdent. Lorsque Dieu confie une mission à un être humain, il sait parfaitement, de toute éternité, s’il l’accomplira parfaitement, ainsi que Notre-Dame, ou s’il se montrera infidèle comme Judas. Aussi, même si nous prenons le cas de Notre-Dame qui répond parfaitement au plan divin, on peut peut-être dire que Dieu lui fait confiance4 si l’on entend par là que Dieu savait qu’Elle accomplirait à chaque instant toute sa volonté sur elle. Mais en réalité, il faudrait mieux dire que Dieu n’a pas besoin d’avoir confiance en Elle puisqu’Il sait qu’Elle lui sera parfaitement fidèle. Il est vrai qu’on trouve, parfois, dans des traductions françaises la parole : « Le Seigneur m’a fait confiance »5 placée sur les lèvres de saint Paul mais c’est sans doute une certaine défectuosité dans le passage au français qui en est la cause.            

II – Les rapports entre les parents et leurs enfants

Nous allons maintenant considérer la réciprocité des rapports entre les parents avec leurs enfants à la lumière de ce que nous venons d’écrire des relations entre Dieu et tous les hommes.

 

1) Les enfants doivent-ils faire confiance à leurs parents ?

Les enfants doivent obéissance à leurs parents en tout ce qui ne leur serait pas ordonné contre la foi et les bonnes mœurs. Ils doivent cette obéissance à ceux qui représentent Dieu auprès d’eux. Ils possèdent naturellement, dans leurs plus jeunes années, des dispositions de confiance illimitées en leurs parents qui favorisent leur obéissance jusqu’à traverser les yeux fermés les Champs-Elysées, du moment que leur main est dans celle de papa ou de maman. Cependant, le moment viendra où ils découvriront les limites humaines de leurs parents. Ce constat de l’imperfection de la condition humaine n’affectera pas – par lui-même – leur confiance mais l’ajustera pour qu’elle soit ce qu’elle doit être à l’égard de « ceux qui ne sont pas Dieu ». Ils prendront aussi conscience, à un moment donné, de quelque défaillance morale de leurs parents. Je dirais, là encore, que cette prise de conscience ne suffit pas à ébranler réellement la confiance car le dogme du péché originel leur rappellera que tous les hommes sont pécheurs.

 

La perte de confiance n’est réellement provoquée que s’ils sont témoins de scandaleuses injustices, tromperies, impiété etc… Cette perte de confiance progressive n’est cependant pas encore irrémédiable si les enfants voient ensuite le parent coupable vraiment s’amender et réparer. Elle peut se rétablir, au moins partiellement. Mais, c’est alors aux parents de redevenir dignes de cette confiance et de ne pas la réclamer comme un dû s’ils ont gravement failli. Ils doivent la reconquérir.

Il est important de noter ici que la confiance doit être soigneusement distinguée de l’obéissance de telle sorte que si, pour des motifs justes, les parents ont perdu la confiance de leurs enfants, ces derniers ne se croient pas pour autant dispensés et de les respecter et de leur obéir (toujours dans la mesure des limites de l’obéissance déjà rappelées). Il faut cependant reconnaître qu’il faut une vertu particulière pour continuer d’obéir à ceux en qui l’on n’a plus confiance.

Il en résulte clairement que la vertu des parents aide singulièrement à l’obéissance des enfants.

 

2) Les parents doivent-ils faire confiance à leurs enfants ?

Les enfants sont des êtres humains, dont les capacités physiques et mentales ne sont encore qu’imparfaitement développées. De plus, les vertus sont à former en eux par la répétition des actes et ce perfectionnement ne se fera qu’avec le temps. Les parents doivent avoir conscience de toutes ces limites, ne pas s’en étonner et ne pas idéaliser leurs enfants au point de s’écrier comme une mère de famille : « Mon enfant ne ment jamais ! »

 

Les parents doivent imiter la manière dont Dieu use à l’égard de tous les hommes. De même que Dieu sait, en confiant des missions aux hommes, qu’ils failliront souvent, partiellement ou totalement, mais les confie quand même, les parents doivent aussi, prudemment bien sûr, agir de la sorte à l’égard de leurs enfants avec une intelligente progressivité. Il y aura forcément « de la casse » mais c’est inévitable. Que maman ne refuse pas qu’Emilie, âgée de trois ans, l’aide à mettre le couvert, même si elle ne lui met pas trop vite dans les mains les assiettes en porcelaine de Chine.                  

Au fur et à mesure que les enfants s’acquittent bien des petites missions, on leur en confiera, ainsi que dans la parabole des talents, des plus grandes. On développera tout spécialement en eux la vertu de franchise. Les grosses bêtises, bien avouées, doivent être vite pardonnées, et les enfants doivent sentir que les mensonges sont bien plus graves que les grosses bêtises. Les mensonges, bien plus que les bêtises, doivent entraîner une diminution de la confiance qui doit être ressentie par les enfants afin qu’ils se corrigent.

C’est ainsi que, par le jeu de la confiance, on fait beaucoup dans l’éducation des enfants.

Prenons conscience de l’importance de la confiance dans les relations entre nous et le bonheur de vivre dans des sociétés où il existe une grande confiance des uns vis-à-vis des autres. Mais c’est par une conquête qu’on parvient à ce résultat, la conquête progressive des vertus. C’est dans toute la mesure, en effet, où l’homme s’approche davantage de Dieu, infiniment saint, qu’il inspire et mérite notre confiance.

R.P. Joseph