Chère Bertille,
La vie sur terre n’est pas un long fleuve tranquille. Il faut se battre pour réussir dans ses études, pour trouver un travail où l’on pourra mettre à profit les talents que le Bon Dieu nous a donnés. Il faut combattre pour ne pas se laisser emporter par les mauvaises amitiés, pour lutter contre les tentations que le démon essaye de mettre sur notre chemin pour nous faire flancher. Le monde sait bien nous rendre addicte de sa mode, de sa musique, de ses films et bien d’autres choses encore. Je voudrais utiliser la suite du texte publié précédemment par le Père Garrigou Lagrange pour te montrer que le soutien, la force tu les trouveras seulement dans la prière. Bonne lecture ! Je te porte bien affectueusement dans mes prières.
Anne
« Voyons ce que la prière peut nous obtenir.
La fin de la vie des âmes c’est le ciel ; à cette fin suprême Dieu subordonne tous les biens qu’il lui plaît de nous départir, car il ne nous donne ceux du corps et ceux de l’âme, que pour la conquête de l’éternité bienheureuse.
La prière ne peut donc nous obtenir que les biens qui sont dans la ligne de notre fin dernière, dans la ligne de la vie éternelle. En dehors de là elle ne peut rien, elle est trop haute pour nous obtenir tel succès temporel sans rapport avec notre salut. Il ne faut pas attendre d’elle ce résultat, pas plus qu’on ne demande à un ingénieur l’office d’une manœuvre.
Les biens qui nous acheminent vers le ciel sont de deux sortes : les spirituels, qui nous y conduisent directement, et les temporels, qui peuvent être indirectement utiles au salut, dans la mesure où ils se subordonnent aux premiers.
Les biens spirituels, ce sont la grâce, les vertus, les mérites. La prière est toute-puissante pour obtenir au pécheur la grâce de la conversion, et au juste la grâce actuelle nécessaire à l’accomplissement des devoirs du chrétien. La prière est souverainement efficace pour nous obtenir une foi plus vive, une espérance plus confiante, une charité plus ardente, une plus grande fidélité à notre vocation. La première des choses que nous devons demander selon le Pater, c’est que le nom de Dieu soit sanctifié, glorifié par une foi rayonnante, que son règne arrive, (c’est l’objet de notre espérance), que sa volonté soit faite, accomplie avec amour, avec une charité plus fervente. La prière est toute-puissante pour nous obtenir le pain de chaque jour, non seulement celui du corps, mais celui de l’âme, le pain supersubstantiel de l’Eucharistie, et les dispositions nécessaires pour une bonne communion. Elle est efficace pour nous obtenir le pardon de nos fautes avec la disposition intérieure de pardonner au prochain, pour nous faire triompher de la tentation : « Veillez et priez, de peur que vous ne tombiez dans la tentation », disait Notre-Seigneur ; pour nous délivrer du mal et de l’esprit du mal, « cette sorte de démon ne se chasse que par la prière et par le jeûne ». (Matth, XVII, 20.)
Seulement, cela va sans dire, la prière doit être sincère : demander de vaincre une passion sans éviter les occasions, demander la grâce d’une bonne mort sans s’efforcer d’avoir une vie meilleure, ce n’est pas une vraie prière, un vrai désir, c’est à peine une velléité. La prière doit aussi être humble, c’est un pauvre qui demande. Elle doit être confiante en la miséricorde de Dieu, elle ne doit pas douter de son infinie bonté. Elle doit être persévérante pour montrer qu’elle vient d’un désir profond du cœur. Parfois le Seigneur ne semble pas nous exaucer tout de suite, pour éprouver notre confiance et la force de nos bons désirs, comme Jésus éprouva la confiance de la Chananéenne par une parole sévère qui semblait un refus : « C’est aux brebis perdues d’Israël que je suis envoyé…, il ne convient pas de donner aux chiens le pain des enfants. » Sous l’inspiration divine, la Chananéenne répondit : « Pourtant, Seigneur, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leur maître ». – « O femme, dit Jésus, ta foi est grande, qu’il te soit fait selon ce que tu demandes » ; et sa fille, qui était tourmentée par le démon, fut désormais délivrée (Matth., XV, 22).
Mais si vraiment nous avons prié avec persévérance et si, malgré nos supplications, Dieu nous laisse aux prises avec la tentation, rappelons-nous l’apôtre saint Paul, qui lui aussi supplia à plusieurs reprises pour être délivré de l’aiguillon qui le tourmentait dans sa chair et qui reçut cette réponse : « Ma grâce te suffit pour vaincre », sufficit tibi gratia mea. Croyons avec l’Apôtre que cette lutte nous est profitable, et ne cessons pas de demander la grâce, qui seule peut nous empêcher de faiblir. Apprenons par là notre indigence, apprenons que nous sommes des pauvres, et que l’acte du pauvre consiste à demander. Le chrétien toute sa vie doit mendier les énergies surnaturelles qu’il lui faut pour faire son salut. L’âme humaine ne peut atteindre le ciel que si elle est lancée par Dieu ; mais une fois lancée, il faut qu’elle vole ; la prière est comme le coup d’aile du petit oiseau lancé hors du nid et qui réclame un nouveau secours.
Quant aux biens temporels, la prière peut nous obtenir tous ceux qui doivent, d’une façon ou d’une autre, nous aider dans notre voyage vers l’éternité : le pain du corps, la santé, la force, la prospérité de nos affaires, la prière peut tout nous obtenir, à condition que nous demandions avant tout et par-dessus tout à Dieu de l’aimer davantage : « Cherchez le royaume des cieux, et tout le reste vous sera donné par surcroît ». Faut-il dire que la prière est inefficace parce que nous n’avons pas demandé ce bien temporel pour lui-même, mais seulement dans la mesure où il était utile à notre salut. Si nous ne l’avons pas obtenu, c’est que nous devons nous sauver sans lui. Notre prière n’est pas perdue, nous n’avons pas obtenu ce bien temporel qui nous était utile, mais nous avons obtenu ou nous obtiendrons une autre grâce plus précieuse.
La prière humble, confiante, persévérante, par laquelle nous demandons pour nous les biens nécessaires au salut est infailliblement efficace, en vertu de la promesse du Seigneur. Dieu, en effet nous commande de travailler à notre salut. Il ajoute : « Sans moi (sans ma grâce) vous ne pouvez rien faire », « demandez, et vous recevrez » ; demandez-la-moi, cette grâce, je vous la donnerai, je vous le promets. Bien plus, c’est Lui qui fait jaillir la prière de nos cœurs, qui nous porte à demander ce que de toute éternité il veut nous accorder. Si telle prière n’était pas infailliblement efficace, le salut serait impossible, Dieu nous commanderait l’irréalisable ; la contradiction serait en Lui, suprême Vérité et suprême Bonté. Les simples comprennent tout de suite la parole de Jésus : « Demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira ; qui de vous donnera une pierre à son enfant, si celui-ci lui demande du pain, et s’il lui demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent ? Si donc, méchants comme vous êtes, vous donnez de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison votre Père qui est aux cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent ! ». Telle est la prière simple et profonde du paysan rentrant du travail, posant sa bêche devant la porte de l’église et entrant pour dire un Notre Père. Quel crime celui qui consiste à arracher cette foi sublime au pauvre, qui par elle se rattache à l’Eternité ! Savoir prier, pour l’âme, c’est savoir respirer.
La prière est donc une force plus puissante que toutes les forces physiques prises ensemble, plus puissante que l’argent, plus puissante que la science. Ce que tous les corps et tous les esprits créés par leurs propres forces naturelles ne peuvent pas, la prière le peut. « Tous les corps, dit Pascal, le firmament et ses étoiles, la terre et ses royaumes, ne valent pas le moindre des esprits… De tous les corps ensemble on ne saurait en faire réussir une petite pensée, cela est impossible et d’un autre ordre… tous les corps ensemble et tous les esprits ensemble, et toutes leurs productions, ne valent pas le moindre mouvement de charité, cela est d’un ordre infiniment plus élevé… ». La prière, elle, peut obtenir la grâce, qui nous fera produire cet acte de charité.
La vraie prière joue ainsi dans le monde un rôle infiniment plus grand que la plus étonnante des découvertes. Qui oserait comparer l’influence exercée par un savant incontesté comme Pasteur, à celle qu’exerça par sa prière un saint Paul, un saint Jean, un saint Benoît, un saint Dominique ou un saint François ?
Chaque âme immortelle vaut plus que tout le monde physique, elle est comme un univers, unum versus alia, puisque par ses deux facultés supérieures, intelligence et volonté, elle s’ouvre sur toutes choses et sur l’Infini. A ces univers en marche vers Dieu, qui sont les âmes, la prière assure deux choses : la lumière surnaturelle qui les dirige, et l’énergie divine qui les pousse. Sans la prière, l’obscurité se fait dans les âmes, qui se refroidissent et meurent, comme des astres éteints. Ayons confiance en cette force d’origine divine ; rappelons-nous d’où elle vient, rappelons-nous où elle va ; c’est de l’Eternité qu’elle descend, d’un décret de l’infini bonté, c’est à l’Eternité qu’elle remonte. »
Rome, Angelico
Fr. Reg. Garrigou-Lagrange, O.P