« ELOIGNEZ LES PETITS ENFANTS DU CHRIST. »

 Nous croyons que Notre-Seigneur Jésus-Christ est le seul vrai Dieu, que notre bonheur est de la connaître, de l’aimer, de l’imiter, de l’adorer, de nous unir à lui, dès cette terre, puis dans l’éternité bienheureuse. En conséquence, nous voulons que les hommes soient baptisés le plus tôt possible car c’est par ce sacrement qu’ils deviennent les enfants de Dieu. Nous n’avons pas plus besoin qu’ils nous donnent leur assentiment pour leur procurer ce bienfait que pour leur donner la nourriture quotidienne que réclame leur corps. Le baptême ouvre la porte de l’ordre surnaturel à l’âme et lui confère la grâce sanctifiante et toutes les vertus surnaturelles. Cette infusion initiale donne alors à chacun l’aptitude à poser des actes d’une excellence divine et vise à nous amener à notre vraie perfection qui est la sainteté ou l’imitation de Notre-Seigneur Jésus-Christ. « Les actes des vertus surnaturelles sont inspirés à notre esprit par les lumières divines de la foi, et exécutés par notre volonté avec le secours divin de la grâce[1] ». Nous ne pouvons rien souhaiter sur la terre de meilleur que de vivre constamment en état de grâce et, mus par l’amour de Dieu, de nous adonner à pratiquer toutes les vertus surnaturelles avec la plus grande ferveur. Tel est l’unique et véritable itinéraire qui permet dès ici-bas de connaître un vrai bonheur, gage de la félicité éternelle.

Mais que se passe-t-il maintenant, lorsqu’un être humain n’a pas été baptisé ? La pratique des vertus lui est-elle totalement fermée ? Il importe de distinguer ici les vertus surnaturelles des vertus naturelles ou acquises. Ces dernières viennent de la répétition des mêmes actes bons que nous effectuons. Peu à peu, nous obtenons une facilité à les accomplir. Ils nous disposent à bien agir, et avec aisance, dans un domaine donné. Les vertus naturelles sont ces bonnes habitudes acquises par la répétition des mêmes actes. Elles sont donc, non pas le fruit du baptême, mais du labeur honnête de l’homme qui essaie de vivre raisonnablement. Les païens peuvent posséder de telles vertus et c’est un constat que nous pouvons faire chez certains d’entre eux.

Toutefois, il faut bien comprendre que les vertus naturelles demeurent déficientes. Car « dans l’ordre présent (celui de l’élévation dans le Christ du genre humain), nulle disposition n’est bonne, purement et simplement bonne, que celle qui adapte le possesseur à la vision de Dieu[2] ». Or les actes des vertus naturelles ne peuvent dépasser notre condition d’être humain raisonnable et volontaire. Ils ne sont pas non plus méritoires pour le Ciel. Et, de plus, même d’un seul point de vue naturel, ils sont souvent entachés par l’ignorance complète de certaines vérités telles que l’humilité. S’il est donc possible de signaler de beaux actes de force et de dévouement, par exemple, dans l’antiquité païenne, il est à craindre leurs racines d’orgueil. Seule la révélation chrétienne, l’exemple et la doctrine de Notre-Seigneur Jésus-Christ nous découvrent la perfection de la vertu et la grâce de nous mouvoir dans l’accomplissement d’actes authentiquement surnaturels.

Essayons maintenant de considérer où en est l’exercice des vertus surnaturelles et naturelles dans nos sociétés d’aujourd’hui.

Nous avons dit que les vertus surnaturelles nous étaient communiquées lors de l’effusion de la grâce dans nos âmes à notre baptême. La raréfaction des baptêmes a donc pour conséquence immédiate celle des vertus surnaturelles. D’autre part, même si elles existent chez ceux qui sont baptisés et en état de grâce, leur exercice se trouve en réalité freiné par la corruption de la doctrine catholique dans un très grand nombre d’esprits. L’intelligence de l’abnégation et la place nécessaire de la croix ont été massivement oubliées et rejetées au profit d’une existence d’un nouveau genre chrétien. En cette religion, il est de moins en moins supporté que l’on ait le devoir de s’abstenir de certains plaisirs qui s’offrent au motif d’une morale réellement contraignante. Une place est encore accordée à un Dieu qui rassemble les hommes et qui cimente leur fraternité, mais non plus à un Dieu qui oserait encore imposer aux hommes les exigences de ses commandements intangibles.

Les vertus naturelles ne se portent pas mieux que les surnaturelles et pour une raison principale en réalité valable pour les unes et pour les autres. La Foi en Dieu s’est volatilisée. C’est vrai chez les catholiques chez qui la religion s’apparente à un sentiment du divin bien plus qu’à une conviction claire de l’existence de Dieu et à une adhésion au contenu de la Révélation. La transcendance cède la place à l’immanence et l’homme ne croit plus suffisamment en Dieu pour accepter à cause de Lui, de renoncer aux voluptés terrestres. Nous décrivons là une très forte tendance, même s’il ne faut pas généraliser.

Mais ce qui est vrai chez les catholiques provient en réalité d’une montée de l’agnosticisme et de l’athéisme qui est une caractéristique de notre époque. Or la remise en cause de l’existence de Dieu provoque une véritable révolution de l’ordre moral. « Si Dieu n’existe pas, tout est permis » avait noté Dostoïevski. Si notre existence se termine à l’instant de notre mort et que nos actes demeureront à jamais impunis, il devient illusoire de retenir les hommes de céder à leurs passions. Certes, il reste le principe des natures et de leur respect. Mais, dans les faits, qui a nié Dieu est bien près de refuser la permanence des essences et de leurs lois. Si Dieu n’est d’ailleurs pas à l’origine des choses, c’est à chacun de juger, à ses risques et périls, d’en enfreindre les règles s’il estime qu’elles existent. Mais, en réalité, l’existentialisme et le relativisme ont fait leur œuvre et le sentiment le mieux partagé est qu’il n’y a rien de stable. Aucune loi ne s’impose aux hommes et chacun se construit librement comme il l’entend. Est vertueux ce que je décide d’être.

Est-ce donc l’ère de la liberté qui commence ? Que devient cet homme à qui ses géniteurs et ses maîtres annoncent qu’il fait de sa vie ce qu’il lui plaît de faire et qu’il n’a de compte à rendre à personne ? Que ce qu’il décide librement de faire de son existence est bon au motif qu’il l’aura librement décidé ? Il s’oriente vers la satisfaction de ses désirs les plus immédiats. Il exige que ses caprices soient entendus. Au fur et à mesure que se découvrent à lui les jouissances sensuelles, il les recherche toujours plus fortes et grisantes. Tout simplement, parce qu’il est en quête du bonheur et que le monde se réduit à ses yeux à la seule matière.

Dira-t-on que ce petit animal assoiffé de toutes les voluptés, puis un instant repu, et de nouveau en chasse de blandices nouvelles est vraiment libre ? On peut le dire et peut-être même le croire. Mais, à la vérité, pour pouvoir le penser, il faut ne plus rien savoir de la liberté ! La réalité est celle d’un abominable esclavage. L’être humain habitué à ne jamais résister à la tyrannie toujours plus sévère de ses sens est un pauvre malheureux. Dans l’illusion de son eldorado sensuel, il sombrera dans la débauche et les plaisirs orgiaques. Jusqu’à quand ? Jusqu’à cette impression de dégoût de tout et surtout de lui-même et à cette certitude tardive qu’il a pris le mauvais chemin de la vie. Mais comment sortir d’un tel asservissement lorsque la volonté n’a jamais été exercée ? Comme on comprend la vertigineuse augmentation des suicides d’ailleurs vantés par cette société comme le nec plus ultra de la liberté !

En réalité, nous devons dénoncer l’empire du démon. L’homme qui se révolte contre Dieu devient infailliblement la proie du diable. Expert à tenter l’homme, à concéder quelques cacahuètes pour l’attirer, Satan n’est pas original. Il redit inlassablement aux hommes ce qu’il chuchotait à Eve au jardin de l’Eden : « Vous serez comme des dieux ! » Mais notre époque est la plus naïve de toutes celles de l’histoire. Elle répète la promesse du serpent avec une conviction jamais égalée et elle précipite ainsi les enfants des hommes dans un enfer terrestre. Au nom de la liberté !

Plus que jamais, nous devons avoir la ferme volonté d’une parfaite cohérence dans la vie familiale afin que notre foi soit l’unique principe de notre existence. C’est ainsi que nous maintiendrons, en dépit du contexte, la vie catholique sur terre.

Père Joseph

[1] R.P. Joseph Schellhorn in le « Catéchisme de la vie intérieure » 1937 p. 16

[2] Abbé Berto in « Les vertus nécessaires à la jeunesse actuelle

 

La famille et les scandales

Qui ne connaît pas dans son entourage proche d’excellents parents douloureusement atteints par l’éloignement de la foi ou l’inconduite morale d’un ou de plusieurs de leurs enfants ? Le contexte de la crise de l’Église et de l’apostasie de la société civile et la révolte contre toute loi morale constituent des facteurs redoutables de corrosion qui parviennent à faire chanceler de jeunes gens qui avaient pourtant reçu une solide formation religieuse. Les familles touchées par de tels drames se trouvent alors confrontées à des questions bien délicates. Quelle attitude adopter à l’égard de ces fils ou de ces filles à la vie devenue si répréhensible ? Le devoir de protéger le reste de la fratrie du mauvais exemple ne demande-t-il pas de rompre avec eux ? Mais si cette rupture est décidée, comment espérer encore le retour des enfants prodigues ? On comprendra qu’il est absolument impossible de traiter des situations innombrables qui peuvent se présenter. Notre désir est de donner ici un éclairage qui est indispensable pour répondre aux problèmes qui se posent et auxquels les parents se trouvent confrontés. Cet éclairage nous sera donné par l’exposé de certaines notions de théologie morale à la lumière desquelles nous proposerons certaines lignes de conduite. Nous terminerons sur quelques cas concrets.

I- Quelques notions de théologie morale

Le pécheur public

Par « pécheur public », l’Église désigne une personne qui a été baptisée dans la religion catholique mais qui s’est rendue coupable d’un ou de plusieurs délits énumérés dans le Code de Droit Canonique lorsque les fautes qu’elle a commises, ou sont déjà divulguées ou risquent facilement de l’être. Parmi ces délits retenus par le Code, citons la défection de la Foi Catholique par l’apostasie et l’hérésie, l’appartenance à la franc-maçonnerie ou des sectes analogues, l’avortement, la bigamie, l’adultère, le concubinage, etc … Notons qu’une faute isolée ne suffit pas toujours pour qu’une personne puisse être considérée comme pécheur public, même si cette faute a été divulguée. Il faut qu’elle se trouve habituellement dans cette situation de péché. Un homme qui commet une fois le péché d’adultère n’est, par exemple, pas pécheur public pour autant mais il le devient s’il vit avec une autre femme que la sienne et que sa situation est connue ou risque aisément de l’être. Aujourd’hui, le cas de péché public le plus fréquent est celui du concubinage qui est presque devenu la norme. Ajoutons que certains péchés, même s’ils ne sont pas des délits, c’est-à-dire des transgressions de la loi ecclésiastique, peuvent cependant être gravement nuisibles au bien commun.

Le bien commun

Il est à noter que tous les péchés graves ne sont pas pour autant des délits. Le Droit Canon ne reconnaît comme délictueux que ceux d’entre eux qui sont spécialement nuisibles au bien commun de l’Église. Elle se doit de protéger sévèrement ce Bien dont l’affaiblissement provoqué par des lésions graves et répétées entraîne un préjudice pour tous les fidèles.

Afin de défendre ce bien commun et tous les fidèles, l’Église sanctionne ceux qui se rendent coupables de ces infractions d’ordre canonique. Des peines de gravité variable sont définies par le Code et amènent des conséquences graves telles que le refus des sacrements et de la sépulture ecclésiastique tant qu’ils n’ont pas donné des signes clairs de leur repentir et de leur amendement et qu’ils n’ont pas fait une réparation publique.

L’Église explique pourquoi elle agit toujours ainsi et dans quel esprit elle le fait. Elle le fait, non point pour offenser le pécheur dont elle souhaite ardemment la conversion mais afin de combattre pour l’honneur de la religion et de préserver ses enfants du scandale.

Le scandale

Le grand souci de l’Église est d’empêcher que les fidèles ne soient scandalisés par une indignité ou une inconduite qui n’aurait pas été reprise comme il l’aurait fallu. La notion de scandale doit être ici reprécisée car son acception courante (choquer) s’est éloignée de sa véritable signification.

 « Est scandaleux tout fait, omission, parole, action quelconque ayant au moins un aspect moins bon et pouvant produire une faute morale chez autrui[1] ».

Bien qu’il ne soit pas toujours en lui-même un péché, l’acte qui cause le scandale l’est très souvent. Aujourd’hui, la multiplication des péchés publics et leur légalisation provoquent une banalisation universelle ou à peu près des comportements les plus répréhensibles. Même chez ceux qui continuent à distinguer le bien du mal, l’accoutumance à côtoyer la perversion est extrêmement dommageable en elle-même et débouche sur des tentations qui résultent de ce contexte de débauche.

La coopération au mal

Il est aisé de comprendre que l’on ne doit pas coopérer positivement au péché en l’approuvant, en le conseillant, en le louant, en le légalisant, en en prenant la défense. Mais les circonstances peuvent nous demander de faire davantage et de nous y opposer activement en le désapprouvant et en y mettant obstacle. Nous pouvons être coupables et même gravement coupables de ne pas utiliser les moyens qui sont à notre disposition pour empêcher le péché. Enfin, que le péché ait déjà été commis, ou qu’il risque de l’être, nous pouvons être tenus à la correction fraternelle.

La correction fraternelle

Elle consiste soit à reprendre son prochain de ses péchés ou de ses défauts, soit à l’avertir d’un péril de pécher où il se trouve. Ce devoir de charité nous oblige gravement si

« le prochain se trouve dans une grave nécessité spirituelle » ; si l’on peut prévoir que « notre intervention sera très probablement, sinon très certainement efficace » ; « qu’il n’y ait pas d’inconvénient grave constituant une excuse valable[2]».

Il importe de souligner ici que la vraie charité consiste à avoir le courage de reprendre le pécheur tandis que la fausse charité est de ne jamais rien dire et de laisser faire.

Le libéralisme moral et l’inversion du scandale

Dans le domaine moral, le libéralisme consiste à donner les mêmes droits à toutes les personnes, qu’elles soient ferventes catholiques ou pécheurs publics. Il donne les mêmes droits à tous ; il use des mêmes égards envers les uns comme envers les autres sans faire aucune distinction entre le bien et le mal. Qu’il s’agisse d’une attitude que l’on adopte par principe ou par facilité et lâcheté, le libéralisme moral crée une atmosphère détestable qui place le vice et la vertu sur un pied d’égalité et est gravement scandaleux en elle-même.

La conséquence logique du libéralisme moral est de conduire à l’inversion du scandale. Par cette expression, nous voulons désigner l’attitude de ceux qui en viennent à se choquer et à s’indigner contre les personnes courageuses qui refusent l’indulgence coupable à l’égard des pécheurs. C’est là une inversion vraiment diabolique.

La tolérance

Comprenons cette notion dévoyée par la modernité qui, en son nom, ne fait plus de différence entre le vrai et le faux, le bien et le mal, le beau et le laid. Tout se trouve noyé dans le relativisme. Non, la tolérance est toujours la permission d’un mal qu’on préfère laisser subsister de crainte qu’en cherchant à l’éradiquer, on en provoque un plus grand. Il est à souhaiter cependant que la tolérance soit provisoire et que le moment surviendra, la situation s’étant améliorée, où l’on pourra s’attaquer au mal. L’acte de tolérance est toujours un acte de la vertu de prudence, non de celle de justice, et elle relève du chef.

II – Lignes de conduite

1) Le bien commun l’emporte sur le bien particulier. A la lumière de ce principe, les parents d’un enfant qui mène une vie scandaleuse doivent toujours se rappeler que leur amour de cet enfant et le désir de le ramener ne doivent pas passer au-dessus de la préservation de l’ensemble de la famille. S’ils ne doivent pas abandonner leurs efforts pour qu’il se dégage de sa vie de péché, ce ne doit pas être au risque de banaliser ses comportements coupables devant ses frères et sœurs.

2) En tenant compte de l’âge des enfants, de leur connaissance précise ou approximative de  la situation de celui de leurs frères ou sœurs qui vit mal, il importe que la réprobation de son indignité et de son inconduite soit clairement exprimée par les parents. On expliquera que ce blâme nécessaire et les distances qu’il impose n’empêchent ni l’affection qu’on lui porte ni l’espérance qu’on a de le ramener de ses mauvais comportements.

3) Parmi toutes les circonstances qui doivent être considérées, signalons que la sévérité envers le coupable doit être plus stricte dans une famille bien préservée où le scandale d’une inconduite provoquera un mal plus grand. Elle doit être aussi plus grande si l’enfant a reçu toute l’éducation chrétienne qu’il était possible de lui donner.

4) Les prières et les sacrifices pour le coupable sont de tous les jours. Les tentatives et les efforts pour le ramener doivent être tentés avec un grand discernement de toutes les circonstances pour qu’ils soient efficaces pour la brebis perdue sans nuire à la fratrie.

 III – Quelques cas concrets

Nous envisagerons trois cas dont les deux premiers, même en milieu traditionnel, ne sont pas rares. Quant au troisième, il est certes rare mais malheureusement pas inexistant.

  1. a) Cas d’un enfant vivant en concubinage:

La banalisation de cette situation dans la société d’aujourd’hui est extrême. Dès que l’on sort des milieux catholiques traditionnels et conservateurs, la pratique du concubinage avant le mariage est généralisée et elle l’est souvent avec la bénédiction des prêtres. Ce fléau est une menace très sérieuse pour les familles qui restent catholiques tant le mauvais exemple est insidieux.

Cependant ceux qui vivent en concubinage sont des pécheurs publics. Leur indignité et leur inconduite font scandale et les parents d’un enfant qui se trouve dans cette situation ont le devoir de protéger leurs autres enfants contre ce scandale.

Aussi ne doivent-ils en aucun cas accepter de concéder à celui de leurs enfants qui vit en concubinage de venir à la maison familiale avec son concubin comme si de rien n’était. Ce qui implique de ne les recevoir à dormir ni dans la même chambre évidemment ni même dans des chambres différentes. Ce qui implique également de ne pas accepter le concubin du membre de la famille à la table familiale. C’est sa présence même qui doit être bannie de la maison afin de ne pas accoutumer les autres enfants à l’indulgence vis-à-vis du péché.

 Lisons ce que dit Saint Paul : « En vous écrivant dans ma lettre de n’avoir pas de relations avec les impudiques, je n’entendais pas d’une manière absolue les impudiques de ce monde, ou bien les cupides et les rapaces ou les idolâtres ; car il vous faudrait alors sortir de ce monde. Non, je vous ai écrit de n’avoir pas de relations avec celui qui, tout en portant le nom de frère, serait impudique, cupide, idolâtre, insulteur, ivrogne ou rapace, et même avec un tel homme de ne point prendre de repas. (…) Ceux du dehors, c’est Dieu qui les jugera. Extirpez le méchant du milieu de vous[3]». En réalité, la parole de Saint Paul exige de ne pas accepter à un repas le frère lui-même qui est pécheur public. Si l’on peut penser que l’apôtre parle plutôt des repas de la communauté chrétienne, les parents doivent cependant se demander si la présence même de celui de leurs enfants qui vit en concubinage à la table familiale, même sans son concubin, surtout si son attitude est insolente et provocante, ne suffira pas à constituer le scandale.

En revanche, ce qui est possible, surtout si les parents estiment par un entretien avec le concubin de leur enfant, ou le décider au mariage, s’ils estiment souhaitable le mariage ou favoriser la cessation du concubinage, c’est de le recevoir dans la plus grande discrétion, à l’insu de leurs enfants et en dehors du cadre familial.

  1. b) Cas d’un enfant divorcé remarié

Non seulement les divorcés remariés sont des pécheurs publics mais ils sont frappés d’une infamie de droit[4]. Leur situation d’état habituel d’adultère est rendue encore plus odieuse par l’apparence de légalité que donne le mariage civil.

Tout ce que nous avons dit concernant le concubinage vaut a fortiori pour la situation d’un enfant qui vivrait avec un autre conjoint que son conjoint légitime ou qui vivrait avec une personne ayant abandonné son conjoint légitime.

Recevoir cette personne causerait un scandale beaucoup plus grave encore que de recevoir un concubin pour les motifs suivants : ce serait un outrage commis contre le caractère sacré du mariage et l’inviolabilité des engagements qui ont été contractés devant Dieu et ce serait également un outrage envers le conjoint légitime.

Etant donné que la seule issue à cette situation est la séparation de deux adultères, les recevoir ensemble dans le cadre familial ne peut que constituer un grave scandale.

Il reste que les parents pourraient les recevoir en privé pour les conjurer de se séparer.

  1. c) Cas d’un enfant vivant dans une relation contre-nature 

Faut-il rappeler que l’Eglise enseigne que ce péché est puni par la loi divine de la peine de mort et que cette peine fut encore appliquée en France au XVIIIème siècle ? Que le Catéchisme de Saint Pie X enseigne qu’il y a « quatre péchés dont on dit qu’ils crient vengeance devant la face de Dieu dont l’homicide volontaire et  le péché impur contre l’ordre de la nature[5] » ?

Là encore, le scandale a produit ses effets sur toute la société car ce vice se trouve terriblement banalisé.

Tout ce que nous avons dit auparavant vaut en face d’une telle situation. Mais il nous semble, en plus, que l’enfant qui se trouve dans un tel cas doit être rencontré par ses parents uniquement en privé et à l’extérieur du cercle familial pour l’aider à retrouver l’amitié avec Dieu. La seule acceptation de sa présence suffirait dans l’esprit des membres de la famille à relativiser la gravité de son péché qui l’est déjà tellement par tout le contexte extérieur.

L’abaissement vertigineux de toute moralité ne doit pas nous amener à baisser les bras et la barre. Nous devons, avec la grâce de Dieu, courageusement demeurer fidèles aux commandements divins qui sont immuables. Notre intransigeance constitue en réalité l’aide la meilleure que nous pouvons apporter aux pécheurs pour qu’ils prennent conscience de leur péché et qu’ils s’amendent. Mais prions pour tant de familles si douloureusement éprouvées par ces situations dramatiques. Faisons pénitence pour que les coupables viennent à résipiscence.

Père Joseph

NB : nous nous référons uniquement au Code de 1917

 

[1] Vittrant : « Théologie morale » p. 197

[2] idem p. 99

[3] I Cor, 5 ; 9-13

[4] Canon 2356 du Code de 1917

[5] Catéchisme de Saint Pie X – V – Chap. 6

Le rôle de la femme

La femme exerce son attrait sur l’homme tant qu’elle reste femme, mais elle commence à le perdre dès qu’elle se fait son imitatrice.

                Si elle ne le lui révèle pas, l’entourage d’une femme ne soupçonne pas qu’elle attend un enfant au cours des premières semaines de sa grossesse. Son apparence ne trahit pas encore son secret. Une autre personne a commencé d’exister en elle. Dieu le sait ; elle le sait mais le monde l’ignore. La nature lui a réservé le temps de savoir qu’elle est habitée d’une nouvelle vie humaine sans que son mystère intérieur soit tout de suite connu. Le privilège de celle qui sait avant tout le monde est en rapport avec le lien unique qui existera pour toujours entre elle et son enfant. Lorsque sa silhouette dévoilera au monde la présence du bébé qu’elle porte, voilà bien longtemps qu’elle aura noué avec lui une relation d’amour qui ne s’interrompra plus. Au bout des neuf mois, l’enfant ne quittera son habitacle que pour reposer sur sa poitrine et se nourrir de son sein. Sa mère est tout son univers. Elle l’est pour longtemps et ce n’est que très lentement que le petit d’homme, le plus lambin de toute la création, prendra son autonomie. Tel est le spectacle que nous offre la nature, maîtresse de vérité. Les générations qui nous ont précédés auraient sans doute écarquillé les yeux d’apprendre qu’une époque viendrait où se ferait sentir la nécessité de démontrer l’obligation de garder ces rythmes naturels qui unissent la mère et l’enfant. Elles savaient si bien que la nature ne respecte pas ceux qui ne la respectent pas, que la soumission à ses lois leur apparaissait comme le fondement de la sagesse. Mais nous vivons aujourd’hui à une époque où l’homme croit déchoir s’il s’assujettit à des règles qu’il n’a pas choisies. Ce mauvais esprit s’est tellement propagé que nous en sommes tous plus ou moins contaminés. Qu’est ce qui nous permettra donc de revenir à la raison au point où nous nous trouvons ? Peut-être la vue des désastres provoqués par notre révolte contre l’ordre naturel ? Mais nous ne pouvons guère nous consoler d’un retour si tardif au réel en pensant aux millions d’enfants victimes de notre folie. Aussi cette « petite enquête sur la féminité » s’est essayée à inventorier les avis que pourraient nous donner ses différents témoins ou protagonistes si nous pouvions les interroger réellement. Conscient des limites de notre exercice, nous espérons cependant qu’il pourra projeter un peu de lumière sur le sujet.

I – La parole est d’abord à la féminité

                « Soyez remercié de me donner la parole. Je ne vous cache pas que j’attendais depuis longtemps qu’on me la donne car je pense que ce que j’ai à dire est d’une urgente nécessité. Aucune époque ne m’a autant méconnue et bafouée que celle-ci ; aucune n’est allée jusqu’à nier mon existence comme elle l’a fait. Il est pourtant vital pour l’humanité que les femmes réapprennent qui je suis pour savoir ce qu’elles sont. Au nom d’une liberté mal comprise et insensée, beaucoup d’entre elles se sont laissé convaincre que leur épanouissement et le bonheur consisterait à faire tout ce qu’elles veulent sans la moindre contrainte. Leur dignité féminine exigeait qu’on les délivrât de tous les carcans qui pesaient sur elles et qu’elles pussent accéder librement à tous les emplois masculins. Tant que la plus stricte égalité de droits n’existerait pas entre hommes et femmes, tant que la révolution féministe ne serait pas achevée, il leur incombait de poursuivre leur lutte. Il faut cependant avouer que leurs revendications, au fur et à mesure qu’elles étaient exaucées, les ont amenées à une très étonnante pensée. Après avoir tant combattu en mon nom, elles en sont arrivées à la conclusion que je ne devais pas exister, que je n’existais donc pas. Pourquoi cela ? Parce que si j’existais, je les contraignais dans leur volonté d’émancipation. Si elles étaient déterminées par leur sexe, c’est qu’elles n’étaient pas libres. Rien ne devant plus leur être imposé, elles devaient choisir d’être femme si elles le voulaient, tant qu’elles le voudraient, autant qu’elles le voudraient et dans la mesure où elles y consentiraient. Leur cri de révolte s’est exprimé dans la parole de Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient. »

                Je dénonce cette absurdité criminelle ; je dénonce le féminicide et j’affirme que l’humanité ne se relèvera pas de cette idéologie tant qu’elle empoisonnera les esprits et les mœurs. Je la déclare plus grave que l’avortement car les femmes n’accepteraient pas le règne de la mort dans leur sein si elles ne s’étaient d’abord révoltées contre ce qu’elles sont. Le mélange des sexes, la mixité sans frein, le traitement indifférencié des garçons et des filles sont une folie et un saccage, à l’origine de la déprédation de la psychologie féminine, première véritable merveille en péril, au patrimoine de l’humanité. Ne voyez-vous pas les êtres hybrides que vous fabriquez ? Ils ont perdu les vertus féminines sans avoir conquis pour autant les qualités masculines.

                Et à y bien réfléchir, les femmes ne devraient-elles pas se rendre compte que rien n’est plus humiliant pour elles que ce soi-disant mouvement de libération ? On les conduit à vouloir se libérer de ce qu’elles sont. Y aurait-il donc matière à humiliation d’être femme ? On les presse de devoir démontrer leur capacité à faire tout ce que font les hommes. Mais n’est-ce point parce que l’on a secrètement méprisé tout l’agir qui était spécifique à leur sexe ? Bref, on leur donne leur brevet de femme en proportion de leur docilité à accepter de se masculiniser et c’est bien là le triomphe le plus arrogant de la misogynie. L’hypocrisie est à son comble lorsqu’on se gargarise de la dignité de la femme tout en instrumentalisant sans vergogne son corps comme un faire-valoir publicitaire des brosses à dents ou des boulettes pour chien.

                Je plaçais mes espoirs dans les découvertes sur l’ADN pour un retour à la réalité de l’être humain. On sait aujourd’hui qu’il suffit d’une seule cellule d’un corps humain pour conclure s’il s’agit d’un corps d’homme ou de femme. Ce qui signifie donc que la sexualisation de chacun d’eux est totale : dans tout son ensemble comme dans la moindre de ses millions de cellules. Je pensais qu’un constat aussi saisissant amènerait l’idéologie à s’avouer vaincue par la science. Hélas ! Je me trompais. Il a fallu arriver aux années du troisième millénaire pour que la contestation par la femme de sa féminité se traduise par les plus horribles mutilations. Au nom de la liberté pour une femme de ne pas être femme, des médecins, véritables bourreaux, en réalité, sont allés jusqu’à extirper de pauvres malheureuses, les attributs de leur féminité ! Voilà les triomphes de l’idéologie féminicide ! Et pourtant … De même que les pierres auraient crié, nous a dit le Christ, si les voix des hommes s’étaient tues, de même les milliards de cellules de ces femmes continuent invariablement de porter leur signature féminine … Qui mettra fin à cette barbarie ? Ne voyez-vous pas que la destruction de la féminité, c’est celle de l’humanité tout entière ? »

II – Point de vue féminin :

« Je suis chrétienne. Ma foi m’aidera certes à dire ce que je dois dire. Mais je crois que mon témoignage peut être reçu par beaucoup de femmes qui accepteront tout simplement d’entendre la voix de la féminité qui parle en elles. Nous n’avons, les unes et les autres, qu’une seule vie et il ne s’agit donc pas de se tromper sur le meilleur usage qu’on en peut faire. Je pense donc que nous devons nous demander légitimement ce qui nous apportera sur cette terre la plus grande espérance de bonheur. D’ailleurs, que nous en ayons conscience ou non, c’est ce que nous recherchons toutes instinctivement. Mais en quoi donc peut consister notre bonheur de femmes ? Si nous croyons en l’existence d’une féminité qui nous distingue foncièrement des hommes, nous sommes alors amenées à penser qu’il existe des modalités du bonheur qui ne sont pas entièrement les mêmes pour les hommes et pour les femmes. En tant que nous sommes tous des êtres humains, notre bonheur doit être le même. Mais selon que nous sommes hommes et femmes, il doit prendre des caractères spécifiques.

                Or, il ressort de l’évidence que notre sexe est fait pour la maternité. Dès que nous avons accepté cette donnée biologique, psychologique qui se trouve en nous, ne devons-nous pas craindre très fortement que nous manquerons ce bonheur si particulier qui nous est réservé à passer volontairement à côté de la maternité ? Aucune d’entre nous ne peut éviter cette question. Aucune d’entre nous n’a intérêt à la régler superficiellement au risque d’être très malheureuse quand le temps d’avoir des enfants sera passé et qu’elle se retrouvera seule avec elle-même. Nous autres chrétiennes, nous connaissons le devoir de procréation que le Créateur a donné à la race humaine.

                Mais, même à ignorer ce commandement, je pense que toute femme est en mesure de comprendre la maternité comme étant le plus beau de ses apanages. Que fera-t-elle si elle refuse la maternité ? Accordons-lui les plus belles réussites professionnelles, sportives ou artistiques, d’avoir été passionnée par l’activité à laquelle elle s’est vouée et d’avoir conquis la considération de son milieu. Mais ce que l’on nommera son épanouissement humain restera terriblement recroquevillé sur elle-même. Elle aura peut-être collectionné les diplômes, accumulé les performances, laissé son nom dans le dictionnaire … Qu’est-ce-que tout cela au regard de ce qu’elle aurait pu faire et de ce qu’elle n’a pas fait : donner une nouvelle vie humaine ? Que sont ses plus beaux travaux au regard de cette œuvre par excellence de conduire jusqu’à sa maturité un petit être humain ? Y a-t-il une seule génération d’hommes à ne pas avoir vu dans l’éducation l’art des arts, l’occupation la plus belle qui soit ? Où donc une femme pourra-t-elle mieux employer ses dons, son esprit et son cœur qu’auprès des enfants qu’elle aura mis au monde ? Quelle comparaison peut ici être apportée ? Vraiment, notre époque ne peut davantage manifester sa terrible régression que par sa morgue envers la mission maternelle.

                On me reprochera sans doute d’opposer la maternité à la possibilité qu’aurait en même temps une femme d’exercer une autre occupation à laquelle elle se livrerait et de conjuguer harmonieusement les deux. Mais ce que je répute préjudiciable est très exactement la prétention d’endosser, en sus du devoir maternel, une carrière professionnelle alors que rien n’y obligerait. Je sais des cas dramatiques qui peuvent légitimer la chose. Mais lorsqu’il n’y a pas de nécessité, je souligne que si personne ne s’engage pour la vie à exercer deux métiers simultanément, à plus forte raison, le réalisme nous demande de penser que ce double plein-temps se fera au détriment de l’un et de l’autre de nos devoirs.

                Alors ? Consacrons-nous à ce pour quoi nous sommes faites. Que nous importe le regard des autres ? Nos joies sont si élevées qu’elles nous consoleront de l’incompréhension possible des hommes. Notre fécondité, c’est notre bonheur. »

III – Ce que pense un homme :

                « Je suis accoutumé, maintenant, au travail professionnel des femmes. Je salue leur sérieux, leur conscience dans ce qu’elles font. Comme elles étaient, petites filles, des élèves plus appliquées que les garçons, elles le sont souvent dans les bureaux. Mais je me suis toujours fait la réflexion que je n’étais jamais parvenu à admirer une femme pour ses compétences professionnelles. Ce n’est même pas que je la jalouse ou que sa présence m’agace … Je me dis que je fais la même chose qu’elle ou que j’aurais pu le faire ou que d’autres hommes le font. Mais il vrai que de la voir occupée à des choses que je connais, de l’entendre parler de sujets que je maîtrise, me fait oublier qu’elle est femme. A mesure qu’elle me devient semblable par ce qu’elle fait, disparaît en même temps à mes yeux l’attraction et le rayonnement de sa féminité. Je la perçois de moins en moins dans le développement de ce cachet féminin qui était finalement ce que j’aimais et qui me souriait. En définitive, ce que j’admirais et qui me charmait en elle, c’était tout ce qu’elle était ou ce qu’elle faisait que je ne pourrai jamais être ni faire. Mais depuis qu’elle est devenue ce que je suis et qu’elle fait ce que je fais, c’est comme si son prestige s’était évanoui à mes yeux …

                Je trouve que ce travail auquel elle se livre a retiré la poésie qu’elle mettait dans ma vie. Elle me comblait par son art de savoir rendre chaque jour nouveau par les inventions renouvelées de son amour dans notre quotidien et dans notre intérieur. Elle me délassait de mes occupations du jour par mille pensées et mille affections qui avaient le don de me les faire oublier. Elle remplissait notre maison de son renoncement invisible, de la constance de son amour et de son sourire. Bref, elle m’apportait tout ce dont j’avais besoin pour me refaire et je voyais avec bonheur comme les trésors toujours débordants de sa générosité remplissaient aussi de joie le cœur de nos enfants.

                Sa féminité, c’est-à-dire tout ce que je n’ai pas, voilà ce que j’aimais en elle, et voilà tout ce qui m’attache à elle. Si elle ne me l’apporte plus, je veux lui demeurer fidèle mais je sens bien que je me détache d’elle. Je crois que les femmes ne comprennent plus que leur rôle n’est pas de nous prouver qu’elles sont capables de faire tout ce que nous faisons … Peu nous importe … Ne sentent-elles donc plus ce que nous aimions en elles ? Elles avaient le don de nous entraîner dans un autre monde que le nôtre, mais on dirait qu’elles l’ont perdu. Le travail les a déparées ; elles ne nous charment plus. »

IV – La confidence de l’enfant devenu adulte

« Maman me reproche de ne pas suffisamment prendre de ses nouvelles, de ne pas aller la voir assez souvent … Pourtant, je ne la délaisse pas. Je reconnais cependant que je pourrais faire davantage. Ce que je ne lui dirai pas, pour ne pas lui faire de peine, c’est que je crois qu’elle est un peu responsable de mon comportement, même si je vais essayer de l’améliorer. J’ai le sentiment très net que, sans le vouloir, c’est elle qui a provoqué ce détachement relatif qui la fait aujourd’hui souffrir.

                Mes plus anciens souvenirs d’enfant ne sont que de ma mère : elle était tout mon univers et tout mon bonheur. Ses absences étaient mes seules souffrances. Je pense qu’il en est de même pour tous les enfants. Notre attachement passionné pour notre mère et nos transports d’amour étaient la réponse naturelle à l’élan inépuisable de son amour pour nous. Lorsqu’elle devait s’en aller, nous savions bien qu’elle en souffrait comme nous et nous comprenions confusément qu’elle ne pouvait vraiment pas faire autrement. Aussi, nous ne pouvions lui en vouloir de ses éloignements toujours brefs.

                Mais, un jour, les choses ont vraiment changé. Maman a changé. Elle a commencé à s’absenter presque tous les jours et pendant longtemps. Elle nous a semblé même ne plus être la même dans son extérieur. Elle ne s’habillait plus comme avant. Nous pleurions de ses départs répétés. Elle pleurait aussi. Mais, au bout d’un moment, elle se raidissait et elle s’en allait. Nous avons entendu qu’elle partait travailler. Sans doute le devait-elle … Mais nous avons ressenti ce travail comme un intrus qui nous volait notre maman. Et, en grandissant, le doute s’est installé dans notre esprit : fallait-il vraiment qu’elle travaille ? Ou n’était-ce pas nécessaire ? Mais si cela ne l’était pas, pourquoi le faisait-elle ? Est-ce que nous, ses enfants, nous n’étions pas tout son bonheur, toute sa raison de vivre ? Elle pouvait donc finalement accepter de passer tant de temps loin de nous lorsque nous pensions qu’elle ne pouvait pas se passer de nous ?

                Alors, la vie s’est réorganisée autrement. Mais, lorsque la vie se réorganise autrement, le cœur aussi doit apprendre à se réorganiser. Il est bien vrai que toutes ces choses, à 6 ou 8 ans, sont davantage senties et souffertes que comprises et réalisées pour ce qu’elles sont. Mais l’impact n’en est pas moins fort pour autant car le mal qu’on ne sait pas définir ne permet pas de savoir le remède dont on aurait besoin. Aussi l’enfant qui doit réorganiser sa vie et son cœur le fait à tâtons, selon son instinct. Il recherche des affections de substitution comme il le peut tandis que sa mère a commencé de pâlir au firmament de son âme.

                Il s’habitue à vivre dans de mauvais équilibres, maladroits palliatifs de ceux dont ils ont été brutalement privés.

                Bien sûr je comprends que l’éducation demande le sevrage progressif de la présence de la mère. Mais ce que je veux exprimer, c’est en réalité que l’enfant comprend au plus intime de lui-même si le sevrage est l’effet d’un amour maternel qui ne se ralentit en rien ou s’il est finalement le signe que la mère ne trouve pas en ses enfants le rassasiement de sa vie.

                Cette lucidité que j’ai progressivement acquise, loin de creuser encore le fossé avec ma mère, me donne le désir de le combler, de la retrouver, comme un enfant devenu adulte, qui se raisonne en se disant que la perfection n’est pas de ce monde, et devient capable de décider d’un cheminement dont les enfants ne sont pas capables. Ce que je ne saurai sans doute jamais, c’est ce que ma mère a compris de tout cela … »

IV – Le mot du prêtre

Les catholiques, en présence du mystère de l’Incarnation, ont parfois du mal à réaliser que Notre-Seigneur Jésus-Christ n’est pas une personne humaine mais une personne divine. Il est le Verbe, deuxième Personne de la Sainte Trinité qui a assumé une nature humaine mais, en aucune manière, n’est pour autant devenu une personne humaine. Une fois comprise, cette vérité permet alors d’en considérer une seconde qui glorifie grandement la Très Sainte Vierge Marie. Puisque Notre-Seigneur n’est pas une personne humaine mais une personne divine, c’est elle qui est donc, en sa qualité de mère de Dieu, la personne humaine la plus digne de toute la race humaine. Dieu a donc voulu que ce soit une femme, et non pas un homme, qui occupe ce rang insigne. Nous pourrions très longtemps méditer avec fruit sur cette vérité et dire par exemple qu’une seule personne humaine est parfaite et que cette personne est une femme. Il s’ensuit que si l’exemplaire de notre perfection est le Christ Notre-Seigneur, la très Sainte Vierge Marie doit être reconnue comme étant la personne humaine qui est le modèle de toutes les autres.

                Ne croyons pas que cette spéculation théologique qui balbutie la place incomparable de cette personne humaine, mère d’une Personne divine, n’ait pas de rapport avec le sujet que nous avons traité. Comment le Dieu, qui a voulu glorifier à ce point une femme, l’aurait-il pu si la féminité n’avait été qu’une mauvaise réplique de la masculinité ? Loin de là, nous devons la comprendre comme une expression saisissante de la sagesse et de la bonté divine, voulue de toute éternité pour d’abord permettre la maternité du Verbe. Il fallait la féminité pour qu’une créature puisse devenir Mère de Dieu et qu’elle fût l’exemplaire parfait de la féminité.

                Il faut donc dire que c’est le propre de la vraie religion d’avoir exalté la femme à une hauteur que nul n’avait jamais imaginé et que c’est le propre des hérésies et des fausses religions de rabaisser la femme et de méconnaître sa noblesse. Il faut ajouter que c’est le propre de l’athéisme, et se son corollaire le matérialisme, de l’avoir avilie au point de ne plus voir en elle qu’un objet de jouissance et une simple marchandise.

                Revenir à la vérité catholique, c’est immédiatement redécouvrir le rôle de la femme qui se comprend uniquement à la lumière de son exemplaire qui est Marie. Revenir à la vérité catholique, c’est l’unique espérance de pouvoir relever aujourd’hui la femme publiquement dénudée et outragée aux yeux de tous et lui rendre l’incomparable rang que le Christ lui a réservé, car il faut le proclamer, l’une des plus profondes révolutions opérées par le Christianisme, c’est d’avoir placé la femme sur un piédestal. Le Christ de la Chananéenne et de la Samaritaine, de la femme adultère et de la Madeleine, le Christ de toutes ces filles de Palestine, c’est le Christ de Marie. Il leur donne sa Mère pour qu’elles ne forlignent plus et qu’elles en deviennent les émules.

Prière de conclusion :

« Seigneur, nous vous prions

 pour que les hommes soient des hommes et que les femmes soient des femmes ;

pour que les hommes féminisés redeviennent des hommes et que les femmes masculinisées redeviennent des femmes ;

pour que le rétablissement de votre plan créateur permette aux hommes et aux femmes de redécouvrir comme ils sont excellemment complémentaires quand les uns et les autres sont ce qu’ils doivent être. »

Père Joseph

Pour l’honneur de l’Église

            Selon le plan divin, le Verbe, dans son incarnation, ne devait rester que trente-trois années ici-bas avant de remonter dans le sein de son Père. Il ne devait donc y avoir qu’un nombre infime de privilégiés à qui il serait donné de le côtoyer, de le voir, de l’entendre, de le connaître d’une connaissance sensible. Qu’en serait-il alors de tout le restant de l’humanité, de ces milliards d’hommes qui ne vécurent pas en Judée et en Galilée pendant le premier tiers du premier siècle de l’ère chrétienne ? Comment parviendraient-ils à recevoir l’enseignement du Christ et à y conformer leur existence ? Allaient-ils devoir seulement se fier à la mémoire et à la compréhension de sa poignée d’apôtres et de disciples ? Mais, en admettant même que ces derniers fussent des échos concordants et fidèles, comment la transmission se ferait-elle convenablement de génération en génération ? Le risque de déviation et de dilapidation de ces vérités apparaissait comme fatal. Or cette question était cruciale puisque le Fils de Dieu requérait de ceux qui voulaient entrer dans son éternité la possession intègre de sa doctrine.

Mais Dieu, qui sait la fragilité humaine, n’avait pas mésestimé la difficulté de la tradition parfaite du dépôt révélé. Celui qui, d’un coup d’œil, voit se succéder les générations des hommes sur la terre, comme des feuilles sur les branches des arbres, résolut la fondation d’une société divine qui serait là pour assurer la transmission du céleste héritage jusqu’à la fin des siècles. De même qu’Il avait tiré d’Adam, pendant son sommeil, la femme qui serait sa compagne, Il forma son Eglise naissante du côté ouvert de Notre-Seigneur Jésus-Christ endormi sur la Croix. « Celui qui a vu a rendu témoignage, et véridique est son témoignage et celui-là sait qu’il dit vrai, pour que vous aussi vous croyiez[1] ». A l’instar de Saint Jean, il nous faut croire en cette divine institution : « l’Eglise est immortelle de sa nature ; jamais le lien qui l’unit à son céleste époux ne doit se rompre, et dès lors la caducité ne peut l’atteindre[2] ».

Voilà l’unique dépositaire de son infaillible vérité. Jamais le Christ ne manquera à son épouse et jamais son épouse ne lui manquera. Lui est remonté dans les Cieux au jour de l’Ascension, mais elle, toujours courageuse, demeure ici-bas ; « le veuvage figure la vie présente de l’Eglise militante, privée de la vision de son époux céleste, avec qui cependant elle reste indéfectiblement unie ; marchant vers Lui dans la Foi et l’Espérance, vivant de cet amour qui la soutient en toutes ses épreuves, et attendant impatiemment l’accomplissement des promesses initiales[3] ».

Qui dira son admirable fécondité ? Qui racontera aux hommes sa mission de vérité et de salut ? Qui la célébrera dignement ? Fidèle détentrice des secrets divins, elle a été jusqu’à maintenant la véritable bienfaitrice des peuples, des familles et de chaque homme. Partout où elle est passée et dans toute la mesure où elle a été reçue, elle a répandu ses bienfaits et elle a fait germer tout ce qui est bon. Où que l’on signale des fruits de noblesse, de beauté et de sainteté, reconnaissons tout simplement la racine et la sève de l’Eglise. La gloire des nations a été portée d’autant plus haut qu’elles ont avec plus de fermeté et de ferveur reconnu et soutenu cette Arche de Salut et les familles ont été récompensées d’avoir recouru à son concours pour l’éducation de leurs enfants. Les hommes ne devraient jamais cesser de chanter ses louanges.

            Ces rappels d’une élémentaire justice doivent aider, a contrario, à prendre conscience du traitement ignominieux que l’on fait de nos jours à l’Eglise. Il n’est pas trop de dire qu’elle subit à son tour la plus cruelle des passions. Nous ne voulons pas uniquement faire allusion aux persécutions violentes qui mènent au martyre des millions de catholiques à travers le monde dans une indifférence presque généralisée. Il existe en réalité une torture encore plus atroce pour l’Eglise. C’est celle qui lui vient de ses fils, et tout spécialement de ses pasteurs. Un sentiment abominable a envahi les cœurs. Les enfants ont commencé à être gênés de reconnaître l’Eglise pour leur mère. En face des attaques du monde, ils baissaient la tête ; ils ne la défendaient pas ; ils rougissaient. Ils se laissaient circonvenir par les slogans et les injures déversés de toutes parts contre Elle. Et, peu à peu, ils emboîtèrent même le pas aux plumitifs et aux histrions de l’ignorance et du mensonge. Au lieu de se frapper encore la poitrine, ils se mirent à battre celle de l’Eglise à chaque fois que ses ennemis s’ameutaient contre Elle. A propos de quoi n’ont-ils pas demandé pardon ? Ce sont d’interminables et honteuses litanies au cours desquelles les hommes d’Eglise, agenouillés devant l’humanisme athée, ont littéralement admis tous les crimes que, de siècle en siècle, l’Eglise aurait commis par son obscurantisme, son intolérance, son dogmatisme. Aux yeux du monde et devant ses enfants, la voilà reconnue comme la principale malfaitrice de l’Histoire.

Mais nous n’avons pas encore dénoncé le plus sordide. Des enfants de l’Eglise se sont trouvés assez dénaturés pour ne plus supporter le visage et les allures de leur mère. Ils se sont donc ingéniés à la maquiller et à la travestir pour la rendre acceptable par la modernité. Ils l’ont coiffée d’un bonnet phrygien et de la cocarde des révolutions. Ils l’ont revêtue d’une robe de courtisane car l’œcuménisme ne la souffrait plus comme l’unique épouse. Et dans cet appareil, ils ont cru qu’ils mériteraient le compliment du monde moderne : « la découverte des besoins humains (et ils sont d’autant plus grands que le fils de la terre s’est fait plus grand) a absorbé l’attention de notre concile. Reconnaissez-lui au moins ce mérite, vous, humanistes modernes qui renoncez à la transcendance des choses suprêmes, et sachez reconnaître notre nouvel humanisme : nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l’homme[4]

            Paul VI a-t-il seulement obtenu le satisfecit des maîtres du monde qu’il espérait à la fin du concile ? Sans doute, quelques approbations. Des autorités de la maçonnerie, du judaïsme et du protestantisme ont émis quelques compliments mesurés. Vatican II constituait un premier pas mais l’Eglise Catholique ne devrait pas s’en contenter. Elle avait accumulé tant de retard au regard du monde qui avait accéléré sa course ! Si l’Eglise ne voulait donc pas risquer de redevenir la cible, elle devait poursuivre impérativement son aggiornamento ! Plus les années et les décades de l’après-concile se sont succédées, plus l’Eglise s’est livrée à son auto-critique. Tous ses trésors, sa liturgie, son Code, son catéchisme, ses indulgences, son histoire, tout a été passé sur le lit de Proclus des impératifs conciliaires. Mais jamais le monde ne se déclare satisfait. Et il considère avec mépris les hommes d’Eglise qui cèdent à toutes ses injonctions et les foudroie s’ils font mine de résister.

Cependant, le plus grave est que l’Eglise est devenue méconnaissable. La prophétie d’Isaïe sur la personne du Serviteur souffrant, Notre-Seigneur Jésus-Christ, se répète ou se continue mystérieusement. C’est dans son Eglise que le Christ n’a aujourd’hui « ni aspect, ni beauté pour que nous le contemplions, ni apparence pour que nous nous complaisions en Lui[5].» Et nous, ses enfants, nous sommes au risque de ne plus la voir, de détourner la tête. Au risque de nous demander si elle existe encore, cette Eglise à laquelle Notre-Seigneur a donné les promesses de la vie éternelle. Et nous nous demandons aussi comment les hommes qui cherchent la vérité pourraient, eux-aussi, la reconnaître sous le hideux déguisement qui en voile l’incomparable beauté. Ne peut-elle à son tour éprouver ce sentiment absolu de déréliction qui amène le Christ en croix à gémir : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ?[6] »

            Il nous faut sans relâche renouveler le geste de Sainte Véronique. En fils compatissants, nous approcher de toute notre âme de notre mère dans le désir d’essuyer son visage car les vrais enfants se révèlent dans les heures douloureuses, rivés au chevet de l’agonie, tandis que les autres se sont déjà égaillés. Et notre élan de compassion mérite une grâce de prix. Le soin que nous prenons de laver le visage aimé de sa lèpre et de ses souillures est celui qui nous donne alors de le contempler dans sa beauté inchangée et raffermit notre espérance. Et nous nous apercevons avec admiration que, même sous les oripeaux dont elle a été attifée, les âmes demeurent mystérieusement attirées par elle et la découvrent et l’aiment au point de demander à devenir ses enfants. Faut-il quelle soit puissante et divine pour exercer cette invincible attraction lorsque tout a été entrepris par les hommes pour la déconsidérer ! C’est notre Mère et nous sommes fiers et heureux d’être ses enfants et d’autant plus désireux de ne pas la quitter qu’elle se trouve esseulée. En cette fidélité, nous voulons vivre et mourir et rien ne nous tient plus à cœur que de transmettre nos dispositions à la génération qui nous suit.

Père Joseph


[1] Jean 19-35

[2] St Pie X  in « Jucunda Sane » du 12 mars 1904

[3] Pie XII, le 16/11/1957

[4] Paul VI in « le discours du 7/12/1965 de clôture du Concile Vatican II

[5] Isaïe 53,2

[6] Mat. 27,46

Le mot du Père Joseph

Nous ne nous sommes donnés à nous-mêmes ni notre être ni notre condition humaine. C’est du néant que nous avons été tirés et notre existence ne s’explique que par la Toute-Puissance divine qui nous a créés et nous maintient ensuite dans l’être, instant après instant. Nous nous trouvons donc dans une dépendance essentielle à Dieu qui s’étend d’ailleurs à l’universalité de tous les biens dont nous disposons ou dont nous avons besoin.

            Et, parce que Dieu, pour nous procurer ses innombrables bienfaits, fait souvent appel à de nombreux médiateurs célestes ou terrestres, nous devenons également tributaires et débiteurs, quoique dans une moindre mesure, de tous ceux, anges ou saints, parents ou maîtres, par qui nous arrivent les dons divins, tant dans l’ordre naturel que dans l’ordre surnaturel.

            Il faut remarquer ici que l’homme, parmi toutes les créatures, se distingue même en ce qu’il est la plus indigente de toutes, celle qui exige le plus de soins et d’attention pour vivre et se développer. Tandis que les anges ont tout de suite été créés dans leur perfection naturelle ou que les petits poussins, sitôt cassée leur coquille, sont déjà presque autonomes, ce sont de longues années qui seront nécessaires pour qu’arrivent à maturité les enfants des hommes. Et le Fils de Dieu lui-même prenant notre nature humaine, langé par sa mère et lui prenant le sein, n’a pas échappé à cette loi fondamentale de dépendance.

            Est-il nécessaire que l’homme ait conscience de sa condition ? Certes, les adultes acceptent volontiers d’un tout petit enfant qu’il ne sache pas manifester sa gratitude. Mais, bien avant qu’il n’ait atteint l’âge de raison, l’œil maternel lui-même sait se faire sévère si l’enfant qui balbutie à peine quelques mots, ne dit pas « merci » quant il le faut. Et chacun considérera avec sévérité et inquiétude l’enfant qui grandit sans élan de reconnaissance à l’égard de ceux dont il reçoit tant de choses au quotidien. Son ingratitude provoque une juste indignation et resserre souvent le cœur de ceux qui auraient eu envie de lui donner davantage.

            Mais ces adultes, qui ont mille fois raison d’exiger de leurs enfants la reconnaissance, joignent-ils eux-mêmes tous les jours les mains pour remercier Dieu de la profusion des biens qu’Il ne cesse de leur dispenser ? Pensent-ils encore que la douce chaleur du soleil et que la pluie qui régénère la terre sont des dons du Ciel qui suffisent déjà à requérir notre gratitude ? Ne demandent-ils pas à leurs enfants ces remerciements qu’ils refusent à Dieu ? Et s’ils ne l’obtiennent que si mal de leur progéniture, n’est-ce d’ailleurs pas en raison de leur propre méconnaissance des dons de Dieu ?

            Avant que les enfants ne se campent devant leurs parents, les adultes orgueilleux se sont les premiers campés devant leur Dieu. A la racine de notre ingratitude se trouve notre péché d’orgueil. Nous ne voulons pas accepter de reconnaître cette situation de totale indigence où nous nous trouvons. C’est Saint Paul qui a admirablement su exprimer cette relation entre l’oubli des bienfaits divins et notre orgueil : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi t’en vanter comme si tu ne l’avais pas reçu ?[1] »

            André Gide ne s’est pas trompé, pour une fois, en disant que la fatuité est toujours accompagnée de sottise. Et, en réalité, quel spectacle triste et ridicule que celui de l’infatuation humaine, de cet extrême aveuglement où se perd l’homme enivré de lui-même. Saint Paul continue à ironiser : « Déjà vous êtes rassasiés ! Déjà vous vous êtes enrichis ! Sans nous, vous êtes devenus rois ! Eh, que ne l’êtes-vous donc rois, pour que nous partagions, nous aussi, votre royauté ![2] »

            Cette dénonciation du rassasiement, si proche de l’hébétude, n’est-elle pas également prononcée par la douce Vierge Marie dans son « Magnificat » ? Elle exprimera le terrible châtiment des « riches », c’est-à-dire de ceux qui sont satisfaits d’eux-mêmes, qui n’ont plus conscience d’être misère et poussière : « Il a comblé de biens les affamés, et renvoyé les riches les mains vides.[3] » Comprenons-nous que ce renvoi est le plus terrible des malheurs ? Ce n’est point que Dieu prenne plaisir à nous renvoyer mais nos âmes, comme des outres toutes gonflées d’elles-mêmes, sont devenues comme inaptes à recevoir l’eau vive que Dieu avait réservée pour elles. Qu’est-ce que Notre-Seigneur pouvait apporter aux pharisiens tout pénétrés de leur importance, tout persuadés de leur perfection ? Il se heurte tristement à leurs portes closes et distribue alors ses trésors aux publicains et aux âmes qui ont pris conscience de leur indigence.

            Faut-il écrire les lignes qui suivent pour vous, chers parents, ou pour vos enfants ? Je crois qu’il faut les écrire pour vous. Si vous comprenez l’importance de ce message et que vous cherchez à en vivre, vos enfants se feront tout naturellement vos imitateurs et seront les grands bénéficiaires du travail de la grâce dans vos âmes. Comprenez ce que Notre-Seigneur vous dit à vous en s’adressant à la Samaritaine : « Si tu savais le don de Dieu.[4]»  « Si tu le  connaissais, comme c’est toi qui me le demanderais ! Comme ton âme serait altérée, impatiemment désireuse de se le procurer ! Comme tout te semblerait fade et morne hors l’espérance de cette eau vive qui est ma vie, ma vie divine que je veux te donner ! Comme tu comprendrais qu’il n’est qu’un seul désir qui doive habiter le cœur de l’homme, celui de moi-même, ton Sauveur ! Et tous les autres désirs, qui sont autres que moi seul, ne sont que des vipères qui divisent et désolent ton âme ! Le comprends-tu ? »

            Chers parents, soyez des âmes de désir et des âmes d’un seul désir. Soyez des âmes uniquement désireuses de ce Dieu qui est votre Tout. Que pourrait-il donc vous manquer si vous possédez Dieu ? Que pourriez-vous rechercher d’autre si vous l’avez trouvé ? Jamais vous ne le rechercherez, jamais vous ne le désirerez suffisamment. Il n’est aucun excès possible dans la volonté de s’unir à Lui. L’amour est sortie de soi-même. L’amour est comme une flamme, comme elle, il ne doit jamais se fatiguer de s’élancer de tout lui-même vers le Ciel.

            Parce que nous sommes les héritiers d’un Père qui est le Bon Dieu lui-même, la vue des splendeurs que nous avons reçues de lui doit nous remplir d’admiration et de joie. Notre reconnaissance et notre amour doivent s’élever vers Lui. Nos âmes doivent être toutes remuées de tant de bonté. Et nos cœurs doivent se dire cependant que ce ne sont encore que les prémices du don parfait que Dieu veut nous faire et qui est le don de lui-même, pour l’éternité. Si nous devons attacher la plus grande importance à développer nos aptitudes d’âme à recevoir par la conscience de notre indigence, par la culture de l’humilité et de la reconnaissance, c’est en vue de notre admirable destinée surnaturelle. Dieu est amour[5]. Et parce que Dieu est amour, Il ne se contente pas de donner mais Il se donne Lui-même à ceux qui s’ouvrent pour le recevoir. Alors, rappelons-nous qu’Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu.[6]»

Pardonnez-nous, ô mon Dieu, de ne pas vous avoir reçu ! Faites que désormais, nous vous recevions, de tout notre cœur embrasé, de tout l’élan de notre âme, de tout notre amour afin de réellement « devenir enfants de Dieu.[7] »

Père Joseph


[1] I Cor. 4-7

[2] I Cor. 4-8

[3] Luc I, 53

[4] Jn. 4, 10

[5] 1 JN 4,16

[6] JN I,11

[7] JN, 1